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Décisions

Cass. com., 6 mars 2019, n° 17-26.450

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Rémery

Avocats :

SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret, SCP Didier et Pinet

Versailles, du 6 juil. 2017

6 juillet 2017

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que M. A... a été embauché par la société APM Vouziers le 11 juin 2007 ; que la société APM Vouziers a été mise en liquidation judiciaire le 27 septembre 2007, le tribunal autorisant la poursuite de l'activité, désignant M. P... liquidateur et Mme Q... administrateur ; qu'un jugement du 22 novembre 2007 a arrêté le plan de cession de la société APM Vouziers et autorisé le licenciement des cinquante-huit salariés non repris, parmi lesquels M. A... ; que le 6 décembre 2007, Mme Q..., ès qualités, a notifié son licenciement pour motif économique à M. A... ; que ce dernier a contesté le licenciement devant le conseil de prud'hommes ; qu'un arrêt de la cour d'appel de Reims du 28 mars 2012 a confirmé le jugement du conseil de prud'hommes ayant déclaré le licenciement sans cause réelle et sérieuse, pour non-respect des obligations légale et conventionnelle de reclassement, a fixé la créance de dommages-intérêts de M. A... au passif de la société APM Vouziers à la somme de 95 000 euros et a dit que l'AGS devra garantir le paiement de cette somme dans la limite des textes légaux et plafonds réglementaires ; que le 7 novembre 2013, M. A... a assigné Mme Q... en responsabilité personnelle pour avoir manqué à ses obligations de reclassement et a demandé le paiement, à titre de dommages-intérêts, de la somme représentant la différence entre la condamnation prononcée à son profit par la cour d'appel de Reims et la somme perçue de l'AGS ;

Sur le moyen unique, pris en sa première branche :

Attendu que Mme Q... fait grief à l'arrêt de la condamner à payer à M. A... la somme de 86 389,62 euros alors, selon le moyen, que l'administrateur judiciaire n'est tenu que d'une obligation de moyens et doit respecter les règles qu'impose l'ouverture d'une procédure collective ; qu'en affirmant que l'administrateur judiciaire est tenu des mêmes obligations légales et conventionnelles que tout employeur sans qu'il puisse opposer les contraintes légales attachées aux procédures collectives, et en s'abstenant, en conséquence, de rechercher si, compte tenu des circonstances de l'espèce, des délais et moyens dont disposait Mme Q... et des exigences de la procédure collective, le non-respect de l'obligation de reclassement n'était pas fautif, quand il appartient à l'administrateur judiciaire de respecter les délais impartis pour procéder aux licenciements pour faire bénéficier le salarié de la garantie de l'AGS, la cour d'appel a violé l'article 1382, nouveau 1240, du code civil ;

Mais attendu que l'administrateur, tenu des mêmes obligations légales et conventionnelles que l'employeur, ne peut, pour s'exonérer de ses obligations de reclassement, invoquer les délais réduits imposés par l'application combinée des articles L. 641-4 du code de commerce et L. 3253-8 du code du travail pour notifier les licenciements ; que l'arrêt, qui relève, par motifs adoptés, l'envoi d'une lettre-type à certaines sociétés du groupe mentionnant le licenciement de cinquante-huit salariés, sans précision des caractéristiques des postes occupés, la recherche limitée de reclassements externes, omettant des entreprises importantes de la région et l'absence de mise en oeuvre de la procédure conventionnelle de reclassement, retient, par motifs propres et adoptés, que les diligences partielles de l'administrateur n'ont pas été personnalisées, ni sérieusement menées, et en déduit que Mme Q... a manqué à l'obligation de reclassement lui incombant ; que le moyen n'est pas fondé ;

Mais sur le moyen, pris en sa deuxième branche : Vu l'article 1355 du code civil ;

Attendu que pour condamner Mme Q... à payer à M. A... la somme de 86 389,62 euros avec intérêts au taux légal, l'arrêt retient que le défaut de respect des obligations légale et conventionnelle de reclassement par Mme Q... a causé un préjudice à M. A..., que la cour d'appel de Reims a fixé les dommages-intérêts réparant ce préjudice à la somme de 95 000 euros et que M. A... a droit à la réparation intégrale de son préjudice, de sorte que c'est à juste titre qu'il sollicite le paiement de la somme représentant la différence entre les dommages-intérêts alloués et la part de ces dommages-intérêts prise en charge par l'AGS ;

Qu'en statuant ainsi, alors que l'autorité de la chose jugée attachée à l'arrêt de la cour d'appel de Reims était inopposable à Mme Q... qui n'y était pas partie, la cour d'appel, à laquelle il incombait d'évaluer concrètement le préjudice résultant pour M. A... des manquements de Mme Q... à son obligation de reclassement en le mesurant à la chance qu'aurait eue le salarié concerné de retrouver un emploi si cette obligation avait été correctement remplie, a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 6 juillet 2017, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Versailles, autrement composée.