CA Montpellier, 4e ch. civ., 2 juin 2021, n° 18/05218
MONTPELLIER
Arrêt
PARTIES
Défendeur :
Nurilia (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Soubeyran
Conseiller :
M. Denjean
Avocats :
Me Ballet, Me Ferrer, Me Eckes
X a conclu le 28 juin 2014 un contrat d'apporteur d'affaires dénommé « contrat de prestation » avec la SARL Nurilia, qui fabrique et commercialise des produits alimentaires diététiques naturels auprès du grand public.
Aux termes du contrat, il s'engageait à visiter les médecins exerçant dans son secteur d'activité, et à présenter les produits aux pharmacies installées dans ce même secteur, ces dernières passant commandes à des grossistes ou directement à la SARL Nurilia.
La SARL Nurilia s'engageait pour sa part à approvisionner les grossistes afin que les pharmacies puissent être livrées en produits et à rémunérer X pour l'ensemble des commandes réalisées par les pharmacies et grossistes de son secteur ou via Internet.
Le Docteur COHEN, principal associé de la SARL Nurilia, lui aurait demandé de mettre en place la distribution des produits aux États-Unis, au Canada et en Asie, sans pour autant régulariser le contrat correspondant.
X s'est plaint de ne pas avoir obtenu le matériel nécessaire (traduction en français des études cliniques, fiches posologiques etc.), tandis que les pharmacies connaissaient des difficultés d'approvisionnement, que les sous-agents recrutés par ses soins démissionnaient faute d'avoir reçu la formation promise et que Nurilia tentait de restreindre l'étendue de son secteur, de sorte que son activité n'a pu se développer.
Par courrier du 28 mai 2016, il lui était proposé de modifier le contrat et de lui allouer une commission de 2 % sur le chiffre d'affaires réalisé par les commerciaux recrutés par ses soins ainsi qu'une commission pour le développement de la distribution au Canada et au Vietnam, soit de rompre le contrat purement et simplement, sans indemnité.
Il refusait les nouvelles modalités contractuelles et se voyait notifier la rupture du contrat au terme d'un préavis de deux mois à compter du 4 juin 2016, les commerciaux recrutés par ses soins se voyant proposer des contrats directement par la SARL Nurilia avant même la fin de son contrat.
Dans ces conditions, X faisait assigner, par acte d'huissier du 5 août 2016, la SARL Nurilia devant le tribunal de grande instance de Montpellier aux fins de constater que le contrat conclu en 2014 est un contrat d'agence commerciale, de condamner la SARL Nurilia au paiement de la somme de 52 104,99 euros TTC au titre du gain manqué lié aux défauts d'exécution du contrat par cette société et de la condamner à lui payer la somme de 257 618,07 euros TTC à titre d'indemnité de rupture du contrat au titre de l'article L. 134-12 du code de commerce.
Par jugement du 4 octobre 2018, le tribunal de grande instance de Montpellier a :
- Jugé que X avait qualité à agir en sa qualité de seul cocontractant de la SARL Nurilia,
- Débouté X de sa demande de requalification du contrat de prestation de services en contrat d'agence commerciale,
- Jugé qu'il n'y avait pas lieu en conséquence à l'indemniser sur le fondement de l'article L. 134-12 du code de commerce,
- Débouté X de l'intégralité de ses autres demandes,
- Jugé qu'il n'y avait pas lieu à exécution provisoire,
- Condamné X à payer la somme de 2 000 euros au titre des frais irrépétibles, outre les dépens à l'exception de ceux afférents à l'incident relatif à la compétence territoriale.
Pour exclure la requalification du contrat de prestation en contrat d'agent commercial, le tribunal retenait que le contrat d'agence commercial était une forme de mandat, ce qui impliquait que le mandataire puisse souscrire des actes juridiques au nom et pour le compte de son mandant. Or, le tribunal relevait qu'à aucun moment, les actes de commerce, c'est à dire la vente des produits, puissent être conclus par M. X, celui-ci ayant pour seule mission de rendre possible les ventes.
En conséquence, le tribunal jugeait que la demande indemnitaire sur le fondement de l'article 134-12 du code de commerce était sans objet, la qualification de contrat d'agence commercial n'ayant pas été retenue.
Pour rejeter la demande sur le fondement de la responsabilité contractuelle, le tribunal retenait en outre que la SARL Nurilia n'avait manqué à aucune obligation d'information et de formation en cours de contrat, que X ne justifiait pas d'un préjudice personnel et qu'il ne prouvait pas que des pharmaciens avaient renoncé à conclure en raison des fautes contractuelle imputées à la société.
Par déclaration du 18 octobre 2018, X a relevé appel de cette décision.
PRÉTENTIONS DES PARTIES
Dans ses dernières conclusions notifiées le 9 décembre 2019, X demande d'infirmer le jugement sauf en ce qu'il l'a déclaré recevable en son action, de juger que le contrat est un contrat d'agence commerciale, de condamner la société Nurilia au paiement de la somme de 52 104,99 euros TTC au titre du gain manqué lié aux défauts d'exécution du contrat par la société Nurilia, de condamner la société Nurilia au paiement de la somme de 257 618,07 euros TTC au titre du préjudice subi lié à la rupture du contrat d'agence commerciale et de condamner la société à la somme de 7 500 euros au titre des frais irrépétibles, outre les entiers dépens.
Dans ses dernières conclusions notifiées le 15 janvier 2019, la société Nurilia demande de juger que la SASU Gynesia Santé s'est substituée à X dans ses droits et obligations issus du contrat et en conséquence, de juger irrecevable l'appelant en son action.
A titre subsidiaire, dans l'hypothèse où l'action de X serait jugée recevable, la société Nurilia demande de confirmer l'ensemble du jugement et de rejeter les prétentions adverses.
En tout état de cause, la société sollicite la condamnation de X au paiement de la somme de 3 000 euros au titre des frais irrépétibles outre les entiers dépens d'instance et d'appel.
MOYENS DES PARTIES
Pour X
Il s'oppose d'abord à la fin de non-recevoir tirée du défaut de droit à agir de l'adversaire. Il affirme que le préjudice lié à la rupture du contrat d'agence commerciale ne saurait être subi par sa société, la SASU Gynesia Santé, mais exclusivement par lui-même. En outre, le fait que certaines commissions aient été perçues par la SASU Gynesia Santé ne remet pas en cause sa qualité de contractant car la société ne les percevait qu'en qualité de mandataire.
L'appelant soutient que le contrat conclu en 2014 doit être requalifié en contrat d'agence commerciale. Il explique que son activité répondait aux conditions fixées par l'article L. 134-1 du code du commerce :
- Il était mandataire indépendant de Nurilia tel qu'il ressort des termes du contrat (article 1, 2° et article 12)
- Il avait pour principal mission de négocier et éventuellement de vendre les produits Nurilia. Selon lui, le contrat d'agence commerciale suppose un mandat de négocier mais ce contrat n'implique pas nécessairement que le mandataire puisse souscrire des actes juridiques. Son activité et celle de ses sous-agents consistant à négocier auprès des pharmacies pour les convaincre de s'approvisionner en produits auprès d'un grossiste particulier. Pour cela, il avait à sa disposition des techniques commerciales comme la possibilité d'offrir aux pharmacies des unités gratuites. Contrairement aux termes du jugement critiqué, la mission ne consistait donc pas en une simple présentation des produits mais à une véritable négociation. Par ailleurs, il avait également pour mission de prendre des commandes en remplissant des bons de commande au nom et pour le compte de Nurilia en appliquant éventuellement les remises négociées. Le mandat de représentation de la société Nurilia consistait donc à négocier et à vendre les produits. D'ailleurs, la société Nurilia ne pouvait refuser les bons de commandes négociés par ses « agents » sauf circonstances exceptionnelles.
- Il exerçait la qualité de mandataire permanent de la société Nurilia en ce que le pouvoir de négociation conditionnait l'existence de leurs commissions.
- Il percevait une commission (article 6 du contrat) variable selon le chiffre d'affaires réalisé par le prestataire.
Après avoir soutenu la requalification du contrat, il entend engager la responsabilité contractuelle du mandant sur le fondement de l'article L. 134-4 du code de commerce (obligation de loyauté du mandant et possibilité pour l'agent commercial d'exercer son mandat) et de l'article 1147 ancien du code civil.
Il soutient que la société mandante a commis plusieurs fautes dans le cadre de sa mission d'agent commercial en France en n'adressant pas dans les temps les bons de commandes, en ne transmettant pas aux agents les traductions françaises des études cliniques, des fiches posologiques, en ne faisant pas les démarches auprès des grossistes pour s'assurer de la disponibilité des produits, en respectant pas ses obligations en matière de formation des agents, en ne respectant pas l'exclusivité accordée à son mandataire et en tentant d'embaucher des agents commerciaux sous contrat avec lui en contravention avec l'article 8 du contrat. Ces fautes ont eu pour effet d'empêcher les commerciaux d'effectuer correctement leur travail et ont déstructuré le réseau commercial mis en place.
Il soutient aussi que la société mandante a commis diverses fautes dans le cadre de sa mission à l'étranger. Il affirme que la société Nurilia ne lui a pas donné les moyens de mener à terme sa mission dès lors que le Docteur COHEN (fondateur de la société Nurilia) n'a pas conclu les contrats qu'il avait promis aux intervenants à l'export.
Après avoir engagé la responsabilité contractuelle de la société Nurilia, il entend réclamer une indemnité de rupture du mandat sur le fondement de l'article L. 134-12 du code de commerce. Il affirme devoir percevoir une réparation sur la base du chiffre d'affaires qu'il était légitimement en droit d'attendre de la poursuite des relations contractuelles. Il réclame à cet égard une indemnité calculée sur la base de trois années de commissions, soit :
- 3 x 64 064 euros pour la distribution sur le territoire françaises
- 3 x 15 000 euros pour la distribution en Asie
- 3 x 6 808,69 euros pour la distribution en Amérique du Nord
- Soit un total de 257 618,07 euros.
Pour la société Nurilia
Elle soutient l'irrecevabilité de l'action en raison du défaut du droit d'agir. Elle affirme que seule la SASU Gynesia Santé a le droit d'agir puisque les prestations ont été facturées par cette société et que tous les courriers présentaient l'entête de Gynesia Santé.
Au fond, la société intimée explique que le contrat litigieux n'est pas un contrat d'agence commerciale aux motifs que l'activité consistait à des prestations de visiteurs médicaux, que le contrat indique clairement qu'il ne s'agit pas de vente mais de présentation de produits, qu'il résulte de l'article 2 du contrat que le prestataire n'a aucune liberté de négociation et que X ne rapporte pas la preuve qu'il percevait effectivement des commissions.
S'agissant des demandes indemnitaires, la société soutient que les dispositions de l'article L. 134-12 sont inapplicables faute de requalification du contrat, que l'article 12 du contrat prévoit qu'aucune indemnité ne peut être exigée au titre de la fin du contrat, qu'en tout état de cause, les montants réclamés au titre de l'indemnité de rupture sont excessifs, qu'en outre, sa responsabilité contractuelle n'est pas engagée au titre de l'exécution du contrat, que l'adversaire ne verse aucun élément permettant de justifier que la formation ait été retardée, qu'il incombait à la seule SASU Gynesia Santé de réaliser la documentation nécessaire, qu'elle n'était pas tenue de transmettre des bons de commande, que l'exclusivité de la SASU Gynesia Santé ne s'étendait pas sur tout le territoire et qu'enfin aucun débauchage d'agents commerciaux n'est démontré.
MOTIFS
Sur la fin de non-recevoir tirée du défaut du droit d'agir
NURILIA maintient en cause d'appel cette fin de non-recevoir en soutenant que X, les préjudices qu'il invoque n'ayant pas été subis par lui mais par la société GYNESIA SANTE à travers laquelle il décidait d'exercer son activité.
Les premiers juges ont justement écarté cette fin de non-recevoir en retenant pour l'essentiel que :
Selon les termes du contrat du 29/08/2014, si le contrat mentionne que « le prestataire déclare être inscrit en qualité de gérant d'une SAS GYNESIA SANTE en cours d'immatriculation au jour de la signature du contrat », il n'en demeure pas moins d'une part que le prestataire est expressément désigné sous l'identité de X, d'autre part que l'article 10 « cession et transmission du contrat » précise que le contrat est conclu « intuitu personae » et ne stipule aucune possibilité de substitution de la SAS GYNESIA SANTE à X, aucune démarche postérieure émanant de l'un ou l'autre des contractants n'étant caractérisée en ce sens ;
Les divers courriels adressés à ou par X le sont depuis son adresse personnelle, à l'exception des plus récents émis depuis une adresse @gynesiasante alors que les parties étaient alors en pourparlers en vue de contracter un nouveau mode de relations, un contrat d'agent commercial étant proposé en janvier 2016, et que la plupart de ces courriels sont pré-contentieux ;
Il convient simplement d'ajouter que les mentions du grand livre fournisseur portant mention de la société GYNESIA sont des écritures comptables internes qui ne font pas foi au profit de la société NURILIA et que la seule facture produite par l'intimée intéresse les prestations d'août 2016 alors que le contrat était d'ores et déjà rompu.
Le jugement sera confirmé en ce qu'il a déclaré recevable l'action de X.
Sur la qualification du contrat
X soutient que les relations contractuelles s'inscrivent dans le cadre d'un contrat d'agent commercial.
Selon l'article L. 134-1 alinéa 1er du code de commerce « L'agent commercial est un mandataire qui, à titre de profession indépendante, sans être lié par un contrat de louage de services, est chargé, de façon permanente, de négocier et, éventuellement, de conclure des contrats de vente, d'achat, de location ou de prestation de services, au nom et pour le compte de producteurs, d'industriels, de commerçants ou d'autres agents commerciaux. Il peut être une personne physique ou une personne morale. »
Il est de jurisprudence constante que la qualification d'agent commercial ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties dans le contrat, ni de la dénomination qu'elles ont donnée à leurs conventions, mais des conditions dans lesquelles l'activité est effectivement exercée,
Il appartient alors à X qui prétend à la qualification d'agent commercial de démontrer les conditions d'exercice de l'activité pratiquée.
C'est tout particulièrement s'agissant de la charge de négocier des contrats qu'il est défaillant dans la preuve qui lui incombe : s'il produit plusieurs attestations de sous-agents commerciaux qui évoquent toutes sur un mode monocorde qu'ils étaient chargés de présenter les produits NURILIA et de négocier les commandes auprès des pharmacies et leur faire signer des bons de commande que les pharmacies adressaient à NURILIA, elles ne détaillent en rien la nature de la négociation entreprise, restant dans le libellé général du terme « négocier » et de la « prise de commande » que tous les rédacteurs savent prédominants pour la qualification d'agent commercial recherchée et dont ils cherchent tous à atténuer la carence probatoire en soulignant qu'ils ne conservaient pas de double de la commande passée par les pharmacies.
Or négocier et prendre commande emporte une autonomie certaine sur les quantités et les prix notamment ou comme le souligne X de disposer de la faculté d'adapter l'offre pour emporter la conviction.
A aucun moment X n'apporte une preuve contraire aux énonciations du contrat, particulièrement claires et explicites énoncées à l'article 2, selon lesquelles « le prestataire devra respecter les conditions générales de ventes et les présenter aux pharmaciens, ce dernier devant commander directement à la SARL NURILIA, le prestataire proposera les offres habituellement pratiquées par la profession à savoir, une ristourne en nature, soit UNE unité gratuite pour 10 boîtes achetées, outre le coût du port restant à la charge de NURILIA. Le prestataire devra s'en tenir aux tarifs et quantités pratiqués. Il n'effectuera aucune livraison, ne prendra aucune commande, il présentera le prix des produits tels qu'ils seront définis sans jamais ne pouvoir accorder plus d'avantage, de rabais ou de ristourne de ce qui est fixé ci-dessus. »
Ainsi, il n'est pas établi que les conditions réelles d'exercice de l'activité lui ait permis de négocier, ni même de passer commande puisque lui-même ou ses sous agents ne faisaient qu'inciter aux commandes des produits NURILIA en les présentant aux pharmacies, lesquelles les adressaient directement au fabricant ou au grossiste référencé et sans qu'il soit démontré ni même allégué qu'elles les concrétisaient immédiatement en présence du prestataire.
Pour ces motifs et ceux non contraires des premiers juges que la cour adopte pour le surplus, le jugement sera confirmé en ce qu'il a débouté X de sa demande de requalification du contrat de prestataire en contrat d'agent commercial et a jugé en conséquence qu'il n'y avoir pas lieu à l'indemniser sur le fondement de l'article L. 134-12 du code de commerce.
Sur la demande d'indemnisation
Les premiers juges aux termes d'une motivation pertinente que la cour entend faire sienne pour son intégralité ont rejeté la demande d'indemnisation fondée sur le droit commun de la responsabilité contractuelle (article 1147 ancien du code civil applicable en la cause) en répondant point par point aux allégations de X, s'agissant tant de l'absence de caractérisation de fautes contractuelles que de préjudices en résultant,
Le jugement sera confirmé en ce qu'il a rejeté la demande indemnitaire présentée au titre du gain manqué lié aux défauts d'exécution du contrat.
Partie perdante au sens de l'article 696 du code de procédure civile, X supportera les dépens d'appel.
PAR CES MOTIFS
Statuant contradictoirement, par mise à disposition au greffe
Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions
Y ajoutant,
Condamne X à payer à la SARL NURILIA la somme de 3 000 en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Condamne X aux dépens d'appel.