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Décisions

CA Nîmes, 4e ch. com., 26 mai 2021, n° 19/03008

NÎMES

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Axa France Iard (SA), Eurogout (SAS)

Défendeur :

Epicelig (SARL), Allianz Iard (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Codol

Conseillers :

M. Gagnaux, Mme Strunk

T. com. Avignon, du 5 juill. 2019

5 juillet 2019

EXPOSÉ :

Vu l'appel interjeté le 24 juillet 2019 par Axa France Iard et la société Eurogout à l'encontre du jugement prononcé le 5 juillet 2019 par le tribunal de commerce d'Avignon dans l'instance RG n° 2018 00018 ;

Vu les dernières conclusions remises par la voie électronique le 23 mars 2020 par les appelantes et le bordereau de pièces qui y est annexé ;

Vu les dernières conclusions remises par la voie électronique le 31 mars 2020 par la société Epicelig, intimée et appelant incident, et le bordereau de pièces qui y est annexé ;

Vu les dernières conclusions remises par la voie électronique le 6 décembre 2019 par Allianz Iard, intimée, et le bordereau de pièces qui y est annexé ;

Vu l'ordonnance du 26 janvier 2021 de clôture de la procédure à effet différé au 15 avril 2021 avec fixation en plaidoieries le 22 avril 2021 ;

La société Eurogout est une entreprise agro-industrielle spécialisée dans la production en préparation alimentaire. Elle réalise des conditionnements de différentes herbes et épices et assure leur revente pour son client principal la société Cmd, qui distribue sous sa marque les produits auprès de l'enseigne Carrefour en France et en Belgique.

La société Epicelig, négociant et fournisseur, exerce une activité relative à l'achat et la vente de poivres, herbes, bulbes, fruits secs et ingrédients.

La société Eurogout a acheté auprès de la société Epicelig plusieurs sacs de 25 kilogrammes, qu'elle-même a acquis, suivant facture du 31 juillet 2015, auprès de la société Reflets des Iles, négociatrice et importatrice de produits alimentaires.

Avec cette épice, la société Eurogout a réalisé des barquettes de cumin pur de 50 grammes ou 100 grammes, des mélanges à d'autres épices ou aromates pour la constitution d'assaisonnement spécifique.

Au titre de la fabrication et la préparation alimentaire, la société Eurogout est soumise à des normes et réglementations en vigueur pour la commercialisation des produits.

Le 9 décembre 2015, le laboratoire Fytolab, accrédité pour des analyses de conformités alimentaires, a remis à l'enseigne Carrefour, qui avait fait analyser les produits fournis par la société Cmd dans le cadre de contrôles internes, des résultats non conformes en termes de taux de pesticides, dépassant jusqu'à 62 fois, la limite de conformité pour la valeur la plus élevée et dont 7 molécules tracées affichaient des taux de plus de dix fois supérieurs à la limite de conformité.

Les résultats non conformes révélant la présence de pesticides ont déclenché la procédure de retrait immédiat de l'ensemble des produits fabriqués avec le lot de matière première identifié par la société Eurogout, en application des principes de précaution décrits et imposés par les réglementations Européennes.

Parallèlement, la société Cmd, enseigne Carrefour, a immédiatement lancé des opérations de retrait de la vente et de consignation sur son stock des produits potentiellement pollués par les pesticides.

L'enseigne Carrefour a également sollicité de la part de son fournisseur, la société Cmd, tous les éléments de traçabilité nécessaires pour isoler l'ensemble des produits fabriqués sous la marque Cmd dont faisait partie le lot de cumin litigieux.

La société Cmd a remonté cette information à son fournisseur, la société Eurogout, pour identifier le périmètre du sinistre comprenant plusieurs milliers de produits non conformes pour des valeurs de pesticides au-dessus des limites acceptables.

La société Cmd et la société Eurogout ont alors consigné les produits non encore commercialisés sur leurs stocks.

