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Décisions

CJUE, 5e ch., 3 juin 2021, n° C-762/19

COUR DE JUSTICE DE L’UNION EUROPEENNE

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

« CV-Online Latvia » SIA

Défendeur :

« Melons » SIA

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président de chambre :

M. Regan

Juges :

M. Ilešič (rapporteur), M. Juhász, M. Lycourgos, M. Jarukaitis

Avocat général :

M. Szpunar

Avocats :

Me Fjodorova, Me Zeltiņš, Me Upenieks

CJUE n° C-762/19

3 juin 2021

LA COUR (cinquième chambre),

1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 7, paragraphe 2, de la directive 96/9/CE du Parlement européen et du Conseil, du 11 mars 1996, concernant la protection juridique des bases de données (JO 1996, L 77, p. 20).

2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant « CV-Online Latvia » SIA (ci-après « CV-Online ») à « Melons » SIA au sujet de l’affichage par cette dernière, dans la liste des résultats générée par son moteur de recherche, d’un lien hypertexte renvoyant au site Internet de CV-Online ainsi que des balises méta insérées par cette dernière dans la programmation de ce site.

Le cadre juridique

Le droit de l’Union

3 Les considérants 7, 39 à 42 et 47 de la directive 96/9 énoncent :

« (7) considérant que la fabrication de bases de données exige la mise en œuvre de ressources humaines, techniques et financières considérables, alors qu’il est possible de les copier ou d’y accéder à un coût très inférieur à celui qu’entraîne une conception autonome ;

[...]

(39) considérant que, en plus de l’objectif d’assurer la protection du droit d’auteur en vertu de l’originalité du choix ou de la disposition du contenu de la base de données, la présente directive a pour objectif de protéger les fabricants de bases de données contre l’appropriation des résultats obtenus de l’investissement financier et professionnel consenti par celui qui a recherché et rassemblé le contenu, en protégeant l’ensemble ou des parties substantielles de la base de données contre certains actes commis par l’utilisateur ou par un concurrent ;

(40) considérant que l’objet de ce droit sui generis est d’assurer la protection d’un investissement dans l’obtention, la vérification ou la présentation du contenu d’une base de données pour la durée limitée du droit ; que cet investissement peut consister dans la mise en œuvre de moyens financiers et/ou d’emploi du temps, d’efforts et d’énergie ;

(41) considérant que l’objectif du droit sui generis est d’accorder au fabricant d’une base de données la possibilité d’empêcher l’extraction et/ou la réutilisation non autorisées de la totalité ou d’une partie substantielle du contenu de la base de données ; que le fabricant d’une base de données est la personne qui prend l’initiative et assume le risque d’effectuer les investissements ; que cela exclut de la définition de fabricant notamment les sous-traitants ;

(42) considérant que le droit spécifique d’empêcher l’extraction et/ou la réutilisation non autorisées vise des actes de l’utilisateur qui outrepassent les droits légitimes de celui-ci et qui portent ainsi préjudice à l’investissement ; que le droit d’interdire l’extraction et/ou la réutilisation de la totalité ou d’une partie substantielle du contenu vise non seulement la fabrication d’un produit concurrent parasite, mais aussi l’utilisateur qui, par ses actes, porte atteinte de manière substantielle, évaluée qualitativement ou quantitativement, à l’investissement ;

[...]

(47) considérant que, dans le but de favoriser la concurrence entre les fournisseurs de produits et de services dans le secteur du marché de l’information, la protection par le droit sui generis ne doit pas s’exercer de manière à faciliter les abus de position dominante, notamment en ce qui concerne la création et la diffusion de nouveaux produits et services présentant une valeur ajoutée d’ordre intellectuel, documentaire, technique, économique ou commercial ; que, dès lors, les dispositions de la présente directive sont sans préjudice de l’application des règles de la concurrence, qu’elles soient [de l’Union] ou nationales ».

4 Sous le chapitre Ier de cette directive, intitulé « Champ d’application », figure l’article 1er qui dispose, à ses paragraphes 1 et 2 :

« 1. La présente directive concerne la protection juridique des bases de données, quelles que soient leurs formes.

2. Aux fins de la présente directive, on entend par “base de données” : un recueil d’œuvres, de données ou d’autres éléments indépendants, disposés de manière systématique ou méthodique et individuellement accessibles par des moyens électroniques ou d’une autre manière. »

5 Sous le chapitre III de ladite directive, intitulé « Droit “sui generis” », l’article 7 prévoit, à ses paragraphes 1, 2 et 5 :

« 1. Les États membres prévoient pour le fabricant d’une base de données le droit d’interdire l’extraction et/ou la réutilisation de la totalité ou d’une partie substantielle, évaluée de façon qualitative ou quantitative, du contenu de celle-ci, lorsque l’obtention, la vérification ou la présentation de ce contenu attestent un investissement substantiel du point de vue qualitatif ou quantitatif.

2. Aux fins du présent chapitre, on entend par :

a) “extraction” : le transfert permanent ou temporaire de la totalité ou d’une partie substantielle du contenu d’une base de données sur un autre support par quelque moyen ou sous quelque forme que ce soit ;

b) “réutilisation” : toute forme de mise à la disposition du public de la totalité ou d’une partie substantielle du contenu de la base par distribution de copies, par location, par transmission en ligne ou sous d’autres formes. La première vente d’une copie d’une base de données dans [l’Union européenne] par le titulaire du droit, ou avec son consentement, épuise le droit de contrôler la revente de cette copie dans [l’Union].

Le prêt public n’est pas un acte d’extraction ou de réutilisation.

[...]

5. L’extraction et/ou la réutilisation répétées et systématiques de parties non substantielles du contenu de la base de données qui supposeraient des actes contraires à une exploitation normale de cette base, ou qui causeraient un préjudice injustifié aux intérêts légitimes du fabricant de la base, ne sont pas autorisées. »

6 Enfin, aux termes de l’article 13 de ladite directive :

« La présente directive n’affecte pas les dispositions concernant notamment [...] le droit des ententes et de la concurrence déloyale [...] »

Le droit letton

7 Les dispositions de la directive 96/9 concernant le droit sui generis ont été transposées en droit letton aux articles 57 à 62 du Autortiesību likums (loi sur le droit d’auteur), du 6 avril 2000 (Latvijas Vēstnesis, 2000, no 148/150), tel que modifié par la loi du 22 avril 2004 (Latvijas Vēstnesis, 2004, no 69).

8 L’article 57, paragraphes 1 et 2, de cette loi dispose que le fabricant d’une base de données dont l’élaboration, la vérification ou la présentation représentent un investissement substantiel en termes qualitatifs ou quantitatifs (article 5, paragraphe 2) doit être compris comme la personne physique ou morale qui a pris l’initiative de créer la base et qui assume le risque de l’investissement. Le fabricant d’une base de données a le droit d’interdire les activités suivantes en ce qui concerne l’ensemble ou une partie substantielle (évaluée d’un point de vue qualitatif ou quantitatif) du contenu de la base de données :

– l’extraction, ce qui signifie le transfert permanent ou temporaire (provisoire) de la totalité ou d’une partie substantielle du contenu d’une base de données sur un autre support de quelque type ou sous quelque forme que ce soit ;

– la réutilisation, ce qui signifie toute forme de mise à la disposition du public de la totalité ou d’une partie substantielle du contenu de la base par distribution de copies, par location, par transmission en ligne ou sous d’autres formes.

Le litige au principal et les questions préjudicielles

9 CV-Online, société de droit letton, exploite le site Internet www.cv.lv. Ce site comporte une base de données, développée et régulièrement mise à jour par CV-Online, qui contient des annonces d’emploi publiées par des employeurs.

10 Le site www.cv.lv est, par ailleurs, pourvu de balises méta (meta tags), du type « microdonnées » (microdata). Ces balises, qui ne sont pas visibles lors de l’ouverture de la page Internet de CV-Online, permettent aux moteurs de recherche sur Internet de mieux identifier le contenu de chaque page afin de l’indexer correctement. Dans le cas du site Internet de CV-Online, ces balises méta contiennent, pour chaque annonce d’emploi vacant figurant dans la base de données, les mots clés suivants : « dénomination du poste », « nom de l’entreprise », « lieu de travail » et « date de publication de l’annonce ».

11 Melons, également société de droit letton, exploite le site Internet www.kurdarbs.lv, qui est un moteur de recherche spécialisé dans les annonces d’emploi. Ce moteur permet une recherche sur plusieurs sites Internet contenant des annonces d’emploi, selon différents critères, dont le type de poste et le lieu de travail. Au moyen de liens hypertextes, le site www.kurdarbs.lv renvoie les utilisateurs vers les sites Internet où les informations recherchées ont initialement été publiées, dont le site de CV-Online. En cliquant sur un tel lien, l’utilisateur peut, notamment, accéder au site www.cv.lv, afin de prendre connaissance de ce site et de l’intégralité de son contenu. Les informations contenues dans les balises méta insérées par CV-Online dans la programmation de son site Internet sont également affichées dans la liste des résultats obtenue lors de l’utilisation du moteur de recherche spécialisé de Melons.

12 Considérant qu’il existe une atteinte à son droit sui generis prévu à l’article 7 de la directive 96/9, CV-Online a engagé une action en justice contre Melons. Elle soutient que Melons « extrait » et « réutilise » la partie substantielle du contenu de la base de données présente sur le site www.cv.lv.

13 La juridiction de première instance a constaté une violation de ce droit, au motif qu’il existait une « réutilisation » de la base de données de CV-Online.

14 Melons a interjeté appel du jugement de première instance devant la Rīgas apgabaltiesas Civillietu tiesas kolēģija (cour régionale de Riga, collège des affaires civiles, Lettonie). Elle souligne que son site Internet n’assure pas de transmission en ligne, à savoir qu’il ne fonctionne pas « en temps réel ». Par ailleurs, elle fait valoir qu’une distinction doit être faite entre le site www.cv.lv et la base de données que celui-ci comporte. Elle précise, à cet égard, que ce sont les balises méta utilisées par CV-Online qui génèrent l’apparition des informations relatives aux offres d’emploi dans les résultats obtenus au moyen du moteur de recherche www.kurdarbs.lv. Or, ces balises méta ne feraient pas partie de la base de données. Ce serait précisément parce qu’elle souhaite que les moteurs de recherche montrent ces informations que CV-Online a inséré lesdites balises méta dans la programmation de son site.

15 Dans ces circonstances, la Rīgas apgabaltiesas Civillietu tiesas kolēģija (cour régionale de Riga, collège des affaires civiles), a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1) L’activité de la partie défenderesse consistant à renvoyer l’utilisateur final au moyen d’un lien hypertexte vers le site Internet de la partie requérante, où une base de données concernant des offres d’emploi peut être consultée, doit-elle être comprise en ce sens qu’elle relève de la définition de “réutilisation” figurant à l’article 7, paragraphe 2, sous b), de la [directive 96/9], c’est-à-dire qu’il s’agit de la réutilisation d’une base de données par transmission sous d’autres formes ?

2) Les informations contenant les balises méta que montre le moteur de recherche de la partie défenderesse doivent-elles être interprétées en ce sens qu’elles relèvent de la définition d’“extraction” figurant à l’article 7, paragraphe 2, sous a), de la [directive 96/9], c’est-à-dire qu’il s’agit du transfert permanent ou temporaire du contenu d’une base de données ou d’une partie substantielle de ce contenu sur un autre support par quelque moyen ou sous quelque forme que ce soit ? »

Sur les questions préjudicielles

16 À titre liminaire, il y a lieu de rappeler que, selon une jurisprudence constante, dans le cadre de la procédure de coopération entre les juridictions nationales et la Cour instituée à l’article 267 TFUE, il appartient à celle-ci de donner au juge national une réponse utile qui lui permette de trancher le litige dont il est saisi. Dans cette optique, il incombe, le cas échéant, à la Cour de reformuler les questions qui lui sont soumises (arrêt du 25 novembre 2020, SABAM, C‑372/19, EU:C:2020:959, point 20, et jurisprudence citée).

