Cass. com., 30 juin 2004, n° 02-17.771
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Tricot
Rapporteur :
Mme Besançon
Avocat général :
M. Lafortune
Avocats :
SCP Monod et Colin, Me Delvolvé, SCP Lyon-Caen, Fabiani et Thiriez
Donne acte à la société Air Caraïbes holding de ce qu'elle reprend l'instance qui a pris la dénomination Air Caraïbes aux lieux et place de la société Caribéenne des transports aériens ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Fort-de-France, 8 février 2002), que par acte sous seing privé du 31 juillet 1987 la société Econocom Location (société Econocom) a donné en crédit-bail à la Compagnie antillaise d'affrètement aérien (CAAA) un aéronef ATR 42 d'une valeur de 43 611 077,08 francs, un moteur de rechange ainsi qu'un lot important de pièces détachées et d'outillage représentant une valeur d'achat de 10 005 086,52 francs ; qu'à la suite de la mise en redressement judiciaire de la CAAA, la société Nouvelle Air Martinique (SNAM) a, par un avenant du 11 mars 1994, repris le contrat de crédit-bail ; que la SNAM n'ayant pu tenir ses engagements, une promesse de vente portant sur l'avion et les équipements prévus au contrat initial a été signée par les parties le 19 février 1996 pour la somme de 25 331 000 francs, qui devait être intégralement réglée au plus tard le 30 juin 1996, la promesse comprenant une clause de réserve de propriété jusqu'à complet paiement et l'engagement de la SNAM d'assurer pendant cette période l'entretien de l'avion et des pièces de rechange ; que, par courrier du 25 juin 1996, la SNAM a informé la société Econocom qu'elle était dans l'impossibilité d'exercer son option d'achat sur l'appareil et, les 8 et 9 juillet 1996, a restitué à cette dernière l'aéronef ainsi qu'un certain nombre d'éléments d'équipement ; que ces restitutions ont donné lieu à un inventaire contradictoire et à un protocole en date du 15 juillet 1996 ; que, saisi par la société Econocom, le juge des référés a, par ordonnance du 1er août 1996, constaté la résiliation de la promesse de vente du 19 février 1996, condamné la SNAM à restituer le moteur de rechange, désigné un expert chargé de déterminer les pièces et éléments d'équipement qui auraient dû lui être restitués ainsi que d'évaluer les stocks de pièces manquants ; que, le 13 novembre 1996, la société Econocom a saisi à nouveau le juge des référés aux fins d'obtenir la restitution du moteur de rechange, ainsi que des pièces mentionnées dans les annexes 1 et 2 du protocole du 15 juillet 1996 ; qu'à la suite de la mise en redressement judiciaire de la SNAM le 26 novembre 1996, la société Econocom a appelé en intervention forcée à la procédure MM. X... et Y..., respectivement administrateur judiciaire et représentant des créanciers de cette société ; que, par ordonnance du 15 janvier 1997, le juge des référés s'est déclaré incompétent au profit du juge-commissaire du redressement judiciaire de la SNAM ; qu'entre-temps le conseil de la société Econocom avait demandé, par courrier du 1er décembre 1996, à M. X..., ès qualités, "la restitution du matériel restant sa propriété et revendiqué par elle détenu par la SNAM" ; qu'en l'absence de réponse de l'administrateur, elle a saisi le juge-commissaire, puis assigné devant le tribunal, le 31 octobre 1997, la SNAM et ses mandataires judiciaires aux fins de restitution sous astreinte des pièces et éléments d'équipement acquis par elle suivant l'inventaire établi dans le cadre de l'expertise ;
Sur le premier moyen :
Attendu que M. X..., en sa qualité de commissaire à l'exécution du plan de redressement de la SNAM, fait grief à l'arrêt de ne pas avoir déclaré l'appel de la société Econocom irrecevable et d'avoir, au contraire, condamné M. X..., en sa qualité d'administrateur au redressement judiciaire de cette société, à payer des dommages-intérêts à la société Econocom, alors, selon le moyen, que le jugement arrêtant le plan de cession de l'entreprise met fin, dès son prononcé, à la période d'observation, l'administrateur ne conservant que les pouvoirs qui lui sont attribués pour la mise en oeuvre du plan ; qu'après le jugement arrêtant le plan, seul le commissaire à l'exécution de ce plan a qualité pour poursuivre, en demande comme en défense, les actions introduites auparavant ; qu'en l'espèce, il ressort des énonciations de l'arrêt et des pièces de la procédure que la société Econocom a, par déclaration du 2 mars 1999, formé un appel dirigé contre M. X... pris en qualité d'administrateur au redressement judiciaire de la SNAM, laquelle avait fait l'objet d'un plan de cession arrêté par jugement du 18 novembre 1997 ; qu'en ne relevant pas d'office la fin de non-recevoir d'ordre public tirée du défaut de qualité de M. X..., en qualité d'administrateur, à être intimé, la cour d'appel a violé les articles 122 et 125 du nouveau Code de procédure civile ensemble les articles L. 621-67, L. 621-68 du Code de commerce et 90 du décret du 27 décembre 1985 ;
Mais attendu que M. X... ayant conclu lui-même en qualité d'administrateur judiciaire, sans intervenir en qualité de commissaire à l'exécution du plan devant la cour d'appel, le moyen ne peut être accueilli ;
Sur le deuxième moyen :
Attendu que M. X..., en sa qualité de commissaire à l'exécution du plan de redressement de la SNAM, fait par ailleurs grief à l'arrêt d'avoir déclaré recevable l'action en revendication formée par la société Econocom, ultérieurement transformée en action en réparation, alors, selon le moyen :
1 / que la juridiction appelée à connaître d'une action en revendication de meubles sans qu'ait été mise en oeuvre la procédure préliminaire devant l'administrateur et, le cas échéant, devant le juge-commissaire, ne peut déclarer cette action recevable que si celle-ci avait été engagée avant le jugement d'ouverture de la procédure collective ; qu'en retenant, pour dire que la société Econocom avait pu s'affranchir des délais prévus par l'article L. 621-115 du Code de commerce et pour écarter la fin de non-recevoir tirée de ce que cette société n'avait pas régulièrement saisi le juge-commissaire de sa demande en revendication, qu'une action en restitution était pendante lors de l'ouverture du redressement judiciaire de la SNAM, la cour d'appel, qui avait à statuer sur une action introduite seulement le 31 octobre 1997, soit postérieurement au jugement d'ouverture, et qui constatait que le juge des référés qui était, à la date de ce jugement, saisi d'une demande en restitution, s'était, par une ordonnance du 15 janvier 1997, déclaré incompétent au profit du juge-commissaire, a violé l'article précité et les articles L. 621-118 et L. 621-123 du Code de commerce ensemble l'article 85-1 du décret du 27 décembre 1985 ;
2 / que seul l'acquiescement pur et simple de l'administrateur à une demande en revendication dispense l'auteur de la demande d'en saisir le juge-commissaire, que la demande soit fondée sur les dispositions de l'article L. 621-115 du Code de commerce ou sur celles des articles L. 621-118 ou L. 621-122 du même Code ; qu'en écartant la fin de non-recevoir tirée de l'absence de saisine du juge-commissaire tout en constatant, d'abord, que la SNAM n'avait, en juillet 1996, reconnu son obligation que sous réserve de la preuve de la propriété des pièces et, ensuite, que l'administrateur avait, le 7 janvier 1997, indiqué ne pouvoir donner suite à la requête en revendication tant que l'expertise était en cours et en l'absence de certitude sur le droit de propriété de la société Econocom, la cour d'appel a violé les textes précités et l'article L. 621-23 du Code de commerce ensemble l'article 85-1 du décret du 27 décembre 1985 ;
3 / que dans sa lettre du 7 janvier 1997, M. X..., en qualité d'administrateur au redressement judiciaire de la SNAM, avait refusé de donner suite à la demande en revendication de la société Econocom non seulement en raison de l'expertise en cours mais aussi parce que, comme il le précisait, il ne disposait "ni d'éléments permettant d'établir avec certitude de quel matériel il s'agi(ssai)t, ni de documents de nature à (s)'assurer de (la) propriété (de la société revendiquante sur le matériel litigieux)" ; qu'en affirmant, à la faveur d'une citation incomplète des termes de la lettre de l'administrateur, que ce dernier avait accepté sans équivoque le principe même de la revendication, la cour d'appel a dénaturé cette lettre en violation de l'article 1134 du Code civil ;
4 / qu'en relevant d'office le moyen tiré de ce que l'action en revendication de la société Econocom pouvait être fondée sur les dispositions de l'article L. 621-118 du Code de commerce (ancien article 117 de la loi du 25 janvier 1985) sans préalablement recueillir les observations contradictoires des parties sur ce point, la cour d'appel a violé l'article 16 du nouveau Code de procédure civile ;
Mais attendu que l'action en restitution de meubles qui a été engagée avant l'ouverture de la procédure collective, n'est pas soumise aux dispositions des articles 115 et 121-1 de la loi du 25 janvier 1985 devenus les articles L. 621-115 et L. 621-123 du Code de commerce et de l'article 85-4 du décret du 27 décembre 1985 ; qu'elle doit être seulement, en application de l'article 49 de la même loi devenu l'article L. 621-42 du dit Code, poursuivie après mise en cause de l'administrateur et du représentant des créanciers ;
Attendu que l'arrêt relève que la société Econocom fondait sa demande en restitution sur la clause résolutoire insérée dans le protocole d'accord contenant promesse de vente du 19 avril 1996, dont l'ordonnance du 1er août 1996 avait constaté la mise en jeu ; qu'il retient que la procédure judiciaire en cours au moment de l'ouverture de la procédure collective de la SNAM avait pour objet, non de consacrer un droit de propriété définitivement acquis mais d'établir la liste des pièces ou des éléments d'équipements qui auraient dû être restitués à la société Econocom et de chiffrer le coût de ces éléments manquants ; qu'il s'ensuit que la cour d'appel a décidé à bon droit de rejeter l'exception de forclusion et de déclarer recevable la demande de la société Econocom ; que le moyen, qui manque en fait en ses deux dernières branches, n'est pas fondé pour le surplus ;
Sur le troisième moyen :
Attendu que M. X..., en sa qualité de commissaire à l'exécution du plan de redressement de la SNAM, fait en outre grief à l'arrêt d'avoir dit que la société Econocom justifiait de la propriété des pièces et matériel se trouvant physiquement dans les locaux de la SNAM le jour de l'ouverture de son redressement judiciaire, dont la valeur représentait 548 816,46 euros et, constatant que ce matériel n'avait pu être repris par elle à la suite des fautes et négligences de M. X... et de la société Caribéenne des transports aériens (société CTA), de l'avoir condamné en sa qualité d'administrateur de la SNAM à payer à la société Econocom la somme de 411 612,34 euros en réparation du préjudice par elle subi et à lui payer solidairement avec la société CTA la somme de 137 204,11 euros au titre du même préjudice, alors, selon le moyen :
1 / qu'en condamnant M. X..., ès-qualités d'administrateur au redressement judiciaire de la SNAM, à indemniser le préjudice subi par la société Econocom du fait de négligences qu'il aurait commises en n'assurant pas la protection et la conservation des biens du débiteur et de ceux qui étaient susceptibles d'être revendiqués par des tiers, la cour d'appel, qui n'a ainsi retenu que de prétendus manquements de M. X... dans l'exercice de ses fonctions d'administrateur judiciaire, a violé les articles L. 621-22 et L. 621-23 du Code de commerce ensemble les articles 1382 et 1383 du Code civil ;
2 / qu'en statuant ainsi, sans que M. X... ait été appelé en la cause à titre personnel, la cour d'appel a violé l'article 14 du nouveau Code de procédure civile ;
Mais attendu qu'aux conclusions par lesquelles la société Econocom demandait que M. X..., ès qualités, soit condamné à réparer le préjudice subi par elle du fait de ses négligences fautives, M. X... n'a opposé aucune critique ; qu'il s'ensuit que le moyen maintenant invoqué devant la Cour de cassation est nouveau et, mélangé de fait et de droit, irrecevable ;
Et sur le quatrième moyen :
Attendu que M. X..., en sa qualité de commissaire à l'exécution du plan de redressement de la SNAM, fait encore le même grief à l'arrêt, alors, selon le moyen :
1 / que l'administrateur du redressement judiciaire est en droit de vendre des marchandises faisant l'objet d'une procédure de revendication ; qu'en retenant que les marchandises sur lesquelles la société Econocom Location faisait valoir un droit de restitution ne pouvaient pas être cédées et en imputant à faute à l'administrateur de ne pas avoir fait isoler ces marchandises pour empêcher leur transfert entre les mains du cessionnaire de la SNAM, la cour d'appel a violé l'article 1382 du Code civil ;
2 / que par le jugement du 18 novembre 1997, le tribunal mixte de commerce a ordonné la cession totale à la SMA (Société Martinique Aéronautique) de l'entreprise SNAM en ce compris l'ensemble de ses éléments d'exploitation ; qu'en affirmant que le prix de cession de la SNAM à la SMA devenue CTA (société Caribéenne des transports aériens) ne comprenait pas le stock de marchandises litigieux sans indiquer de quelle pièce versée aux débats elle déduisait cette appréciation, la cour d'appel a violé les articles 1353 du Code civil et 455 du nouveau Code de procédure civile ;
3 / qu'en retenant la responsabilité de l'administrateur pour ne pas avoir, avant la cession, accompli les diligences propres à sauvegarder les biens susceptibles d'être revendiqués tout en relevant que, ces biens étant fongibles, la revendication pouvait porter sur ceux de même espèce et de même qualité se trouvant entre les mains de la SNAM le jour de l'ouverture de la procédure collective et en constatant qu'au jour de la cession de l'entreprise, la SNAM détenait toujours un stock de pièces susceptibles d'être revendiquées par la société Econocom, la cour d'appel n'a caractérisé ni la faute de l'administrateur ni le lien de causalité entre le manque de diligences qui lui était imputé et le préjudice allégué par la société Econocom ; qu'elle a ainsi violé l'article 1382 du Code civil ;
4 / qu'en indemnisant la société Econocom pour la perte de la valeur des marchandises dont la restitution aurait été rendue impossible par la faute de l'administrateur sans avoir préalablement tranché, par des motifs dépourvus de caractère hypothétique et dubitatif, la question de savoir si la société Econocom avait bien rapporté la preuve de son droit de propriété sur les biens qu'elle prétendait pouvoir revendiquer, la cour d'appel a violé l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ;
Mais attendu, en premier lieu, que l'arrêt qui énonce exactement qu'il incombe à l'administrateur de prendre les dispositions appropriées à assurer la protection et la conservation des biens du débiteur afin de permettre l'exercice effectif des droits des revendiquants et leur éventuelle indemnisation, retient que M. X..., qui avait été avisé de l'engagement d'une procédure aux fins de restitution d'un matériel aéronautique d'une valeur élevée susceptible d'être parfaitement identifié, était resté taisant et inactif à la réception des courriers circonstanciés des 5 et 24 juin 1997 du conseil de la société Econocom dans lesquels la demande de restitution était expressément formulée et que, bien que disposant d'un état descriptif des actifs de la SNAM fourni par le commissaire-priseur qui indiquait la présence d'un stock de pièces minimum revendiqué par la société Econocom, il n'avait pas cru devoir faire isoler ce matériel pour empêcher qu'il soit transféré entre les mains du cessionnaire ;
Attendu, en second lieu, que par des motifs dépourvus de caractère hypothétique et dubitatif, la cour d'appel a retenu que la société Econocom justifiait de son droit de propriété sur les pièces détachées litigieuses ;
Qu'ainsi, abstraction faite du motif surabondant critiqué par la deuxième branche, le moyen n'est pas fondé ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi.