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Décisions

Cass. soc., 12 mars 2008, n° 06-45.147

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Bailly

Avocat général :

M. Aldigé

Avocats :

SCP Lesourd, SCP Lyon-Caen, Fabiani et Thiriez

Lyon, du 17 août 2006

17 août 2006

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Lyon, 17 août 2006), que la société L'avenir a conclu le 25 juillet 1977 avec le comité d'entreprise un accord qui prévoyait le paiement au personnel d'une gratification annuelle ; qu'à la suite de l'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire, un plan de cession a été arrêté le 26 juin 2002 au profit de la société Fougerolle France, à laquelle s'est substituée la société Entreprise nouvelle L'Avenir, aux droits de laquelle vient la société Eiffage construction Rhône-Alpes (Eiffage), à la suite d'opérations de fusion ; que M. X..., qui avait été engagé en 1973 par la société L'avenir et dont le contrat de travail avait été transféré à la société Entreprise nouvelle l'avenir, en exécution du plan de cession, a saisi le juge prud'homal d'une demande en paiement de la gratification mise en place en 1977, au titre des années 1998, 1999 et 2000 ;

Sur les deux premiers moyens réunis :

Attendu qu'il n'y a pas lieu de statuer sur ces moyens, qui ne seraient pas de nature à permettre l'admission du pourvoi ;

Sur le troisième moyen :

Attendu que la société Eiffage fait grief à l'arrêt de l'avoir condamnée au paiement de la prime de fin d'année alors, selon le moyen :

1°/ que toute loi est d'ordre public ; qu'est notamment d'ordre public économique d'intérêt général la loi du 25 janvier 1985 relative au redressement et à la liquidation judiciaire des entreprises ; qu'il s'ensuit que les dispositions de l'article 62 de cette loi, qui prévoit, en son alinéa 3, que les personnes qui exécuteront le plan, même à titre d'associé, «ne peuvent se voir imposer des charges autres que les engagements qu'elles ont souscrits au cours de sa préparation sous réserve des dispositions prévues aux articles 22, 72, 86, 89 et 93» sont également d'ordre public d'intérêt général dans la mesure où elles ont pour objet de sauvegarder les entreprises et donc l'emploi ; qu'aucun de ces textes ne mentionne comme exception à l'application de l'article 62, alinéa 3, les dispositions de l'article L. 122-12 du code du travail qui porte qu'au cas de modification dans la situation juridique de l'employeur tous les contrats de travail en cours au jour de la modification subsistent entre le nouvel employeur et le personnel de l'entreprise ; qu'il s'ensuit que, lorsque le plan accepté par l'entreprise repreneur a exclu les avantages acquis par les salariés du chef de l'ancien employeur, le nouvel employeur ne peut, en aucun cas, se voir imposer d'accorder aux salariés avec lesquels le contrat de travail s'est poursuivi les avantages accordés par l'ancien ; qu'en décidant le contraire, la cour d'appel a violé l'article 62, alinéa 3, de la loi du 25 janvier 1985 devenu l'article L. 621-63, alinéa 3, du code de commerce ;

2°/ que le principe posé par l'article L. 122-12, alinéa 2, du code du travail prévoyant, au cas de modification de la situation juridique de l'employeur, la subsistance de tous les contrats de travail entre le nouvel employeur et le personnel de l'entreprise a été expressément écarté par les dispositions de l'article L. 122-12-1 du code du travail, lui aussi d'ordre public, qui porte que, lorsque la modification visée par l'article L. 122-12, alinéa 2, du code du travail intervient dans le cadre d'une procédure de règlement judiciaire ou de liquidation des biens, le nouvel employeur n'est pas tenu, à l'égard des salariés dont les contrats de travail subsistent, des obligations qui incombaient à l'ancien employeur à la date de cette modification ; que cette exclusion a un caractère d'ordre public au même titre que les dispositions de l'article L. 122-12 du code du travail ; qu'en l'espèce, il s'ensuit qu'à partir de l'adoption du plan de cession par le jugement du tribunal de commerce de Lyon du 26 juin 1992, l'entreprise repreneur, nouvel employeur, dans le cadre d'un règlement judiciaire ne pouvait pas voir mettre à sa charge les avantages accordés unilatéralement par l'ancien employeur dont la cour d'appel elle-même a constaté qu'il était dépourvu de toute valeur en tant qu'accord collectif ; qu'en statuant comme elle l'a fait, la cour d'appel a violé par refus d'application l'article L. 122-12-2 du code du travail et par fausse application l'article L. 122-12 du même code ;

3°/ que l'ordre public économique d'intérêt général prime l'ordre public social d'intérêt privé, lequel s'efface devant le premier ; que, lorsqu'une entreprise est en règlement judiciaire et qu'un plan de cession est adopté ayant pour objet de sauvegarder les emplois ou le maximum d'emplois du personnel de l'entreprise en difficultés, cet objet d'intérêt général doit donc primer l'intérêt particulier des travailleurs de l'entreprise dont le contrat de travail se poursuit avec le nouvel employeur ; qu'il s'ensuit que la décision judiciaire qui adopte le plan de cession rend caducs tous les engagements unilatéraux pris par l'ancien employeur qui n'ont pas été expressément repris et a fortiori ceux qui ont été expressément écartés ; qu'en statuant comme elle l'a fait, sans tenir aucun compte des dispositions de l'article L. 122-12-2 du code du travail non plus que du jugement du tribunal de commerce de Lyon du 26 juin 1992 ayant arrêté le plan, la cour d'appel a violé ce texte, ainsi que l'article 1315 du code civil sur l'autorité de la chose jugée ;

4°/ qu'aucun texte n'impose à l'employeur de dénoncer un avantage exceptionnel accordé à titre unilatéral et soumis à des conditions auprès des représentants du personnel et de chacun des salariés en bénéficiant ; qu'en statuant comme elle l'a fait, la cour d'appel a violé par fausse application les articles L. 122-12 et L. 122-12-2 du code du travail ;

5°/ qu'à supposer que la dénonciation d'un avantage exceptionnel accordé unilatéralement par l'employeur doive être faite auprès des représentants du personnel et de chacun des salariés bénéficiaires de cet avantage, cette charge, au cas de procédure collective de redressement ou de liquidation judiciaire, ne peut incomber qu'au représentant des créanciers ou à l'administrateur judiciaire ; qu'en aucun cas, cette obligation ne peut peser sur le nouvel employeur qui, reprenant l'entreprise dans le cadre d'un plan de cession, a expressément refusé de reprendre les avantages accordés unilatéralement par l'ancien employeur dans le cadre du plan de cession adopté par un jugement ; qu'en ne tenant aucun compte de la faute commise par les organes de la procédure collective et en affirmant que la charge de la dénonciation reposait sur le premier repreneur qui avait refusé, dans le cadre du plan de cession, de reprendre les avantages acquis par les salariés de l'entreprise en redressement judiciaire, la cour d'appel a porté atteinte au principe du procès équitable et a violé l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Mais attendu, d'abord, que l'engagement unilatéral pris par un employeur est transmis, en cas de transfert d'une entité économique autonome, au nouvel employeur qui ne peut y mettre fin qu'à condition de prévenir individuellement les salariés et les institutions représentatives du personnel dans un délai permettant d'éventuelles négociations ;

Attendu, ensuite, que la transmission de l'engagement unilatéral au cessionnaire, en application de l'article L. 122-12, alinéa 2, du code du travail, s'opère lorsque la cession se réalise dans la cadre de la procédure de redressement judiciaire ouverte à l'égard du cédant, sans que les conditions prévues dans l'offre du repreneur retenue par le tribunal de commerce puissent y faire obstacle ;

Attendu, enfin, que la cour d'appel, qui a constaté que l'engagement pris le 24 juillet 1977 en faveur des salariés de la société L'Avenir n'avait été dénoncé ni par celle-ci, ni par le cessionnaire, en a exactement déduit, sans violer l'article L. 122-12-1 du code du travail et sans méconnaître les exigences d'un procès équitable, que le nouvel employeur était tenu d'exécuter cet engagement au bénéfice de M. X..., passé à son service en exécution du plan de cession arrêté par le tribunal de commerce ;

Que le moyen n'est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi.