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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 3, 16 octobre 2013, n° 11/22236

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

LCA Services (SARL)

Défendeur :

Distribution Casino France (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Bartholin

Conseillers :

Mme Blum, Mme Reghi

Avocats :

Me Amiel, Me Taze Bernard, Me Marcet

TGI Paris, du 13 oct. 2011

13 octobre 2011

Le 28 janvier 1986, la société Euromarché La Villette, aux droits de laquelle est venue la société Distribution Casino France, a conclu avec la société Lca Services un contrat d'occupation précaire, d'une durée d'une année renouvelable par tacite reconduction sauf préavis de trois mois par lettre recommandée avec avis de réception, pour la concession d'un stand de "cordonnerie-clés minute-gravure-photocopies" à l'intérieur de la galerie marchande de l'hypermarché situé [...].

L'ensemble immobilier incluant l'hypermarché relevait du domaine public de la Ville de Paris. Il a fait l'objet d'une opération comportant en premier lieu un déclassement du domaine public le 4 août 2006, puis une promesse de vente conclue le 16 mai 2007 au profit de la s.c.i. [...] dans laquelle la société Distribution Casino France est associée.

Par acte extrajudiciaire du 8 avril 2008, la société Distribution Casino France a donné congé à la société Lca Services pour le 31 juillet 2008 en lui faisant valoir qu'elle devait elle-même quitter les lieux mis à sa disposition par la Ville de Paris.

Faisant valoir qu'elle bénéficiait du statut des baux commerciaux, la société Lca Services a protesté puis saisi le juge des référés qui l'a autorisée à poursuivre son activité jusqu'au 30 septembre 2008 et a désigné un expert, lequel a déposé son rapport le 27 juillet 2009. La société Lca Services a libéré les lieux le 13 octobre 2008.

Le 12 février 2010, la société Lca Services a assigné la société Distribution Casino France pour se voir reconnaître le bénéfice d'un bail commercial et obtenir paiement d'une indemnité d'éviction ou subsidiairement, l'indemnisation du préjudice résultant de la rupture du contrat liant les parties.

Par jugement rendu le 13 octobre 2011, le tribunal de grande instance de Paris a :

- débouté la s.a.r.l. Lca Services de l'ensemble de ses demandes,

- débouté la s.a.s. Distribution Casino France de ses demandes reconventionnelles,

- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire,

- condamné la s.a.r.l. Lca Services aux entiers dépens.

La s.a.r.l. Lca Services a relevé appel de cette décision le 13 décembre 2011  et par ses dernières conclusions du 8 mars 2012, demande à la cour, au visa des  articles L. 145-1 et suivants du code de commerce, subsidiairement, 1134, 1147, et 1382 du code civil et plus subsidiairement, L. 442-6 I 5° du code de commerce, d'infirmer le jugement et de :

- dire que les parties étaient liées par un bail commercial,

- condamner dès lors la société Distribution Casino France, suite au congé qui lui a été notifié, à lui verser la somme de 122.000 € à titre d'indemnité d'éviction, avec intérêts de droit à compter du 12 février 2010, date de l'assignation,

- à titre subsidiaire, dire qu'en tout état de cause la société Distribution Casino France a commis une faute dont elle lui doit réparation et la condamner à verser 122.000 € au titre de l'indemnisation dudit préjudice, avec intérêts de droit à compter du 12 février 2010, date de l'assignation,

- à titre encore plus subsidiaire, constater que la société Distribution Casino France a rompu brutalement la relation commerciale établie l'unissant depuis presque 23 ans à la société Lca Services et la condamner à lui verser de ce chef la somme de 122.000 € à titre de dommages intérêts, de droit à compter du 12 février 2010, date de l'assignation,

- en tout état de cause, condamner la société Distribution Casino France à lui verser la somme de 10.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens dont distraction.

La société Distribution Casino France, par ses dernières conclusions de 7 mai 2012, demande à la cour, au visa des articles L. 145-1, L. 145-2 II, L. 145-14 et L.  442-6 du code de commerce, 1134 et 1382 du code civil, de :

- débouter la société Lca Services de son appel,

- confirmer le jugement sauf en ce qu'il l'a déboutée de sa demande d'indemnisation pour procédure abusive ainsi que sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner reconventionnellement la société Lca Services à lui payer la somme de 5.000 € à titre de dommages intérêts pour procédure abusive et la somme de 10.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens en ce inclus les frais d'expertise,

- à titre subsidiaire, dire que le montant de l'indemnité d'éviction à laquelle la société Lca Services pourra prétendre ne peut excéder la somme de 49.400 €, eu égard tant aux coefficients traditionnellement appliqués pour le type d'activité exercée qu'aux caractéristiques effectives du stand concerné,

- à titre infiniment subsidiaire, constater le caractère injustifié de la demande d'allocation de dommages et intérêts formée à hauteur de 122.000 € sur le fondement des  articles 1382, 1134 du Code civil  ou  L. 442-6 I 5° du code de commerce, dès lors que cette valorisation a été effectuée selon les paramètres applicables dans la seule hypothèse de l'application des baux commerciaux, qui est exclue en l'espèce, que ledit montant est en tout état de cause contestable au regard desdits paramètres et alors même que l'indemnisation susceptible de découler de la mise en œuvre de ces dispositions légales distinctes répond à d'autres critères qui ne sont pas remplis en l'espèce,

- en tout état de cause, débouter à toutes fins la société Lca Services de l'ensemble de ses demandes et plus particulièrement de sa demande de règlement de la somme de 10 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

 

SUR CE,

Considérant que la société Lca Services soutient à titre principal que le contrat d'occupation précaire du 28 janvier 1986 doit être qualifié de bail commercial dans la mesure où ce contrat ne caractérise aucunement les circonstances exceptionnelles, plus généralement celles de précarité, le justifiant et où, en tout état de cause, la précarité n'est et n'a jamais été justifiée ; qu'elle fait valoir que le stand qu'elle exploitait, situé en dehors du magasin Casino, était clos et couvert, qu'il constituait un local stable au sens de l'article L. 145-1 du code de commerce pour lequel elle réglait les consommations électriques, avec une clientèle propre distincte de celle du magasin Casino et une autonomie de gestion parfaite ; qu'elle ajoute qu'à la date de délivrance du congé, la circonstance justifiant la précarité avait disparu depuis plus de deux années du fait de l'arrêté de déclassement intervenu en 2006 et la société Distribution Casino France était d'ores et déjà titulaire d'une promesse de vente, que la disparition de la cause de précarité ne lui a jamais été notifiée, que le congé du 8 avril 2008 était donc nul et que la société Distribution Casino France qui a mis fin au bail sans motif, lui est redevable d'une indemnité d'éviction ;

Mais considérant que le principe d'inaliénabilité du domaine public s'oppose à ce que les biens en relevant puissent faire l'objet d'un bail soumis au statut des baux commerciaux ; que les biens du domaine public ne peuvent être occupés ou utilisés qu'en vertu de conventions d'occupation précaire ;

Que de fait, la société Distribution Casino France, aux droits de la société Euromarché La Villette, n'a été autorisée par la Ville de Paris à exploiter son supermarché dans l'ensemble immobilier relevant alors du domaine public qu'en vertu de contrats d'occupation temporaire du domaine public, le dernier en date ayant été conclu pour venir à échéance le 30 juin 2008, sans possibilité pour l'occupant de se prévaloir d'un droit au maintien dans les lieux à l'échéance de l'occupation domaniale ; que le déclassement du domaine public du bien intervenu en 2006 n'a pas modifié le caractère précaire de ces conventions, aucun accord n'étant intervenu entre les parties en ce sens ;

Considérant que la société Distribution Casino France relève à juste titre qu'étant elle-même titulaire d'une convention d'occupation précaire, elle ne pouvait consentir à la société Lca Services un bail commercial ;

Considérant que le contrat passé le 28 janvier 1986 avec la société Lca Services ne pouvait être qu'un contrat d'occupation précaire ; qu'il a bien été conclu comme tel entre les parties ; que contrairement à ce que la société Lca Services soutient la qualification de "contrat d'occupation précaire" est justifiée par les circonstances exceptionnelles entourant la conclusion du contrat, la précarité de l'occupation autorisée découlant de la nature même du bien occupé ; qu'une telle qualification ne saurait être écartée, ainsi qu'elle le demande, au seul motif que la précarité, mentionnée dans l'intitulé même du contrat, n'est pas autrement rappelée dans le corps de la convention, étant au surplus rappelé que la durée d'occupation convenue était d'une année renouvelable par tacite reconduction ;

Considérant que ni la durée de l'occupation par la société Lca Services de son stand ni son mode d'exploitation ne sont de nature à permettre la requalification du contrat d'occupation précaire en bail commercial ; qu'il a par ailleurs été vu qu'en l'absence de toute novation, le déclassement du domaine public de l'ensemble immobilier en 2006 n'a pu faire "disparaître la cause de la précarité" de l'occupation ; que la société Lca Services ne peut donc faire grief à la société Distribution Casino France de ne pas l'en avoir avertie ; que par ailleurs la promesse de vente conclue entre la Ville de Paris et, non pas la société Distribution Casino France comme l'affirme la société Lca Services, mais la s.c.i. du [...] s'inscrit dans le cadre d'une opération de réaménagement totale du site en considération notamment du caractère "très obsolète du bâti et de la surface commerciale actuelle" et ne peut non plus conduire à une requalification du contrat en bail commercial ;

Considérant que la société Lca Services est en conséquence mal fondée à prétendre au bénéfice du statut des baux commerciaux et à la nullité du congé ; que n'étant investie d'aucun droit au renouvellement de son contrat, elle est mal fondée en sa demande d'indemnité d'éviction ;

Considérant que la société Lca Services soutient encore que la société Distribution Casino France, étant associée de la s.c.i. du [...], a délivré le congé de mauvaise foi dans le but de l'évincer des locaux et de ne pas l'associer au complexe commercial devant être créé ; qu'elle invoque à titre très subsidiaire les dispositions de l'article L. 442-6 I 5° du code de commerce dont elle affirme que le domaine d'application n'est pas limité aux cas de fournitures de produits ou de prestations de services et fait état de la brutalité de rupture ainsi que de son absence de motivation après 23 années de relations commerciales établies ;

Mais considérant que la société Distribution Casino France justifie de ce que son propre contrat d'occupation du domaine public venait à échéance le 30 juin 2008 et de ce qu'elle était conventionnellement tenue de libérer les lieux dans les trois mois de cette échéance ; qu'elle verse également aux débats la  lettre du 22 août 2008 par laquelle la mairie de Paris lui a indiqué que "dans le cadre de la réalisation du complexe hôtelier et commercial sur ce site, dont le permis de construire a été délivré le 06 août 2008, il est impératif que la société Casino libère totalement les lieux au 3 novembre 2008" ; que le congé n'a donc pas été donné de mauvaise foi ; qu'il est justifié et respecte le préavis contractuel ;

Considérant que la société Lca Services ne démontre pas la faute qu'aurait commise la société Distribution Casino France en lui délivrant congé ; que si l'occupation de son stand a duré près de 23 années, cette occupation n'était consentie qu'à titre précaire et la société Lca Services n'est pas fondée à se plaindre de la brutalité de la rupture au regard des circonstances l'entourant ; qu'en effet, s'étant vu notifier par écrit la dénonciation de son contrat le 8 avril 2008 pour le 31 juillet suivant, elle a poursuivi son occupation jusqu'au mois d'octobre suivant, bénéficiant ainsi d'un délai de six mois pour libérer son stand dans la galerie commerciale vouée à la démolition ;

Considérant que pour ces motifs et ceux non contraires des premiers juges, le jugement sera confirmé en ce qu'il a débouté la société Lca Services de l'intégralité de ses demandes ;

Considérant que la société Distribution Casino France ne démontre pas que le droit d'agir en justice de la société Lca Services a dégénéré en abus ; qu'elle ne justifie en outre pas du préjudice que lui auraient causé les interventions de la société Lca Services auprès de la Ville de Paris ; que le jugement sera confirmé en ce qu'il l'a déboutée de sa demande de dommages et intérêts ;

Considérant que la société Lca Services qui succombe sera condamnée aux dépens de première instance qui comprendront le coût de l'expertise ordonnée en référé ainsi qu'aux dépens d'appel ; que vu l'article 700 du code de procédure civile, elle sera condamnée à payer à la société Distribution Casino France la somme de 3.000 € pour ses frais irrépétibles, sa propre demande à ce titre étant rejetée ;

 

PAR CES MOTIFS

Confirme le jugement,

Y ajoutant,

Déboute la société Lca Services de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile et la condamne à payer à ce titre à la société Distribution Casino France la somme de 3.000 € ;

Rejette toutes autres demandes ;

Condamne la société Lca Services aux dépens de première instance qui comprendront le coût de l'expertise ordonnée en référé ainsi qu'aux dépens d'appel qui pourront être recouvrés conformément à l'article 699 du code de procédure civile. 

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