Cass. com., 18 mai 2016, n° 14-50.029
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Mouillard
Avocats :
SCP Boré et Salve de Bruneton, SCP Célice, Blancpain, Soltner et Texidor
Statuant tant sur le pourvoi principal formé par les sociétés Axa France IARD et Finamur, que sur le pourvoi incident relevé par M. X... et la Selarl X... ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Chambéry, 19 décembre 2013), qu'après la liquidation judiciaire de la société civile immobilière Les Champagnoux (la SCI), ouverte par jugement du 12 mars 2008, la société X..., son liquidateur, a, le 21 mars suivant, résilié le contrat de crédit-bail qu'elle avait conclu, en qualité de crédit-preneur, avec la société Finamur (le crédit-bailleur) ; qu'un incendie ayant détruit l'immeuble, objet du contrat, le 24 mai 2008, la société Axa France IARD (l'assureur), assureur subrogé dans les droits du crédit-bailleur après son indemnisation, et celui-ci, à concurrence du montant de la franchise, ont recherché la responsabilité personnelle de la société X... ;
Sur le moyen unique du pourvoi incident, qui est préalable :
Attendu que M. X... et la société X... font grief à l'arrêt de retenir leur responsabilité alors, selon le moyen :
1°) que la restitution d'un immeuble, qui résulte de tout acte autorisant son propriétaire à en prendre légitimement possession, n'est pas subordonnée à une formalité de remise des clefs lorsque l'immeuble en est dépourvu ; qu'en jugeant que la restitution à la société Finamur à la suite de la résiliation du crédit-bail immobilier conclu avec la SCI Les Champagnoux des locaux loués était subordonnée à la remise symbolique des clefs, quant il était constant que l'usine, dépourvue de portes, n'était pas fermée à clefs, celles-ci étant inexistantes, ce dont, comme elle l'a constaté, la société Finamur avait été parfaitement informée par un courrier du preneur du 5 mars 2008 l'en avisant très explicitement et opérant sans ambiguïté la restitution de l'immeuble à son profit, repris à son compte par le liquidateur judiciaire dans son courrier du 21 mars 2008, au motif erroné que le bailleur avait légitimement refusé de prendre possession de l'immeuble à défaut de remise des clefs et de dépollution complète des lieux et qu'il appartenait, dans ce contexte, au liquidateur judiciaire de remettre symboliquement les clefs au bailleur et d'exercer contre lui toute action utile à la contraindre à reprendre possession de l'immeuble, la cour d'appel a violé l'article 1730 du code civil ;
2°) que le mauvais état de l'immeuble ne fait pas obstacle à sa restitution, la question des réparations locatives se réglant, indépendamment de la restitution de l'immeuble, par l'allocation de dommages-intérêts ; qu'en jugeant, pour imputer à faute à M. X... et à la Selarl X... un défaut d'assurance et de gardiennage et de sécurisation de l'immeuble appartenant à la société Finamur, que la société Finamur était fondée à refuser la restitution de l'usine tant qu'un état de lieux n'avait pas été dressé et que le site n'avait pas été dépollué, quand une telle circonstance ne faisait pas obstacle à sa restitution, la cour d'appel a violé l'article 1730 du code civil ;
3°) qu'un liquidateur judiciaire est fondé à imposer à un bailleur la reprise des locaux loués par le débiteur en liquidation judiciaire quand bien même les obligations légales de dépollution n'auraient pas été exécutées dès lors qu'il n'a pas les moyens d'assurer leur financement ; qu'en affirmant néanmoins que le bailleur était fondé à exiger la dépollution complète des lieux préalablement à leur restitution, sans rechercher, ainsi qu'elle y était invitée par M. X..., si ce dernier disposait des moyens de procéder à une telle dépollution, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du code civil ;
Mais attendu que l'arrêt retient que, si le liquidateur a résilié le contrat de crédit-bail par sa lettre du 21 mars 2008, invoquée par la première branche, cette lettre, dont la dénaturation n'est pas invoquée, ne manifestait pas clairement son intention de remettre l'immeuble au crédit-bailleur, que, postérieurement, et avant l'incendie, il n'a pas remis au crédit-bailleur les clés de l'immeuble, ne serait-ce qu'à titre symbolique, contrairement à ce qu'il avait fait lors de la résiliation du bail commercial consenti sur le même immeuble à un sous-preneur, et que, s'il prétend encore s'être heurté au refus du crédit-bailleur de reprendre possession du bien en l'absence d'état des lieux et de dépollution du site, il n'a exercé aucune voie de droit pour surmonter cet obstacle, s'il l'estimait illégitime ; qu'ayant ainsi fait ressortir que le liquidateur n'avait, avant l'incendie, entrepris aucune démarche pour restituer au crédit-bailleur l'immeuble, qui demeurait donc sous sa garde, la cour d'appel n'a pas violé l'article 1730 du code civil et a légalement justifié sa décision de retenir sa responsabilité pour manquement à son obligation de restituer les lieux ; que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le second moyen du pourvoi principal :
