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Décisions

CA Versailles, 12e ch. sect. 1, 27 mai 2010, n° 09/05150

VERSAILLES

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Au Marché de l'Oued (sté)

Défendeur :

Derdega, Adocsystemes (sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Rosenthal

Conseillers :

Mme Poinseaux , M. Testus

Avocats :

SCP Lefevre Tardy et Hongre Boyeldieu, Me Pietrois, SCP Keime Guttin Jarry, Me David, SCP Bommart Minault, SCP Longchamp, Me Leonzi

TGI Nanterre, du 31 janv. 2006

31 janvier 2006

- Vu la communication de l'affaire au ministère public en date du 15 février 2010 ;

- Vu le jugement rendu le 31 janvier 2006 par le tribunal de grande instance de Nanterre qui a, sous le bénéfice de l'exécution provisoire, :

- * déclaré M. Derdega recevable en son action en nullité du bail commercial du 27 mars 2001,

- * dit que le consentement de M. Derdega avait été vicié lors de la signature de cet acte et prononcé la nullité du bail commercial du 27 mars 2001,

- * ordonné l'expulsion sous astreinte de la société Au marché de l'Oued des locaux commerciaux sis à [...],

- * condamné la société Au marché de l'Oued à régler à M. Derdega une indemnité mensuelle d'occupation de 900 euros à compter du 1er avril 2002 et jusqu'à la libération des lieux,

- * rejeté le surplus des demandes,

- * condamné la société Au marché de l'Oued à payer à M. Derdega la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens avec distraction;

- Vu l'ordonnance du premier président de la cour d'appel de Versailles en date du 19 juillet 2006, arrêtant l'exécution provisoire;

- Vu l'arrêt rendu sur l'appel interjeté par la société Au marché de l'Oued, le 13 septembre 2007 par la cour d'appel de Versailles, qui infirmant le jugement entrepris, a :

- * déclaré irrecevable l'action de M. Derdega,

- * rejeté la demande en dommages et intérêts de M. Panthier,

- * condamné la société Au marché de l'Oued et M. Derdega à verser respectivement une indemnité de 1 500 euros à M. Panthier et à la société Adocsystemes au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- * rejeté la demande de M. Derdega sur ce fondement et condamné celui-ci aux dépens avec distraction;

- Vu l'arrêt du 6 mai 2009 par lequel la Cour de cassation, sur le pourvoi formé par M. Derdega, a cassé et annulé en toutes ses dispositions l'arrêt rendu par la cour d'appel de Versailles, remis la cause et les parties en l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les a renvoyées devant la cour d'appel de Versailles autrement composée;

- Vu la déclaration de la société Au marché de l'Oued, en date du 16 juin 2009, saisissant la juridiction de renvoi;

- Vu les dernières écritures en date du 23 mars 2010, par lesquelles la société Au marché de l'Oued, poursuivant l'infirmation de la décision entreprise, demande à la cour de:

- * déclarer recevable l'intervention volontaire de M. Dogga,

- * principalement, débouter M. Derdega de ses demandes,

- * déclarer valable le bail commercial consenti le 27 mars 2001 à la société Au marché de l'Oued par l'indivision Ben Aoun-Dogga-Derdega,

- * condamner M. Derdega à lui payer les sommes de 1 000 euros pour procédure abusive et de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- * subsidiairement, dire que M. Derdega n'a aucun droit à agir en expulsion,

- * plus subsidiairement, constater que la mesure d'expulsion est matériellement impossible en raison de la réunion des travées 2 et 3,

- * encore plus subsidiairement, restreindre la mesure d'expulsion aux locaux donnés en location-gérance le 27 mars 2001 par M. Derdega à la société Au marché de l'Oued, lesquels doivent être précisément définis,

- * au cas de prononcé d'une mesure d'expulsion, dire qu'il y sera sursis dans l'attente de la décision à intervenir, sur la sortie de l'indivision, du tribunal de grande instance de Nanterre, avec une indemnité d'occupation mensuelle de 762,25 euros,

- * débouter M. Panthier et la société Adocsystemes de leurs demandes incidentes,

- * condamner M. Derdega aux dépens avec distraction;

- Vu les dernières écritures en date du 7 avril 2010, aux termes desquelles M. Derdega, prie la cour de recevoir son appel incident, et :

- * de confirmer le jugement entrepris en rejetant les demandes de la société Au marché de l'Oued et de dire que l'expulsion portera sur les locaux de la travée 3,

- * de l'infirmer pour le surplus et de condamner la société Au marché de l'Oued à lui verser la somme de 30 000 euros à titre de dommages et intérêts,

- * subsidiairement, de déclarer recevables et de faire droit à ses demandes de condamnation solidaire de la société Adocsystemes et de M. Panthier à lui payer la somme de 300 000 euros à titre de dommages et intérêts sur le fondement de l'article 1147 du code civil,

- * très subsidiairement, d'ordonner une expertise pour évaluer le fonds de commerce de M. Derdega,

- * de condamner la société Au marché de l'Oued et subsidiairement la société Adocsystemes et M. Panthier à lui verser la somme de 15 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens avec distraction;

- Vu les dernières écritures en date du 12 avril 2010, aux termes desquelles M. Panthier prie la cour de :

- * débouter M. Derdega de son appel et confirmer le jugement en ce qu'il n'a pas retenu de faute à son encontre,

- * condamner M. Derdega et subsidiairement la société Au marché de l'Oued et M. Dogga solidairement à lui verser les sommes de 15 000 euros à titre de dommages et intérêts et de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens de première instance et d'appel;

- Vu les écritures en date du 7 avril 2010 par lesquelles la société Adocsystemes demande à la cour :

- * principalement, de débouter M. Derdega de l'intégralité de ses demandes,

- * subsidiairement, de désigner un expert pour évaluer le préjudice,

- * de condamner M. Derdega et subsidiairement la société Au marché de l'Oued et M. Dogga solidairement à lui payer la somme de 15 000 euros à titre de dommages et intérêts pour abus de procédure et de 15 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- * de condamner M. Derdega aux entiers dépens avec distraction;

- SUR CE, LA COUR,

- Considérant que, pour un exposé complet des faits et de la procédure, il est expressément renvoyé au jugement déféré et aux écritures des parties; qu'il suffit de rappeler que :

- * M. Derdega était copropriétaire indivis depuis le 2 septembre 1974 avec M.M. Dogga et Ben Aoun de locaux commerciaux sis à [...], séparés en trois travées, et d'un fonds de commerce exploité dans ces mêmes locaux;

- * le fonds a été scindé en trois parties, M. Derdega exploitant un commerce de boucherie dans la troisième travée, avant la réunion des deuxième et troisième travées, lors de la location-gérance de leurs fonds de commerce respectifs, accordée par M.M. Derdega et Dogga à une société L'Oued dans laquelle ils étaient associés;

- * par deux actes sous seing privé du 27 mars 2001, M. Derdega a donné son fonds de commerce en location-gérance pour un an à la société Au marché de l'Oued et les trois propriétaires indivis ont consenti un bail commercial à cette société, dont M. Dogga et des membres de sa famille étaient les associés; les deuxième et troisième travées ont été réunies en un seul ensemble par la société Au marché de l'Oued;

- * ces deux actes sous seing privé ont été rédigés par M. Panthier, conseil en entreprises;

- * le 12 décembre 2001, par lettre recommandée avec accusé de réception, M. Derdega a dénoncé le contrat de location-gérance pour le 1er avril 2002 et, le 11 juin 2002, a assigné sans succès en référé la société Au marché de l'Oued, aux fins d'expulsion;

- * par actes d'huissier de justice en date des 11 et 13 février 2003, dénoncés le 1er septembre 2004 à M.M. Dogga et Ben Aoun, M. Derdega a assigné la société Au marché de l'Oued, M. Panthier et la société Adocsystemes, principalement en nullité du bail commercial et subsidiairement en réparation de son préjudice causé par les manquements de M. Panthier et de la société Adocsystemes à leur devoir de conseil;

- * le 24 mars 2005, M. Ben Aoun a cédé ses parts dans l'indivision immobilière à M. Dogga;

- Sur la validité du bail commercial :

- Considérant que M. Derdega invoque l'erreur sur la substance, soit la nature des droits qu'il abandonnait, et le dol ayant vicié son consentement lors de la signature le 27 mars 2001 du bail commercial; qu'il soutient avoir cru signer un bail précaire, de la même durée que le contrat de location-gérance associé, et n'avoir jamais eu l'intention de concéder ses droits de propriété commerciale; qu'il fait valoir la complexité de l'opération, son inexpérience dans le domaine des baux commerciaux et son illétrisme, et souligne ne pas avoir fait précéder sa signature de la mention lu et approuvé; qu'il reproche à M. Dogga l'emploi de manoeuvres dolosives à son égard, caractérisées par une réunion préparatoire devant un conseil des anciens, le choix de l'expert-comptable de la société L'Oued, la confusion entretenue sur la qualité de collaborateur du rédacteur, M. Migneau, de la société Adocsystèmes et de M. Panthier, ainsi que l'absence de relecture des actes préalablement à leur signature;

