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Décisions

CA Paris, 16e ch. A, 27 septembre 2006, n° 05/13365

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Défendeur :

Krizia Spa (sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Duclaud

Conseillers :

Mme Imbaud-Content, M. Zavaro

Avocats :

SCP Regnier-Bequet, Me Nusimovici, SCP Mireille Garnier, Me Ruimy-Cahen

TGI Paris, du 31 mai 2005

31 mai 2005

LA COUR,

Sur la demande en réduction du loyer

Considérant que la SCI [...] fait valoir que les locaux situés en sous-sol, qui ont, selon le bail, une surface de 47,47 m², ramenée à 44,20 m² par Claude MORIZET-PAVEC, expert judiciaire, sont, de l'avis de cet expert et de celui de Monsieur FERRANDI, technicien amiable, inutilisables comme lieu d'entreposage de produits de mode de luxe ; que la société KRIZIA, professionnelle de la mode de luxe, pouvait parfaitement se rendre compte de l'inadaptation des locaux pour entreposer des vêtements ; que ladite SCI fait observer qu'une note de la société d'architecture ATELIER 11, chargée par le Syndic de copropriété d'examiner les fuites signalées en 1995, rappelle que le règlement départemental de la Ville de Paris conseille de ne pas réaliser le stockage dans les caves situées en dessous du niveau de la voirie ; que si cette humidité existait lors de la prise de possession des lieux, cette humidité a pu se trouver aggravée à la suite de dégâts des eaux dont la responsabilité incombe à la copropriété ; que d'ailleurs, à la suite du rapport SALVI relatif à l'origine et à l'étendue des désordres dus à l'humidité, le syndic de copropriété a fait faire des travaux sur des circuits d'eau ; qu'il n'appartient pas à la bailleresse de remédier à la situation résultant de dégâts des eaux, et de répondre des vices apparents que la locataire ne pouvait pas ne pas connaître à son entrée dans les lieux ;

Mais considérant que le bail stipule que les locaux loués sont destinés exclusivement 'à usage de bureaux pour y exercer l'activité de bureaux et d'entrepôts d'article de mode de luxe', -l'usage d'entrepôt ne visant que les locaux annexes selon la description du bail ; que les locaux litigieux sont des voûtains situés dans la partie la plus profonde du sous-sol constituant les lots 1009, 1010 et 1011 ; que ceux-ci étaient destinés à être utilisés pour stockage puisque la société d'architecture ATELIER 11, mandatée par le syndic de copropriété, constate dans sa note du 26 avril 1999 que le lot 1009 était couvert d'une moquette ; qu'il en est de même du lot 1011 ; que dans son procès-verbal de constat du 23 janvier 1998, Maître LELU, huissier de justice, a constaté lui aussi la présence de moquette dans ces deux locaux ; qu'il ressort tant du rapport SALVI que de la note de L'ATELIER 11 que le voûtain n° 1011 est une des anciennes fosses sceptiques de l'immeuble et que, compte-tenu de son emplacement, sauf à éventrer totalement la cour attenante pour réaliser une étanchéité, ce local ne pourra jamais servir de lieu de stockage ;

Que dès lors, il y a lieu de faire une réfaction de loyer pour impossibilité absolue d'utiliser ce voûtain, lot 1011 ; qu'en conséquence, ainsi que l'a calculé l'expert MORIZET-PAVEC, il y a lieu de soustraire du loyer du 3 mai 1995 au 1er octobre 2003 la somme de 6.689 ' ;

Considérant que Claude MORIZET-PAVEC n'a calculé la valeur locative des lots en cause que pour répondre à la mission que lui avait confiée le Tribunal ; qu'en revanche, elle ne dit pas que les lots 1009 et 1010 sont inutilisables ; qu'elle relate seulement le fait que la moquette au sol du lot 1010 est très dégradée et que pour le reste, la peinture des murs est en état d'usage ; que, qui plus est, la chape de ciment du lot 1010 est récente ; que les problèmes d'humidité antérieure dont elle n'ignore pas l'existence puisqu'elle expose le contenu du constat des lieux fait par Monsieur PETIT, architecte de la copropriété, sont donc résolus, antérieurement à sa visite des lieux le 17 janvier 2003 ; qu'il s'ensuit que la réfaction des loyers, fondée sur les calculs de la valeur locative faits par Claude MORIZET-PAVEC sera égale à la moitié du chiffrage proposé soit à 6.174 ' (12.348/2) pour la période comprise entre le 28 janvier 1998 et le 1er octobre 2003 ;

Considérant en conséquence que la SCI [...] sera condamnée à restituer à la société KRIZIA SPA la somme de 12.863 ' au titre des trop perçus de loyers pour les périodes précitées ;

Sur le congé sans offre d'indemnité d'éviction

Considérant que la SCI [...] rappelle que pour que les locaux accessoires que la société KRIZIA SPA lui loue soient soumis au statut des baux commerciaux, il appartient à la locataire d'établir que le local est nécessaire à son activité et au maintien de sa clientèle ; que selon cette SCI, la jurisprudence ne considère pas que la perte de locaux à usage d'entrepôts, de hangars et remise soit de nature à mettre en péril l'existence du fonds ;

Considérant que la bailleresse soutient que les différents experts ont montré que depuis 1998, la société KRIZIA SPA n'entrepose plus de cartons ; 'que compte tenu de l'humidité ambiante', la société KRIZIA n'a pas souhaité utiliser les sous-sols pour stocker les articles de luxe qu'elle vend dans sa boutique voisine située avenue Montaigne ;

Mais considérant que cette argumentation de la SCI [...] ne saurait emporter la conviction de la Cour quant à sa pertinence ; qu'elle suppose que le bail ne porte que sur les trois locaux litigieux, soit moins de 40 m², sur une surface totale de 141,10m² ;

Que la société bailleresse ne conteste pas en appel avoir connu le caractère accessoire des locaux qu'elle a loués à la société KRIZIA ; que ceux-ci ne comportaient d'ailleurs pas une boutique, ni physiquement, ni en vertu de la destination contractuelle des lieux, alors que l'objet de la société KRIZIA est la vente de vêtements de luxe ; que la destination exclusive des lieux qui est celle de 'bureaux et entrepôt d'articles de luxe' démontre le caractère complémentaire et indispensable de leur location ; qu'à cet égard, il est important de noter que dans une lettre du 6 octobre 1994 adressée à la bailleresse, la société KRIZIA écrit : 'compte-tenu de l'urgence du dossier, je vous remercie de bien vouloir prendre position dès cet après-midi, car des livraisons de marchandises en provenance d'Italie doivent être programmées dès ce soir' ; que deux jours auparavant, la société KRIZIA avait indiqué à la bailleresse : 'la société KRIZIA, qui comme vous le savez, doit inaugurer sa nouvelle boutique le 12 octobre prochain, soit dans moins de 8 jours, est à la recherche de simples locaux à usage d'entrepôts, stockage de marchandises [...] La société Krizia demeure intéressée par ces locaux aux conditions suivantes :

1° que le local qui pourrait être immédiatement mis à sa disposition à l'entresol puisse être fermé et soit suffisamment sûr pour contenir les marchandises destinées à être exposées à la boutique de l'[...] pour l'inauguration [...]

3° que la destination des lieux soit bien 'entrepôt-lieu de stockage' et accessoirement bureaux, mais non, ce qui serait une aberration, à usage exclusivement de bureaux' ;

Qu'il s'ensuit que la société MONTAIGNE FDR, bailleresse au droit de laquelle se trouve la SCI [...], connaissait au jour de la signature du bail le caractère accessoire indispensable des lieux loués à l'exercice de l'activité principale de la société KRIZIA exercée au 48 avenue Montaigne ;

Que dès lors, cette dernière est fondée à se prévaloir des dispositions de l'article L 145-14 du Code de commerce, ce qui lui ouvre droit à percevoir une indemnité d'éviction ;

Que le jugement déféré sera confirmé sur ce point et en ce qu'il a confié une mission d'expertise à Monsieur Michel MARX ;

* * *

Considérant que l'équité commande de condamner la SCI [...], qui voit rejeter l'essentiel de ses prétentions, à verser à la société KRIZIA SPA la somme de 1.500 ' au titre des dispositions de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ;

Considérant que la SCI [...], qui succombe en l'essentiel de ses prétentions, ne saurait se voir allouer une indemnité sur le fondement de ce même texte ;

PAR CES MOTIFS,

- Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions, l'émendant seulement en ce qu'il a condamné la SCI [...] à payer à la société KRIZIA la somme de 19.155 ' au titre d'un trop perçu de loyers pour la période du 3 mai 1995 au 15 octobre 2003, et statuant à nouveau, dit que le montant de cette condamnation est de 12.863 ',

- Dit que l'affaire reviendra en ouverture du rapport d'expertise devant le Tribunal de Grande Instance de Paris,

Y ajoutant,

- Condamne la SCI [...] à verser à la société KRIZIA SPA la somme de 1.500 ' au titre des dispositions de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile,

- Déboute la SCI [...] de sa demande fondée sur ce texte,

- Condamne la SCI [...] au 4/5ème des dépens d'appel et la société KRIZIA SPA au 1/5ème ; autorise les avoués des parties à les recouvrer dans cette proportion conformément aux dispositions de l'article 699 du Nouveau Code de Procédure Civile.