CA Douai, 2e ch. sect. 2, 5 novembre 2013, n° 12/06882
DOUAI
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Condylis (SAS)
Défendeur :
Trans Val De Lys (SARL), Groupe Keolis (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Birolleau
Conseillers :
Mme Valay-Brière, Mme Barbot
Avocats :
Me Deleforge, Me Delfly, Me Dhonte
Se prévalant de ce que la mise à la disposition de GROUPE KEOLIS et de TRANS VAL DE LYS d'un terrain l'avait été dans le cadre d'un bail commercial et que les occupants étaient redevables du loyer jusqu'à la fin du bail, la société CONDYLIS a assigné la SARL TRANS VAL DE LYS et la SAS GROUPE KEOLIS devant le tribunal de grande instance de Lille qui, par jugement rendu le 31 octobre 2012, a dit que l'action de CONDYLIS n'était pas prescrite, dit CONDYLIS recevable à agir, mis la société GROUPE KEOLIS hors de cause, débouté CONDYLIS de sa demande tendant à voir dire qu'un bail commercial a lié les parties à compter du 1er août 2006 et à condamner les sociétés défenderesses au paiement des loyers du 1er juin 2009 jusqu'à la fin du bail, débouté CONDYLIS de sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile et l'a condamnée de ce chef à payer à GROUPE KEOLIS la somme de 1.500,00 euros et à TRANS VAL DE LYS celle de 1.500,00 euros ainsi qu'aux dépens.
La société CONDYLIS a interjeté appel de ce jugement.
Par conclusions remises au greffe de la cour le 4 juin 2013, elle demande de dire que CONDYLIS est liée par un bail commercial de sous location de droit commun avec les sociétés GROUPE KEOLIS et TRANS VAL DE LYS à effet du 1er août 2006, déclarer irrecevable comme prescrite la demande de GROUPE KEOLIS et TRANS VAL DE LYS de requalification du bail commercial en convention d'occupation précaire, dire que ces dernières ne sont pas fondées à contester l'existence d'un bail commercial, dire que le montant des loyers au dernier état de l'accord entre les parties a été fixé à la somme mensuelle de 6.023,06 euros TTC, condamner solidairement GROUPE KEOLIS et TRANS VAL DE LYS au paiement à compter du 1er juin 2009 et jusqu'à la fin du bail de la somme mensuelle de 6.023,06 euros TTC, subsidiairement, dans l'hypothèse où la cour qualifierait la relation de convention d'occupation précaire, condamner solidairement GROUPE KEOLIS et TRANS VAL DE LYS au paiement d'une indemnité de préavis d'un montant de 36.138,36 euros TTC, en toute hypothèse de condamner solidairement GROUPE KEOLIS et TRANS VAL DE LYS au paiement de la somme de 5.000,00 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Elle fait valoir que son action n'est nullement atteinte par la prescription biennale de l'article L 145-60 du code de commerce - sa demande de paiement de loyers n'étant concernée que par la prescription quinquennale qui en l'espèce n'était pas acquise - et qu'elle a qualité pour agir.
Elle précise, sur le fond :
- que, si l'intention des parties était initialement d'organiser la mise à la disposition de KEOLIS et de TRANS VAL DE LYS du site d'Esquinghem Lys en dérogeant au statut des baux commerciaux par un bail de 5 mois, KEOLIS et TRANS VAL DE LYS ont, en imposant une durée d'occupation de plus de 24 mois, été à l'origine d'une transformation de la convention en bail commercial soumis au droit commun ;
- qu'en toute hypothèse, les conditions utiles à la qualification de convention d'occupation précaire ne sont pas réunies dans la mesure où :
- les intimées ne caractérisent pas les circonstances particulières justifiant le recours à une telle convention et tenant à la précarité de la détention du bien par celui qui concède un droit de jouissance ;
- l'exécution de la convention ne saurait dépendre d'un événement qu'il est au pouvoir de l'occupant de faire arriver, en l'espèce l'obtention, par TRANS VAL DE LYS, d'un autre lieu d'hébergement.