Attendu que la société Finamur et l'assureur font grief à l'arrêt de rejeter la demande de ce dernier alors, selon le moyen :
1°) qu'aux termes de la police d'assurance souscrite par la société Finamur, l'assuré souscripteur déclarait agir pour son compte propre mais également pour le compte de qui il appartiendra et plus particulièrement pour le compte de son locataire ; que si cette police contenait une clause de renonciation aux termes de laquelle la société Axa France « renonçait à tous recours qu'elle serait en droit d'exercer en cas de sinistre (le cas de malveillance excepté) contre les différents propriétaires et contre le preneur et ses assureurs, notamment en application des articles 1733 et suivants du code civil régissant la responsabilité locative, ainsi que contre tous occupants, et notamment les sous-locataires, et leurs assureurs », cette clause n'emportait pas renonciation à tous recours contre l'occupant qui déciderait de se maintenir dans les locaux sans droit ni titre une fois le contrat de bail résilié ou contre l'assureur de celui-ci ; qu'en décidant néanmoins qu'aucun lien de causalité n'existait entre la faute commise par la liquidation judiciaire de la SCI, consistant dans le fait de ne pas avoir assuré l'immeuble qu'elle continuait à occuper en dépit de la résiliation du bail et des demandes amiables de la société Finamur, et le préjudice allégué par la société Axa France IARD, correspondant aux sommes qu'elle avait versées à son propre assuré, la société Finamur, au motif que la clause de renonciation susvisée n'aurait permis aucun recours contre l'assureur qui aurait dû être démarché par M. X..., la cour d'appel a violé l'article 1134 du code civil ;
2°) que tout fait de l'homme qui cause un dommage à autrui oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer ; qu'en se bornant à énoncer qu'aucun lien de causalité n'était établi entre la faute imputée à la liquidation judiciaire de la SCI Les Champagnoux, consistant dans le fait de ne pas avoir assuré l'immeuble incendié, et le préjudice invoqué par l'assureur, correspondant aux sommes qu'elle avait déboursées pour indemniser son propre assuré, au seul motif qu'aucun recours n'aurait pu être exercé par la société Axa France IARD contre l'assureur qui aurait dû être démarché par M. X..., sans rechercher, ainsi qu'elle y était pourtant invitée, si le liquidateur n'avait pas commis une faute en lien avec le préjudice invoqué par la société Axa France dans la mesure où s'il avait, comme il lui incombait, souscrit lui-même une garantie d'assurance, la garantie de la société Axa France aurait pu ne pas être mobilisée ab initio, ainsi qu'elle l'avait d'ailleurs jugé lorsqu'elle statuait sur l'action en responsabilité engagée par la société Finamur elle-même contre le liquidateur, la cour d'appel a privé sa décision de toute base légale au regard des articles 1134 et 1382 du code civil ;
3°) que tout fait de l'homme qui cause un dommage à autrui oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a relevé que le liquidateur de la SCI Les Champagnoux avait commis une faute personnelle en n'assurant pas le gardiennage de l'immeuble incendié et en refusant obstinément de le sécuriser ; qu'en se bornant à énoncer qu'aucun lien de causalité n'était établi entre la faute imputée à la liquidation judiciaire de la SCI Les Champagnoux, consistant dans le fait de ne pas avoir assuré l'immeuble incendié, et le préjudice invoqué par la société Axa France IARD, correspondant aux sommes qu'elle avait déboursées pour indemniser son assuré, au seul motif qu'aucun recours n'aurait pu être exercé par la société Axa France IARD contre l'assureur qui aurait dû être démarché par M. X..., sans rechercher, comme elle y était pourtant invitée, si en n'assurant pas le gardiennage de l'immeuble et en ne mettant pas en place les mesures élémentaires permettant la sécurisation des lieux et la suppression de tous risques d'incendie, le liquidateur n'avait pas commis une faute professionnelle qui était à l'origine du préjudice subi par la société Axa France IARD, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du code civil ;
Mais attendu qu'ayant constaté que la police d'assurance souscrite par le crédit-bailleur auprès de la société Axa excluait, sans distinction, tout recours de celle-ci contre tous occupants et leurs assureurs, sauf en cas de malveillance, la cour d'appel a pu, sans méconnaître la loi du contrat, opposer cette clause de non-recours à l'action de la société Axa contre le liquidateur occupant les lieux après résiliation du contrat de crédit-bail, à qui elle reprochait seulement de ne pas avoir assuré et sécurisé l'immeuble ; que le moyen n'est pas fondé ;
Et attendu qu'il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur le premier moyen du pourvoi principal, qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE les pourvois principal et incident.