CA Paris, 4e ch. A, 29 juin 2005, n° D20050072
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Bouchara c d'achats BCA (SAS), Union ouvrière commerciale Rennaise centre de distribution textiles et articles chaussans eurodif stardus uocr (SAS)
Défendeur :
RL Siretex (SA)
Vu l'appel interjeté le 4 mars 2004, par la société BOUCHARA CENTRALE D'ACHATS et la société UNION OUVRIÈRE COMMERCIALE RENNAISE d'un jugement rendu le 20 janvier 2004, par le tribunal de commerce de Paris qui a :
- interdit à ces sociétés, sous astreinte de 100 euros par article contrefaisant, de poursuivre l'exposition, l'importation, la fabrication et la commercialisation des articles contrefaisants,
- ordonné la publication du jugement dans trois journaux professionnels au choix de la société SIRETEX sans que le coût total n'excède 30.000 euros,
- condamné solidairement la société BOUCHARA CENTRALE D'ACHATS et la société UNION OUVRIÈRE ET COMMERCIALE RENNAISE à payer à la société SIRETEX la somme de 36.000 euros à titre de dommages et intérêts pour actes de contrefaçon et la somme de 1 euro à titre de dommages et intérêts pour actes de concurrence déloyale,
- débouté la société SIRETEX du surplus de ses demandes,
- condamné solidairement la société BOUCHARA CENTRALE D'ACHATS et la société UNION OUVRIÈRE ET COMMERCIALE RENNAISE à payer à la société SIRETEX la somme de 6.000 euros au titre de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile ;
Vu les uniques écritures en date du 1(er) juillet 2004, par lesquelles la société BOUCHARA CENTRALE D'ACHATS et la société UNION OUVRIÈRE ET COMMERCIALE RENNAISE, poursuivant l'infirmation de la décision entreprise, demandent à la Cour de :
- dire que la société SIRETEX ne rapporte pas la preuve qu'elle soit titulaire sur le dessin litigieux du droit incorporel de l'auteur,
- dire que ce dessin ne témoigne pas d'une recherche qui manifeste l'empreinte de la personnalité de son auteur et ne répond donc pas à l'exigence d'originalité requise pour bénéficier de la protection du Livre I du Code de la propriété intellectuelle,
- déclarer la société SIRETEX irrecevable à agir en contrefaçon,
- dire que la société SIRETEX ne rapporte pas la preuve d'actes de concurrence déloyale distincts de ceux qu'elle invoque au titre de la contrefaçon,
- condamner la société SIRETEX à verser à chacune d'elles la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile,
- à titre subsidiaire, allouer à la société SIRETEX l'euro symbolique,
- dire que les mesures de publication ne sont pas nécessaires eu égard au fait que le dessin en cause n'est pas connu, n'a fait l'objet d'aucune publicité et n'était pas exploité par la société SIRETEX à la date des faits reprochés ;
Vu les dernières écritures en date du 4 avril 2005, aux termes desquelles la société SIRETEX prie la Cour de confirmer la décision déférée sauf sur le montant des dommages et intérêts et de :
- condamner solidairement les sociétés BOUCHARA C et UNION OUVRIÈRE ET COMMERCIALE RENNAISE au paiement de la somme de 76.000 euros à titre de dommages et intérêts pour les faits de contrefaçon, outre la même somme au titre de la concurrence déloyale,
- condamner solidairement les sociétés BOUCHARA C et UNION OUVRIÈRE ET COMMERCIALE RENNAISE au paiement de la somme complémentaire de 10.000 euros au titre de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile ;
Vu les écritures signifiées par la société BOUCHARA CENTRALE D'ACHATS et la société UNION OUVRIÈRE ET COMMERCIALE RENNAISE le 6 avril 2005, par lesquelles elles sollicitent le rejet des débats des écritures de la société SIRETEX du 4 avril 2005.