Une autre analyse du produit a été diligentée par la société Eurogout auprès du laboratoire Eurofins. Suivant un rapport du 23 décembre 2015, les résultats de ces analyses ont confirmé les constatations du laboratoire Fytolab, ainsi que l'impossibilité de commercialiser les références de préparation alimentaires conditionnées à partir du lot de cumin non conforme.

Des expertises amiables et contradictoires ont été organisées entre les assureurs respectifs des parties et un procès-verbal de constatation relatives aux causes et circonstances et à l'évaluation des dommages a été réalisé le 21 avril 2016.

Des réclamations ont été formulées auprès de l'assureur de la société Epicelig par la compagnie Axa aux termes d'un courrier du 27 septembre 2017 qui n'ont pas abouti.

C'est dans ces conditions que la société Eurogout et sa compagnie d'assurances, Axa France Iard, saisissaient le Tribunal de Commerce en réparation des divers préjudices subis. La société Epicelig a appelé en la cause la société Allianz, assureur de la société Reflets des Iles, en liquidation judiciaire depuis le 1er avril 2016, auprès de laquelle elle avait acquis l'ensemble des marchandises.

Par jugement en date du 5 juillet 2019, le tribunal de commerce d'Avignon a :

- débouté Axa France Iard et la société Eurogout de leurs demandes,

- dit n'y avoir lieu à ce que la société Allianz Iard, assureur de la société Reflets des Iles, relève et garantisse la société Epicelig de toutes condamnations à son encontre,

- débouté la société Epicelig de ses demandes formées à l'encontre des sociétés Axa France Iard, la société Eurogout et Allianz Iard,

- dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Axa France Iard et la société Eurogout ont interjeté appel de cette décision et demandent à la cour, au visa des articles 1101 et suivants du Code civil, 1245 du Code Civil, ainsi que de la réglementation européenne en matière d'importation de denrées alimentaires, de :

- Recevoir l'appel interjeté par la compagnie d'assurances Axa et la société Eurogout, le dire juste et bien fondé,

Statuant à nouveau,

- Réformer la décision entreprise,

- Condamner la société Epicelig à verser à la société Eurogout la somme de 13 036,83 euros au titre des préjudices subis, ainsi que la somme de 2 698,16 euros au titre du remboursement de la marchandise non-conforme,

- Condamner la société Epicelig à verser à la société Eurogout la somme de 3 000 euros au titre de préjudice commercial à titre de résistance abusive et injustifiée,

- Condamner la société Epicelig à verser à la compagnie d'assurances AXA la somme de 3 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

A titre subsidiaire,

- Condamner la compagnie d'assurances Allianz, es qualité d'assureur de la société Reflets des Iles, à réparer l'entier préjudice subi par la société Eurogout,

En conséquence,

- Condamner la compagnie d'assurances Allianz à lui verser la somme de 13 036,83 euros au titre des préjudices subis, ainsi que la somme de 2 698,16 euros au titre du remboursement de la marchandise non-conforme,

- Condamner la société Epicelig et Allianz à verser à la société Eurogout la somme de 3 000 euros au titre de préjudice commercial à titre de résistance abusive et injustifiée.

Au soutien de leur appel, les appelantes considèrent que si le producteur initial, qu'est Reflets Des Iles, est responsable de plein droit en cette qualité, la société Epicelig en sa qualité de vendeur et importateur d'un produit défectueux, devait, en tout état de cause, procéder à toutes les vérifications utiles et se trouve être juridiquement responsable à son égard.

Elles prétendent que la société Epicelig relève du régime de la responsabilité des produits défectueux de plein droit rappelant ainsi l'application des directives communautaires imposant l'obligation de sécurité du vendeur professionnel et plus largement du fournisseur professionnel tenus de livrer un produit exempt de tout défaut de nature à créer un danger pour les personnes et pour les biens.

Le premier échelon de cette chaîne est bien la société Reflets Des Iles qui devait s'assurer que les produits qu'elle commercialise et qu'elle importe sont conformes à la réglementation en vigueur du pays dans lequel cette importation se réalise.

La société Reflets Des Iles et son assureur sont donc défaillants à rapporter la démonstration de l'analyse préalable des produits, puisque ces derniers font défauts et relèvent des taux non admissibles sur le territoire Européen, notamment de vérifier sa conformité à la règlementation 396/2005 qui impose précisément à tout importateur de justifier de la qualité des produits importés.

La responsabilité de plein droit de la société Reflets Des Iles sera incontestablement retenue.

La société Epicelig, qui a importé le cumin non conforme avant de le commercialiser, ne saurait s'exonérer totalement de son rôle dans la revente d'un produit dont elle n'a pas vérifié la conformité avant sa commercialisation. Il lui appartenait également de s'assurer de la qualité du produit et mettre en place des procédures de vérification comme le fait la société Eurogout.

La société Epicelig sera condamnée à réparer le préjudice subi, et il lui appartient de solliciter d'être relevée et garantie par la société Reflets des Iles.

La société Epicelig demande à la cour de :

- rejeter l'appel principal comme infondé et injustifié ;

- confirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu le 5 juillet 2019 par le tribunal de commerce d'Avignon ;

- rejeter toutes demandes, fins et conclusions contraires,

Si par extraordinaire la cour de céans estimait engagée la responsabilité de la société Epicelig,

Statuant sur l'appel incident formé par société Epicelig :

- l'accueillir comme recevable, bien fondé et justifié,

Réformant le jugement rendu le 5 juillet 2019 par le tribunal de commerce d'Avignon :

- condamner la société Allianz Iard, assureur de la société Reflets des Iles, à relever et garantir la société Epicelig de toutes les condamnations qui pourraient être mises à sa charge,

En tout état de cause :

- condamner tout succombant à payer à la société Epicelig la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner tout succombant aux entiers dépens de première instance et d'appel.

Elle explique en subtsance que la société Eurogout se livre à une analyse juridique erronée des conditions d'applicabilité de la responsabilité du fait des produits défectueux définie aux articles 1245, 1245-2, 1245-5 et 1245-6 du code civil indiquant que les dispositions de l'article 1245 du Code Civil font peser la responsabilité sur le seul producteur.

Elle conteste toute responsabilité au motif qu'elle n'a joué qu'un rôle d'intermédiaire entre la société Eurogout et la société Reflets des Iles, qui a livré directement le produit à la société Eurogout.

Elle rappelle ne pas être intervenue dans la transaction des marchandises qui n'ont pas même été stockées dans ses entrepôts de sorte que seule la société Reflets des Iles était tenue de vérifier que les produits importés étaient conformes aux normes alimentaires, ce qu'elle s'est manifestement abstenue de faire.

La société Epicelig rappelle enfin que l'entrée de tout produit alimentaire sur le territoire français et aussi plus généralement sur le territoire européen est soumise à des normes sanitaires très strictes en l'occurrence la règlementation 396/2005. Ainsi, en application de cette règlementation européenne, il appartient à l'importateur qui fait rentrer des marchandises sur le territoire de l'Union européenne d'en vérifier la conformité.

Il appartenait donc bien à la société Reflets des Iles d'effectuer les opérations de contrôle, les intermédiaires suivants n'y étant pas tenus si bien que seule sa responsabilité peut être engagée et non celles des intermédiaires.

La Compagnie Allianz demande à la cour, au visa des articles 1134, 1147 et 1150 anciens du code civil, de :

A titre principal :

- recevoir les présentes conclusions et les dire bien fondées ;

- confirmer le jugement dont appel en ce qu'il n'a prononcé aucune condamnation à l'encontre de la société Reflets des Iles ni à l'encontre de son assureur la Compagnie Allianz ;

- débouter la société Epicelig de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions à l'encontre de la Compagnie Allianz ;

A titre subsidiaire :

- dire et juger que la société Epicelig a commis une faute caractérisée ayant contribué directement à son préjudice ;

- dire et juger que la société Reflets des Iles doit être partiellement exonérée de sa responsabilité ;

- dire et juger que l'indemnité à la charge de la compagnie concluante ne peut dépasser la somme de 2 557 euros ;

En toutes hypothèses :

- condamner la société Epicelig au paiement de la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- la condamner aux entiers dépens, en ce compris les frais de première instance, distraction faite au profit de Me Silvia H..

La société Allianz conteste en substance le lien entre les lots de cumin livrés par la société Reflets des Iles et les produits commercialisés par l'enseigne Carrefour ainsi qu'une éventuelle faute de cette société estimant qu'elle a parfaitement exécuté ses obligations en qualité de venderesse.

Elle précise sur ce dernier point que la société Eurogout ne justifie pas avoir fait rentrer dans le champ contractuel le fait que les épices commandées devaient répondre à des normes sanitaires très strictes, la vente de cumin s'étant faite sans précision quant à sa qualité et sa destination de sorte que par la seule livraison des épices, la société Reflets des Iles a rempli son obligation contractuelle.

A titre subsidiaire, s'il est fait droit à l'appel en garantie, elle demande d'en limiter les effets tenant à la faute imputable à la société Epicelig en s'asbtenant de vérifier elle aussi la qualité du produit livré alors qu'elle connaissait les fins alimentaires du cumin. Elle considère ainsi que la société Epicelig ne peut se soustraire de sa propre obligation de délivrance conforme.

Enfin, s'agissant du préjudice, Elle considère que les dommages allégués, en-dehors du prix de vente du cumin, ne peuvent être qualifiés de prévisibles de sorte que sa responsabilité est limitée à la somme de 2 557 euros, montant de la transaction.

Pour un plus ample exposé il convient de se référer à la décision déférée et aux conclusions visées supra.

DISCUSSION :

Sur la responsabilité :

Pour débouter la société Eurogout et son assureur de leurs demandes, le tribunal de commerce a retenu l'existence d'une chaîne de contrats et a considéré au visa de l'article 1245 du code civil que « l'homogénéité de la chaîne de contrat impose à chaque échelon intermédiaire de s'assurer que le produit est en tous points conforme aux normes de sécurité alimentaire en vigueur et qu'à ce titre la société Eurogout aurait dû nécessairement s'en assurer auprès de son fournisseur, ce qui lui aurait permis de constater sa non-conformité, d'en refuser la livraison et partant, d'éviter l'ensemble des frais qu'elle a dû acquitter.. La société Eurogout a failli, par négligence, à son obligation de contrôle de conformité du produit alimentaire litigieux ce qu'elle aurait dû exiger de son fournisseur de la société Epicelig ».

La société Eurogout fonde son action sur les articles 1245 et suivants du code civil qui introduisent le principe de la responsabilité du fait des produits défectueux.

Ce régime trouve son origine dans la Directive 85/7734/CE du Conseil du 25 juillet 1985 qui a institué un régime de responsabilité sans faute applicable aux produits européens pour les dommages causés par le défaut des produits stipulant que « le vendeur professionnel est tenu de livrer des produits exempts de tout vice ou de tout défaut de fabrication de nature à créer un danger pour les personnes ou les biens, c'est-à-dire un produit qui offre la sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre ».

En application de cette directive, la loi n° 98-389 du 19 mai 1998 a instauré les articles 1386-1 à 1386-18 du code civil devenus les articles 1245 à 1245-17 du code civil qui instaurent un régime de responsabilité objective.

A ce titre, l'article 1245 du code civil dispose que le producteur est responsable du dommage causé par un défaut de son produit, qu'il soit ou non lié par un contrat avec la victime. Il est ainsi responsable, même en l'absence de faute, des conséquences dommageables pour les usagers de la défaillance des produits.

L'article 1245-1 stipule que les dispositions du présent chapitre s'appliquent à la réparation du dommage qui résulte d'une atteinte à la personne. Elles s'appliquent également à la réparation du dommage supérieur à un montant déterminé par décret (500 euros), qui résulte d'une atteinte à un bien autre que le produit défectueux lui-même.

L'article 1245-3 énonce qu'un produit est défectueux... lorsqu'il n'offre pas la sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre. Dans l'appréciation de la sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre, il doit être tenu compte de toutes les circonstances et notamment... de l'usage qui peut en être raisonnablement attendu et du moment de sa mise en circulation.

L'article 1245-4 précise qu'un produit est mis en circulation lorsque le producteur s'en est dessaisi volontairement. Un produit ne fait l'objet que d'une seule mise en circulation.

L'article 1245-5 précise qu'est producteur, lorsqu'il agit à titre professionnel, le fabricant d'un produit fini, le producteur d'une matière première, le fabricant d'une partie composante. Est assimilée à un producteur pour l'application du présent chapitre toute personne agissant à titre professionnel :

1/ qui se présente comme producteur en apposant sur le produit son nom, sa marque ou un autre signe distinctif ;

2/ qui importe un produit dans la Communauté européenne en vue d'une vente, d'une location, avec ou sans promesse de vente, ou de toute autre forme de distribution.

Ne sont pas considérées comme producteurs, au sens du présent chapitre, les personnes dont la responsabilité peut être recherchée sur le fondement des articles 1792 à 1792-6 et 1646 -1.

L'article 1245-6 dispose que si le producteur ne peut être identifié, le vendeur, le loueur, à l'exception du crédit-bailleur ou du loueur assimilable au crédit-bailleur, ou tout autre fournisseur professionnel, est responsable du défaut de sécurité du produit, dans les mêmes conditions que le producteur, à moins qu'il ne désigne son propre fournisseur ou le producteur, dans un délai de trois mois à compter de la date à laquelle la demande de la victime lui a été notifiée.

L'article 1246-7 énonce qu'en cas de dommage causé par le défaut d'un produit incorporé dans un autre, le producteur de la partie composante et celui qui a réalisé l'incorporation sont solidairement responsables.

L'article 1245-8 précise que le demandeur doit prouver le dommage, le défaut et le lien de causalité entre le défaut et le dommage.

- sur le défaut du produit :

Le défaut du produit s'entend du caractère anormalement dangereux du produit qui n'offre pas la sécurité à laquelle la victime peut légitimement s'attendre.

Il est incontestable que le cumin moulu frais fourni par la société Reflets des Iles a servi à la réalisation de petits conditionnements de différentes herbes et épices par la société Eurogout qui les a livrés à la société Cmd en vue de leur revente à la société Carrefour.

A ce titre, et malgré les dénégations de l'assureur de la société Reflets des Iles qui conteste le lien entre les deux lots de cumin livrés et les produits ayant fait l'objet d'analyses de conformité alimentaire, il est établi que le lot de cumin analysé est celui qui a servi au reconditionnement comme en attestent les pièces 2, 3 et 5 produites par l'appelante.

Il en résulte que les différents produits impactés par le lot de cumin contenant des pesticides sont les suivants :

- barquettes de cumin pur de contenance de 50g et 100g ;

- les mélanges pour assaisonnement des plats, qui contiennent 1,5 à 25 % de cumin selon les recettes de fabrication.

Le lien entre le cumin fourni par la société Reflets des Iles par l'intermédiaire de la société Epicelig et les produits conditionnés est donc établi.

Pour le surplus, il est acquis que ces produits conditionnés par la société Eurogout présentaient une teneur en pesticides supérieure à la limite de conformité alimentaire conformément aux résultats obtenus à la suite d'un contrôle réalisé par la société Carrefour et n'offre pas de ce fait la sécurité à laquelle le consommateur peut légitimement s'attendre.

Ce faisant, la compagnie AXA ne peut valablement soutenir que les normes sanitaires n'entraient pas dans le champ contractuel alors que l'application des directives communautaires d'ordre public imposent une obligation de sécurité au vendeur professionnel et plus largement au fournisseur professionnel tenus de livrer un produit exempt de tout défaut de nature à créer un danger pour les personnes et pour les biens.

Ainsi, les résultats établis le 9 décembre 2015 par le laboratoire Fytolab révèlent des résultats non conformes en présence de 19 pesticides présentant des taux supérieurs à la limite de conformité, soit « 27 voire 63 fois supérieurs à la limite de l'acceptable », dont 7 molécules tracées affichant des taux de plus de dix fois supérieurs à la limite de conformité (pièces 8 à 13 appelante).

Cette analyse est confirmée par la contre-expertise réalisée à l'initiative de la société Eurogout laquelle a fait appel au laboratoire Eurofins qui, dans son rapport du 23 décembre 2015, conforte les premiers résultats non conformes du laboratoire Fytolab , ainsi que l'impossibilité de commercialiser les références de préparation alimentaires conditionnées à partir du lot de cumin litigieux au regard des normes sanitaires définies par le règlement n° 396/2005 du parlement européen et du conseil du 23 février 2005 concernant les limites maximales de pesticides dans ou sur les denrées alimentaires (pièce 6 - intimée).

La pollution du cumin par les pesticides étant établie, il peut être considéré que le produit importé par la société Reflets des Iles présente une défectuosité au sens de l'article 1245-3 du code civil.

- sur le dommage et la qualité de victime :

La société Eurogout, qui revendique l'application du régime de responsabilité du fait des produits défectueux, doit démontrer sa qualité de victime et rapporter la preuve du dommage au sens des articles 1245 et 1245-1 du code civil.

. Sur le dommage :

Pour engager la responsabilité du producteur, la défectuosité du produit doit consister en un défaut de sécurité ayant occasionné un dommage à une personne ou à un bien autre que le produit défectueux lui-même.

Au cas d'espèce, il est établi qu'à la suite de l'organisation de contrôles alimentaires et de la révélation de résultats non conformes en présence de pesticides au-delà des normes applicables, la société Carrefour et la société Cmd ont déclenché la procédure de retrait immédiat de l'ensemble des produits fabriqués avec le lot de matière première identifié par la société Eurogout en application des principes de précaution décrits et imposés par les réglementations Européennes.

Il est donc acquis que le caractère impropre du cumin à la consommation représente un défaut de sécurité qui a occasionné un dommage à un bien autre, à savoir les produits reconditionnés par la société Eurogout, puisqu'en application du principe de précaution, la démarche de retrait de ces produits devenus invendables a donc été diligentée.

. Sur la qualité de victime :

Il sera néanmoins constaté que la société Eurogout ne justifie pas de sa qualité de victime au sens des articles 1245 et suivants du code civil.

En effet, en application de l'article 1245-7 du code civil, il est dit qu'en « cas de dommage causé par le défaut d'un produit incorporé dans un autre, le producteur de la partie composante et celui qui a réalisé l'incorporation sont solidairement responsables ».

En l'état, la société Eurogout étant à l'origine du reconditionnement et de l'incorporation du produit défectueux dans d'autres préparations, elle se trouve être solidairement responsable du dommage avec la société Reflets des Iles et ne peut de ce fait valablement revendiquer une quelconque indemnisation n'ayant pas la qualité de victime.

La société Eurogout ne justifie pas de la réunion des conditions permettant l'application des articles 1245 et 1245-1 du code civil de sorte qu'elle ne peut obtenir la condamnation de la société Epicelig ou la société Reflets des Iles comme son assureur.

S'il est possible d'engager la responsabilité du vendeur sur le fondement de la garantie des vices cachés ou sur la responsabilité pour faute à condition de rapporter la preuve d'une faute distincte du défaut lui-même, ces fondements juridiques n'ont pas été choisi par la société Eurogout qui vise dans ses écritures les articles 1245 et suivants du code civil.

La société Eurogout sera en conséquence déboutée de l'intégralité de ses demandes. Le jugement déféré sera donc confirmé.

Sur les frais de l'instance :

La société Eurogout, qui succombe, devra supporter les dépens d'appel et payer à la société Epicelig une somme équitablement arbitrée à 2 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile et au profit d'Allianz une somme équivalente.

PAR CES MOTIFS :

La Cour,

Statuant publiquement, contradictoirement,

Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions,

Y ajoutant,

Condamne à payer à la société Allianz la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne la société Eurogout à payer à la société Epicelig la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne la société Eurogout aux dépens d'appel.