17 En l’occurrence, il ressort des éléments du dossier dont dispose la Cour que la problématique soulevée dans l’affaire au principal porte sur la compatibilité du fonctionnement d’un moteur de recherche spécialisé avec le droit sui generis énoncé à l’article 7 de la directive 96/9. Par ses questions préjudicielles, la juridiction de renvoi s’interroge, plus particulièrement, sur le point de savoir, d’une part, si l’affichage, par un moteur de recherche spécialisé, d’un lien hypertexte redirigeant l’utilisateur de ce moteur de recherche vers un site Internet, fourni par un tiers, où le contenu d’une base de données concernant des offres d’emploi peut être consulté relève de la définition de « réutilisation » figurant à l’article 7, paragraphe 2, sous b), de la directive 96/9 et, d’autre part, si les informations provenant des balises méta de ce site Internet qu’affiche ledit moteur de recherche doivent être interprétées en ce sens qu’elles relèvent de la définition d’« extraction » figurant à l’article 7, paragraphe 2, sous a), de cette directive.

18 La juridiction de renvoi estime que les arrêts rendus par la Cour au sujet de l’article 7 de la directive 96/9 (voir, notamment, arrêt du 19 décembre 2013, Innoweb, C‑202/12, EU:C:2013:850), ne permettent pas de conclure s’il y a « extraction » ou « réutilisation », au sens de cet article, lorsque, comme en l’occurrence, l’exploitant d’un moteur de recherche spécialisé affiche, dans la liste des résultats obtenus par l’utilisation de ce moteur, d’une part, un lien hypertexte renvoyant vers un site Internet, fourni par un tiers et contenant une base de données, et, d’autre part, les informations provenant des balises méta que le fabricant de cette base de données a insérées dans la programmation de son propre site Internet.

19 À cet égard, il convient de souligner que, en l’occurrence, la sélection des offres d’emploi vers lesquelles les liens hypertextes renvoient s’effectue à l’aide du moteur de recherche spécialisé fourni par Melons. Ce moteur de recherche indexe et copie sur son propre serveur le contenu des sites Internet comportant des offres d’emploi, tels que le site « www.cv.lv », et permet ensuite d’effectuer des recherches dans ce contenu indexé selon des critères tels que la nature de l’emploi et le lieu de travail.

20 Dans ces conditions, il y a lieu de considérer que, par ces deux questions, qu’il convient d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 7, paragraphes 1 et 2, de la directive 96/9 doit être interprété en ce sens qu’un moteur de recherche sur Internet spécialisé dans la recherche des contenus des bases de données, qui copie et indexe la totalité ou une partie substantielle d’une base de données librement accessible sur Internet, puis permet à ses utilisateurs d’effectuer des recherches dans cette base de données sur son propre site Internet selon des critères pertinents du point de vue de son contenu, procède à une « extraction » et à une « réutilisation » du contenu de ladite base de données, au sens de cette disposition, et que le fabricant d’une telle base de données a le droit d’interdire une telle extraction ou une telle réutilisation de cette même base de données.

21 Afin de répondre à ces questions, il convient, tout d’abord, de préciser la portée et la finalité de la protection du droit sui generis découlant de la directive 96/9.

22 À cet égard, il ressort, notamment, des considérants 40 et 41 de la directive 96/9 que ce droit sui generis a pour objet d’assurer la protection d’un investissement substantiel dans l’obtention, la vérification ou la présentation du contenu d’une base de données pour la durée limitée du droit en accordant au fabricant d’une base de données la possibilité d’empêcher l’extraction et/ou la réutilisation non autorisées de la totalité ou d’une partie substantielle du contenu de la base de données. En effet, la Cour a précisé que la finalité du droit prévu à l’article 7 de la directive 96/9 est de garantir à la personne ayant pris l’initiative et assumé le risque de consacrer un investissement substantiel, en termes de moyens humains, techniques et/ou financiers, à la constitution et au fonctionnement d’une base de données la rémunération de son investissement en la protégeant contre l’appropriation non autorisée des résultats obtenus de cet investissement (arrêt du 19 décembre 2013, Innoweb, C‑202/12, EU:C:2013:850, point 36 ainsi que jurisprudence citée).

23 Ainsi que la Cour l’a également constaté, en se fondant notamment sur les considérants 39, 42 et 48 de la directive 96/9, l’objectif poursuivi par le législateur de l’Union à travers l’institution d’un droit sui generis est donc de stimuler la mise en place de systèmes de stockage et de traitement de données afin de contribuer au développement du marché de l’information dans un contexte marqué par une augmentation exponentielle du volume de données générées et traitées chaque année dans tous les secteurs d’activités (arrêt du 19 décembre 2013, Innoweb, C‑202/12, EU:C:2013:850, point 35 et jurisprudence citée).

24 S’agissant, en premier lieu, des conditions sous lesquelles la base de données est susceptible d’être protégée par le droit sui generis au titre de l’article 7 de la directive 96/9, il y a lieu de relever que, conformément à cet article, la protection d’une base de données par ce droit ne se justifie qu’à la condition que l’obtention, la vérification ou la présentation du contenu de cette base attestent un investissement substantiel du point de vue qualitatif ou quantitatif (voir, en ce sens, arrêt du 19 décembre 2013, Innoweb, C‑202/12, EU:C:2013:850, point 22).

25 Conformément à une jurisprudence constante de la Cour, l’investissement dans l’obtention du contenu d’une base de données concerne les moyens consacrés à la recherche d’éléments existants et à leur rassemblement dans ladite base, à l’exclusion des moyens mis en œuvre pour la création même d’éléments (arrêts du 9 novembre 2004 The British Horseracing Board e.a., C‑203/02, EU:C:2004:695, point 31, ainsi que Fixtures Marketing, C‑338/02, EU:C:2004:696, point 24).

26 Ensuite, la notion d’investissement lié à la vérification du contenu de la base de données doit être comprise comme visant les moyens consacrés, en vue d’assurer la fiabilité de l’information contenue dans ladite base, au contrôle de l’exactitude des éléments recherchés, lors de la constitution de cette base ainsi que pendant la période de fonctionnement de celle-ci (arrêt du 9 novembre 2004 The British Horseracing Board e.a., C‑203/02, EU:C:2004:695, point 34).

27 Enfin, l’investissement dans la présentation du contenu de la base de données comprend les moyens visant à conférer à ladite base sa fonction de traitement de l’information, à savoir ceux consacrés à la disposition systématique ou méthodique des éléments contenus dans cette base ainsi qu’à l’organisation de leur accessibilité individuelle (arrêts du 9 novembre 2004, Fixtures Marketing, C‑338/02, EU:C:2004:696, point 27 ; Fixtures Marketing, C‑444/02, EU:C:2004:697, point 43, et Fixtures Marketing, C‑46/02, EU:C:2004:694, point 37).

28 Les questions préjudicielles étant fondées sur la prémisse que la base de données de CV-Online satisfait à la condition mentionnée au point 24 du présent arrêt, il appartient, le cas échéant, à la juridiction de renvoi d’examiner si les conditions prévues à l’article 7 de la directive 96/9 sont réunies pour l’obtention de la protection par le droit sui generis, y compris si les balises méta fournies par CV-Online pourraient elles-mêmes être considérées comme constituant une partie substantielle de la base de données protégée.

29 S’agissant, en deuxième lieu, des critères permettant de conclure qu’un acte de l’utilisateur constitue une « extraction » et/ou une « réutilisation », au sens de la directive 96/9, il y a lieu de rappeler que l’article 7, paragraphe 2, sous a), de celle-ci définit l’« extraction » comme étant « le transfert permanent ou temporaire de la totalité ou d’une partie substantielle du contenu d’une base de données sur un autre support par quelque moyen ou sous quelque forme que ce soit ». Aux termes de l’article 7, paragraphe 2, sous b), de la même directive, la « réutilisation » couvre « toute forme de mise à la disposition du public de la totalité ou d’une partie substantielle du contenu de la base par distribution de copies, par location, par transmission en ligne ou sous d’autres formes ».

30 En se fondant sur l’objectif poursuivi par le législateur de l’Union à travers l’institution d’un droit sui generis, la Cour a retenu une interprétation large tant de la notion de « réutilisation » (voir, en ce sens, arrêt du 19 décembre 2013, Innoweb, C‑202/12, EU:C:2013:850, points 33 et 34) que de la notion d’« extraction » (voir, en ce sens, arrêt du 9 octobre 2008, Directmedia Publishing, C‑304/07, EU:C:2008:552, point 31 et 32).

31 Ainsi, il ressort de la jurisprudence de la Cour que ces notions d’« extraction » et de « réutilisation » doivent être interprétées comme se référant à tout acte consistant, respectivement, à s’approprier et à mettre à la disposition du public, sans le consentement de la personne qui a constitué la base de données, les résultats de son investissement, privant ainsi cette dernière de revenus censés lui permettre d’amortir le coût de cet investissement (arrêt du 9 novembre 2004, The British Horseracing Board e.a., C‑203/02, EU:C:2004:695, point 51).

32 En ce qui concerne, plus précisément, le fonctionnement d’un moteur de recherche spécialisé, la Cour a jugé que l’opérateur d’un métamoteur de recherche dédié procédait à une « réutilisation », au sens de l’article 7, paragraphe 2, sous b), de la directive 96/9, de la totalité ou d’une partie substantielle du contenu d’une base de données, contenue dans un site Internet appartenant à un tiers, lorsqu’il fournissait à un nombre indéterminé d’utilisateurs finals un dispositif permettant d’explorer les données figurant dans cette base de données et offrait ainsi un accès au contenu de celle-ci par une autre voie que celle prévue par le fabricant de cette dernière. La Cour a souligné qu’une telle activité porte atteinte au droit sui generis du fabricant de la base de données, puisqu’elle prive ce fabricant de revenus censés lui permettre d’amortir le coût de son investissement. En effet, dans un tel cas, l’utilisateur n’a plus besoin de passer par la page d’accueil et le formulaire de recherche de la base de données du tiers concerné, dès lors qu’il peut explorer cette base de données directement en utilisant le service de l’exploitant du métamoteur de recherche (voir, en ce sens, arrêt du 19 décembre 2013, Innoweb, C‑202/12, EU:C:2013:850, points 40 à 42).

33 En l’occurrence, il résulte de la décision de renvoi et des observations des parties au principal ainsi que d’informations obtenues lors de l’audience, et soulignées par M. l’avocat général, au point 33 de ses conclusions, qu’un moteur de recherche spécialisé tel que celui en cause au principal n’utilise pas les formulaires de recherche des sites Internet sur lesquels il permet d’effectuer une recherche et ne traduit pas en temps réel les requêtes de ses utilisateurs en critères utilisés par ces formulaires. Cependant, il indexe régulièrement ces sites et en garde une copie sur ses propres serveurs. Ensuite, grâce à son propre formulaire de recherche, il permet à ses utilisateurs d’effectuer des recherches selon les critères qu’il propose, cette recherche s’effectuant parmi les données ayant été indexées.

34 S’il est vrai que le fonctionnement du moteur de recherche tel que celui en cause au principal est différent de celui en cause dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 19 décembre 2013, Innoweb (C‑202/12, EU:C:2013:850), il n’en reste pas moins que ce moteur de recherche permet d’explorer, par une autre voie que celle prévue par le fabricant de la base de données concernée, le contenu entier de plusieurs bases de données simultanément, dont celle de CV-Online, en mettant ce contenu à la disposition de ses propres utilisateurs. En fournissant la possibilité de faire des recherches simultanément dans plusieurs bases de données, selon les critères pertinents du point de vue des personnes à la recherche d’un emploi, ce moteur de recherche spécialisé permet aux utilisateurs l’accès, sur son propre site Internet, à des offres d’emploi contenues dans ces bases de données.

