Cass. com., 27 mai 2021, n° 19-19.595
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
PARTIES
Demandeur :
Lampert (SARL)
Défendeur :
ENI France (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Mouillard
Rapporteur :
Mme Bellino
Avocats :
SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret, SCP Waquet, Farge et Hazan
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 22 mai 2019), la société ENI France (la société ENI) a confié à la société Lampert l'exploitation d'une station-service autoroutière située à Banyuls Del Aspres (66), pour une durée de trois ans, à compter du 9 novembre 2005, la distribution des produits pétroliers s'effectuant au titre d'un mandat, tandis que les activités annexes étaient exercées dans le cadre d'une location-gérance. Le contrat a été renouvelé pour une nouvelle période triennale à compter du 9 novembre 2008.
2. A compter du 15 février 2011, la société ENI a également confié à la société Lampert l'exploitation d'une station-service autoroutière à Villemolaque (66), dont l'échéance a été fixée au 31 décembre 2012. Elle a concomitamment prorogé le contrat relatif à la station-service de Banyuls jusqu'à la même date.
3. Les 28 septembre et 11 octobre 2011, les sociétés ENI et Lampert ont signé des actes intitulés « transactions » pour les exercices 2008/2009 et 2009/2010.
4. A l'expiration des contrats de mandat et de location-gérance le 31 décembre 2012, la société Lampert, estimant que la société ENI devait prendre en charge les pertes subies au titre du mandat de vente de carburant, l'a assignée en paiement de ces pertes et de dommages-intérêts pour rupture brutale des relations commerciales établies, au titre des deux stations-services. Elle a également invoqué à titre subsidiaire la rupture du contrat sans préavis.
Examen des moyens
Sur le second moyen
Enoncé du moyen
5. La société Lampert fait grief à l'arrêt de la débouter de sa demande au titre de la rupture brutale des relations commerciales établies, alors :
« 1°) que la succession de contrats à durée déterminée caractérise une relation commerciale établie sauf si des circonstances particulières, qu'il incombe au juge de caractériser, ne peuvent laisser raisonnablement penser au partenaire que la relation se poursuivra après le terme du contrat ; qu'en se bornant à retenir, pour juger que la succession de contrats à durée déterminée en vertu desquels l'exploitation de la station-service de la société ENI avait été confiée à la société Lampert ne caractérisait pas une relation commerciale établie, que la poursuite des contrats était subordonnée à la concession dont était titulaire la société ENI, quand cette seule constatation était insuffisante à établir que la société Lampert ne pouvait pas raisonnablement anticiper pour l'avenir une continuité d'exploitation de la station-service qu'elle gérait alors depuis sept ans, faute d'avoir établi que la société Lampert savait que la société ENI n'avait pas postulé au renouvellement de la concession, information qu'elle reprochait à la compagnie pétrolière de lui avoir celée, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce ;
2°) que dans ses conclusions d'appel, la société Lampert demandait à la cour d'appel, à titre subsidiaire, pour le cas où elle écarterait l'application de l'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce, qu'elle confirme le jugement en ce qu'il avait condamné la société ENI, au titre de sa responsabilité contractuelle, à lui payer la somme de 122 430 euros à titre de dommages-intérêts sur le fondement de l'article 3.1 des Accords Interprofessionnels du Pétrole (AIP) faisant obligation à la compagnie pétrolière, dans le cas où elle n'aurait pas l'intention de proposer un nouveau contrat au pompiste exploitant, de l'en informer un mois avant la date d'échéance ; qu'en déboutant la société Lampert de sa demande d'indemnisation de la rupture brutale de ses relations contractuelles avec la société ENI France sans répondre à ce moyen, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
6. D'une part, l'arrêt relève que chaque contrat était conclu pour une durée de trois années et que le second a été prorogé, par accord entre les parties, pour faire coïncider son terme avec celui de la concession autoroutière de la société ENI, sa durée étant nettement inférieure à la durée normale des précédents contrats, permettant ainsi de poursuivre le contrat jusqu'au terme de la concession sans qu'un autre mandataire et locataire gérant ne soit mis en place pour treize mois. Il retient, ensuite, que la poursuite des contrats liant les parties était donc conditionnée par la concession dont était titulaire la société ENI et qu'il ne peut être soutenu que la société Lampert pouvait légitimement croire en la poursuite de la relation d'affaires après le terme du contrat à durée déterminée, fixée au 31 décembre 2012. Il en déduit que la relation commerciale entre les sociétés Lampert et ENI n'était pas « établie » au sens de l'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce. En l'état de ces constatations et appréciations, faisant ressortir que la société Lampert savait que la concession dont était titulaire la société ENI prenait fin au 31 décembre 2012 et était susceptible de ne pas être renouvelée, la cour d'appel, qui n'avait pas à rechercher si la société Lampert savait que la société ENI n'avait pas postulé au renouvellement de la concession, a légalement justifié sa décision.
7. D'autre part, l'arrêt n'ayant statué ni dans ses motifs ni dans son dispositif sur la demande subsidiaire relative à la responsabilité contractuelle de la société ENI pour non-respect de l'article 3.1 des accords interprofessionnels du pétrole, sous le couvert d'un grief de défaut de réponse à conclusions, le moyen, pris en sa seconde branche, critique une omission de statuer, qui peut être réparée par la procédure prévue à l'article 463 du code de procédure civile.
8. Par conséquent, le moyen, irrecevable en sa seconde branche, n'est pas fondé pour le surplus.
Mais sur le premier moyen, pris en sa troisième branche
Enoncé du moyen
9. La société Lampert fait grief à l'arrêt de déclarer irrecevable sa demande en paiement des pertes subies en exécution du mandat relatif à la station-service de Banyuls durant les exercices 2008/2009 et 2009/2010, alors « que la concession à laquelle l'article 2044 du code civil subordonne la validité d'une transaction suppose qu'une partie ait renoncé à un droit ou une prétention susceptible d'être justifié par une règle de droit ; qu'en retenant que les actes litigieux par lesquels la société Lampert avait renoncé à solliciter de la société ENI France le paiement des pertes subies dans l'exécution de son mandat valaient transaction, sans caractériser l'existence d'une prétention formulée par la société ENI France susceptible d'être justifié par une règle de droit et à laquelle elle aurait renoncé, en contrepartie de la concession faite par la société Lampert, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 2044 du code civil. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 2044 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 :
10. Une transaction, au sens de ce texte, implique l'existence de concessions réciproques des parties.
11. Pour déclarer irrecevable la demande de la société Lampert en paiement des pertes subies au titre du mandat pour les exercices 2008/2009 et 2009/2010, l'arrêt retient que les parties, après avoir analysé les bilans de la société Lampert, sont convenues que la société ENI ne lui verserait pas d'aide pour équilibrer les comptes de l'exploitation. Il relève ensuite que la société ENI verse des aides lorsque les bilans du mandataire le nécessitent mais ne verse aucune somme lorsque les comptes de celui-ci sont tout juste bénéficiaires et que le mandataire verse un loyer supplémentaire au mandant lorsque le résultat est très bénéficiaire, de sorte que chaque partie réalise des concessions réciproques afin de trouver un équilibre financier au regard de leurs charges et de leurs droits et obligations contractuels respectifs. Il en déduit qu'il y a lieu de considérer comme valables les deux contrats intitulés « transaction » pour les exercices 2008/2009 et 2009/2010 s'agissant de la station-service de Banyuls.
12. En se déterminant ainsi, par des motifs impropres à caractériser l'existence de concessions consenties par la société ENI, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs,
La Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déclare irrecevable la demande de la société Lampert en paiement des pertes subies au titre du mandat pour les exercices 2008/2009 et 2009/2010 pour la station-service de Banyuls, et en ce qu'il statue sur les dépens et l'application de l'article 700 du code de procédure civile, l'arrêt rendu le 22 mai 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée.