CA Paris, Pôle 5 ch. 3, 23 janvier 2013, n° 11/06243
PARIS
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Hayate (épouse), Mostafa, Yacoubi (SARL)
Défendeur :
RLCM (SCI)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Bartholin
Conseillers :
Mme Blum, Mme Reghi
Avocats :
Me Mbang, Me Etevenard, Me Thial, Me Nicolas
EXPOSE DES FAITS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
Suivant acte sous seing privé du 6 juin 2008, la société RLCM a donné en location à Mme C. et M. E. agissant pour le compte de la société Yacoubi en formation des locaux à destination de vente de vêtements, situés 43 rue du Moutier à Aubervilliers. Le contrat prévoyait le paiement de 3 500 € en espèces, un dépôt de garantie de 4 500 € en espèces et un an de loyer d'avance pour un montant de 16 210 € par chèque de banque.
Lors de la conclusion du contrat, la société RLCM était représentée par M. A., le frère de la gérante, en présence de M. R., agent immobilier et rédacteur d'acte et Mme C. et M. E..
Il apparaissait que la société RLCM n'était pas propriétaire des locaux. Le 8 août 2008, Mme C. et M. E. demandaient l'annulation du bail par lettre recommandée adressée à la société RLCM, à l'adresse mentionnée sur le bail, lettre qui revenait avec la mention NPAI. Ils renouvelaient leur demande le 5 février 2009 à la nouvelle adresse de la société RLCM. Le 16 avril 2009, la société RLCM proposait à Mme C. et M. E., par l'entremise de M. R. un accord amiable aux termes duquel la société Yacoubi recevait le paiement d'une somme de 12 000 € contre l'acceptation de la résiliation du bail.
Par acte du 10 septembre 2009, la société RLCM a fait délivrer à la société Yacoubi un commandement d'avoir à payer l'arriéré locatif depuis le 1er août 2008.
Mme C. et M. E. ayant fait assigner la société RLCM, M. A. et M. R. en nullité de bail et indemnisation et la société RLCM ayant fait assigner la société Yacoubi et Mme C. et M. E. en constatation de l'acquisition de la clause résolutoire et en expulsion, les affaires ont été jointes devant le tribunal de grande instance de Bobigny qui, par jugement du 8 décembre 2010, assorti de l'exécution provisoire, a :
- mis hors de cause M. A.,
- débouté Mme C. et M. E. de leurs demandes,
- rejeté la demande de rejet des dernières conclusions et pièces de la société RLCM et de M. R.,
- constaté l'acquisition de la clause résolutoire,
- condamné solidairement Mme C. et M. E. à payer à la société RLCM la somme de 48 332,42 € au titre des loyers et charges impayés,
- condamné solidairement Mme C. et M. E. au paiement d’une indemnité d'occupation égale au montant du loyer,
- ordonné l'expulsion de Mme C. et M. E., sous astreinte de 300 € par jour de retard à compter du prononcé du jugement,
- rejeté la demande de la société RLCM à titre de dommages et intérêts,
- condamné solidairement Mme C. et M. E. au paiement de la somme de 1 500 € à la société RLCM et de la somme de 1 500 € à M. R., au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.
Par déclaration du 1er avril 2011, Mme C., M. E. et la société Yacoubi ont fait appel du jugement.
Dans leurs dernières conclusions, signifiées le 2 novembre 2012, Mme C. et M. E.
demandent :
- l'infirmation du jugement,
- la nullité du bail du 6 juin 2008,
- la condamnation de la société RLCM au paiement de la somme de 24 210 €, au titre de la restitution des sommes versées lors de la signature du bail,
- la condamnation de M. R., de Mme A. et de M. A. solidairement avec la société RLCM à payer la somme de 24 210 € à titre de dommages et intérêts,
- leur condamnation solidaire à leur payer la somme de 18 165,31 € au titre des travaux et prix des marchandises, la somme de 30 000 € à chacun en réparation du préjudice matériel et la somme de 30 000 € à chacun au titre du préjudice moral,
- le débouté des demandes des intimés,
subsidiairement :
- de dire que la somme de 24 210 € doit être déduite des sommes qui seraient mises à leur charge au titre des loyers,
- la condamnation solidaire de M. R., de Mme A. et de M. A. et de la société RLCM au paiement de la somme de 6 000 €, sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens, dont distraction.
Dans ses dernières conclusions, signifiées le 25 août 2011, la société RLCM, M. A. et Mme A. demandent :
- le débouté des demandes de Mme C. et M. E.,
- la confirmation du jugement,
- la constatation de l'acquisition de la clause résolutoire,
- la condamnation solidaire de Mme C. et M. E. au paiement de la somme de 48 332,42 € , au titre des loyers et des charges, somme à actualiser,
- leur condamnation au paiement d'une indemnité d'occupation égale au montant du loyer,
- leur expulsion sous astreinte de 300 € par jour de retard à compter du jugement à intervenir,
- leur condamnation solidaire à payer la somme de 10 000 € à titre de dommages et intérêts,
subsidiairement :
- le prononcé de la résiliation du bail,
- en cas de prononcé de la nullité du bail, la condamnation solidaire de Mme C. et M. E. au paiement d'une indemnité d'occupation égale au montant du loyer majorée de 10 % à compter du jour de la signature du bail,
- la condamnation solidaire au paiement de la somme de 2 000 € , sur le fondement de l'article 700 du
code de procédure civile et aux entiers dépens, dont distraction.
Dans ses dernières conclusions, signifiées le 25 août 2011, M. R. demande :
- la confirmation du jugement,
- le débouté des demandes de Mme C. et M. E.,
- leur condamnation au paiement de la somme de 5 000 €, sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens, dont distraction.
CELA EXPOSE,
Considérant que Mme C. et M. E. critiquent le premier juge qui a considéré que la signature portée sur le bail était bien celle de la gérante de la société RLCM alors que seul le frère de la gérante était présent lors de la signature de l'acte ; que si la société RLCM était seulement locataire des lieux appartenant à la société Josada et pouvait donc conclure une sous location, le bail conclu avec eux était un bail commercial et non un bail de sous location ; que, d'ailleurs, s'il s'était agi d'une sous location, le bail principal faisait l'obligation de reproduire une de ses clauses relatives à la sous location ; que la société RLCM ne figure pas au bail en tant que locataire ; que la société RLCM ne peut pas prétendre qu'elle aurait été titulaire d'une promesse de cession de parts de la société bailleresse, grâce à laquelle elle serait devenue propriétaire avant 2012, la promesse étant assortie de conditions suspensives et la société RLCM n'étant pas devenue propriétaire ; que la nullité du bail s'impose donc ;
Considérant que la société RLCM et M. A. et Mme A. font valoir que le fait que le bailleur soit propriétaire ou non du local n'est pas déterminant du consentement pour conclure un contrat de bail ; qu'on peut louer la chose d'autrui, le bail produisant ses effets dans les rapports entre le bailleur et le preneur ; que la sous location est autorisée par le bail principal ; que, d'ailleurs, Mme C. et M. E. ont engagé des travaux dans les lieux loués et n'ignoraient pas que la société RLCM n'était pas propriétaire ; que Mme C., M. E. et M. A. se connaissaient avant la signature du contrat ; qu'au surplus, la société RLCM a vocation à en devenir propriétaire avant 2012 aux termes de la promesse de cession de parts sociales ;
Considérant que M. R. soutient que Mme C. et M. E. n'ont pas qualité à agir, les demandes étant relatives au bail conclu entre la société RLCM et la société Yacoubi ; que, subsidiairement, Mme C. et M. E. ne démontrent pas l'existence de manoeuvres dolosives de la part de la société RLCM ou de sa part, ayant eu parfaitement connaissance du local et de sa situation juridique ; que la circonstance que le bail ne porte pas la mention de sous location ne constitue pas un préjudice, le bail étant parfaitement valable, le bailleur étant informé de la sous location et la pleine jouissance des lieux effective ; que sa responsabilité en tant que rédacteur de l'acte ne peut donc être engagée ;
Considérant, en premier lieu, que Mme C. et M. E. ont qualité pour agir dans la mesure où ils ont conclu le bail au nom de la société Yacoubi, société en formation, qui n'a jamais été constituée ; qu'en second lieu, Mme C. et M. E. n'établissent pas et il ne résulte pas des énonciations du bail que la société RLCM n'aurait pas été légalement représentée à l'acte ; qu'en conséquence, les demandes formées par Mme C. et M. E. contre M. A. et Mme A. ne peuvent prospérer ; qu'en troisième lieu, le bail conclu entre la société RLCM et Mme C. et M. E. agissant pour le compte de la société Yacoubi en formation est un bail commercial, soumis aux dispositions des articles L145-1 du code de commerce, conclu pour une durée de 9 années, pour l'exploitation d'un fonds de commerce de vente de prêt-à- porter ; que si une sous location irrégulièrement consentie produit tous ses effets entre le locataire et le sous locataire tant que celui ci a la jouissance paisible des lieux, il en va autrement lorsque, comme en l'espèce, le
contrat conclu ne comporte aucun des caractères d'une sous location et se présente comme un bail commercial principal conclu entre la société RLCM, bailleur, et la société Yacoubi en formation, locataire, alors même que la société RLCM, dénommée bailleresse, n'est elle même que locataire ; que l'acte de promesse de cession de parts sociales conclu le 6 juin 2008 entre les détenteurs des parts sociales de la société Josada, propriétaire des lieux et la société RLCM, aux termes duquel la société RLCM devait devenir propriétaire des lieux, comporte une condition suspensive dont la société RLCM n'établit pas qu'elle ait été levée ;
Considérant que ni la société RLCM ni M. R. n'établissent, par les pièces qu'ils produisent, que Mme C. et M. E. auraient eu connaissance, au moment de la conclusion de l'acte, de la qualité de locataire de la société RLCM ; qu'en effet, l'attestation du gérant de la société bailleresse faisant état de la demande des locataires de la société RLCM, Mme C. et M. E., de leur vendre les locaux, évoque le courant de l'été 2008, sans autre précision, alors que le bail a été conclu le 6 juin 2008 ; que le projet de statuts d'une société entre Mme A. et M. E. est daté du 1er août 2008, postérieurement à la conclusion du bail ;
Considérant que Mme C. et M. E. sont fondés à arguer d'un dol de la société RLCM qui s'est présentée comme propriétaire des locaux alors qu'elle n'en était que locataire principale ; que la circonstance que Mme C. et M. E. aient pu entrer dans les lieux et en jouir n'est pas de nature à exonérer la société RLCM de sa responsabilité, dans la mesure où Mme C. et M. E. ont pu croire bénéficier du statut des baux commerciaux et non conclure un contrat de sous location ; que le contrat doit donc être déclaré nul ; que les demandes d'acquisition de clause résolutoire et de résiliation du bail formées par la société RLCM ne sauraient prospérer ;
Considérant que Mme C. et M. E. justifient de l'existence d'un préjudice dans la mesure où ils ont engagé des travaux dans les lieux loués et débuté leur activité ; que la société RLCM comme M. R. contestent la facture de travaux qu'ils produisent et les achats de marchandises qu'ils invoquent ; que, toutefois, la société RLCM ne conteste pas qu'il ressort des pièces produites par Mme C. et M. E. qu'ils ont acheté, pour les revendre, des vêtements et voiles pour femmes de confession musulmane ; qu'elle fait seulement valoir qu'ils ont également acheté des livres, des CD et des produits cosmétiques, ce qui constitue une activité contraire à la destination du bail ; qu'en outre, la société RLCM, en indiquant que Mme C. et M. E. ont fait poser des plaques et des enseignes sans l'accord préalable et écrit du bailleur, confirme l'existence d'une activité engagée dans les lieux par Mme C. et M. E. ; que la circonstance que Mme C. et M. E. ont poursuivi leur activité postérieurement à leur demande d'annulation du bail ne peut permettre de conclure qu'ils n'ont pas subi de préjudice, dans la mesure où ils exerçaient alors non une activité dans le cadre du statut des baux commerciaux mais une activité placée sous le régime d'une sous location ; qu'il sera donc fait une exacte appréciation du préjudice subi en condamnant la société RLCM au paiement de la somme de 15 000 € à titre de dommages et intérêts, le surplus demandé n'étant pas justifié ;
Considérant toutefois que, dans le cas où un contrat nul a cependant été exécuté, la société RLCM ayant mis les lieux à disposition de Mme C. et M. E., les parties doivent être remises dans l'état dans lequel elles se trouvaient avant cette exécution ; que, lorsque cette remise en état s'avère impossible, la partie qui a bénéficié d'une prestation qu'elle ne peut restituer doit s'acquitter du prix correspondant à cette prestation ; que si la société RLCM doit restitution des seules sommes que Mme C. et M. E. ont établi avoir versées, soit 16 210 € au titre du droit au bail et 4 500 € au titre du dépôt de garantie, Mme C. et M. E., qui ont occupé les lieux jusqu'à leur expulsion, sont tenus au paiement d'une indemnité d'occupation mensuelle égale au montant du loyer contractuel prévu, sans qu'il y ait lieu à la majoration non fondée demandée par la société RLCM ; que le total dû s'élève à la somme de 40 500 € que Mme C. et M. E. doivent être condamnés à payer à la société RLCM ; que la société RLCM ne justifie pas du surplus de sa demande ;
Considérant que la compensation entre les sommes dues doit être ordonnée ;
Considérant que M. R. ne conteste pas avoir été le rédacteur de l'acte et à ce titre tenu de s'assurer de l'efficacité de l'acte et des vérifications que cette obligation engendre à l'égard des parties à l'acte ; que sa responsabilité est engagée au regard du préjudice causé à Mme C. et M. E. par la rédaction d'un bail commercial ne consistant en réalité qu'en une sous location ; qu'il doit donc être tenu in solidum des condamnations prononcées contre la société RLCM ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la société RLCM n'établit pas le préjudice que Mme C. et M. E. lui auraient causé de nature à lui valoir l'allocation de dommages et intérêts ;
Considérant que la société RLCM et M. R. doivent être condamnés au paiement de la somme de 3 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
Considérant que la société RLCM et M. R. doivent être condamnés aux dépens de première instance et de l'appel.
PAR CES MOTIFS
Infirme le jugement,
Statuant à nouveau et y ajoutant :
Annule le contrat conclu le 6 juin 2008 entre la société RLCM et Mme C. et M. E. agissant pour le compte de la société Yacoubi en formation,
Condamne in solidum la société RLCM et M. R. à payer à Mme C. et M. E. la somme de 20 710 €,
Condamne Mme C. et M. E. à payer à la société RLCM la somme de 40 500 € au titre des indemnités d'occupation,
Condamne in solidum la société RLCM et M. R. à payer à Mme C. et M. E. la somme de 15 000 € à titre de dommages et intérêts,
Ordonne la compensation entre les sommes dues,
Déboute les parties du surplus de leurs demandes,
Condamne in solidum la société RLCM et M. R. au paiement de la somme de 3 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
Les condamne solidairement aux dépens de première instance et d'appel, avec droit de recouvrement direct conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.