Les sociétés TRANS VAL DE LYS et GROUPE KEOLIS, par conclusions remises au greffe de la cour le 3 septembre 2013, demandent :
- à titre principal, de déclarer prescrite l'action de CONDYLIS en application de la prescription biennale de l'article L. 145-60 du code de commerce, dès lors que celle-ci sollicite la requalification du bail en bail commercial à compter du 1er août 2006 ;
- à titre subsidiaire :
- de dire que CONDYLIS, faute de production de titre de propriété du site mis à disposition, est dépourvue de qualité pour agir ;
- de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a dit que TRANS VAL DE LYS et KEOLIS étaient recevables à soutenir l'existence d'une convention d'occupation précaire et mis KEOLIS hors de cause ;
- si la cour estimait que la convention ayant lié les parties est un bail commercial, de constater que TRANS VAL DE LYS n'a pas été laissée en possession après le 31 juillet 2008, dire que cette dernière est occupante sans droit ni titre à compter du 31 juillet 2008 et débouter CONDYLIS de ses demandes ;
- à titre plus subsidiaire, de débouter CONDYLIS de sa demande tendant à voir fixer le préavis à six mois, subsidiairement, ramener le préavis à deux mois, dans l'hypothèse où la cour retiendrait l'existence d'un bail commercial, de condamner CONDYLIS à lui payer une indemnité d'occupation de 6.023,00 euros au titre de l'occupation du site ;
- en tout état de cause, de condamner CONDYLIS à payer à TRANS VAL DE LYS la somme de 10.000,00 euros et à KEOLIS celle de 10.000,00 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Elles exposent :
- que la convention d'occupation du site d'Esquinghem Lys n'est aucunement soumise au statut des baux commerciaux en ce que :
- la convention présentait un caractère provisoire ;
- l'occupation restait précaire et le droit de jouissance de l'occupant limité ;
- le site mis à disposition, un terrain nu ne comportant aucune construction autre que démontable, ne relève pas des biens susceptibles d'être donné à bail commercial ;
- que le cadre juridique de la mise à disposition du site est celui d'une convention d'occupation précaire ;
- qu'en tout état de cause, CONDYLIS reconnaît qu'un bail de courte durée a été verbalement convenu à compter du 1er août 2006, que le fait que l'occupation se soit poursuivie au-delà de 24 mois n'opère nullement une requalification d'office en bail commercial, ce maintien n'opérant novation que si le preneur est laissé en possession, ce qui n'a pas été le cas dès lors que le bailleur s'est opposé, le 31 juillet 2008, au maintien dans les lieux de TRANS VAL DE LYS.
DISCUSSION
Attendu que la société CONDYLIS, locataire d'un site de bureaux et parkings à Esquinghem Lys (Nord), a, à compter du 1er août 2006, mis à la disposition de la société de transport de voyageurs TRANS VAL DE LYS, du Groupe KEOLIS, une zone d'une surface de 5.000 m² pour le stationnement d'autobus, dans l'attente pour celle-ci de trouver un site propre à abriter son personnel et ses véhicules ; que, par lettre du 27 avril 2009, CONDYLIS a indiqué à TRANS VAL DE LYS qu'étant soumise à un bail commercial, elle devrait, si elle entendait quitter les lieux, se conformer au statut des baux commerciaux en respectant un préavis de six mois à chaque fin de période triennale ; que, par courrier en date du 22 mai 2010, TRANS VAL DE LYS a précisé à CONDYLIS qu'elle n'occupait plus les lieux depuis le 31 mai 2009 ; que, par acte des 11 et 24 août 2010, CONDYLIS a assigné KEOLIS et TRANS VAL DE LYS devant le tribunal de grande instance de Lille en paiement, en application du statut des baux commerciaux, des loyers dus à compter du 1er juillet 2009 jusqu'au terme du bail ;
Sur la prescription
Attendu que, si l'action de CONDYLIS tend à voir condamner KEOLIS et TRANS VAL DE LYS au paiement de loyers, elle tend également à voir reconnaître l'existence d'un bail commercial sur le fondement de l'article L 145-5 alinéa 2 du code de commerce ; que la prescription biennale de l'article L 145-60 du code de commerce est donc en l'espèce applicable ; que la qualification de bail commercial n'est toutefois invoquée qu'à compter du 1er juin 2009, date à laquelle s'est opérée, après l'exécution d'un bail dérogatoire de 24 mois, un nouveau bail ; qu'ainsi que l'a retenu le premier juge, la prescription biennale n'était donc pas acquise lorsque l'action a été introduite les 11 et 24 août 2010 ; que le jugement sera en conséquence confirmé en ce qu'il a dit que l'action de CONDYLIS n'était pas prescrite ;
Attendu que la défense de KEOLIS et TRANS VAL DE LYS tendant à voir reconnaître que les parties sont liées, non par un bail commercial, mais par une convention d'occupation précaire, n'est pas davantage atteinte par la prescription biennale, le moyen soulevé en défense ne constituant pas une action exercée en vertu du statut des baux commerciaux et n'étant donc pas soumis à l'application du délai de prescription de l'article L. 145-60 du code de commerce ; que la décision déférée sera confirmée sur ce point ;
Sur l'intérêt à agir de CONDYLIS
Attendu que CONDYLIS justifie, par la production d'un courrier des sociétés TAFFIN et STOCKFRESH BVBA en date du 31 juillet 2006, de ce qu'elle est titulaire d'un bail commercial portant sur le site d'Esquinghem Lys et de ce que TAFFIN et STOCKFRESH BVBA lui 'accordent le droit de consentir au GROUPE KEOLIS ou à toutes sociétés qu'elle contrôle au sens de l'article L 233-3 du code de commerce un droit de jouissance privatif sur le site donné à bail' ; que le jugement sera confirmé en ce qu'il a reconnu l'intérêt à agir de CONDYLIS ;
Sur la mise hors de cause de GROUPE KEOLIS
Attendu que CONDYLIS ne rapporte pas la preuve que, comme elle le soutient, le bail verbal a été conclu avec la société GROUPE KEOLIS, ce que les intimées contestent ; que, si l'appelante prétend que les négociations ont été conduites avec cette société, ce seul élément ne saurait suffire à établir la qualité de preneur de GROUPE KEOLIS dont il n'est soutenu ni qu'elle aurait été occupante des lieux, ni qu'elle aurait réglé le loyer ; que le jugement sera en conséquence confirmé en ce qu'il a mis GROUPE KEOLIS hors de cause ;
Sur l'application du statut des baux commerciaux
Attendu que, conformément à l'article L. 145-1 I 1° du code de commerce, le statut des baux commerciaux s'applique aux immeubles bâtis, à l'exclusion des terrains nus qui ne peuvent être soumis à ce statut que si y ont été édifiées des constructions qui ne soient ni sommaires, ni provisoires, ni aisément démontables, qui présentent les critères de fixité et de solidité, qui aient une destination commerciale, industrielle ou artisanale et qui aient été élevées ou exploitées avec le consentement du propriétaire ;
Attendu qu'en l'espèce, aux termes de la lettre de CONDYLIS à KEOLIS du 28 juillet 2006, la mise à disposition porte sur un terrain nu à usage de parking, avec sa citerne GO ; que, par lettre en date du 21 avril 2008 à TRANS VAL DE LYS, CONDYLIS a indiqué que l'autorisation avait été donnée pour l'implantation de trois bungalows, le stationnement de trente véhicules poids lourds type autocars et le stationnement de trente véhicules légers de catégorie B ; que, par procès-verbal dressé le 6 mai 2009, Maître Bernard GORRET, huissier de justice à Armentières, a constaté la présence de deux bungalows sur la pelouse ; que les bungalows en cause, de type Algeco, étaient des constructions légères, en pré-fabriqué, provisoires, posées sur la pelouse du site et dépourvues de toute fondation ou d'ancrage au sol ; que, si TRANS VAL DE LYS a mis en oeuvre une alimentation en électricité et en eau de ces bungalows, les réseaux correspondants étaient hors sol et ne constituaient pas un ancrage au terrain ; que le caractère démontable et provisoire de ces constructions est d'autant moins contestable que CONDYLIS a, par son courrier du 21 avril 2008, demandé qu'à son départ, TRANS VAL DE LYS remette les lieux dans l'état où ils se trouvaient à son arrivée, prescription que l'occupante a respectée en démontant les bungalows ; que, les constructions en cause ne constituant pas des locaux au sens de l'article L 145-1 I 1° du code de commerce, le site mis à la disposition de KEOLIS et de TRANS VAL DE LYS ne peut relever du statut des baux commerciaux ; que le jugement sera en conséquence confirmé en ce qu'il a dit que la location du site d'Esquinghem Lys ne relevait pas de ce statut ; que, dès lors qu'il n'est pas discuté que TRANS VAL DE LYS avait quitté les lieux au 1er août 2009, la décision sera confirmé sur le rejet de la demande de CONDYLIS relative au paiement des loyers du 1er août 2009 jusqu'à la fin du bail ;
Attendu que la décision déférée sera confirmée sur l'application de l'article 700 du code de procédure civile et sur les dépens ; que l'équité commande de condamner CONDYLIS à payer à GROUPE KEOLIS la somme de 1.500,00 euros et à TRANS VAL DE LYS celle de 1.500,00 euros au titre des frais hors dépens exposés en cause d'appel;
PAR CES MOTIFS
Confirme le jugement entrepris,
Condamne la SAS CONDYLIS à payer à la SAS GROUPE KEOLIS la somme de 1.500,00 euros et à la SARL TRANS VAL DE LYS celle de 1.500,00 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel,
Condamne la SAS CONDYLIS aux dépens d'appel qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.