CA Paris, 16 ch. A, 18 janvier 2006, n° 04/22184
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
OGF (SA)
Défendeur :
Du Rond Point (SCI)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Duclaud
Conseillers :
Mme Imbaud-Content, M. Zavaro
Avocats :
SCP Monin-d'Aubriac De Brons, Me Argenton, SCP Baufume-Galland, Me Edinger
La Cour statue sur l’appel interjeté par la SA OGF d’un jugement du tribunal de grande instance de Créteil en date du 7 septembre 2004 qui a :
- Constaté la résiliation du bail à la date du 30 juin 2003 ;
- Dit que la SA OGF ne bénéficiait pas du paiement d’une indemnité d’éviction ;
- Ordonné l’expulsion de la SA OGF et de tout occupant de son chef ;
- Fixé l’indemnité d’occupation à compter du 1° juillet 2003 jusqu’à libération effective des locaux loués à un montant égal au dernier loyer.
La SA OGF expose que, par acte du 24 juin 1994, Mme Rawicki, aux droits de laquelle est venue la société Groupinvest puis la SCI du Rond point suivant acte de cession du 2 septembre 2003, a donné à bail a société PFG aux droits de laquelle est venue la SA OGF, des locaux commerciaux situes à Gentilly, 17, place Henri Barbusse, a effet du 1 ° janvier 1994 et échéance du 31 décembre 2002.
Par acte du 11 décembre 2002 la société Groupinvest a fait délivrer un congé avec refus de renouvellement sans offre de paiement d’une indemnité d’éviction pour le 30 juin 2003 au motif que la preuve de l’inscription du locataire au registre du commerce a la date de délivrance du congé n’était pas rapportée, complété par la suite par l’affirmation qu’en toute hypothèse une société de pompes funèbres ne pourrait pas bénéficier de la protection offerte par le statut des baux commerciaux.
La SA OGF soutient que l’établissement situé dans le local en cause est un établissement secondaire de la société, régulièrement immatriculé à ce litre au registre du commerce et des sociétés ;
Elle ajoute que son activité est une activité commerciale dans le cadre d’une mission de service public exercée, hors de tout monopole, dans un secteur concurrentiel sans droit d’exclusivité, même si la loi du 8 janvier 1993 prévoit l’habilitation préfectorale des entreprises et même si le service extérieur des pompes funèbres peut être délégué par une commune ou un syndicat de communes.
A titre subsidiaire elle soutient que les parties ont manifesté sans équivoque leur volonté de placer leurs relations contractuelles sous l’empire du décret du 30 septembre 1953.
Elle sollicite conséquence qu’il soit jugé qu’elle bénéficie du droit au renouvellement et, à titre subsidiaire, qu’elle bénéficie d’un droit au paiement d’une indemnité d’éviction qui sera évaluée par expertise. Elle demande enfin l’allocation d’une somme de 15 000 € au titre de l’article 700 du nouveau code de procédure civile.
La SCI du Rond point soutient au contraire que, faute de la production des originaux des extraits du registre du commerce ct des sociétés levés antérieurement à la date de notification du congé, son inscription à cette date n’est pas établie,
Elle affirme par ailleurs qu’une société de pompes funèbres ne peut bénéficier du statut des baux commerciaux et solliciter paiement d'une indemnité d’éviction dans la mesure où, simple concessionnaire d’une mission de service public, elle n’est pas propriétaire d'un fonds de commerce et ne peut se prévaloir de la propriété commerciale ; que la loi du 8 janvier 2003 a simplement remplacé le système de la concession par celui de l’habilitation. Elle souligne qu’en l’absence d’habilitation, un fonds de commerce ne peut pas être librement crée et que l’abandon du monopole des communes sur l’activité en cause ne démontre pas que la société OGF se serait créé une clientèle propre.
A titre subsidiaire elle soutient que la société OGF ne pourrait revendiquer la propriété commerciale que du chef de ses activités annexes de vente de fleurs ou d’articles funéraires, qui ne représenterait que 5% de son activité et demande que l’expertise qui pourrait être ordonnée au cas où le caractère commercial de cette partie de l’activité soit retenu, ne recherche le montant de l’indemnité d’éviction qu’en fonction de cette seule activité annexe.
