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Décisions

Cass. soc., 24 mai 2018, n° 17-12.560

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Frouin

Avocats :

SCP Gatineau et Fattaccini, Me Haas

Paris, du 8 déc. 2016

8 décembre 2016

Sur le moyen unique :

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 8 décembre 2016), qu'au 1er janvier 2009, le groupe Legris était organisé en trois divisions industrielles, dont la division Keyria regroupant trente et une sociétés ayant pour activité la conception et l'installation d'usines et des équipements de production de matériaux de construction ; que la société Keyria, elle-même détenue par la société E... B... F... par l'intermédiaire des sociétés Legris Industries Partner 1 et E... B... F... FE, était la société holding de la division Keyria et avait pour activité l'accomplissement de prestations de services au profit de l'ensemble des sociétés de la division dans différents domaines (comptabilité, fiscalité, communication..) ; que par jugement du 28 octobre 2009, le tribunal de commerce de Paris a ouvert une procédure de sauvegarde au bénéfice de la société Keyria, puis, par jugement du 9 juin 2010 a arrêté le plan de sauvegarde de la société ; que, dans le même temps, la plupart des filiales françaises de la division Keyria ont fait l'objet de liquidations judiciaires ; que Mme X..., engagée le 6 novembre 2007 par la société Keyria et exerçant en dernier lieu les fonctions d'assistante de direction, a été licenciée pour motif économique le 1er février 2010 ; que la salariée a saisi la juridiction prud'homale afin de voir constater à titre principal que la société Legris Industries était son coemployeur et que celle-ci n'ayant pas élaboré de plan de sauvegarde de l'emploi, son licenciement était nul et à titre subsidiaire, de voir constater que le motif économique invoqué résultait d'une faute et à tout le moins d'une légèreté blâmable de son employeur et a demandé la condamnation de la société Keyria à des dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

Attendu que la société Keyria fait grief à l'arrêt de dire le licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse et de la condamner à verser à la salariée des dommages-intérêts à cet effet, alors, selon le moyen :

1°/ que le licenciement économique justifié par des difficultés économiques de l'employeur repose sur une cause réelle et sérieuse, sauf si ces difficultés économiques sont imputables à la fraude ou à la légèreté blâmable de l'employeur ; qu'en l'espèce, pour imputer à la société Keyria une légèreté blâmable ayant consisté à décider de procéder à une remontée importante de dividendes de ses filiales, la cour d'appel s'est bornée à constater que le directeur financier de cette société avait, dans un courriel, proposé aux filiales de prévoir la distribution de dividendes ; qu'en statuant par un tel motif, impropre à caractériser que les filiales avaient perdu leur autonomie de décision, et donc impropre à caractériser que la remontée de dividendes litigieuse était imputable à la SAS Keyria, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 1233-3 du code du travail ;

2°/ que le licenciement économique justifié par des difficultés économiques de l'employeur repose sur une cause réelle et sérieuse, sauf si ces difficultés économiques sont imputables à la fraude ou à la légèreté blâmable de l'employeur ; qu'un simple choix de gestion, se révèlerait-il ensuite erroné, ne suffit pas à caractériser une légèreté blâmable ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a imputé à la société Keyria une légèreté blâmable ayant consisté à décider de procéder à une remontée importante de dividendes de ses filiales, ce qui les aurait fortement fragilisées et aurait contribué par voie d'enchaînement aux difficultés économiques de la société Keyria elle-même ; qu'en statuant ainsi, sans rechercher, comme cela lui était demandé, si la distribution des dividendes n'avait pas été décidée à un moment où aucune menace ne planait encore sur la pérennité des sociétés du groupe, et dans le respect des règles légales encadrant les réserves minimales devant être conservées par chacune des sociétés du groupe, ce qui justifiait d'analyser la remontée des dividendes comme un simple choix de gestion, se serait-il ensuite révélé erroné, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 1233-3 du code du travail ;

3°/ que le licenciement économique justifié par des difficultés économiques de l'employeur repose sur une cause réelle et sérieuse, sauf si ces difficultés économiques sont imputables à la fraude ou à la légèreté blâmable de l'employeur ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a imputé à la société Keyria une légèreté blâmable ayant consisté à décider de procéder à une remontée importante de dividendes de ses filiales, ce qui les aurait fortement fragilisées et aurait contribué par voie d'enchaînement aux difficultés économiques de la société Keyria elle-même ; qu'en statuant ainsi, sans rechercher, comme cela lui était demandé, si une fois les dividendes versés à la société Keyria, ceux-ci n'avaient pas été réinvestis en totalité au sein de la division Keyria pour son exploitation, en particulier pour soutenir ses filiales en difficulté, au lieu d'être remontés à la holding du groupe Legris Industries, ce qui excluait toute utilisation des fonds défavorable à la société Keyria et à ses filiales, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 1233-3 du code du travail ;

4°/ que le licenciement économique justifié par des difficultés économiques de l'employeur repose sur une cause réelle et sérieuse, sauf si ces difficultés économiques sont imputables à la fraude ou à la légèreté blâmable de l'employeur ; que le lien de causalité entre la faute de l'employeur et les difficultés économiques fait défaut si, même sans la faute reprochée, les difficultés économiques seraient néanmoins survenues ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a imputé à la société Keyria une légèreté blâmable ayant consisté à décider de procéder à une remontée importante de dividendes de ses filiales, ce qui les aurait fortement fragilisées et aurait contribué par voie d'enchaînement aux difficultés économiques de la société Keyria elle-même ; qu'en statuant ainsi, sans rechercher si, comme cela était soutenu, même sans la distribution de dividendes litigieuse, la crise économique ayant débuté à la fin de l'année 2008 n'aurait pas de toute façon entraîné la déconfiture de ces filiales, leur carnet de commandes s'étant brusquement vidé, leur chiffre d'affaires ayant été divisé par deux en moins d'un an, et leurs pertes suite à la crise ayant été bien supérieures au montant des dividendes remontés, ce qui excluait tout lien causal entre la prétendue légèreté reprochée à la société Keyria et les difficultés économiques rencontrées, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 1233-3 du code du travail ;

Mais attendu que la cour d'appel a constaté, dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation des éléments de fait et de preuve qui lui étaient soumis par les parties, que la société Keyria avait fait procéder au cours des années 2007 et 2008 à une remontée de dividendes de la part des sociétés filiales françaises, dans des proportions manifestement anormales compte tenu des marges d'autofinancement nécessaires à ces sociétés exerçant une activité dans un domaine par nature cyclique, et alors que certaines d'entre elles étaient déjà en situation déficitaire et que d'autres avaient des besoins financiers pour se restructurer et s'adapter à de nouveaux marchés, que ces remontées importantes opérées par l'actionnaire, réduisant considérablement les fonds propres et les capacités d'autofinancement de ces sociétés filiales, a provoqué leurs difficultés financières et par voie de conséquence celles de la société Keyria dont l'activité était exclusivement orientée vers les filiales ; qu'en l'état de ces constatations, la cour d'appel a pu décider que les difficultés économiques invoquées à l'appui du licenciement résultaient d'agissements fautifs de l'employeur, allant au-delà des seules erreurs de gestion, et en a exactement déduit que le licenciement était sans cause réelle et sérieuse ; que le moyen n'est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi.