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Décisions

CA Paris, 16e ch. A, 19 novembre 2008, n° 07/18623

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Gibert Jeune Groupe (SA)

Défendeur :

Foncière et Financière Levitan (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Gaboriau

Conseillers :

Mme Imbaud-Content, M. Peyron

Avocats :

SCP Monin-d'Auriac de Brons, Me Iscovici, SCP Narrat-Peytavi, Me Tizon

TGI Paris, du 10 mai 2007

10 mai 2007

ARRÊT :

- contradictoire,

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de Procédure Civile.

- signé par Madame GABORIAU, Présidente, et par Madame BASTIN, greffier, à laquelle la minute du présent arrêt a été remise par le magistrat signataire.

*************

 

EXPOSÉ DE LA PROCÉDURE ET DES PRÉTENTIONS DES PARTIES

La Cour statue sur l'appel interjeté par la société GIBERT JEUNE GROUPE du jugement rendu le 10 mai 2007 par le Tribunal de grande instance de Paris qui a :

•         Débouté la Sa GIBERT JEUNE GROUPE de ses exceptions de nullité concernant les actes extra-judiciaires de dénégation du droit au statut signifiées par la Sa FONCIERE ET FINANClERE LEVITAN le 20 Septembre 2005,

•         Constaté l'absence d'immatriculation de la S.A. GIBERT JEUNE GROUPE pour les locaux situés à [...] au 5ème étage et au 4ème étage droite et donnant sur le boulevard et sur cour, alors que ces locaux ne forment pas d'unité économique et qu'ils ne constituent pas des locaux accessoires indispensables à cette exploitation,

•         Dénié en conséquence à la S.A. GIBERT JEUNE GROUPE tout droit au renouvellement sur ces locaux,

•         Dit que la S.A. GIBERT JEUNE GROUPE est en conséquence occupant sans droit ni titre de ces lieux depuis le 20 Septembre 2005,

•         A défaut de restitution volontaire de ces lieux dans les deux mois de la signification du jugement, ordonné l'expulsion de la S.A. GIBERT JEUNE GROUPE et celle de tous occupants de son chef,

•         Condamné la S.A. GIBERT JEUNE GROUPE à payer à la S.A. FONCIERE ET FINANCIERE LEVITAN, à compter du 20 Septembre 2005, une indemnité d'occupation quotidienne, hors taxes et hors charges, de 78 € pour le bail du 5ème étage, 21€ pour le local du 4ème droite et 42 € pour le bail concernant le local donnant sur le boulevard et la rue au 4ème étage,

•         Débouté la S.A. GIBERT JEUNE GROUPE de sa demande de dommages et intérêts,

•         Dit n'y avoir lieu à faire application des dispositions de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile,

•         Dit n'y avoir lieu à ordonner l'exécution provisoire,

•         Condamne la S.A. GIBERT JEUNE GROUPE aux entiers dépens.

* * * *

Dans ses dernières conclusions du 29 août 2008, La Sa GIBERT JEUNE GROUPE demande à la Cour de :

•         PROCÉDER à la réformation du jugement,

•         DIRE et JUGER irréguliers les actes d'huissier délivrés le 20 septembre 2005 à la demande de la société FONCIERE ET FINANCIERE LEVITAN SA ;

•         DÉCLARER la société FONCIERE ET FINANCIERE LEVITAN SA irrecevable en ses demandes ;

•         Au fond subsidiairement :

•         CONSTATER que la demande de la société FONCIERE ET FINANCIERE LEVITAN SA invoquant les disposions des  articles L.145-1 et suivants et de l'article 9 du décret du 30 mai 1984  déniant à la Société GIBERT JEUNE GROUPE le bénéfice du droit au renouvellement est tardive, le bailleur n'ayant pas fait valoir ses droits éventuels à cet égard dans le délai de trois mois qui lui était imparti ;

•         CONSTATER au surplus, que le bailleur ne peut en tous cas se prévaloir du prétendu défaut d'immatriculation au registre du commerce de la société GIBERT JEUNE GROUPE des lieux loués [...], compte tenu de la connaissance qu'il avait, de longue date, de cette situation, et en tous cas au moment où le principe du renouvellement a été acquis,

•         Par suite,

•         DÉBOUTER la société FONCIERE ET FINANCIERE LEVITAN SA de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions,

•         En tout état de cause, CONDAMNER la société FONCIERE ET FINANCIERE LEVITAN SA

•         à payer à la société GIBERT JEUNE GROUPE

•         une somme de 50 000 €, l'exercice de son droit d'agir en l'espèce ayant dégénéré en abus ;

•         une somme de 8 000 €, en application des dispositions de l'article 700 du NCPC,

•         aux entiers dépens de première instance et d'appel dont le recouvrement sera poursuivi par la Scp MONIN D'AURIAC DE BRONS, Avoué.

Dans ses dernières conclusions du 16 juin 2008, la Société FONCIERE ET FINANCIERE LEVITAN demande à la Cour de :

•         Confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a constaté l'absence d'immatriculation de la SA GlBERT JEUNE GROUPE pour les locaux concernés, dénié en conséquence à cette dernière tout droit au renouvellement sur ces locaux et ordonné son expulsion des lieux loués à défaut de restitution volontaire des lieux, avec si besoin est le concours de la force publique,

•         Le réformant partiellement, condamner la société GIBERT JEUNE GROUPE à payer à la société FONClERE ET FINANCIERE LEVITAN, à compter du 20 septembre 2005, une indemnité d'occupation quotidienne hors taxes et hors charges de 98 euros pour chacun des trois locaux litigieux,

•         Y ajoutant, condamner la société GIBERT JEUNE GROUPE au paiement de la somme de 6 000 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens dont distraction au profit de la SCP NARRA T PEYTAVI, avoué.

 

MOTIFS DE L'ARRÊT

Considérant que par trois  actes du 25 mai 1995 , la société D'EXPORTATION DES VINS SÉLECTIONNÉS, aux droits de laquelle se trouve aujourd'hui la Société FONCIERE ET FINANCIERE LEVITAN, a donné à bail renouvelé à la SARL GIBERT JEUNE COPAC, aux droits de laquelle se trouve depuis le 30 avril 1997 la S.A. GIBERT JEUNE GROUPE, trois baux portant sur des locaux situés à [...], comprenant tout le 5ème étage gauche, un local de trois pièces sur le boulevard, une pièce et un débarras donnant sur la courette au 4ème étage ainsi qu'un local de deux pièces sur cour au 4ème étage droite, le tout à compter du 7 août 1994 ;

Que le 23 septembre 2004, la locataire a fait délivrer des demandes de renouvellement pour ces trois baux ;

Que par actes du 20 septembre 2005, la bailleresse a fait signifier des refus de renouvellement avec dénégation du droit au statut pour défaut d'immatriculation au registre du commerce de la locataire pour les lieux loués ;

Considérant, alors qu'il résulte d'un extrait K BIS de la Sa GIBERT JEUNE GROUPE au 12 septembre 2005 qu'à cette date cette société était immatriculée pour les seuls locaux du [...], qu'il n'est pas contesté qu'à la date des demandes de renouvellement du 23 septembre 2004, elle n'était pas immatriculée pour ces locaux du [...] ;

Considérant que pour demander l'infirmation du jugement qui lui a dénié en conséquence tout droit au renouvellement du bail sur ces locaux, la Sa GIBERT JEUNE soutient que les actes de dénégation du 20 septembre 2005 sont irréguliers et inefficaces, et qu'en tout état de cause elle n'avait pas l'obligation de s'inscrire au registre du commerce ;

Sur la régularité des actes de dénégation

Considérant que la Sa GIBERT JEUNE fait valoir que les actes de dénégation délivrés par l'intimée sont irréguliers, d'une part comme ne mentionnant pas l'organe social qui la représente légalement, d'autre part comme ayant été délivrés sous couvert de son avocat sans que celui-ci justifie d'un mandat spécial ayant date certaine ;

Considérant que les actes de dénégation sont délivrés 'à la requête de la Société Foncière et Financière Lévitan SA au capital de 1 261 216 € immatriculée au RCS de Paris sous le n° B 775 677 834 dont le siège social est [...]. Ayant pour avocat Me François TIZON (...) ;

Considérant que le défaut de désignation de l'organe représentant une personne morale est un vice de forme qui n'entraîne la nullité de l'acte que si son destinataire établit un grief, tel qu'une méprise sur l'identité du requérant ;

Que si les actes contestés ne comportent pas la désignation de l'organe représentant la Société Foncière et Financière Lévitan, celle-ci était cependant identifiée tant par son nom que par son numéro d'inscription au registre du commerce, lesquels permettaient par des recherches simples l'identification de l'organe la représentant ; que la société GIBERT JEUNE GROUPE, qui n'allègue aucun grief, est mal fondée en son moyen ;

Qu'il est en outre indifférent que l'avocat du requérant, dont la désignation dans l'acte est dès lors superfétatoire, justifie ou non d'un mandat spécial ;

Que le jugement sera confirmé en ce qu'il a débouté la société GIBERT JEUNE GROUPE de ses demandes de nullité des actes de dénégation ;

Sur les moyens de défense au fond

Considérant que la société GIBERT JEUNE GROUPE soutient en premier lieu que les actes de dénégation sont inefficaces comme n'ayant pas été délivrés dans le délai de trois mois suivant les demandes de renouvellement, et comme ayant été délivrés au cours du bail renouvelé, alors que le bailleur aurait connu le défaut d'immatriculation dès avant la date des demandes de renouvellement ;

Mais considérant que si l'absence d'immatriculation au registre du commerce n'est une cause de dénégation du droit au statut que pour autant que celle-ci existe à la date de la demande de renouvellement et à la date d'expiration du bail, ce qui n'est pas contesté en l'espèce, l'acte de dénégation lui-même peut intervenir tant que le bail n'est pas définitivement renouvelé en tous ses éléments, comprenant le montant du loyer ; qu'en l'espèce, alors que les demandes de renouvellement ont été notifiées le 20 septembre 2004, et alors qu'à défaut de réponse dans les trois mois le bailleur était réputé avoir accepté le seul principe du renouvellement du bail précédent, celui-ci, qui disposait encore d'un délai de deux ans pour demander la fixation du prix du loyer du bail renouvelé, était recevable à la date du 20 septembre 2005 pour faire notifier des actes de dénégation ;

Qu'il n'est, par ailleurs, pas établi que le bailleur ait agi de mauvaise foi, alors que la société GIBERT JEUNE GROUPE n'est devenue sa locataire qu'en cours de bail et que rien ne permet de soutenir qu'il aurait eu connaissance de son absence d'immatriculation au registre du commerce dès avant la date des demandes de renouvellement ;

Considérant que la société GIBERT JEUNE GROUPE soutient en deuxième lieu que les actes de dénégation sont équivoques comme contradictoires avec la délivrance le même jour de commandements visant la clause résolutoire et la délivrance postérieure de demandes de loyers, valant renonciation aux actes de dénégation ;

Mais considérant que la renonciation à un droit ne se présume pas ; que la délivrance de commandements visant la clause résolutoire, qui tend à mettre fin au bail, n'est pas contradictoire avec celle d'actes de dénégation ; que les demandes de règlement et les quittances, qui font toutes référence à des loyers ou des indemnités d'occupation, ne peuvent non plus valoir une quelconque renonciation à des actes de dénégation ;

Considérant que la société GIBERT JEUNE GROUPE soutient en troisième lieu qu'elle n'avait pas l'obligation de s'inscrire au registre du commerce dès lors que les locaux litigieux formaient une unité d'exploitation avec la librairie exploitée dans les étages inférieurs de l'immeuble, qu'ils en étaient subsidiairement des locaux accessoires et qu'en tout état de cause le bailleur a consenti à ce qu'ils soient placés sous le régime des baux commerciaux ;

Considérant qu'il résulte des explications fournies par les parties et des pièces produites aux débats que par acte du 31 janvier 2001 , la société D'EXPORTATION DES VINS SÉLECTIONNÉS, aux droits de laquelle se trouve aujourd'hui la Société FONCIERE ET FINANCIERE LEVITAN, a donné à bail renouvelé à la Société GIBERT JEUNE RIVE DROITE SA des locaux situés au rez de chaussée, à l'entresol, au 1er étage et au 2ème étage de l'immeuble du [...], dans lesquels est exploitée une librairie ;

Qu'il a été examiné que les locaux en litige sont situés aux 4ème et 5ème étages du même immeuble et sont loués à la [...], société mère du groupe GIBERT JEUNE, dont fait partie la Société GIBERT JEUNE RIVE DROITE SA ;

Que les locaux du 5ème étage sont mis à la disposition des institutions représentatives du personnel de l'ensemble du groupe, notamment comité d'entreprise, délégués du personnel, syndicats ;

Que ceux du 4ème étage comprennent des vestiaires et des sanitaires mis à la disposition du personnel, notamment celui de la librairie des étages inférieurs ; qu'ils comprennent aussi, ainsi qu'il résulte d'un rapport d'expertise privé, des archives, des bureaux et une salle de réunion ; qu'il n'est pas contesté, alors que les baux initiaux l'envisageaient pourtant, que ces locaux situés à des étages différents du même immeuble ne disposent d'aucune voie de communication intérieure et ne communiquent que par l'escalier commun de l'immeuble ;

Considérant, concernant le moyen selon lequel les locaux litigieux formeraient une unité d'exploitation avec le fonds de librairie exploité dans les étages inférieurs, que, alors que le fonds de librairie est exploité par la seule Société GIBERT JEUNE RIVE DROITE SA, les étages supérieurs, notamment le 5ème étage, sont mis à la disposition de l'ensemble du personnel du groupe pour ses fins sociales ; que la circonstance selon laquelle ils sont aussi utilisés par le personnel spécifique de la librairie ne suffit pas à caractériser une unité d'exploitation ; que ce seul motif est suffisant à faire écarter ce moyen ;

Considérant, au surplus, que l'utilisation des locaux supérieurs dans l'intérêt des institutions représentatives du personnel de l'ensemble du groupe GIBERT JEUNE contredit qu'ils puissent être les accessoires de ceux du fonds de librairie exploité dans les étages inférieurs par une société filiale unique de ce même groupe ;

Considérant enfin, alors que l'appelante n'en rapporte aucun élément de preuve, notamment en établissant que depuis l'origine les locataires successifs n'auraient jamais été immatriculés au registre du commerce, qu'il n'est pas établi que le bailleur actuel ou son prédécesseur auraient d’une quelconque manière consentie à une soumission volontaire au statut des baux commerciaux ;

*

Considérant en définitive, alors qu'à la date des demandes de renouvellement du 23 septembre 2004 la S.A. GIBERT JEUNE GROUPE n'était pas immatriculée au registre du commerce pour les locaux litigieux du [...], c'est à juste titre que le premier juge lui a dénié tout droit au renouvellement du bail sur ces locaux et a ordonné son expulsion ; qu'elle devra quitter les lieux au plus tard dans les six mois de la signification du présent arrêt ;

Considérant, concernant le montant de l'indemnité d'occupation fixé par le premier juge, que les parties en demandent toutes deux l'infirmation ; qu'en réalité, rien ne justifiant qu'elle soit fixée à un montant différent de l'équivalent du montant du loyer contractuel, le jugement sera réformé en ce sens ;

Que la société GIBERT JEUNE qui succombe supportera les entiers dépens ;

 

PAR CES MOTIFS

La Cour, statuant en dernier ressort,

Confirme le jugement sauf en ce qui concerne le délai accordé pour quitter les lieux et le montant de l'indemnité d'occupation ;

Réformant de ces chefs ;

I Accorde à la Société GIBERT JEUNE GROUPE un délai de six mois à compter de la signification du présent arrêt pour quitter les lieux ;

II Condamne la Société GIBERT JEUNE GROUPE à payer à la S.A. FONCIERE ET FINANCIERE LEVITAN, à compter du 20 Septembre 2005, une indemnité d'occupation égale au montant des loyers contractuels, taxes et charges en sus ;

Ajoutant ;

Condamne la Société GIBERT JEUNE GROUPE aux entiers dépens d'appel qui pourront être recouvrés, pour ceux dont elle a fait l'avance, par la SCP NARRAT PEYTAVI, avoué ;

Déboute les parties de leurs autres demandes, notamment celles fondées sur l'article 700 du Code de procédure civile.