I - Sur la procédure :
Considérant que l'ordonnance de clôture prononcée le 4 avril 2005 a été révoquée le 13 avril 2005 ;
Que la clôture de l'instruction de l'affaire n'est intervenue que le 23 mai 2005 ;
Que dans ces conditions, il n'y a pas lieu d'écarter des débats les conclusions signifiées par la société SIRETEX le 4 avril 2004, les sociétés appelantes ayant pu en temps utile présenter une défense complète ;
II - Sur le fond :
Considérant que, pour un exposé complet des faits et de la procédure, il est expressément renvoyé au jugement déféré et aux écritures des parties ; qu'il suffit de rappeler que :
- la société SIRETEX a pour activité la création et la commercialisation de linge de maison et accessoires pour salles de bain et cuisine,
- dans le cadre de son activité, elle crée des dessins qu'elle appose sur ses modèles commercialisés sous la dénomination SENSEÏ,
- revendiquant des droits sur un dessin référencé " corde à linge ", créé selon elle en 1998, la société SIRETEX, constatant qu'un sac à linge reproduisant ce dessin était commercialisé dans les magasins à l'enseigne BOUCHARA, dûment autorisée par ordonnance présidentielle du 1(er) avril 2003, a fait pratiquer le 7 avril 2003, une saisie contrefaçon dans les locaux de la société BOUCHARA CENTRALE D'ACHATS,
- cette mesure a établi que 480 articles litigieux ont été commandés par cette société auprès de la société UNION OUVRIÈRE ET COMMERCIALE RENNAISE,
- la société SIRETEX a ainsi assigné la société BOUCHARA CENTRALE D'ACHATS et la société UNION OUVRIÈRE ET COMMERCIALE RENNAISE devant le tribunal de commerce de Paris en contrefaçon et en concurrence déloyale ;
1) Sur la contrefaçon :
Considérant que pour s'opposer au grief de contrefaçon, les appelantes soutiennent que la société SIRETEX ne justifierait pas de la commercialisation et de la divulgation sous son nom du dessin " corde à linge " revendiqué ;
Considérant que la société SIRETEX verse aux débats un extrait d'un catalogue daté du mois de janvier 1999, un catalogue portant la date du mois de janvier 2002, des tarifs et bons de commande datés des mois de septembre 1998, janvier et septembre 2000 ;
Que ces catalogues offrent à la vente un sac à linge en tissu nid d'abeille, brodé du dessin revendiqué " corde à linge " ;
Que ce sac " corde à linge " figure sur les tarifs de vente de la société SIRETEX sous la rubrique " accessoires brodés " ;
Considérant de sorte, qu'en l'absence de revendication de la part d'une personne physique ou morale qui s'en prétendrait le créateur, la société SIRETEX qui a exploité sous son nom le dessin litigieux est présumée à l'égard des tiers contrefacteurs être titulaire des droits d'auteur sur celui-ci ;
Considérant que les sociétés BOUCHARA C et UNION OUVRIÈRE ET COMMERCIALE RENNAISE ne sont pas davantage fondées à prétendre que le dessin opposé ne serait pas original ;
Qu'en effet, la société SIRETEX caractérise ce dessin, par son style enfantin, la représentation schématisée d'une épaisse corde à linge de couleur beige, comportant six pinces à linge de teinte ocre, sur laquelle sont suspendus trois vêtements aux formes simples et arrondies, à savoir, à gauche, un gilet blanc surpiqué de bleu, orné de fleurs bleutées, au centre, un pantalon bleu bordé de surpiqûres plus foncées, à droite, un pull au col en V aux rayures horizontales blanches et bleues, entouré d'une épaisse surpiqûre également bleutée ;
Que le dessin, déposé à l'Institut national de la propriété industrielle en janvier 1993, par la société COTTON WEAR COMPANY, portant la référence " corde à linge " se distingue du dessin de la société SIRETEX par son décor constitué de deux poteaux agrémentés de pots de fleurs, d'un panier à linge posé sur le sol, de quatre vêtements aux motifs bariolés suspendus sur une corde à linge ;
Que celui déposé le 27 mai 1997, par Mourad L diffère également par la présence de deux chiots dont l'un mordille une serviette séchant sur une corde à linge ;
Que le dessin déposé par la société MARLENT le 23 mai 1997, se distingue autant du dessin modèle revendiqué, par son décor composé d'arbres aux couleurs rouge et bleu ainsi que par l'illustration de trois jeunes filles posant du linge à sécher ;
Que les extraits des pages de sites Internet divulguant des sacs sur lesquels sont apposés des motifs composés de vêtements suspendus sur une corde n'ont pas date certaine ; qu'au demeurant, ces motifs produisent une impression d'ensemble visuelle différente du dessin opposé ;
Considérant qu'il s'ensuit que si la société SIRETEX ne peut s'approprier tout dessin représentant des vêtements séchant sur une corde à linge, il n'en demeure pas moins que, par la représentation stylisée de la corde, des pinces à linge, des vêtements, par leur agencement et les nuances choisies, l'auteur du dessin, sur lequel la société SIRETEX détient des droits de propriété intellectuelle, en a fait une interprétation qui reflète sa personnalité ;
Que ce dessin est donc protégeable par le droit d'auteur ;
Considérant qu'il résulte de l'examen des broderies apposées sur les sacs en présence, auquel la Cour a procédé, que le dessin appliqué sur le sac vendu par les sociétés BOUCHARA C et UNION OUVRIÈRE ET COMMERCIALE RENNAISE reproduit les caractéristiques du dessin original, la même corde, les mêmes gilet, pantalon, pull rayé, selon le même ordre, une disposition identique, un graphisme très proche et des contrastes et nuances de couleurs similaires ;
Que par voie de conséquence, la décision entreprise, qui a retenu à l'égard des sociétés BOUCHARA C et UNION OUVRIÈRE ET COMMERCIALE RENNAISE des actes de contrefaçon, sera confirmée ;
2) Sur la concurrence déloyale :
Considérant que la société SIRETEX est également fondée à reprocher à la société BOUCHARA CENTRALE D'ACHATS et à la société UNION OUVRIÈRE ET COMMERCIALE RENNAISE des actes distincts de concurrence déloyale ;
Qu'en effet, l'apposition du dessin contrefaisant, sur un sac à linge similaire à celui vendu par la société SIRETEX, dans le même tissu en nid d'abeille et dans une couleur identique, à moindre prix (7,49 euros au lieu de 18 euros) caractérise un comportement déloyal qui ne peut que créer un risque de confusion auprès de la clientèle concernée entre les produits en présence ;
3) Sur les mesures réparatrices :
Considérant que les opérations de saisie contrefaçon ont révélé que 480 pièces ont été livrées par la société UNION OUVRIÈRE ET COMMERCIALE RENNAISE à la société BOUCHARA CENTRALE D'ACHATS pour être vendues dans une dizaine de magasins à l'enseigne BOUCHARA ;
Considérant que les faits de contrefaçon ont nécessairement porté atteinte aux droits que détient la société SIRETEX sur le dessin original, en le banalisant ;
Que ce préjudice a été justement réparé par le tribunal par l'allocation d'une indemnité de 36.000 euros ;
Que le trouble commercial s'inférant des actes déloyaux sera réparé par l'allocation de la somme de 10.000 euros à titre de dommages et intérêts ;
Considérant que seront confirmées les mesures d'interdiction et de publication ordonnées par le tribunal, sauf en ce qui concerne cette dernière à faire mention du présent arrêt ;
4) Sur les autres demandes :
Considérant que les dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile doivent bénéficier à la société SIRETEX ; qu'il lui sera alloué à ce titre la somme complémentaire de 10.000 euros ; que les sociétés BOUCHARA C et UNION OUVRIÈRE ET COMMERCIALE RENNAISE qui succombent en leurs prétentions doivent être déboutées de leurs demandes formées sur ce même fondement ;
PAR CES MOTIFS
Confirme le jugement déféré, sauf sur le montant des dommages et intérêts alloués au titre des actes de concurrence déloyale,
Le réformant sur ce point et statuant à nouveau :
Condamne in solidum les sociétés BOUCHARA C et UNION OUVRIÈRE ET COMMERCIALE à payer à la société SIRETEX la somme de 10.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi par les actes de concurrence déloyale,
Y ajoutant,
Dit que la mesure de publication devra faire mention du présent arrêt,
Condamne in solidum les sociétés BOUCHARA C et UNION OUVRIÈRE ET COMMERCIALE à payer à la société SIRETEX la somme de 10.000 euros au titre des frais irrépétibles d'appel,
Rejette toutes autres demandes,
Condamne in solidum les sociétés BOUCHARA C et UNION OUVRIÈRE ET COMMERCIALE aux dépens et dit que ceux-ci pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.