35 Ainsi, un moteur de recherche tel que celui en cause au principal permet d’explorer toutes les données figurant dans les bases de données librement accessibles sur Internet, y compris le site Internet de CV-Online, et fournit à ses utilisateurs un accès au contenu entier de ces bases par une autre voie que celle prévue par leur fabricant. En outre, la mise à disposition de ces données s’adresse au public, au sens de l’article 7, paragraphe 2, sous b), de la directive 96/9, étant donné qu’un tel moteur de recherche peut être utilisé par n’importe quelle personne (voir, en ce sens, arrêt du 19 décembre 2013, Innoweb, C‑202/12, EU:C:2013:850, point 51).

36 De plus, en indexant et en recopiant sur son propre serveur le contenu des sites Internet, ce moteur de recherche transfère le contenu des bases de données que constituent ces sites vers un autre support.

37 Il s’ensuit qu’un tel transfert du contenu substantiel des bases de données concernées et qu’une telle mise à disposition de ces données au public, sans l’accord de la personne les ayant constituées, sont, respectivement, des mesures d’extraction et de réutilisation de ces bases de données, interdites à l’article 7, paragraphe 1, de la directive 96/9 à condition qu’elles aient pour effet de priver cette personne de revenus censés lui permettre d’amortir le coût de cet investissement. Ainsi que l’a souligné M. l’avocat général, au point 36 de ses conclusions, la fourniture des liens hypertextes vers les annonces figurant sur le site Internet de CV-Online et la reproduction des informations contenues dans les balises méta de ce site ne seraient alors que des manifestations externes, d’importance secondaire, de cette extraction et de cette réutilisation.

38 Dès lors, il convient encore d’examiner si les actes visés aux points 35 et 36 du présent arrêt sont de nature à porter atteinte à l’investissement de la personne qui a constitué la base de données qui a été transférée sur un autre support et a été mise à disposition du public.

39 À cet égard, la Cour a déjà constaté que le droit sui generis prévu à l’article 7 de la directive 96/9 vise à protéger la personne qui a constitué la base de données contre des actes de l’utilisateur qui outrepassent les droits légitimes de celui-ci et qui portent ainsi préjudice à l’investissement de cette personne (voir, en ce sens, arrêt du 9 novembre 2004, The British Horseracing Board e.a., C‑203/02, EU:C:2004:695, points 45 et 46). Dans ce cadre, l’article 7, paragraphe 1, de la directive 96/9, lu en combinaison avec le considérant 42 de celle-ci, vise à éviter qu’un utilisateur, par ses actes, porte atteinte de manière substantielle, évaluée qualitativement ou quantitativement, à l’investissement (voir, en ce sens, arrêt du 9 novembre 2004, The British Horseracing Board e.a., C‑203/02, EU:C:2004:695, point 69).

40 La Cour a également jugé que le fabricant d’une base de données jouit d’une protection contre l’activité de l’exploitant d’un métamoteur de recherche dédié qui se rapproche de la fabrication d’un produit concurrent parasite visé au considérant 42 de la directive 96/9 (voir, en ce sens, arrêt du 19 décembre 2013, Innoweb, C‑202/12, EU:C:2013:850, point 48). En effet, une telle activité risquerait de faire échapper des recettes auxdits fabricants et de les priver ainsi des revenus censés leur permettre d’amortir leurs investissements dans la création et le fonctionnement des bases de données (voir, en ce sens, arrêt du 19 décembre 2013, Innoweb, C‑202/12, EU:C:2013:850, points 41 à 43).

41 À cet égard, il convient d’établir un juste équilibre entre, d’une part, l’intérêt légitime des fabricants de bases de données d’être en mesure d’amortir leur investissement substantiel et, d’autre part, celui des utilisateurs et des concurrents de ces producteurs d’avoir accès aux informations contenues dans ces bases de données ainsi que la possibilité de créer des produits innovants basés sur ces informations.

42 En effet, il importe de rappeler que les activités des agrégateurs de contenu sur Internet, tels que la défenderesse au principal, permettent également de réaliser l’objectif, rappelé au point 23 du présent arrêt, consistant à stimuler la mise en place de systèmes de stockage et de traitement de données dans le but de contribuer au développement du marché de l’information. Ainsi que M. l’avocat général l’a relevé, en substance, au point 41 de ses conclusions, ces agrégateurs contribuent à la création et à la distribution de produits et de services ayant une valeur ajoutée dans le secteur de l’information. En offrant à leurs utilisateurs une interface unifiée permettant d’effectuer des recherches dans plusieurs bases de données selon des critères pertinents du point de vue de leur contenu, ils concourent à une meilleure structuration de l’information et en facilitent la recherche sur Internet. Ils contribuent également au bon fonctionnement de la concurrence et à la transparence des offres et des prix.

43 Ainsi qu’il ressort du point 24 du présent arrêt, l’article 7, paragraphe 1, de la directive 96/9, réserve le bénéfice de la protection conférée par le droit sui generis aux bases de données dont la création ou le fonctionnement nécessite un investissement substantiel du point de vue qualitatif ou quantitatif.

44 Il s’ensuit que, comme l’a relevé en substance M. l’avocat général, aux points 43 et 46 de ses conclusions, le critère principal de mise en balance des intérêts légitimes en présence doit être l’atteinte potentielle à l’investissement substantiel de la personne ayant constitué la base de données concernée, à savoir le risque que cet investissement ne puisse être amorti.

45 Enfin, il importe d’ajouter que, comme le précise l’article 13 de la directive 96/9, les dispositions de cette directive sont sans préjudice des règles de concurrence relevant du droit de l’Union ou des États membres.

46 Dans l’affaire au principal, il appartient donc à la juridiction de renvoi, afin de statuer sur le droit de CV-Online d’interdire l’extraction ou la réutilisation de la totalité ou d’une partie substantielle du contenu de cette base, de vérifier, à la lumière de l’ensemble des circonstances pertinentes, premièrement, si l’obtention, la vérification ou la présentation du contenu de la base de données concernée atteste un investissement substantiel et, deuxièmement, si l’extraction ou la réutilisation en cause constitue un risque pour les possibilités d’amortissement de cet investissement.

47 Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient de répondre aux questions posées que l’article 7, paragraphes 1 et 2, de la directive 96/9 doit être interprété en ce sens qu’un moteur de recherche sur Internet spécialisé dans la recherche des contenus des bases de données, qui copie et indexe la totalité ou une partie substantielle d’une base de données librement accessible sur Internet, puis permet à ses utilisateurs d’effectuer des recherches dans cette base de données sur son propre site Internet selon des critères pertinents du point de vue de son contenu procède à une « extraction » et à une « réutilisation » de ce contenu, au sens de cette disposition, qui peuvent être interdites par le fabricant d’une telle base de données pour autant que ces actes portent atteinte à son investissement dans l’obtention, la vérification ou la présentation de ce contenu, à savoir qu’ils constituent un risque pour les possibilités d’amortissement de cet investissement par l’exploitation normale de la base de données en question, ce qu’il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier.

Sur les dépens

48 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (cinquième chambre) dit pour droit :

L’article 7, paragraphes 1 et 2, de la directive 96/9/CE du Parlement européen et du Conseil, du 11 mars 1996, concernant la protection juridique des bases de données, doit être interprété en ce sens qu’un moteur de recherche sur Internet spécialisé dans la recherche des contenus des bases de données, qui copie et indexe la totalité ou une partie substantielle d’une base de données librement accessible sur Internet, puis permet à ses utilisateurs d’effectuer des recherches dans cette base de données sur son propre site Internet selon des critères pertinents du point de vue de son contenu procède à une « extraction » et à une « réutilisation » de ce contenu, au sens de cette disposition, qui peuvent être interdites par le fabricant d’une telle base de données pour autant que ces actes portent atteinte à son investissement dans l’obtention, la vérification ou la présentation de ce contenu, à savoir qu’ils constituent un risque pour les possibilités d’amortissement de cet investissement par l’exploitation normale de la base de données en question, ce qu’il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier.