Livv
Décisions

CJUE, 1re ch., 10 juin 2021, n° C-609/19

COUR DE JUSTICE DE L’UNION EUROPEENNE

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

BNP Paribas Personal Finance SA

Défendeur :

VE

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Bonichot

Juges :

Mme Silva de Lapuerta, Mme Toader, M. Safjan, M. Jääskinen (rapporteur)

Avocat général :

Mme Kokott

Avocats :

Me Metais, Me Spinosi, Me Constantin-Vallet

CJUE n° C-609/19

10 juin 2021

LA COUR (première chambre),

1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation des articles 3 et 4 de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs (JO 1993, L 95, p. 29).

2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant BNP Paribas Personal Finance SA à VE au sujet du caractère prétendument abusif des clauses figurant dans le contrat de prêt hypothécaire libellé en devise étrangère conclu entre ces deux parties au principal, qui stipulent, notamment, que les paiements à échéances fixes sont imputés prioritairement sur les intérêts et qui prévoient, afin de payer le solde du compte, l’allongement de la durée de ce contrat et l’augmentation du montant des mensualités.

Le cadre juridique

3 Aux termes du seizième considérant de la directive 93/13 :

« considérant que l’appréciation, selon les critères généraux fixés, du caractère abusif des clauses notamment dans les activités professionnelles à caractère public fournissant des services collectifs prenant en compte une solidarité entre usagers, nécessite d’être complétée par un moyen d’évaluation globale des différents intérêts impliqués ; que ceci constitue l’exigence de bonne foi ; que, dans l’appréciation de la bonne foi, il faut prêter une attention particulière à la force des positions respectives de négociation des parties, à la question de savoir si le consommateur a été encouragé par quelque moyen à donner son accord à la clause et si les biens ou services ont été vendus ou fournis sur commande spéciale du consommateur ; que l’exigence de bonne foi peut être satisfaite par le professionnel en traitant de façon loyale et équitable avec l’autre partie dont il doit prendre en compte les intérêts légitimes ».

4 L’article 1er, paragraphe 2, de cette directive prévoit :

« Les clauses contractuelles qui reflètent des dispositions législatives ou réglementaires impératives ainsi que des dispositions ou principes des conventions internationales, dont les États membres ou [l’Union européenne] sont parti[e]s, notamment dans le domaine des transports, ne sont pas soumises aux dispositions de la présente directive. »

5 L’article 3 de ladite directive est rédigé comme suit :

« 1. Une clause d’un contrat n’ayant pas fait l’objet d’une négociation individuelle est considérée comme abusive lorsque, en dépit de l’exigence de bonne foi, elle crée au détriment du consommateur un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties découlant du contrat.

2. Une clause est toujours considérée comme n’ayant pas fait l’objet d’une négociation individuelle lorsqu’elle a été rédigée préalablement et que le consommateur n’a, de ce fait, pas pu avoir d’influence sur son contenu, notamment dans le cadre d’un contrat d’adhésion.

[...] »

6 Aux termes de l’article 4 de la même directive :

« 1. Sans préjudice de l’article 7, le caractère abusif d’une clause contractuelle est apprécié en tenant compte de la nature des biens ou services qui font l’objet du contrat et en se référant, au moment de la conclusion du contrat, à toutes les circonstances qui entourent sa conclusion, de même qu’à toutes les autres clauses du contrat, ou d’un autre contrat dont il dépend.

2. L’appréciation du caractère abusif des clauses ne porte ni sur la définition de l’objet principal du contrat ni sur l’adéquation entre le prix et la rémunération, d’une part, et les services ou les biens à fournir en contrepartie, d’autre part, pour autant que ces clauses soient rédigées de façon claire et compréhensible. »

7 L’article 5 de la directive 93/13 prévoit :

« Dans le cas des contrats dont toutes ou certaines clauses proposées au consommateur sont rédigées par écrit, ces clauses doivent toujours être rédigées de façon claire et compréhensible. En cas de doute sur le sens d’une clause, l’interprétation la plus favorable au consommateur prévaut. [...] »

Le litige au principal et les questions préjudicielles

8 Par acte notarié du 10 mars 2009, VE ainsi que son épouse ont acquis un bien immobilier et ont souscrit à cet effet auprès de BNP Paribas Personal Finance un contrat de prêt hypothécaire libellé en devise étrangère et dénommé « Helvet Immo ».

9 Ce contrat prévoyait la souscription d’un prêt à un taux de 4,95 %, remboursable, en principe, en 276 échéances fixes, libellé en francs suisses et remboursable en euros. Au jour de la conclusion dudit contrat, le montant de ce prêt s’élevait à 143 421,53 euros, soit à 216 566,51 francs suisses.

10 Il ressort de la décision de renvoi que ce même contrat prévoyait le remboursement des mensualités à échéances fixes en euros et la conversion de celles-ci en francs suisses afin de contribuer au paiement des intérêts et à l’amortissement du capital. Les frais associés au crédit, tels que l’assurance, étaient facturés en euros.

11 Plus particulièrement, le contrat en cause au principal comportait des clauses contractuelles selon lesquelles :

– la durée du crédit serait allongée de cinq années et les échéances prévues en euros seraient imputées en priorité sur les intérêts lorsque l’évolution des parités augmentait le coût du crédit pour l’emprunteur ;

– si le maintien du montant des règlements en euros ne permettait pas de régler la totalité du solde du compte sur la durée résiduelle initiale majorée de cinq années, le montant des mensualités serait augmenté.

12 À la suite de mensualités impayées, la déchéance du terme a été prononcée et le juge de l’exécution du tribunal de grande instance de Libourne (France) a ordonné, le 16 janvier 2015, la vente forcée du bien immobilier concerné.

13 Par requête du 12 janvier 2017, BNP Paribas Personal Finance a saisi la juridiction de renvoi d’une demande d’autorisation de saisie des rémunérations de VE. Cet établissement bancaire a notamment sollicité l’autorisation de procéder à la saisie des rémunérations de VE sur la somme de 234 182,61 euros, soit 185 695,26 euros au titre du principal et 48 487,35 euros au titre des intérêts, frais et accessoires.

14 Devant cette juridiction, BNP Paribas Personal Finance fait valoir que les demandes par lesquelles VE soutient que certaines clauses du contrat de prêt en cause au principal ont un caractère abusif sont irrecevables en ce qu’elles sont prescrites et, en tout état de cause, non fondées. Cet établissement bancaire soutient notamment que VE a été informé de la variation du taux de change et de ses conséquences sur l’amortissement du prêt en cause au principal.

15 VE considère avoir été trompé par BNP Paribas Personal Finance en ce qui concerne la nature du contrat de prêt en cause au principal, ce contrat l’ayant exposé à un risque de change non plafonné. Plus particulièrement, VE demande de constater la nullité de ce contrat ainsi que le rejet de la requête de cet établissement bancaire visant la saisie de ses rémunérations. Subsidiairement, il soutient que le montant de la créance doit être réduit en raison du caractère abusif d’une clause d’indexation implicite, des clauses portant sur les monnaies de compte et de paiement, de la clause d’amortissement et de la clause d’option d’achat contenues dans ledit contrat ainsi que de l’absence de mention, dans ce même contrat, d’un « risque de change ».

16 La juridiction de renvoi relève que le contrat de prêt en cause au principal comporte plusieurs clauses faisant partie d’un mécanisme de conversion de devises, qui aboutissent à ce que le risque de change soit intégré aux mensualités payées par le consommateur. Ces clauses se rapportent aux règles d’imputation des paiements sur les intérêts, au fonctionnement des comptes en francs suisses (monnaie de compte) et en euros (monnaie de paiement), ainsi qu’à la prorogation du prêt pour une période de cinq années.

17 Dans ce contexte, la juridiction de renvoi s’interroge sur la marge d’appréciation dont elle dispose s’agissant de l’examen des clauses du contrat de prêt en cause au principal. Elle se demande, en particulier, s’il convient de les considérer comme un tout indivisible constituant l’objet principal de ce contrat et ne pouvant, à ce titre, être qualifiées d’abusives dès lors qu’elles sont claires et compréhensibles ou, à l’inverse, s’il convient de considérer que ces clauses peuvent être individuellement considérées comme abusives à l’exception, ainsi qu’il ressortirait de la jurisprudence de la Cour, de la clause prévoyant le remboursement du prêt en devise étrangère.

18 S’agissant des éléments d’appréciation du caractère clair et compréhensible d’une clause du contrat, la juridiction de renvoi relève que VE a reçu un nombre important d’informations avant la souscription du prêt en cause au principal insistant, en particulier, sur le caractère stable de la parité entre l’euro et le franc suisse. Le risque de change, qui découlerait de l’application combinée de plusieurs clauses du contrat de prêt en cause au principal, ne serait nullement mentionné dans ce contrat.

19 La juridiction de renvoi précise, en outre, que la législation et la jurisprudence nationales invitent le juge à considérer l’offre de prêt de manière objective en prenant, par exemple, pour référence des simulations chiffrées démontrant la conséquence d’une évolution des parités entre l’euro et les devises étrangères sur le coût du prêt concerné. Dans ce cadre, cette juridiction s’interroge sur la portée de la notion de « transparence », telle qu’interprétée par la Cour, et sur les informations devant être transmises à un emprunteur qui ne connaît pas les prévisions économiques pouvant avoir des répercussions sur l’évolution desdites parités et sur les risques qui y sont associés. À cet égard, se poserait aussi la question de l’appréciation de la bonne foi du professionnel au regard de son expertise quant à l’analyse de certaines évolutions prévisibles.

20 Dans ces conditions, le tribunal d’instance de Lagny-sur-Marne (France) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes : 

« 1) [L’article 4, paragraphe 2, de la directive 93/13] doit-il être interprété en ce sens que constituent l’objet principal d’un prêt libellé en devise étrangère et remboursable en devise nationale, sans pouvoir être considérées isolément, les clauses stipulant des remboursements à échéances fixes imputés prioritairement sur les intérêts et qui prévoient l’allongement de la durée du contrat et l’augmentation des règlements, pour payer le solde du compte, ce solde [pouvant] augmenter significativement à la suite des variations des parités ?

2) [L’article 3, paragraphe 1, de la directive 93/13] doit-il être interprété en ce sens que les clauses stipulant des paiements à échéances fixes imputés prioritairement sur les intérêts et qui prévoient l’allongement de [la] durée [du contrat] et l’augmentation des règlements, pour payer le solde du compte, pouvant augmenter significativement à la suite des variations des parités, créent un déséquilibre significatif entre les droits et les obligations des parties au contrat, notamment en ce qu’elles exposent le consommateur à un risque disproportionné de change ?

3) L’article 4 de la directive 93/13 doit-il être interprété en ce sens qu’il impose que le caractère clair et compréhensible des clauses d’un contrat de prêt libellé en devise étrangère et remboursable en devise nationale, soit apprécié en se référant, au moment de la conclusion du contrat, au contexte économique prévisible, en l’espèce les conséquences des difficultés économiques des années 2007 à 2009 sur les variations des taux de change, en tenant compte de l’expertise et des connaissances du prêteur professionnel et de sa bonne foi ?

4) L’article 4 de la directive 93/13 doit-il être interprété en ce sens qu’il impose que le caractère clair et compréhensible des clauses d’un contrat de prêt libellé en devise étrangère et remboursable en devise nationale, soit apprécié en communiquant au consommateur des informations, notamment chiffrées, uniquement objectives et abstraites ne tenant pas compte du contexte économique pouvant avoir une incidence sur les variations des taux de change, par le prêteur disposant [de] l’expertise et des connaissances du professionnel ? »

Sur les questions préjudicielles

Sur la première question

21 Par sa première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 4, paragraphe 2, de la directive 93/13 doit être interprété en ce sens que la notion d’« objet principal du contrat », au sens de cette disposition, couvre les clauses du contrat de prêt qui stipulent que les remboursements à échéances fixes sont imputés prioritairement sur les intérêts et qui prévoient, afin de payer le solde du compte, l’allongement de la durée de ce contrat et l’augmentation du montant des mensualités.

22 BNP Paribas Personal Finance soutient que, en vertu de l’article 1er, paragraphe 2, de la directive 93/13, la clause stipulant que les paiements à échéances fixes sont imputés prioritairement sur les intérêts ne saurait être soumise aux dispositions de cette directive. Cette clause reflèterait, en réalité, les dispositions de l’article 1343-1 du code civil français et s’appliquerait aux parties par défaut, c’est-à-dire en l’absence d’un arrangement différent entre celles-ci.

23 Or, lorsqu’une juridiction d’un État membre est saisie d’un litige portant sur une clause contractuelle prétendument abusive qui reflète une disposition de droit national de nature supplétive, elle est tenue d’examiner en priorité l’incidence de l’exclusion du champ d’application de la directive 93/13 prévue à l’article 1er, paragraphe 2, de cette directive, et non l’incidence de l’exception à l’appréciation du caractère abusif de clauses contractuelles prévue à l’article 4, paragraphe 2, de ladite directive (ordonnance du 14 avril 2021, Credit Europe Ipotecar IFN e.a., C‑364/19, EU:C:2021:306, point 42).

24 L’article 1er, paragraphe 2, de la directive 93/13 exclut du champ d’application de celle-ci les clauses contractuelles reflétant des « dispositions législatives ou réglementaires impératives ».

25 À cet égard, la Cour a déjà dit pour droit que cette expression couvre non seulement les dispositions de droit national qui s’appliquent de manière impérative entre les parties contractantes indépendamment de leur choix, mais également celles qui sont de nature supplétive, c’est-à-dire celles qui s’appliquent par défaut, en l’absence d’un arrangement différent entre les parties (voir, en ce sens, arrêts du 26 mars 2020, Mikrokasa et Revenue Niestandaryzowany Sekurytyzacyjny Fundusz Inwestycyjny Zamknięty, C‑779/18, EU:C:2020:236, points 50 à 53, ainsi que du 9 juillet 2020, Banca Transilvania, C‑81/19, EU:C:2020:532, points 23 à 25 et 28).

26 Il s’ensuit qu’il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier, en priorité, avant d’examiner l’incidence de l’exception à l’appréciation du caractère abusif de clauses contractuelles prévue à l’article 4, paragraphe 2, de la directive 93/13, si la clause stipulant que les paiements à échéances fixes sont imputés prioritairement sur les intérêts est exclue du champ d’application de la directive 93/13 en vertu de l’article 1er, paragraphe 2, de celle-ci.

27 Cette précision étant faite, il y a lieu de relever, s’agissant de la notion d’« objet principal du contrat », au sens de l’article 4, paragraphe 2, de la directive 93/13, sur laquelle porte la première question, que, conformément à cette disposition, l’appréciation du caractère abusif des clauses d’un contrat ne porte ni sur la définition de l’objet principal de ce contrat ni sur l’adéquation entre le prix et la rémunération, d’une part, et les services ou les biens à fournir en contrepartie, d’autre part, pour autant que ces clauses sont rédigées de façon claire et compréhensible. Le juge peut donc contrôler le caractère abusif d’une clause, qui porte sur la définition de l’objet principal du contrat, uniquement si cette clause n’est pas claire et compréhensible.

28 À cet égard, la Cour a jugé que l’article 4, paragraphe 2, de la directive 93/13 édicte une exception au mécanisme de contrôle de fond des clauses abusives, tel que prévu dans le cadre du système de protection des consommateurs mis en œuvre par cette directive, et que, dès lors, il convient de donner une interprétation stricte à cette disposition (arrêt du 20 septembre 2017, Andriciuc e.a., C‑186/16, EU:C:2017:703, point 34 ainsi que jurisprudence citée).

29 En ce qui concerne la catégorie des clauses du contrat qui relèvent de la notion d’« objet principal du contrat », au sens de l’article 4, paragraphe 2, de la directive 93/13, la Cour a également jugé que ces clauses doivent s’entendre comme étant celles qui fixent les prestations essentielles de ce contrat et qui, comme telles, caractérisent celui-ci. En revanche, les clauses qui revêtent un caractère accessoire par rapport à celles qui définissent l’essence même du rapport contractuel ne sauraient relever de cette notion (arrêt du 3 octobre 2019, Kiss et CIB Bank, C‑621/17, EU:C:2019:820, point 32 ainsi que jurisprudence citée).

30 Il appartient à la juridiction de renvoi d’examiner, eu égard à la nature, à l’économie générale et aux stipulations du contrat de prêt en cause au principal ainsi qu’au contexte juridique et factuel dans lequel ce contrat s’inscrit, si les clauses visées par la première question constituent un élément essentiel de la prestation du débiteur consistant dans le remboursement du montant mis à sa disposition par le prêteur (voir, en ce sens, arrêt du 3 octobre 2019, Kiss et CIB Bank, C‑621/17, EU:C:2019:820, point 33 ainsi que jurisprudence citée).

31 Cela étant, il incombe néanmoins à la Cour de dégager de l’article 4, paragraphe 2, de la directive 93/13 les critères applicables lors d’un tel examen (voir, en ce sens, arrêt du 20 septembre 2017, Andriciuc e.a., C‑186/16, EU:C:2017:703, point 33).

32 À cet égard, s’agissant des contrats de prêt libellés en devise étrangère et remboursables en devise nationale, la Cour a précisé que l’exclusion de l’appréciation du caractère abusif des clauses portant sur l’adéquation entre le prix et la rémunération, d’une part, et les services ou les biens à fournir en contrepartie, d’autre part, ne saurait s’appliquer à des clauses qui se limitent à déterminer, en vue du calcul des remboursements, le cours de conversion de la devise étrangère dans laquelle le contrat de prêt est libellé, sans toutefois qu’aucun service de change soit fourni par le prêteur lors dudit calcul, et ne comportent, dès lors, aucune « rémunération » dont l’adéquation en tant que contrepartie d’une prestation effectuée par le prêteur ne saurait faire l’objet d’une appréciation de son caractère abusif en vertu de l’article 4, paragraphe 2, de la directive 93/13 (arrêt du 30 avril 2014, Kásler et Káslerné Rábai, C‑26/13, EU:C:2014:282, point 58).

33 Cependant, la Cour a également précisé, sans toutefois limiter ce constat aux seuls contrats de prêt libellés en devise étrangère et remboursables en cette même devise, que les clauses du contrat qui se rapportent au risque de change définissent l’objet principal de ce contrat (voir, notamment, arrêts du 20 septembre 2018, OTP Bank et OTP Faktoring, C‑51/17, EU:C:2018:750, point 68 ainsi que jurisprudence citée, et du 14 mars 2019, Dunai, C‑118/17, EU:C:2019:207, point 48).

34 En l’occurrence, les clauses du contrat de prêt en cause au principal, qui font partie d’un mécanisme de conversion de devises, aboutissent à ce que le risque de change soit intégré aux mensualités payées par l’emprunteur. Les clauses visées par la première question portent sur les règles d’imputation des paiements sur les intérêts, sur le fonctionnement des comptes en francs suisses (monnaie de compte) et en euros (monnaie de paiement), ainsi que sur la prorogation du prêt pour une période de cinq années.

35 À cet égard, il convient d’observer que, par un contrat de crédit, le prêteur s’engage, principalement, à mettre à la disposition de l’emprunteur une certaine somme d’argent, ce dernier s’engageant, pour sa part, principalement à rembourser, en règle générale avec intérêts, cette somme selon les échéances prévues. Les prestations essentielles d’un tel contrat se rapportent, dès lors, à une somme d’argent qui doit être définie par rapport aux monnaies de paiement et de remboursement qui y sont stipulées. Dès lors, le fait qu’un crédit doit être remboursé dans une certaine monnaie a trait, en principe, non pas à une modalité accessoire de paiement, mais bien à la nature même de l’obligation du débiteur, constituant ainsi un élément essentiel d’un contrat de prêt (arrêt du 20 septembre 2017, Andriciuc e.a., C‑186/16, EU:C:2017:703, point 38).

36 Si les clauses contractuelles visées par la première question font partie du mécanisme financier qui exprime le risque de change caractérisant un prêt libellé en devise étrangère et remboursable en devise nationale, elles ne se rapportent pas, de manière directe, au montant prêté ou aux intérêts du prêt devant être remboursés, ni à la fixation de la monnaie de compte et de paiement. En effet, ces clauses gèrent les conséquences du changement de parité en précisant les règles de remboursement applicables en fonction des variations du taux de change, de sorte qu’elles pourraient être considérées comme des modalités accessoires de paiement ne participant pas à l’« objet principal du contrat », au sens de l’article 4, paragraphe 2, de la directive 93/13.

37 Cependant, il ressort des éléments fournis par la juridiction de renvoi que les clauses relatives aux conditions de remboursement du prêt en cause au principal matérialisent le risque de change découlant des variations de la parité entre la monnaie de compte et la monnaie de paiement ainsi que le taux d’intérêt qui y est rattaché, lequel caractérise ce prêt.

38 Il appartient donc à la juridiction de renvoi d’apprécier, en tenant compte des critères dégagés aux points 32 à 37 du présent arrêt, si les clauses du contrat en cause au principal, qui stipulent que les remboursements à échéances fixes sont imputés prioritairement sur les intérêts et qui prévoient, afin de payer le solde du compte, l’allongement de la durée de ce contrat et l’augmentation du montant des mensualités, et qui matérialisent ainsi le risque de change, ont trait à la nature même de l’obligation du débiteur de rembourser le montant mis à sa disposition par le prêteur.

39 Au vu de l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient de répondre à la première question que l’article 4, paragraphe 2, de la directive 93/13 doit être interprété en ce sens que les clauses du contrat de prêt qui stipulent que les remboursements à échéances fixes sont imputés prioritairement sur les intérêts et qui prévoient, afin de payer le solde du compte, l’allongement de la durée de ce contrat et l’augmentation du montant des mensualités relèvent de cette disposition dans le cas où ces clauses fixent un élément essentiel caractérisant ledit contrat.

Sur les troisième et quatrième questions

40 Par ses troisième et quatrième questions, qu’il convient d’examiner ensemble et préalablement à la deuxième question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 4, paragraphe 2, de la directive 93/13 doit être interprété en ce sens que, dans le cadre d’un contrat de prêt libellé en devise étrangère, l’exigence de transparence des clauses de ce contrat qui stipulent que les paiements à échéances fixes sont imputés prioritairement sur les intérêts et qui prévoient, afin de payer le solde du compte, l’allongement de la durée dudit contrat et l’augmentation du montant des mensualités, est satisfaite dès lors que le professionnel a fourni au consommateur des informations objectives et abstraites relatives à l’incidence sur les obligations financières de ce consommateur de la hausse ou de la dépréciation éventuelles de l’euro par rapport à la devise étrangère, sans toutefois que ce professionnel ait communiqué au consommateur des informations concernant le contexte économique pouvant avoir des répercussions sur les variations des taux de change.

41 Selon une jurisprudence constante relative à l’exigence de transparence, l’information, avant la conclusion d’un contrat, sur les conditions contractuelles et les conséquences de ladite conclusion est, pour un consommateur, d’une importance fondamentale. C’est notamment sur la base de cette information que ce dernier décide s’il souhaite se lier contractuellement à un professionnel en adhérant aux conditions rédigées préalablement par celui-ci (arrêt du 3 mars 2020, Gómez del Moral Guasch, C‑125/18, EU:C:2020:138, point 49 et jurisprudence citée).

42 Il s’ensuit que l’exigence de transparence des clauses contractuelles, telle qu’elle résulte de l’article 4, paragraphe 2, et de l’article 5 de la directive 93/13, ne saurait être réduite au seul caractère compréhensible sur les plans formel et grammatical de celles-ci. Le système de protection mis en œuvre par cette directive reposant sur l’idée que le consommateur se trouve dans une situation d’infériorité à l’égard du professionnel en ce qui concerne, notamment, le niveau d’information, cette exigence de rédaction claire et compréhensible des clauses contractuelles et, partant, de transparence, imposée par ladite directive, doit être entendue de manière extensive (arrêt du 3 mars 2020, Gómez del Moral Guasch, C‑125/18, EU:C:2020:138, point 50 et jurisprudence citée).

43 En conséquence, ladite exigence doit être comprise comme imposant non seulement que la clause concernée soit intelligible pour le consommateur sur les plans formel et grammatical, mais également qu’un consommateur moyen, normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, soit mis en mesure de comprendre le fonctionnement concret de cette clause et d’évaluer ainsi, sur le fondement de critères précis et intelligibles, les conséquences économiques, potentiellement significatives, d’une telle clause sur ses obligations financières (arrêt du 3 mars 2020, Gómez del Moral Guasch, C‑125/18, EU:C:2020:138, point 51 et jurisprudence citée).

44 Cela implique notamment que le contrat doit exposer de manière transparente le fonctionnement concret du mécanisme auquel la clause concernée fait référence ainsi que, le cas échéant, la relation entre ce mécanisme et celui prescrit par d’autres clauses, de telle sorte que ce consommateur soit mis en mesure d’évaluer, sur le fondement de critères précis et intelligibles, les conséquences économiques qui en découlent pour lui (voir, en ce sens, arrêt du 27 janvier 2021, Dexia Nederland, C‑229/19 et C‑289/19, EU:C:2021:68, point 50 ainsi que jurisprudence citée).

45 La question de savoir si, en l’occurrence, l’exigence de transparence a été respectée doit être examinée par la juridiction de renvoi à la lumière de l’ensemble des éléments de fait pertinents, au nombre desquels figurent la publicité et l’information fournies, dans le cadre de la négociation du contrat de prêt en cause au principal, non seulement par le prêteur lui-même, mais aussi par toute autre personne ayant participé, au nom de ce professionnel, à la commercialisation du prêt concerné.

46 Plus particulièrement, il incombe au juge national, lorsqu’il tient compte de l’ensemble des circonstances entourant la conclusion du contrat de prêt, de vérifier que, dans l’affaire concernée, ont été communiqués au consommateur l’ensemble des éléments susceptibles d’avoir une incidence sur la portée de son engagement lui permettant d’évaluer, notamment, le coût total de son emprunt. Jouent un rôle décisif dans cette appréciation, d’une part, la question de savoir si les clauses de ce contrat sont rédigées de manière claire et compréhensible de sorte qu’elles permettent à un consommateur moyen, tel que décrit au point 43 du présent arrêt, d’évaluer un tel coût et, d’autre part, la circonstance liée à l’absence de mention, dans le contrat de crédit, des informations considérées, au regard de la nature des biens ou des services qui font l’objet de ce contrat, comme étant essentielles (voir, en ce sens, arrêt du 3 mars 2020, Gómez del Moral Guasch, C‑125/18, EU:C:2020:138, point 52 et jurisprudence citée).

47 En l’occurrence, la juridiction de renvoi relève que VE a reçu un nombre important d’informations avant la souscription du prêt en cause au principal. Elle précise toutefois que ces informations ont été fondées sur l’hypothèse que la parité euro/franc suisse resterait stable. Le risque de change n’aurait toutefois été nullement mentionné.

48 En ce qui concerne les contrats de prêt libellés en devise étrangère, tel que celui en cause au principal, il y a lieu de constater, en premier lieu, qu’est pertinente, aux fins de ladite appréciation, toute information fournie par le professionnel qui vise à éclairer le consommateur sur le fonctionnement du mécanisme de change et le risque lié à celui-ci. Constituent des éléments d’une importance particulière les précisions concernant les risques encourus par l’emprunteur en cas de dépréciation importante de la monnaie ayant cours légal dans l’État membre où celui-ci est domicilié et d’une hausse du taux d’intérêt étranger.

49 À cet égard, ainsi que l’a souligné le Comité européen du risque systémique dans sa recommandation CERS/2011/1, du 21 septembre 2011, concernant les prêts en devises (JO 2011, C 342, p. 1), les établissements financiers doivent fournir aux emprunteurs des informations suffisantes pour permettre à ceux-ci de prendre leurs décisions avec prudence et en toute connaissance de cause, celles-ci devant au moins traiter de l’incidence sur les remboursements d’une dépréciation importante de la monnaie ayant cours légal dans l’État membre où l’emprunteur est domicilié et d’une hausse du taux d’intérêt étranger (Recommandation A – Sensibilisation des emprunteurs aux risques, point 1) (arrêt du 20 septembre 2018, OTP Bank et OTP Faktoring, C‑51/17, EU:C:2018:750, point 74 ainsi que jurisprudence citée).

50 La Cour a relevé, en particulier, que l’emprunteur doit être clairement informé du fait que, en concluant un contrat de prêt libellé dans une devise étrangère, il s’expose à un risque de change qu’il lui sera, éventuellement, économiquement difficile d’assumer en cas de dépréciation de la monnaie dans laquelle il perçoit ses revenus. En outre, le professionnel doit exposer les possibles variations des taux de change et les risques inhérents à la conclusion d’un tel contrat (voir, en ce sens, arrêt du 20 septembre 2018, OTP Bank et OTP Faktoring, C‑51/17, EU:C:2018:750, point 75 ainsi que jurisprudence citée).

51 Il en découle que, afin de respecter l’exigence de transparence, les informations communiquées par le professionnel doivent pouvoir permettre à un consommateur moyen, normalement informé et raisonnablement attentif et avisé non seulement de comprendre que, en fonction des variations du taux de change, l’évolution de la parité entre la monnaie de compte et la monnaie de paiement peut entraîner des conséquences défavorables à l’égard de ses obligations financières, mais également de comprendre, dans le cadre de la souscription d’un prêt libellé en devise étrangère, le risque réel auquel il s’expose, pendant toute la durée du contrat, dans l’hypothèse d’une dépréciation importante de la monnaie dans laquelle il perçoit ses revenus par rapport à la monnaie de compte.

52 Dans ce cadre, il importe de préciser que les simulations chiffrées, auxquelles la juridiction de renvoi fait référence, peuvent constituer un élément d’information utile, si elles sont fondées sur des données suffisantes et exactes, et si elles comportent des appréciations objectives qui sont communiquées de manière claire et compréhensible au consommateur. Ce n’est qu’à ces conditions que de telles simulations peuvent permettre au professionnel d’attirer l’attention de ce consommateur sur le risque des conséquences économiques négatives, potentiellement significatives, des clauses contractuelles en cause. Or, comme toute autre information relative à la portée de l’engagement du consommateur, communiquée par le professionnel, les simulations chiffrées doivent contribuer à la compréhension par ce consommateur de la portée réelle du risque, à long terme, lié aux possibles variations des taux de change et ainsi, des risques inhérents à la conclusion d’un contrat de prêt libellé en devise étrangère.

53 Ainsi, dans le cadre d’un contrat de prêt libellé en devise étrangère exposant le consommateur à un risque de change, ne saurait satisfaire à l’exigence de transparence la communication à ce consommateur d’informations, même nombreuses, si celles-ci sont fondées sur l’hypothèse que la parité entre la monnaie de compte et la monnaie de paiement restera stable tout au long de la durée de ce contrat. Il en est notamment ainsi lorsque le consommateur n’a pas été averti par le professionnel du contexte économique susceptible d’avoir des répercussions sur les variations des taux de change, de sorte que le consommateur n’a pas été mis en mesure de comprendre concrètement les conséquences potentiellement lourdes, qui peuvent découler de la souscription d’un prêt libellé en devise étrangère, sur sa situation financière.

54 En deuxième lieu, figure également parmi les éléments pertinents, aux fins de l’appréciation mentionnée au point 46 du présent arrêt, le langage utilisé par l’établissement financier dans les documents précontractuels et contractuels. En particulier, l’absence de termes ou d’explications avertissant l’emprunteur, de manière explicite, de l’existence de risques particuliers liés aux contrats de prêt libellés en devise étrangère peut confirmer que l’exigence de transparence, telle qu’elle résulte notamment de l’article 4, paragraphe 2, de la directive 93/13, n’est pas satisfaite.

55 En troisième et dernier lieu, il importe de rappeler que la constatation du caractère déloyal d’une pratique commerciale, sur lequel les parties au principal ont débattu lors de l’audience devant la Cour, peut également constituer un élément parmi d’autres sur lequel le juge national peut fonder son appréciation du caractère abusif des clauses figurant dans un contrat conclu entre un professionnel et un consommateur (voir, en ce sens, arrêt du 15 mars 2012, Pereničová et Perenič, C‑453/10, EU:C:2012:144, point 43).

56 Cependant, cet élément ne saurait établir automatiquement et à lui seul que l’exigence de transparence qui découle de l’article 4, paragraphe 2, de la directive 93/13 n’est pas satisfaite, cette question devant être examinée en fonction de toutes les circonstances propres au cas d’espèce (voir, en ce sens, arrêt du 15 mars 2012, Pereničová et Perenič, C‑453/10, EU:C:2012:144, point 44 ainsi que jurisprudence citée).

57 Eu égard aux considérations qui précèdent, il convient de répondre aux troisième et quatrième questions que l’article 4, paragraphe 2, de la directive 93/13 doit être interprété en ce sens que, dans le cadre d’un contrat de prêt libellé en devise étrangère, l’exigence de transparence des clauses de ce contrat qui stipulent que les paiements à échéances fixes sont imputés prioritairement sur les intérêts et qui prévoient, afin de payer le solde du compte, l’allongement de la durée dudit contrat et l’augmentation du montant des mensualités, est satisfaite lorsque le professionnel a fourni au consommateur des informations suffisantes et exactes permettant à un consommateur moyen, normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, de comprendre le fonctionnement concret du mécanisme financier en cause et d’évaluer ainsi le risque des conséquences économiques négatives, potentiellement significatives, de telles clauses sur ses obligations financières pendant toute la durée de ce même contrat.

Sur la deuxième question

58 Par sa deuxième question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 3, paragraphe l, de la directive 93/13 doit être interprété en ce sens que les clauses d’un contrat de prêt qui stipulent que les paiements à échéances fixes sont imputés prioritairement sur les intérêts et qui prévoient, afin de payer le solde du compte, lequel peut augmenter de manière significative à la suite des variations de la parité entre la monnaie de compte et la monnaie de paiement, l’allongement de la durée de ce contrat et l’augmentation du montant des mensualités, créent un déséquilibre significatif entre les droits et les obligations des parties découlant dudit contrat au détriment du consommateur dès lors que ces clauses exposent le consommateur à un risque disproportionné de change.

59 Il importe de rappeler tout d’abord que, en vertu de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 93/13, une clause non négociée d’un contrat conclu entre un consommateur et un professionnel est considérée comme abusive lorsque, en dépit de l’exigence de bonne foi, elle crée, au détriment du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et les obligations des parties découlant de ce contrat.

60 Il convient également de préciser que, selon une jurisprudence constante, la compétence de la Cour porte sur l’interprétation des critères que le juge national peut ou doit appliquer lors de l’examen d’une clause contractuelle au regard des dispositions de cette directive, et notamment lors de l’examen du caractère éventuellement abusif d’une clause au sens de l’article 3, paragraphe 1, de ladite directive, étant précisé qu’il appartient à ce juge de se prononcer sur la qualification concrète d’une clause contractuelle particulière en fonction des circonstances propres au cas d’espèce. Il en ressort que la Cour doit se limiter à fournir à la juridiction de renvoi des indications dont cette dernière est censée tenir compte afin d’apprécier le caractère abusif de la clause concernée (voir, en ce sens, arrêt du 3 septembre 2020, Profi Credit Polska, C‑84/19, C‑222/19 et C‑252/19, EU:C:2020:631, point 91 ainsi que jurisprudence citée).

61 En ce qui concerne l’appréciation du caractère abusif d’une clause contractuelle, il incombe au juge national de déterminer, en tenant compte des critères énoncés à l’article 3, paragraphe 1, ainsi qu’à l’article 5 de la directive 93/13, si, eu égard aux circonstances propres au cas d’espèce, une telle clause satisfait aux exigences de bonne foi, d’équilibre et de transparence posées par cette directive (voir, notamment, arrêt du 7 novembre 2019, Profi Credit Polska, C‑419/18 et C‑483/18, EU:C:2019:930, point 53 ainsi que jurisprudence citée).

62 Ainsi, le caractère transparent d’une clause contractuelle, tel qu’exigé à l’article 5 de la directive 93/13, constitue l’un des éléments à prendre en compte dans le cadre de l’appréciation du caractère abusif de cette clause qu’il appartient au juge national d’effectuer en vertu de l’article 3, paragraphe 1, de cette directive (arrêt du 3 octobre 2019, Kiss et CIB Bank, C‑621/17, EU:C:2019:820, point 49 ainsi que jurisprudence citée).

63 En l’occurrence, les clauses contractuelles en cause au principal, insérées dans un contrat de prêt libellé en devise étrangère, stipulent que les paiements à échéances fixes sont imputés prioritairement sur les intérêts et prévoient, afin de payer le solde du compte, lequel peut augmenter de manière significative à la suite des variations de la parité entre la monnaie de compte et la monnaie de paiement, l’allongement de la durée de ce contrat et l’augmentation du montant des mensualités. Ces clauses font ainsi peser, en cas de dépréciation importante de la monnaie nationale par rapport à la devise étrangère, le risque de change sur le consommateur.

64 À cet égard, il ressort de la jurisprudence de la Cour que, dans le cadre d’un contrat de prêt libellé en devise étrangère, tel que celui en cause au principal, le juge national doit apprécier, eu égard à l’ensemble des circonstances de l’affaire au principal, et, en tenant notamment compte de l’expertise et des connaissances du professionnel en ce qui concerne les possibles variations des taux de change et les risques inhérents à la souscription d’un prêt libellé en devise étrangère, dans un premier temps, le possible non-respect de l’exigence de bonne foi et, dans un second temps, l’existence d’un éventuel déséquilibre significatif, au sens de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 93/13 (voir, en ce sens, arrêt du 20 septembre 2017, Andriciuc e.a., C‑186/16, EU:C:2017:703, point 56).

65 En ce qui concerne l’exigence de bonne foi, il importe de relever, ainsi qu’il ressort du seizième considérant de la directive 93/13, que, dans le cadre de cette appréciation, il faut notamment tenir compte de la force des positions respectives de négociation des parties et de la question de savoir si le consommateur a été encouragé par quelque moyen à donner son accord à la clause concernée.

66 S’agissant de la question de savoir si une clause crée, en dépit de l’exigence de bonne foi, au détriment du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et les obligations des parties découlant du contrat en cause, le juge national doit vérifier si le professionnel, en traitant de façon loyale et équitable avec le consommateur, pouvait raisonnablement s’attendre à ce que ce dernier accepte cette clause à la suite d’une négociation individuelle (voir, notamment, arrêt du 3 septembre 2020, Profi Credit Polska, C‑84/19, C‑222/19 et C‑252/19, EU:C:2020:631, point 93 ainsi que jurisprudence citée).

67 Partant, pour apprécier si les clauses d’un contrat, telles que celles en cause au principal, créent au détriment du consommateur un déséquilibre significatif entre les droits et les obligations des parties au contrat de prêt qui contient ces clauses, il convient de tenir compte de l’ensemble des circonstances dont le prêteur professionnel pouvait avoir connaissance au moment de la conclusion de ce contrat, compte tenu notamment de son expertise, en ce qui concerne les possibles variations des taux de change et les risques inhérents à la souscription d’un tel prêt et qui étaient de nature à avoir des répercussions sur l’exécution ultérieure du contrat et sur la situation juridique du consommateur.

68 Au regard des connaissances du professionnel qui portent sur le contexte économique prévisible pouvant avoir des répercussions sur les variations des taux de change, des moyens supérieurs de ce professionnel pour anticiper le risque de change, qui peut se matérialiser à n’importe quel moment au cours de la durée du contrat, ainsi que du risque considérable relatif aux variations des taux de change que les clauses contractuelles telles que celles en cause au principal font peser sur le consommateur, il y a lieu de considérer que de telles clauses peuvent donner lieu à un déséquilibre significatif entre les droits et les obligations des parties découlant du contrat de prêt concerné au détriment du consommateur.

69 En effet, sous réserve des vérifications qu’il incombe à la juridiction de renvoi d’effectuer, les clauses contractuelles en cause au principal semblent faire peser sur le consommateur, dans la mesure où le professionnel n’a pas respecté l’exigence de transparence à l’égard de ce consommateur, un risque disproportionné par rapport aux prestations et au montant du prêt reçus, puisque l’application de ces clauses a pour conséquence que le consommateur doit supporter le coût de l’évolution des taux de change à terme. En fonction de cette évolution, ce consommateur peut se trouver dans une situation dans laquelle, d’une part, le montant du capital restant dû en monnaie de paiement, en l’occurrence en euros, est considérablement plus important que la somme initialement empruntée et, d’autre part, les mensualités versées ont presque exclusivement couvert les seuls intérêts. Il en est notamment ainsi lorsque cette augmentation du capital restant dû en devise nationale n’est pas équilibrée par la différence entre le taux d’intérêt de la devise étrangère et celui de la devise nationale, étant précisé que l’existence d’une telle différence constitue l’avantage principal d’un prêt libellé en devise étrangère pour l’emprunteur.

70 Dans de telles conditions, compte tenu notamment de l’exigence de transparence qui découle de l’article 5 de la directive 93/13, il ne pourrait être considéré que le professionnel pouvait raisonnablement s’attendre, en traitant de façon transparente avec le consommateur, à ce que ce dernier accepte de telles clauses à la suite d’une négociation individuelle (voir, par analogie, arrêt du 3 septembre 2020, Profi Credit Polska, C‑84/19, C‑222/19 et C‑252/19, EU:C:2020:631, point 96), ce qu’il appartient néanmoins à la juridiction de renvoi de vérifier.

71 Eu égard à ce qui précède, il y a lieu de répondre à la deuxième question que l’article 3, paragraphe l, de la directive 93/13 doit être interprété en ce sens que les clauses d’un contrat de prêt qui stipulent que les paiements à échéances fixes sont imputés prioritairement sur les intérêts et qui prévoient, afin de payer le solde du compte, lequel peut augmenter de manière significative à la suite des variations de la parité entre la monnaie de compte et la monnaie de paiement, l’allongement de la durée de ce contrat et l’augmentation du montant des mensualités, sont susceptibles de créer un déséquilibre significatif entre les droits et les obligations des parties découlant dudit contrat au détriment du consommateur, dès lors que le professionnel ne pouvait raisonnablement s’attendre, en respectant l’exigence de transparence à l’égard du consommateur, à ce que ce dernier accepte, à la suite d’une négociation individuelle, un risque disproportionné de change qui résulte de telles clauses.

Sur les dépens

72 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (première chambre) dit pour droit :

1) L’article 4, paragraphe 2, de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, doit être interprété en ce sens que les clauses du contrat de prêt qui stipulent que les remboursements à échéances fixes sont imputés prioritairement sur les intérêts et qui prévoient, afin de payer le solde du compte, l’allongement de la durée de ce contrat et l’augmentation du montant des mensualités relèvent de cette disposition dans le cas où ces clauses fixent un élément essentiel caractérisant ledit contrat.

2) L’article 4, paragraphe 2, de la directive 93/13 doit être interprété en ce sens que, dans le cadre d’un contrat de prêt libellé en devise étrangère, l’exigence de transparence des clauses de ce contrat qui stipulent que les paiements à échéances fixes sont imputés prioritairement sur les intérêts et qui prévoient, afin de payer le solde du compte, l’allongement de la durée dudit contrat et l’augmentation du montant des mensualités, est satisfaite lorsque le professionnel a fourni au consommateur des informations suffisantes et exactes permettant à un consommateur moyen, normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, de comprendre le fonctionnement concret du mécanisme financier en cause et d’évaluer ainsi le risque des conséquences économiques négatives, potentiellement significatives, de telles clauses sur ses obligations financières pendant toute la durée de ce même contrat.

3) L’article 3, paragraphe l, de la directive 93/13 doit être interprété en ce sens que les clauses d’un contrat de prêt qui stipulent que les paiements à échéances fixes sont imputés prioritairement sur les intérêts et qui prévoient, afin de payer le solde du compte, lequel peut augmenter de manière significative à la suite des variations de la parité entre la monnaie de compte et la monnaie de paiement, l’allongement de la durée de ce contrat et l’augmentation du montant des mensualités, sont susceptibles de créer un déséquilibre significatif entre les droits et les obligations des parties découlant dudit contrat au détriment du consommateur, dès lors que le professionnel ne pouvait raisonnablement s’attendre, en respectant l’exigence de transparence à l’égard du consommateur, à ce que ce dernier accepte, à la suite d’une négociation individuelle, un risque disproportionné de change qui résulte de telles clauses.