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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 3, 18 juin 2014, n° 12/15721

PARIS

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

Kana II (SCi)

Défendeur :

Yarkon (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Bartholin

Conseillers :

Mme Blum, M. Byk

Avocats :

Me Olivier, Me Belain, Me Botbol

TGI Bobigny, du 18 avr. 2012

18 avril 2012

Suivant acte sous seing privé du 22 octobre 2002, la SCI Kana II a consenti à la SARL Yarkon, un bail commercial portant sur des locaux d'une surface de 300 m² environ situés à [...].

La destination du bail est celle d’activité de fabrication, production, distribution de denrées alimentaires de toutes natures (sec, frais, surgelés...) périssables ou non périssables, de tous produits alimentaires de luxe, ce boissons alcoolisées et non alcoolisées en tous genres notamment vin et spiritueux. La diffusion, l'importation, l'exportation, l'achat ; la vente en gros de tous articles d'alimentation générale et surgelés. Entreposage de marchandises, gestions des stocks à l'importation et à l'exportation, conservation de denrées alimentaires périssables en chambre froide.

Le bail a été consenti pour une durée de 3, 6, 9 années ayant commencé à courir le 1er novembre 2002 pour se terminer le 31 octobre 2011.

Par acte d'huissier du 26 mars 2008, la SCI Kana II a fait délivrer à la SARL Yarkon un congé avec refus de renouvellement sans indemnité d'éviction pour dénégation du droit au statut des baux commerciaux avec effet au 31 octobre 2011.

- 1ère affaire

Par acte du 4 novembre 2009, la SARL Yarkon a fait assigner devant le Tribunal de grande instance de Bobigny, la SCI Kana II pour voir dire que le local commercial utilisé comme entrepôt est un local accessoire soumis au statut des baux commerciaux, voir dire que la bailleresse n'a aucun motif valable de congé, et dire qu'il a été délivré dans des circonstances qui caractérisent une fraude, dire nul et de nul effet le congé.

Par jugement RG 09/16416 du 18 avril 2012, le tribunal a dit irrégulier et annulé le congé, rejeté le surplus des demandes, ordonné l'exécution provisoire ;

Par déclaration du 22 août 2012, la société Kana II a fait appel de cette décision et, dans des dernières écritures du 18 mars 2013, elle sollicite l'infirmation et demande à la cour de :

-valider le congé refus de renouvellement sans indemnité d'éviction,

-ordonner l'expulsion de la société Yarkon et de tout occupant de son chef des lieux loués sis [...], ce avec l'assistance du commissaire de police et d'un serrurier s'il y a lieu,

-condamner la société Yarkon, à effet du 1er novembre 2011, au paiement d'une indemnité d'occupation égale au loyer contractuel, majoré de 50 % outre des charges et taxes locatives jusqu'à la libération effective des lieux de tous occupants et biens avec remise des clefs,

- condamner la société Yarkon au paiement de la somme de 10.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,

Par dernières conclusions du 7 mars 2014, la société Yarkon demande à la cour de :

- juger que l'entrepôt [...] donné à bail constitue un local commercial accessoire et que la société Kana II ne justifie d'aucun motif valable pour justifier la délivrance d'un congé avec refus de renouvellement et sans offre d'indemnité d'éviction,

- dire que ce congé a été délivré dans des circonstances caractérisant une fraude,

- confirmer le jugement déféré (TGI Bobigny Chambre 5/section 1 ' RG 09/16416) en ce qu'il a annulé le congé et l'infirmer en ce qu'il l'a déboutée de sa demande de dommages et intérêts en réparation de son préjudice financier pour lequel la somme de 60.000,00 € (soixante mille euros) est réclamée.

A titre subsidiaire, elle demande à la cour de :

- dire que le congé est non valide et que le refus de renouvellement ouvre droit à son profit au versement d'une indemnité d'éviction à fixer à la somme de 60.000 € (soixante mille euros),

- fixer le montant mensuel de l'indemnité d'occupation à la somme de 1.046,21 €,

- dire que la société Kana II devra payer à la société Yarkon le trop-perçu sur indemnité d'occupation sur la période du 1er novembre 2011 jusqu'à la date du prononcé de l'arrêt à intervenir, à titre de remboursement.

En tout état de cause, elle réclame la confirmation de la condamnation au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre 10 000 euros au titre des frais irrépétibles d'appel,

-2ème affaire

Par acte du 4 novembre 2009, la SARL Yarkon a également assigné devant la même juridiction la société Kana II afin d'obtenir le remboursement de travaux.

Par jugement RG 09/16415, le tribunal a condamné la SCI Kana II à payer à la société Yarkon les sommes de 33.822,88 € au titre du remboursement du coût de travaux de « mise en conformité », outre intérêts au taux légal à compter du 23 septembre 2008, 2.750 € à titre de dommages intérêts pour résistance abusive et 2.500 € en application de l'article 700 du code de procédure civile en sus des dépens.

La SCI Kana II a relevé appel du jugement par déclaration d'appel du 22 août 2012 et, par ses dernières conclusions du 18 mars 2013, elle demande à la cour d'infirmer le jugement en toutes ses dispositions, de débouter la SARL Yarkon de l'intégralité de ses demandes et de la condamner au paiement de la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

La SARL Yarkon, par ses dernières conclusions du 18 janvier 2013, demande à la cour de dire que les travaux, dont il est demandé le remboursement à la SCI Kana II, ont été prescrits par l'administration, que le bailleur est tenu de procéder au remboursement du montant de ces travaux, que les locaux ayant fait l'objet d'une fermeture administrative en raison de leur non-conformité, le bailleur doit réparer le trouble jouissance subie fixé à la somme de 120 € / jour. En conséquence, il est demandé à la cour de confirmer le jugement déféré, à l'exception de la question du trouble de jouissance pour lequel il est réclamé la somme de 6.600,00 €. En tout état de cause, il est demandé la somme de 2500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Au vu de la connexité entre ces deux affaires, la cour décide d'ordonner leur jonction. Et de statuer par un seul et même jugement.

 

CE SUR QUOI

Sur la validité du congé :

Considérant qu'au soutien de l'appel, la SCI Kana II fait valoir que le congé n'étant pas frauduleux, il ne saurait être annulé et a mis fin au bail ;

Qu'en effet, le congé est valide, la locataire devant être immatriculé du chef des lieux loués à titre commercial quand bien même il ne s'agirait que d'un établissement secondaire et qu'elle serait déjà immatriculée au registre du commerce et des sociétés au titre de son siège social ;

Qu'elle précise que, pour que le local dit accessoire soit caractérisé comme tel et dispensé d'une immatriculation, le preneur doit rapporter la preuve de la connaissance par le bailleur, et ce dès la formation du bail, de son utilisation et de celle du caractère indispensable de cette utilisation, les deux conditions étant cumulatives, que cette démonstration n'est pas rapportée en l’espèce ;

Considérant que l'intimée répond que le local litigieux est un entrepôt et qu'il est donc accessoire à un local commercial et ajoute que la destination contractuellement prévue au bail commercial, qui peut être plus étendue que celle exercée dans les faits, ne peut permettre d'exclure le caractère accessoire d'un local, qu'en l'espèce, le local n'est utilisé qu'à des fins exclusives d'entrepôt, cette activité ne caractérisant en rien une activité commerciale ;

Qu'elle précise que ce local est indispensable à son activité et qu'en conséquence, aucune immatriculation du local accessoire au registre du commerce ne peut être exigée par le bailleur ;

Qu'enfin, le congé est aussi irrégulier puisque non conforme aux dispositions impératives de l'article L. 145-9, alinéa 5 du code de commerce ;

Considérant qu'aux termes de l'article L. 145-1 1° du code de commerce, les dispositions relatives aux baux commerciaux s'appliquent « aux baux et locaux accessoires à l'exploitation d'un fonds de commerce quand leur privation est de nature à compromettre l'exploitation du fonds et qu'ils appartiennent au propriétaire du local ou de l'immeuble où est situé l'établissement principal. En cas de pluralité de propriétaires, les locaux accessoires doivent avoir été loués au vu et au su du bailleur en vue de l'utilisation jointe » ;

Considérant qu'il résulte du contrat de bail litigieux que la SCI Kana II a contracté avec la SARL Yarkon, immatriculée au registre du commerce sous le numéro RCS PARIS B 389 305 517 (1992 B 14 518) et dont il est précisé au contrat que le siège social se trouve [...], pour louer à cette dernière, en les soumettant au statut des baux commerciaux, des locaux sis [...] avec la précision qu'il s'agit de locaux destinés à l'activité de commerce alimentaire de la société Yarkon, notamment à des fins de fabrication, production et distribution de denrées alimentaires de toutes natures, diffusion, importation, exportation, achat, vente en gros, entreposage, gestion de stocks et conservation de denrées alimentaires en chambre froide ;

Considérant que si le bail mentionne que la société Yarkon dont l'adresse du siège social et son immatriculation au RCS de Paris sont indiquées, doit disposer de locaux suffisamment vastes pour y exercer les activités telles que définies ci-dessus, celles-ci comprennent non seulement l'entreposage mais également la fabrication et la diffusion de denrées alimentaires ;

Considérant que la circonstance que la bailleresse a appliqué auxdits locaux et réclamé à sa locataire une taxe relatif à un entrepôt et lui aurait remis un plan des lieux où figure la mention entrepôt ne vaut pas reconnaissance par la bailleresse du caractère accessoire des locaux, aucun autre élément ne venant démontrer que la bailleresse aurait connu et accepté l'usage exclusif d'entrepôt qu'en faisait la locataire et leur caractère accessoire compte tenu de la destination mentionnée au bail ; la bailleresse indique d'ailleurs que le propre architecte de la locataire a souligné que la zone concernée où sont implantés les locaux accueille des activités industrielles et des bureaux et non exclusivement des entrepôts ; enfin, la caractère sommaire des locaux n'empêche pas à lui seul que des actes commerciaux et notamment le traitement de la clientèle ne puisse y être réalisés dans la mesure ou la locataire a accepté au terme du bail d'aménager les locaux en vue de les adapter à son activité ;

En outre, la locataire échoue à établir que les locaux concernés sont indispensables à l'exercice de son activité dans la mesure où elle a envisagé la cession d'une partie du fonds développé [...] sans mentionner les locaux concernés ;

La seule circonstance enfin que la bailleresse a délivré le congé à l'adresse du siège social de la société Yarkon ne suffit pas dans les conditions précitées à établir que la bailleresse avait dès la formation du bail connaissance du caractère accessoire des locaux concernés et qu'elle a donné ces locaux à bail en vue d'une utilisation conjointe avec les autres locaux dont disposaient la société locataire ;

Qu'en conséquence, l'immatriculation de la locataire pour ces locaux est requise à la date d'effet du congé et la société bailleresse est fondée à dénier à sa locataire le bénéfice du statut des baux commerciaux et le droit au maintien dans les lieux et à une indemnité d'éviction ;

Considérant que l'intimée échoue en outre à démontrer que la bailleresse, en lui délivrant congé, a tenté de faire frauduleusement échec à la cession de son fonds de commerce d'achat et de vente de produits alimentaires développée [...] ; qu'elle peut d'autant moins prétendre au demeurant avoir perdu la valorisation du droit au bail des locaux concernés qu'elle n'envisageait pas la cession de cette ' partie' de son fonds ;

Enfin, le fait que le congé mentionne faussement que le délai dans lequel le preneur peut le contester est de deux années à compter de la notification du congé au lieu de deux années à compter de la date d'effet du congé ne constitue qu'une irrégularité formelle qui n'entraîne pas la nullité du congé mais conduit seulement à reporter le point de départ du délai de contestation à la bonne date, celle de l'effet du congé ;

Considérant qu'il y a lieu en conséquence de réformer le jugement déféré en ce qu'il a annulé le congé et de dire que le congé est valable et n'ouvre pas droit au bénéfice du preneur au maintien dans les lieux et à une indemnité d'éviction ;

Considérant que l'indemnité d'occupation de droit commun que doit payer le preneur depuis la date d'effet du congé a un caractère indemnitaire et ne saurait être affectée d'un coefficient de précarité ; elle sera fixée au montant du loyer augmenté des charges et taxes et affectée d'une majoration de 20 % à compter d'un délai de trois mois à compter de la signification de l'arrêt et jusqu'à la date effective de libération des lieux et de remise des clefs ;

Sur la charge des travaux :

Considérant que la bailleresse soutient que les travaux nécessaires au respect des prescriptions de l'administration, doivent être mises contractuellement à la charge du preneur qui ne justifie d'ailleurs pas que les travaux dont le coût lui est réclamé résultent de prescriptions de l'administration, que le bail impose au preneur de prendre les lieux en l'état et de satisfaire à toutes les réglementations ;

Considérant que le preneur fait valoir qu'en application de l'article 1719-2 du code civil, le bailleur a obligation pendant la durée du bail, d'entreprendre toutes réparations nécessaires pour que le bien loué reste en l'état de servir à l'usage pour lequel il a été loué ; qu'il ajoute que les travaux requis par l'administration sont à la charge du bailleur et que le bail ne comporte aucune clause permettant de déroger aux dispositions de l'article 1719 - 2 du code civil de sorte que le bailleur est tenu de rembourser au preneur les travaux effectués ;

Considérant qu'en application des articles 1719 et 1720 du code civil, le bailleur est tenu d'entretenir la chose louée en état de servir à son usage et de faire, pendant la durée du bail, toutes les réparations, autres que locatives, qui peuvent être nécessaires ;

Considérant que les lieux ont été loués à des fins notamment de conservation de denrées alimentaires en chambre froide ; qu'il résulte des rapports de l'inspection des services vétérinaires de Seine Saint Denis un manque de conformité des locaux à la réglementation sanitaire ; le fait que le bail prévoit que la preneur aménagera les locaux mis à sa disposition pour en faire un local légalement exploitable pour son activité ou encore qu'il devra satisfaire à toutes les réglementations ne peut suffire au regard de la destination contractuelle et en l'absence de toute disposition explicite à cet égard à limiter l'obligation principale du bailleur de délivrance d'un local en état de servir à sa destination et à considérer que le preneur à la charge des travaux prescrits par l'administration afin de mettre les locaux en conformité avec les dispositions réglementaires ;

Considérant que la circonstance invoquée que le preneur a lui-même manqué à ses obligations relatives à l'hygiène alimentaire n'est pas de nature à diminuer la portée des obligations du bailleur.

Qu'au vu des factures fournies par le preneur et justifiant de ce qu'il a réglé cette mise en conformité pour un montant de 33 822,88 euros, il sera fait droit à sa demande à hauteur de cette somme, avec intérêts au taux légal à compter du 23 septembre 2008 ;

Sur le trouble de jouissance du preneur :

Considérant que le preneur soutient n'avoir pu, en raison de la fermeture administrative pour non-conformité des locaux, user de ceux-ci pendant 55 jours, durant lesquels le loyer a continué d'être payé ;

Considérant que le bailleur estime que son refus de rembourser les travaux ne résulte pas d'une résistance abusive et que le preneur ne justifie pas d'un quelconque préjudice ;

Considérant qu'approuvant sur ce point la décision du premier juge, la cour confirme le montant des dommages intérêts alloués pour trouble de jouissance ;

Sur les frais irrépétibles :

Considérant qu'il convient de confirmer la décision des premiers juges d'allouer à la société Yarkon dans le jugement RG 09/ 16415 la somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, que la décision RG 09/ 16416 sera infirmée sur ce point ; qu’il n'y a pas lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel ;

 

PAR CES MOTIFS

Prononce la jonction des affaires N° RG 12/15721 et 12/15722,

Dans l'affaire RG 12/ 15721 :

Infirme le jugement déféré,

Statuant à nouveau,

Dit que le congé délivré le 26 mars 2008 est valable,

Ordonne l'expulsion de la société Yarkon des lieux loués et de tous occupants de son chef, avec l'assistance au besoin d'un officier de police et d'un serrurier ;

La condamne à payer à la société Kana II une somme équivalente au loyer, outre les charges et taxes, à titre d'indemnité d'occupation depuis le 1er novembre 2011 et jusqu'à la libération effective des lieux loués, affectée d'une majoration de 20 % à compter d'un délai de trois mois à compter de la signification de l'arrêt et jusqu'à la date effective de libération des lieux et de remise des clefs ;

Déboute les parties de leurs autres demandes,

Met les dépens de première instance à la charge de la société Yarkon,

Dans l'affaire RG 12/ 15722,

Confirme le jugement,

Déboute les parties de leurs autres demandes,

Dit que chaque partie conservera la charge des dépens d'appel qu'elle a exposés.