Elle sollicite l'allocation d’une somme de 2000 € sur le fondement de l’article 700 du nouveau code de procédure civile.
Elle conclut enfin au rejet des débats de trois pièces communiquées le 19 octobre 2005, jour du prononcé de l’ordonnance de clôture.
SUR CE,
Considérant que par acte du 24 juin 1994, Mme Rawicki, aux droits de laquelle est venue la société Groupinvest puis la SCI du Rond point suivant acte de cession du 2 septembre 2003, a donné à bail a société PFG aux droits de laquelle est venue la SA OGF, des locaux commerciaux situés à Gentilly, 17, place Henri Barbusse, à effet du 1° janvier 1994 et échéance du 31 decembre2002.
Considérant que par acte du 11 décembre 2002 la société Groupinvest a fait délivrer un conge avec refus de renouvellement sans offre de paiement d’une indemnité d’éviction pour le 30 juin 2003 au motif que la preuve de l’inscription du locataire au registre du commerce a la date de délivrance du congé n’était pas rapportée complète par la suite par l’affirmation qu’en toute hypothèse une société de pompes funèbres ne pourrait pas bénéficier de la protection offerte par le statut des baux commerciaux.
Sur la production de pièces en date du 19 octobre 2005 :
Considérant que la SA OGF a produit trois pièces cotées 30, 40 et 41 le 19 octobre 2005 ; jour du prononcé de l’ordonnance de clôture ;
Considérant que cette production est tardive et ne met pas son destinataire en mesure d'y répondre ; qu'en effet, même si ces pièces sont produites pour apporter des éléments au soutien de la critique des écritures de la SCI du Rond point, elle mêmes signifiées le 3 octobre, elles concernent des éléments qui étaient en débats depuis l’origine du litige et pouvaient être communiquées antérieurement ; qu’il convient en conséquence de les écarter des débats ;
Sur l’inscription du locataire au registre du commerce et des sociétés :
Considérant que la SA OGF verse aux débats les copies des extraits L Bis du registre du commerce et des sociétés qui établissent l’inscription de l’établissement situe à Gentilly 17, place Henri Barbusse au 1° juin 2000,15 mai 2001, 12 juin 2002, 16 décembre 2002 et 27 juillet 2005; que ces documents établissent la réalité de l’inscription de l’établissement secondaire de l’entreprise en cause au registre du commerce et des sociétés tenu par le greffe du tribunal de commerce de Créteil à la date de délivrance du conge ainsi que tout au long de la procédure;
Sur le caractère commercial de l'activité :
Considérant que les activités funéraires sont aujourd’hui régies par la loi du 8 janvier 1993 qui précise en son article 1° codifié sous l’article L. 362-1 du code des communes, que “le service extérieur des pompes funèbres est une mission de service public”; que ce texte ajoute que “cette mission peut-être assurée par les communes, directement ou par voie de gestion déléguée”; qu’il dispose que “les communes ou les délégataires ne bénéficient d’aucun droit d’exclusivité pour l’exercice de cette mission” qui “peut également être assurée par toute autre entreprise ou association” bénéficiaire d’une habilitation;
Considérant des lors que les activités funéraires sont soumises à la concurrence et peuvent être exercées par les associations ou des entreprises sous la seule réserve de leur habilitation préfectorale ;
Considérant que cette habilitation par le représentant de l’Etat dans le département est accordée après vérification des conditions requises des dirigeants (moralité, nationalité, capacité professionnelle), de l’entreprise ou de l’association (situation au regard des impôts et cotisations sociales, conformité des véhicules) ; qu’elle est valable sur l’ensemble du territoire nationale ;
Considérant que cette condition d’habilitation, dans les termes qui lui sont donnes par l’article 3 de la loi du 8 janvier 1993 n’affecte donc en rien la soumission à la concurrence des activités funéraires, renforcée par le fait que cette habilitation est délivrée pour tout le territoire ;
Considérant que si des non commerçants peuvent exercer cette activité, que ce soit les communes directement ou par leur délégataire ou par des associations dont par hypothèse les buts ne seraient pas lucratifs, elle peut tout aussi bien être par des entreprises dont l’objectif serait le profit ;
Considérant que le délégataire de la commune bénéficie sans doute d’un avantage par rapport aux autres sociétés présentes dans le secteur, mais que cet avantage est la contrepartie de son engagement financier et n’abolit pas la concurrence protégée, en cas d’abus, par le Conseil de la concurrence, comme en témoigne sa décision du 27 juillet 2004 qui inflige une amende de 76 224 € à la société PFG (aux droits de laquelle se trouve aujourd’hui la société OGF) du fait de son activité dans le département du Val de Marne, notamment pour sanctionner des pratiques dans la gestion des chambres funéraires de nature à créer la confusion dans l’esprit des familles entre l’activité de la chambre funéraire municipale concédée et celle d’organisateur de funérailles, jugées contraires aux dispositions de l’article L. 420-2 du code de commerce ;
Considérant que l’exercice d’une activité destinée a rapporter un bénéfice dans un secteur concurrentiel caractérise une activité commerciale; qu’il convient ainsi de retenir que les entreprises qui assurent cette activité bénéficient d’une clientèle propre des lors que la réalité de leur activité est avérée; qu’il y a lieu en conséquence de réformer la décision déférée et de reconnaitre à la SA OGF le bénéfice du statut des baux commerciaux ouvrant droit en l’espèce a une indemnité d’éviction compte tenu de ce que le congé n'est irrégulier qu’en ce qu’il dénie ce droit;
Considérant que la cour ne dispose pas des éléments suffisants pour fixer le montant de cette indemnité ; qu’il convient d’ordonner une expertise pour réunir tous les éléments de nature à en permettre la détermination ;
Considérant qu’il convient également d’infirmer la décision déférée en ce qu’elle prononce l’expulsion du locataire, celui-ci ayant droit au maintien dans les lieux jusqu’à perception de cette indemnité conformément aux dispositions de l’article L. 145-28 du code de commerce ; qu’il y a lieu en revanche de le confirmer en ce qu’il fixe l’indemnité d’occupation ;
Sur les frais irrépétibles :
Considérant que l’équité ne commande pas de faire application des dispositions de l’article 700 du nouveau code de procédure civile ;
PAR CES MOTIFS
La cour,
Rejette des débats les pièces produites par la SA OGF le 19 octobre 2005, cotées 39,40 et 41 ;
Confirme le jugement déféré sauf en ce qu’il dit que la société OGF ne bénéficie pas d’une indemnité d’éviction et ordonne son expulsion ;
Le reformant sur ce point et y ajoutant,
Dit que la société OGF doit percevoir une indemnité du fait de son éviction ;
Ordonne une expertise confiée à :
M. Jean Michel Tangy 10, rue Gabriel Peri 94270 Le Bremlin Bicetre
Avec mission de :
* Se faire communiquer tous documents utiles ;
* Visiter les lieux à Gentilly, 17, place Henri Barbusse, les décrire, dresser le cas échéant la liste du personnel employé par le locataire ;
* rechercher en tenant compte de la nature de l’activité professionnelle, de la situation, de l’état des locaux, tous éléments permettant de déterminer l’indemnité d’éviction dans le cas : - d'une perte de fends : valeur marchande déterminée suivant les usages de la profession augmentée éventuellement des frais normaux de déménagement et de réinstallation, des frais et droits de mutation afférents a la cession d’un fonds d’importance identique, de la réparation du trouble commercial ;
- de la possibilité d’un transfert du fonds sans perte conséquente de clientèle sur un emplacement de qualité équivalente et en tout état de cause le cout d’un tel transfert comprenant : acquisition d’un litre locatif ayant les mêmes avantages que l’ancien frais de déménagement et de réinstallation, réparation du trouble commercial ;
Dit que la société OGF devra consigner une somme de 6000 € à valoir sur la rémunération de l’expert dans un délai de 3 semaines à compter du présent arrêt ;
Dit que celui-ci devra déposer son rapport dans les 6 mois de la signification qui lui sera faite par le greffe de cette cour du montant de la consignation ;
Dit n’y avoir lieu à application de l’article 700 du nouveau code de procédure civile ;
Condamne la SCI du Rond point aux entiers dépens de première instance ct d’appel exposes à ce jour qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l’article 699 du nouveau code de procédure civile par la SCP Baufaume & Galland.