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Décisions

CA Paris, Pôle 2 ch. 7, 26 mai 2021, n° 20/10813

PARIS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Familles Rurales (Association)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Aubac

Conseillers :

Mme Riviere, Mme Chaply

Avocats :

Selarl Recamier Avocats Associes, Selarl Lexavoue Paris-Versailles, Aarpi DDCT Avocats

Paris, du 9 juill. 2020

9 juillet 2020

ARRET :

Vu l'assignation délivrée le 12 juillet 2019 à Michel B., à la requête de l'association FAMILLES RURALES, qui demandait au tribunal judiciaire de Paris, sur le fondement des articles L.811-1 et suivants du code de la consommation, de l'article 1240 du code civil, des articles L.621-1 et L.621-11 du code de la consommation et L.121-1 et suivants du code de la consommation, l'indemnisation des préjudices subis, estimant que Michel B. a jeté le discrédit sur l'Observatoire des prix 2018 qu'elle avait réalisé et qu'il a ainsi porté atteinte à son image de marque,

Vu l'ordonnance du juge de la mise en état rendue contradictoirement le 9 juillet 2020 par la 17e chambre civile du tribunal judiciaire de Paris, qui a :

- annulé l'assignation délivrée le 12 juillet 2019 en retenant qu'elle reproche en réalité à Michel B. des propos qui peuvent être qualifiés de diffamatoires sur le fondement de l'article 29 de la loi du 29 juillet 1881 et en conséquence les dispositions de l'article 53 de la loi du 29 juillet 1881 n'ont pas été respectées,

- rejeté la demande de Michel B. fondée sur l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné l'association FAMILLES RURALES aux dépens,

Vu l'appel interjeté par l'association FAMILLES RURALES le 24 juillet 2020,

Vu les dernières conclusions signifiées le 23 février 2021 par voie électronique par l'association FAMILLES RURALES, qui demande à la cour de :

- infirmer l'ordonnance du juge de la mise en état du 9 juillet 2020, sauf en ce qu'elle énonce n'y avoir lieu à condamnation de l'association FAMILLES RURALES au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- dire que lors de son intervention à la radio France Inter du 28 février 2018, Michel B. a jeté le discrédit sur l'Observatoire des Prix 2018 réalisé par l'association FAMILLES RURALES,

- dire que les propos de Michel B. s'analysent en un dénigrement de l'Observatoire des Prix 2018 réalisé par l'association FAMILLES RURALES,

- dire que l'assignation délivrée le 12 juillet 2019 par l'association FAMILLES RURALES à Michel B. n'est entachée d'aucune nullité,

- renvoyer l'affaire devant le juge de mise en état pour conclusions au fond de Michel B.,

- condamner Michel B. à verser à l'association FAMILLES RURALES la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

- débouter Michel B. de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions exposées tant en première instance qu'en cause d'appel,

- condamner Michel B. aux entiers dépens en application de l'article 699 du code de procédure civile,

Vu les conclusions d'intimé signifiées par RPVA le 18 février 2021, aux termes desquelles

Michel B. sollicite de la cour qu'elle :

- confirme l'ordonnance du juge de la mise en état du 9'juillet 2020 en ce qu'elle a déclaré nulle l'assignation délivrée le 12 juillet 2019 à Michel B. à la demande de l'association FAMILLES RURALES en l'absence de respect des prescriptions de l'article 53 de la loi du 29 juillet 1881,

- déclare mal fondé l'appel de l'association FAMILLES RURALES,

- condamne l'association FAMILLES RURALES à payer à Michel B. la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

Vu l'article 455 du code de procédure civile,

Vu l'ordonnance de clôture du 31 mars 2021,

Sur ce,

Rappel des faits et des motifs de l'ordonnance de mise en état

Afin de mesurer l'évolution des prix, l'association FAMILLES RURALES a créé en 2005 un observatoire des Prix pour éclairer les consommateurs sur leurs achats, et les aider à préserver, voir améliorer leur pouvoir d'achat.

Au mois de février'2019, l'association FAMILLES RURALES publiait son observatoire des prix pour l'année 2018 et mettait notamment en exergue le fait qu'en 2019, « contrairement à une idée reçue, les prix les plus bas se trouvent en hypermarchés et non en hard-discounts où ils ont littéralement explosé en 2018 (+14'% en un an) ».

Michel B. directeur exécutif des achats au sein de la société LIDL FRANCE est intervenu, le 28 février 2019, à France Inter. Interrogé par un journaliste de l'émission 5/7, il a fait part de son point de vue sur les résultats et la qualité de l'observatoire des prix mené par FAMILLES RURALES en ces termes :

« Non, non, non, Familles Rurales c'est, sincèrement l'étude de Familles Rurales c'est une honte. C'est très sympa de pouvoir me laisser la parole mais Familles Rurales s'est basée et vous pouvez la lire tout en bas de l'étude, il y a marqué que les veilleurs de Familles Rurales ont fait cette étude sur la base du prix et non de la qualité. Donc en clair, ils ont comparé un chocolat 50 % de cacao de chez Carrefour à un chocolat 85'% de cacao fair trade et bio de chez Lidl. Donc oui je vous le confirme celui de Carrefour est moins cher que Lidl effectivement donc c'est quand même n'importe quoi qu'une étude compare des choux et des carottes. On marche sur la tête quoi. On marche sur la tête ».

Le juge de la mise en état a relevé que la lecture de l'assignation démontre que l'association FAMILLES RURALES reproche en réalité à Michel B., en critiquant la manière dont elle a réalisé l'Observatoire des prix pour l'année 2018, d'avoir porté atteinte à sa considération, sa notoriété et son image en jetant sur elle le discrédit sur sa capacité à renseigner et informer les consommateurs. Le tribunal a jugé que les propos tenus par Michel B. le 28 février 2019 sur France Inter ne pouvaient être sanctionnés que sur le fondement de l'article 29 de la loi du 29'juillet 1881 sur la liberté de la presse et qu'en conséquence, l'assignation était nulle en raison du non-respect des dispositions de l'article 53 de la loi du 29 juillet 1881.

Sur l'exception de nullité de l'assignation

En application de l'article 12 du Code de procédure civile, le juge doit donner ou restituer leur exacte qualification aux faits et actes litigieux sans s'arrêter à la dénomination que les parties en auraient proposée.

En l'espèce, l'assignation par l'association FAMILLES RURALES a été délivrée sur le fondement de l'article 1240 du code civil aux fins de voir juger que Michel B. a jeté le discrédit sur l'Observatoire des prix pour 2018 publié en 2019 et a porté atteinte à l'image de marque de FAMILLES RURALES en dénigrant son étude.

Le dénigrement est une pratique constitutive de concurrence déloyale engageant la responsabilité délictuelle de son auteur qui consiste à jeter publiquement le discrédit sur l'entreprise, la personnalité, les produits, les prix d'un concurrent. Le dénigrement ne concerne donc que la critique de produits ou de services.

Lorsqu'une personne est précisément et personnellement visée dans les propos tenus, les propos peuvent alors être sanctionnés en cas de diffamation sur le fondement de l'article 29 alinéa 1 de la loi du 29 juillet 1881 qui précise que toute expression qui contient l'imputation d'un fait précis et déterminé, de nature à porter atteinte à l'honneur ou à la considération de la personne visée, constitue une diffamation.

Or, les propos de Michel B. visent clairement l'étude de FAMILLES RURALES sans aucune imputation relative à la considération, à la notoriété et à l'image de l'association FAMILLES RURALES puisqu'il indique au début de ses propos « c'est, sincèrement l'étude de Familles Rurales c'est une honte... » et rajoute : « ...c'est quand même n'importe quoi qu'une étude compare des choux et des carottes ».

Le discrédit est porté sur l'enquête et en aucun cas sur l'association ou ses dirigeants. La présente action ne peut donc pas s'analyser comme une action en diffamation à l'encontre de l'appelante.

En conséquence, les dispositions de l'article 29 alinéa 1 de la loi du 29 juillet 1881 ne sont pas applicables en l'espèce.

L'ordonnance sera infirmée en toutes ses dispositions sans qu'il y ait lieu d'examiner les autres moyens.

En cause d'appel, il y a lieu de fixer à mille euros (1 000 euros) la somme fondée sur l'article 700 du code de procédure civile pour les frais exposés par l'appelante.

PAR CES MOTIFS

LA COUR,

Statuant publiquement par mise à disposition au greffe, par arrêt contradictoire et après en avoir délibéré conformément à la loi,

Infirme l'ordonnance du juge de la mise en état du 9 juillet 2020 ;

Renvoie l'affaire devant le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Paris ;

Condamne Michel B. à payer à l'association FAMILLES RURALES la somme de mille euros (1 000 euros) au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais exposés en cause d'appel ;

Dit que les dépens d'appel seront à la charge de Michel B. en application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.