- considérant que la société Au marché de l'Oued et M. Dogga font valoir la différence d'objet et de parties, l'indépendance des deux contrats produisant des rémunérations distinctes, ainsi que la nécessité d'offrir à la société Au marché de l'Oued un titre d'occupation régulier sur les locaux qu'elle occupait; qu'ils soulignent le fait que M. Derdega, après la résiliation du contrat de location-gérance, a transporté son fonds de commerce de boucherie dans un autre quartier de Nanterre;

- considérant qu'en l'espèce, la signature de deux contrats à la même date, l'un portant sur la location-gérance du fonds, l'autre sur les locaux commerciaux où était exercée son activité, conduit relever l'existence d'un accord global sur cette opération: que ces deux contrats produisent des effets contraires sur l'occupation des locaux, par leur durée inégale, entraînant la mise en échec de la résiliation du contrat de location-gérance; que la dissociation du fonds de commerce et de ses locaux, par l'effet du bail consenti pour une durée de neuf ans, porte une atteinte à la valeur du fonds révélatrice de l'erreur de M. Derdega sur l'ampleur de l'aliénation de ses droits;

- qu'il résulte de ces éléments que M. Derdega a commis une erreur sur la nature du contrat, soit un bail commercial d'une durée de neuf ans et non un bail précaire d'une durée d'un an, identique au contrat de location-gérance du fonds; qu'il s'ensuit l'absence, et non le vice de son consentement, faisant obstacle à la rencontre des volontés, entraînant la nullité du contrat de bail, sans qu'il soit besoin d'évoquer la question du dol dont M. Dogga serait l'auteur;

- Sur les demandes accessoires :

- Considérant que M. Derdega demande la confirmation de la mesure d'expulsion ordonnée par le tribunal et l'allocation d'une somme de 30 000 euros en réparation du préjudice moral entraîné par les manoeuvres dolosives du gérant de la société Au marché de l'Oued;

- considérant que la société Au marché de l'Oued et M. Dogga s'opposent à l'expulsion aux motifs du défaut de qualité de M. Derdega, de l'impossibilité matérielle de la réaliser en raison de la réunion de deux travées, de la poursuite du contrat de location-gérance du fonds de M. Dogga et des graves conséquences économiques entraînées pour la famille Dogga;

- considérant que la nullité du contrat entraîne la remise des choses en leur état antérieur, avec, comme première conséquence, l'expulsion du preneur, ordonnée à juste titre par les premiers juges; que l'erreur sur la nature du contrat est sanctionnée par sa nullité absolue et ne permet pas de distinguer entre la travée apportée par M. Derdega et l'ensemble des locaux donnés à bail par les trois propriétaires indivis; que le jugement, faisant une juste appréciation des éléments du dossier en fixant à 900 euros l'indemnité d'occupation mensuelle, sera ainsi confirmé et les demandes de la société Au marché de l'Oued et de M. Dogga rejetées;

- que la demande de M. Derdega de réparation, par la société Au marché de l'Oued, des conséquences des agissements de son gérant, et non d'une faute de cette personne morale, ne peut être accueillie; que cette demande dirigée à l'encontre de M. Dogga sera rejetée, faute de démonstration d'une faute dans les termes de l'article 1382 du code civil;

- Sur les autres demandes :

- Considérant que la société Au marché de l'Oued et M. Dogga, qui succombent en leurs demandes, ne peuvent obtenir la condamnation de M. Derdega pour procédure abusive;

- considérant que M. Panthier et la société Adocsystèmes demandent également la condamnation de M. Derdega et subsidiairement de la société Au marché de l'Oued et de M. Dogga à leur verser la somme de 15 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de leur préjudice causé par un abus de procédure; que M. Derdega, la société Au marché de l'Oued et M. Dogga s'y opposent;

- considérant que M. Panthier et la société Adocsystèmes ne justifient pas d'un préjudice distinct de celui occasionné par les nécessités de leur défense en justice, lequel sera réparé sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile;

- considérant qu'il serait inéquitable de laisser à M. Derdega, à M. Panthier et à la société Adocsystèmes la charge de leurs frais irrépétibles;

- PAR CES MOTIFS

- Statuant publiquement et contradictoirement,

- CONFIRME en toutes ses dispositions le jugement déféré,

- Y ajoutant,

- CONDAMNE in solidum la société Au marché de l'Oued et M. Dogga à payer la somme de 3 000 euros à M. Derdega et la somme de 2 000 euros chacun à la société Adocsystemes et à M. Panthier au titre des frais irrépétibles d'appel,

- REJETTE toutes autres demandes,

- CONDAMNE la société Au marché de l'Oued et M. Dogga aux dépens et dit que ceux-ci pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile,

- Prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisés dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.