CJUE, 1re ch., 10 juin 2021, n° C-776/19
COUR DE JUSTICE DE L’UNION EUROPEENNE
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
VB, WA, XZ, YY, ZX, DY, EX
Défendeur :
BNP Paribas Personal Finance SA
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président de chambre :
M. Bonichot
Juges :
Mme Silva de Lapuerta, Mme Toader, M. Safjan, M. Jääskinen (rapporteur)
Avocat général :
Mme Kokott
Avocats :
Me Constantin-Vallet, Me Benoit, Me Fabre, Me Szames, Me Metais, Me Spinosi
LA COUR (première chambre),
1 Les demandes de décision préjudicielle portent sur l’interprétation de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs (JO 1993, L 95, p. 29).
2 Ces demandes ont été présentées dans le cadre de litiges opposant, d’une part, VB, WA, XZ, YY, ZX, DY et EX à BNP Paribas Personal Finance SA et, d’autre part, AV, BW, CX et FA à BNP Paribas Personal Finance et au Procureur de la République (France) au sujet du caractère prétendument abusif des clauses figurant dans des contrats de prêt hypothécaire libellés en devise étrangère qui prévoient, notamment, que le franc suisse est la monnaie de compte et que l’euro est la monnaie de paiement et qui ont pour effet de faire porter le risque de change sur l’emprunteur.
Le cadre juridique
Le droit de l’Union
3 Les seizième et vingt-quatrième considérants de la directive 93/13 énoncent :
« considérant que l’appréciation, selon les critères généraux fixés, du caractère abusif des clauses notamment dans les activités professionnelles à caractère public fournissant des services collectifs prenant en compte une solidarité entre usagers, nécessite d’être complétée par un moyen d’évaluation globale des différents intérêts impliqués ; que ceci constitue l’exigence de bonne foi ; que, dans l’appréciation de la bonne foi, il faut prêter une attention particulière à la force des positions respectives de négociation des parties, à la question de savoir si le consommateur a été encouragé par quelque moyen à donner son accord à la clause et si les biens ou services ont été vendus ou fournis sur commande spéciale du consommateur ; que l’exigence de bonne foi peut être satisfaite par le professionnel en traitant de façon loyale et équitable avec l’autre partie dont il doit prendre en compte les intérêts légitimes ;
[...]
considérant que les autorités judiciaires et organes administratifs des États membres doivent disposer de moyens adéquats et efficaces afin de faire cesser l’application de clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs ».
4 L’article 3 de cette directive dispose :
« 1. Une clause d’un contrat n’ayant pas fait l’objet d’une négociation individuelle est considérée comme abusive lorsque, en dépit de l’exigence de bonne foi, elle crée au détriment du consommateur un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties découlant du contrat.
2. Une clause est toujours considérée comme n’ayant pas fait l’objet d’une négociation individuelle lorsqu’elle a été rédigée préalablement et que le consommateur n’a, de ce fait, pas pu avoir d’influence sur son contenu, notamment dans le cadre d’un contrat d’adhésion.
[...] »
5 Aux termes de l’article 4 de ladite directive :
« 1. Sans préjudice de l’article 7, le caractère abusif d’une clause contractuelle est apprécié en tenant compte de la nature des biens ou services qui font l’objet du contrat et en se référant, au moment de la conclusion du contrat, à toutes les circonstances qui entourent sa conclusion, de même qu’à toutes les autres clauses du contrat, ou d’un autre contrat dont il dépend.
2. L’appréciation du caractère abusif des clauses ne porte ni sur la définition de l’objet principal du contrat ni sur l’adéquation entre le prix et la rémunération, d’une part, et les services ou les biens à fournir en contrepartie, d’autre part, pour autant que ces clauses soient rédigées de façon claire et compréhensible. »
6 L’article 5 de la même directive prévoit :
« Dans le cas des contrats dont toutes ou certaines clauses proposées au consommateur sont rédigées par écrit, ces clauses doivent toujours être rédigées de façon claire et compréhensible. En cas de doute sur le sens d’une clause, l’interprétation la plus favorable au consommateur prévaut. [...] »
7 L’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13 dispose :
« Les États membres prévoient que les clauses abusives figurant dans un contrat conclu avec un consommateur par un professionnel ne lient pas les consommateurs, dans les conditions fixées par leurs droits nationaux, et que le contrat restera contraignant pour les parties selon les mêmes termes, s’il peut subsister sans les clauses abusives. »
8 L’article 7, paragraphe 1, de cette directive prévoit :
« Les États membres veillent à ce que, dans l’intérêt des consommateurs ainsi que des concurrents professionnels, des moyens adéquats et efficaces existent afin de faire cesser l’utilisation des clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs par un professionnel. »
Le droit français
9 L’article 2224 du code civil dispose :
« Les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer. »
Les litiges au principal et les questions préjudicielles
10 Au cours des années 2008 et 2009, VB, WA, XZ, YY, ZX, DY, EX, AV, BW, CX, et FA (ci-après les « requérants au principal ») ont individuellement souscrit auprès de BNP Paribas Personal Finance un contrat de prêt hypothécaire libellé en devise étrangère et dénommé « Helvet Immo ». Ces contrats, qui ont été principalement commercialisés par des intermédiaires, ont été conclus en vue de l’achat de biens immobiliers ou de parts de sociétés immobilières, pour des montants variables compris entre 48 000 et 426 000 francs suisses, à savoir entre environ 44 000 et 389 000 euros, et pour des durées comprises entre 22 et 25 ans.
11 Il ressort des décisions de renvoi que lesdits contrats comportaient des clauses contractuelles selon lesquelles :
– les crédits concernés étaient financés par des emprunts souscrits en francs suisses et ces crédits étaient gérés à la fois en francs suisses (monnaie de compte) et en euros (monnaie de paiement) ;
– s’agissant des opérations de change, les versements au titre des prêts en cause ne pouvaient être effectués qu’en euros pour un remboursement en francs suisses ;
– les opérations de change à effectuer étaient énumérées dans les contrats de prêt en cause au principal, et en cas de défaillance de l’emprunteur, le prêteur avait la possibilité de remplacer unilatéralement le franc suisse par l’euro ;
– l’amortissement dépendant de l’évolution de la parité euro/franc suisse, celui-ci serait moins rapide si l’opération de change entraînait une somme inférieure à l’échéance en francs suisses, et l’éventuelle part de capital non amortie serait inscrite au solde débiteur. Dans le cas inverse, le remboursement du crédit serait plus rapide ;
– si le maintien du montant des règlements en euros ne permettait pas de régler la totalité du solde du compte sur la durée résiduelle initiale majorée de cinq années, les règlements seraient augmentés. Si, à la fin de la cinquième année de prolongation, il subsistait un solde débiteur, les règlements devaient se poursuivre jusqu’à complet règlement ;
– le taux d’intérêt fixe, initialement convenu, était révisable tous les cinq ans selon une formule prédéterminée et, à cette occasion, l’emprunteur pouvait opter pour le passage en euros de la monnaie de compte, en choisissant soit l’application d’un nouveau taux d’intérêt fixe majoré soit l’application d’un taux variable.
12 Pour les requérants au principal dans les affaires C‑776/19, C‑778/19, C‑779/19 et C‑780/19, étaient jointes à l’offre de prêt deux simulations chiffrées illustrant l’influence des variations des taux de change sur le montant et la durée du prêt. La première portait sur l’impact d’une hausse ou d’une baisse de deux points du taux d’intérêt intervenant à compter de la 61e échéance sur le montant des règlements, la durée, et le coût total du crédit. La seconde, intitulée « informations relatives aux opérations de change qui seront réalisées dans le cadre de la gestion de votre crédit », simulait les variations de ces mêmes éléments dans l’hypothèse d’une appréciation de l’euro par rapport au franc suisse (dans l’affaire C‑776/19, 1 euro pour 1,5896 franc suisse ; dans l’affaire C‑778/19, 1 euro pour 1,57 franc suisse ; dans l’affaire C‑779/19, 1 euro pour 1,59 franc suisse ; dans l’affaire C‑780/19, 1 euro pour 1,66 franc suisse) et d’une dépréciation de l’euro (dans l’affaire C‑776/19, 1 euro pour 1,4296 franc suisse ; dans l’affaire C‑778/19, 1 euro pour 1,41 franc suisse ; dans l’affaire C‑779/19, 1 euro pour 1,43 franc suisse ; dans l’affaire C‑780/19, 1 euro pour 1,5 franc suisse).
13 Pour les requérants au principal dans les affaires C‑777/19, C‑781/19 et C‑782/19, aucune simulation ne leur aurait été fournie par le prêteur.
14 En raison de l’évolution défavorable des taux de change constatée depuis la date de conclusion des contrats en cause au principal, les requérants en cause au principal ont rencontré des difficultés pour rembourser le prêt hypothécaire qu’ils avaient souscrit. Par suite, au cours des années 2015 à 2018, ces requérants ont assigné BNP Paribas Personal Finance, chacun pour ce qui le concerne, devant la juridiction de renvoi en invoquant, notamment, le caractère abusif des clauses instituant le mécanisme financier prévu par les contrats « Helvet Immo ».
15 En outre, à la suite d’une instruction judiciaire, BNP Paribas Personal Finance a été renvoyée, le 29 août 2017, devant le tribunal correctionnel (France) du chef de pratique commerciale trompeuse. Par jugement du 26 février 2020, la 13e chambre correctionnelle du tribunal de grande instance de Paris (France) a condamné cet établissement bancaire pour pratique commerciale trompeuse. Selon les informations fournies par les parties au principal lors de l’audience devant la Cour, BNP Paribas Personal Finance a interjeté appel de ce jugement, lequel n’est donc pas définitif.
16 Devant la juridiction de renvoi, les requérants au principal soulèvent, notamment, le caractère abusif des clauses instituant le mécanisme financier prévu par les contrats de prêt en cause. Pour sa part, BNP Paribas Personal Finance fait valoir que les demandes par lesquelles les requérants au principal soutiennent le caractère abusif desdites clauses contractuelles sont prescrites et, en tout état de cause, non fondées.
17 En ce qui concerne, d’une part, la question de la prescription des demandes introduites par les requérants au principal, la juridiction de renvoi relève que l’application du délai de prescription de cinq ans, en vertu de l’article 2224 du code civil français, conduirait à constater la prescription desdites demandes. Ce délai commencerait à courir, selon une jurisprudence nationale, à la date de l’acceptation de l’offre de prêt.
18 Dans ce contexte, la juridiction de renvoi se demande si l’opposition d’un tel délai de prescription aux demandes introduites par des consommateurs pour faire valoir des droits qu’ils tirent de la directive 93/13 est compatible avec le principe d’effectivité. Selon elle, étant donné que le taux de change peut rester stable durant les premières années du contrat et se dégrader uniquement plus tard au cours de la vie de ce contrat, il ne saurait être exclu que les emprunteurs ne soient pas à même de faire valoir leurs droits.
19 En ce qui concerne, d’autre part, l’examen du caractère abusif des clauses du contrat, la juridiction de renvoi relève que les contrats de prêt en cause au principal comportent plusieurs clauses faisant partie d’un mécanisme de conversion de devises, qui ont pour effet de faire porter le risque de change sur l’emprunteur.
20 Dans ce contexte, cette juridiction se demande en particulier si, en raison du fait que ces clauses contractuelles traitent de la question du risque de change, il convient de les considérer comme participant à l’objet principal des contrats de prêt en cause au principal ne pouvant, à ce titre, être qualifiées d’abusives dès lors qu’elles sont claires et compréhensibles. À cet égard, se poserait aussi la question de l’incidence, sur la qualification de ces clauses contractuelles, d’une autre clause insérée dans les contrats de prêt en cause au principal permettant à l’emprunteur d’exercer une option de conversion en euros à dates prédéterminées.
21 S’agissant des éléments d’appréciation du caractère clair et compréhensible d’une clause du contrat et de l’existence d’un déséquilibre significatif entre les droits et les obligations des parties à ce contrat découlant de celui-ci, la juridiction de renvoi relève que les requérants au principal ont reçu des informations sur l’incidence des variations de la parité entre l’euro et le franc suisse sur le coût du prêt concerné. Le risque de change ne serait toutefois nullement mentionné dans les contrats de prêt en cause au principal.
22 La juridiction de renvoi précise, en outre, que, dans la jurisprudence nationale, les clauses du contrat telles que celles en cause au principal ont été considérées comme claires et compréhensibles au motif notamment que les emprunteurs ont reçu des informations sur les opérations de change réalisées au cours de la durée du contrat de prêt concerné ainsi que sur l’incidence des variations de la parité entre l’euro et le franc suisse sur la durée de ce contrat et sur les règlements aux fins du paiement du solde du compte.
23 Dans ce cadre, étant donné que le professionnel dispose de moyens supérieurs au consommateur afin d’anticiper les évolutions économiques et le risque de change, la juridiction de renvoi s’interroge sur les informations spécifiques concernant le risque de change qui doivent être transmises à un emprunteur qui ne connaît pas les prévisions économiques pouvant avoir des répercussions sur l’évolution de la parité entre la monnaie de compte et la monnaie de paiement, et sur les risques qui y sont associés. À cet égard, se poserait également la question de la charge de la preuve du caractère clair et compréhensible d’une clause du contrat, puisque la communication de certaines informations est contestée dans les procédures au principal.
24 Dans ces conditions, le tribunal de grande instance de Paris a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :
« 1) La directive [93/13], interprétée à la lumière du principe d’effectivité, s’oppose-t-elle, dans [des affaires comme celles] au principal, à l’application des règles de prescription, dans les cas suivants : (a) pour la déclaration du caractère abusif d’une clause, (b) pour les restitutions éventuelles, (c) lorsque le consommateur est demandeur et (d) lorsque le consommateur est défendeur, y compris à une demande reconventionnelle ?
2) En cas de réponse totalement ou partiellement négative à la première question, la directive [93/13], interprétée à la lumière du principe d’effectivité, s’oppose-t-elle, dans [des affaires comme celles] en cause au principal, à l’application d’une jurisprudence nationale fixant le point de départ du délai de prescription à la date d’acceptation de l’offre de prêt, plutôt qu’à la date de survenance de difficultés financières sérieuses ?
3) Des clauses telles que celles en [cause] dans [les litiges au] principal, prévoyant notamment que le franc suisse est la monnaie de compte et l’euro la monnaie de paiement, ayant pour effet de faire porter le risque de change sur l’emprunteur, relèvent-elles de l’objet principal du contrat au sens de l’article 4, [paragraphe] 2, de la directive 93/13, en l’absence de contestation du montant des frais de change et en présence de clauses prévoyant, à dates fixes, la possibilité pour l’emprunteur d’exercer une option de conversion en euros selon une formule prédéterminée ?
4) La directive [93/13], interprétée à la lumière du principe d’effectivité du droit [de l’Union], s’oppose-t-elle à une jurisprudence nationale considérant qu’une clause ou un ensemble de clauses, telle que celles en cause au principal, sont “claires et compréhensibles” au sens de la directive, aux motifs que :
– l’offre préalable de prêt détaille les opérations de change réalisées au cours de la vie du crédit et précise que le taux de change euros contre francs suisses sera celui applicable deux jours ouvrés avant la date de l’événement qui détermine l’opération et qui est publié sur le site de la Banque centrale européenne ;
– il est mentionné dans l’offre que l’emprunteur accepte les opérations de change de francs suisses en euros et d’euros en francs suisses nécessaires au fonctionnement et au remboursement du crédit, et que le prêteur opérera la conversion en francs suisses du solde des règlements mensuels en euros après paiement des charges annexes du crédit ;
– l’offre indique que, s’il résulte de l’opération de change une somme inférieure à l’échéance en francs suisses exigible, l’amortissement du capital sera moins rapide et l’éventuelle part de capital non amorti au titre d’une échéance sera inscrite au solde débiteur du compte en francs suisses, et qu’il est précisé que l’amortissement du capital du prêt évoluera en fonction des variations du taux de change appliqué aux règlements mensuels, à la hausse ou à la baisse, que cette évolution peut entraîner l’allongement ou la réduction de la durée d’amortissement du prêt et, le cas échéant, modifier la charge totale de remboursement ;
– les articles “compte interne en euros” et “compte interne en francs suisses” détaillent les opérations effectuées à chaque paiement d’échéance au crédit et au débit de chaque compte, et que le contrat expose de manière transparente le fonctionnement concret du mécanisme de conversion de la devise étrangère ;
et alors que ne figure dans l’offre, notamment, pas de mention expresse du “risque de change” qui incombe à l’emprunteur au vu de l’absence de perception des revenus dans la monnaie de compte, ni de mention explicite du “risque de taux d’intérêt” ?
5) Dans l’éventualité d’une réponse [affirmative] à la quatrième question, la directive [93/13], interprétée à la lumière du principe d’effectivité du droit [de l’Union], s’oppose-t-elle à une jurisprudence nationale considérant qu’une clause ou un ensemble de clauses, telle que celles en cause au principal, sont “claires et compréhensibles” au sens de la directive, dès lors que s’ajoute uniquement aux éléments relevés dans la quatrième question, une simulation d’une baisse de [5 à 6 %] de la monnaie de règlement par rapport à la monnaie de compte, dans un contrat d’une durée initiale de [22 à 25 ans], et sans autre mention des termes tels que “risque” ou “difficulté”?
6) La charge de la preuve du caractère “clair et compréhensible” d’une clause au sens de la directive 93/13 incombe-t-elle, y compris au sujet des circonstances entourant la conclusion du contrat, au professionnel ou au consommateur ?
7) Si la charge de la preuve du caractère clair et compréhensible de la clause appartient au professionnel, la directive 93/13 s’oppose-t-elle à une jurisprudence nationale estimant, en présence de documents relatifs aux techniques de vente, qu’il appartient aux emprunteurs de prouver, d’une part, qu’ils ont été destinataires des informations contenues dans ces documents et, d’autre part, que c’est la banque qui les leur a adressés, ou, au contraire, exige-t-elle que ces éléments constituent une présomption de ce que les informations contenues dans ces documents ont été transmises, y compris verbalement, aux emprunteurs, présomption simple qu’il incombe au professionnel, qui doit répondre des informations communiquées par les intermédiaires qu’il a choisis, de réfuter ?
8) L’existence d’un déséquilibre significatif peut-elle être caractérisée dans [des contrats tels que ceux] au principal dans [lesquels] les deux parties subissent un risque de change, dès lors que, d’une part, le professionnel dispose de moyens supérieurs au consommateur pour anticiper le risque de change et que, d’autre part, le risque supporté par le professionnel est plafonné tandis que celui supporté par le consommateur ne l’est pas ? »
25 Par décision du président de la Cour du 19 novembre 2019, les affaires C‑776/19 à C‑782/19 ont été jointes aux fins des phases écrite et orale de la procédure.
Sur les questions préjudicielles
Sur les première et deuxième questions
26 Par ses première et deuxième questions, qu’il convient d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande, en substance, si la directive 93/13, lue à la lumière du principe d’effectivité, doit être interprétée en ce sens qu’elle s’oppose à une réglementation nationale soumettant l’introduction d’une demande par un consommateur aux fins de la constatation du caractère abusif d’une clause figurant dans un contrat conclu entre un professionnel et ce consommateur ou aux fins de la restitution de sommes indûment versées, sur le fondement de clauses abusives au sens de cette directive, à un délai de prescription de cinq ans qui commence à courir à la date de l’acceptation de l’offre de prêt.
27 À cet égard, il y a lieu de relever que, conformément à une jurisprudence constante, en l’absence de réglementation spécifique de l’Union en la matière, les modalités de mise en œuvre de la protection des consommateurs prévue par la directive 93/13 relèvent de l’ordre juridique interne des États membres en vertu du principe de l’autonomie procédurale de ces derniers. Cependant, ces modalités ne doivent pas être moins favorables que celles régissant des situations similaires de nature interne (principe d’équivalence) ni être aménagées de manière à rendre en pratique impossible ou excessivement difficile l’exercice des droits conférés par l’ordre juridique de l’Union (principe d’effectivité) (voir, en ce sens, arrêt du 16 juillet 2020, Caixabank et Banco Bilbao Vizcaya Argentaria, C‑224/19 et C‑259/19, EU:C:2020:578, point 83 ainsi que jurisprudence citée).
28 En ce qui concerne le principe d’effectivité, seul visé dans la présente affaire, il y a lieu de relever que chaque cas où se pose la question de savoir si une disposition procédurale nationale rend impossible ou excessivement difficile l’application du droit de l’Union doit être analysé en tenant compte de la place de cette disposition dans l’ensemble de la procédure, de son déroulement et de ses particularités, devant les diverses instances nationales. Dans cette perspective, il convient de prendre en considération, le cas échéant, les principes qui sont à la base du système juridictionnel national, tels que la protection des droits de la défense, le principe de sécurité juridique et le bon déroulement de la procédure (voir, notamment, arrêt du 16 juillet 2020, Caixabank et Banco Bilbao Vizcaya Argentaria, C‑224/19 et C‑259/19, EU:C:2020:578, point 85 ainsi que jurisprudence citée).
29 En outre, la Cour a précisé que l’obligation pour les États membres d’assurer l’effectivité des droits que les justiciables tirent du droit de l’Union implique, notamment pour les droits découlant de la directive 93/13, une exigence de protection juridictionnelle effective, consacrée également à l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, qui vaut, entre autres, en ce qui concerne la définition des modalités procédurales relatives aux actions en justice fondées sur de tels droits (voir, en ce sens, arrêt du 31 mai 2018, Sziber, C‑483/16, EU:C:2018:367, point 49 et jurisprudence citée).
30 En ce qui concerne l’analyse des caractéristiques du délai de prescription en cause au principal, la Cour a précisé que cette analyse doit porter sur la durée d’un tel délai ainsi que sur les modalités de son application, en ce compris la modalité retenue pour déclencher l’ouverture de ce délai (voir, en ce sens, arrêt du 9 juillet 2020, Raiffeisen Bank et BRD Groupe Société Générale, C‑698/18 et C‑699/18, EU:C:2020:537, point 61 ainsi que jurisprudence citée).
31 Premièrement, s’agissant de l’opposition d’un délai de prescription aux demandes faites par des consommateurs pour faire valoir des droits qu’ils tirent de la directive 93/13, il importe de relever que, selon la jurisprudence de la Cour, des délais raisonnables de recours fixés, sous peine de forclusion, dans l’intérêt de la sécurité juridique ne sont pas de nature à rendre pratiquement impossible ou excessivement difficile l’exercice des droits conférés par l’ordre juridique de l’Union, si de tels délais sont matériellement suffisants pour permettre au consommateur de préparer et de former un recours effectif (voir, notamment, arrêt du 9 juillet 2020, Raiffeisen Bank et BRD Groupe Société Générale, C‑698/18 et C‑699/18, EU:C:2020:537, point 62 ainsi que jurisprudence citée).
32 En effet, la Cour a reconnu que la protection du consommateur ne revêt pas un caractère absolu et que la fixation de délais raisonnables de recours à peine de forclusion, dans l’intérêt de la sécurité juridique, est compatible avec le droit de l’Union (voir, notamment, arrêts du 9 juillet 2020, Raiffeisen Bank et BRD Groupe Société Générale, C‑698/18 et C‑699/18, EU:C:2020:537, point 56, ainsi que du 16 juillet 2020, Caixabank et Banco Bilbao Vizcaya Argentaria, C‑224/19 et C‑259/19, EU:C:2020:578, point 82 ainsi que jurisprudence citée).
33 Cependant, en mettant en exergue la protection que la directive 93/13 assure aux consommateurs, la Cour a dit pour droit que cette directive s’oppose à une réglementation interne qui interdit au juge national, après l’expiration d’un délai de forclusion, de relever le caractère abusif d’une clause insérée dans un contrat conclu entre un professionnel et un consommateur (voir, en ce sens, arrêts du 21 novembre 2002, Cofidis, C‑473/00, EU:C:2002:705, point 38, ainsi que du 9 juillet 2020, Raiffeisen Bank et BRD Groupe Société Générale, C‑698/18 et C‑699/18, EU:C:2020:537, point 55).
34 En l’occurrence, la demande de décision préjudicielle porte sur deux situations distinctes, à savoir, d’une part, sur l’opposition d’un délai de prescription à une demande introduite par un consommateur aux fins de la constatation du caractère abusif d’une clause figurant dans un contrat conclu entre un professionnel et ce consommateur et, d’autre part, sur l’opposition d’un tel délai à une demande introduite par ledit consommateur aux fins de la restitution de sommes indûment versées, sur le fondement de clauses abusives au sens de la directive 93/13.
35 S’agissant, d’une part, de l’opposition d’un délai de prescription à une demande introduite par un consommateur aux fins de la constatation du caractère abusif d’une clause figurant dans un contrat conclu entre un professionnel et ce consommateur, il importe de rappeler, en premier lieu, que, en vertu de l’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13, les clauses abusives figurant dans un contrat conclu entre un professionnel et un consommateur ne lient pas ce consommateur.
36 En deuxième lieu, compte tenu de la nature et de l’importance de l’intérêt public que constitue la protection des consommateurs, la directive 93/13 impose aux États membres, ainsi que cela ressort de son article 7, paragraphe 1, lu en combinaison avec son vingt-quatrième considérant, de prévoir des moyens adéquats et efficaces afin de faire cesser l’utilisation des clauses abusives dans les contrats entre un professionnel et les consommateurs. Pour ce faire, il incombe aux juridictions nationales d’écarter l’application des clauses abusives afin qu’elles ne produisent pas d’effets contraignants à l’égard du consommateur, sauf si celui-ci s’y oppose (voir, en ce sens, arrêt du 9 juillet 2020, Raiffeisen Bank et BRD Groupe Société Générale, C‑698/18 et C‑699/18, EU:C:2020:537, points 52 et 53 ainsi que jurisprudence citée).
37 En troisième lieu, il ressort de la jurisprudence qu’une clause contractuelle déclarée abusive doit être considérée, en principe, comme n’ayant jamais existé, de sorte qu’elle ne saurait avoir d’effet à l’égard du consommateur. La Cour en a déduit que la constatation judiciaire du caractère abusif d’une telle clause doit, en principe, avoir pour conséquence le rétablissement de la situation en droit et en fait du consommateur dans laquelle il se serait trouvé en l’absence de ladite clause, de sorte que l’obligation pour le juge national d’écarter une clause contractuelle abusive imposant le paiement de sommes qui se révèlent indues emporte, en principe, un effet restitutoire correspondant à l’égard de ces mêmes sommes (voir, en ce sens, arrêts du 21 décembre 2016, Gutiérrez Naranjo e.a., C‑154/15, C‑307/15 et C‑308/15, EU:C:2016:980, points 61 et 62, ainsi que du 9 juillet 2020, Raiffeisen Bank et BRD Groupe Société Générale, C‑698/18 et C‑699/18, EU:C:2020:537, point 54).
38 Dans cette perspective, il y a lieu de considérer que, afin notamment d’assurer une protection effective des droits que le consommateur tire de la directive 93/13, celui-ci doit pouvoir soulever, à tout moment, le caractère abusif d’une clause contractuelle non seulement en tant que moyen de défense, mais également aux fins de faire déclarer par le juge le caractère abusif d’une clause contractuelle, de sorte qu’une demande introduite par le consommateur aux fins de la constatation du caractère abusif d’une clause figurant dans un contrat conclu entre un professionnel et un consommateur ne saurait être soumise à un quelconque délai de prescription.
39 S’agissant, d’autre part, de l’opposition d’un délai de prescription à une demande introduite par un consommateur aux fins de la restitution de sommes indûment versées, sur le fondement de clauses abusives au sens de la directive 93/13, il suffit de rappeler que la Cour a déjà dit pour droit que l’article 6, paragraphe 1, et l’article 7, paragraphe 1, de cette directive ne s’opposent pas à une réglementation nationale qui, tout en prévoyant le caractère imprescriptible de l’action tendant à constater la nullité d’une clause abusive figurant dans un contrat conclu entre un professionnel et un consommateur, soumet à un délai de prescription l’action visant à faire valoir les effets restitutifs de cette constatation, sous réserve du respect des principes d’équivalence et d’effectivité (voir, en ce sens, arrêts du 9 juillet 2020, Raiffeisen Bank et BRD Groupe Société Générale, C‑698/18 et C‑699/18, EU:C:2020:537, point 58, ainsi que du 16 juillet 2020, Caixabank et Banco Bilbao Vizcaya Argentaria, C‑224/19 et C‑259/19, EU:C:2020:578, point 84).
40 Dès lors, il y a lieu de considérer que l’opposition d’un délai de prescription aux demandes de caractère restitutif, formées par des consommateurs en vue de faire valoir des droits qu’ils tirent de la directive 93/13 n’est pas, en soi, contraire au principe d’effectivité, pour autant que son application ne rend pas en pratique impossible ou excessivement difficile l’exercice des droits conférés par cette directive.
41 Deuxièmement, en ce qui concerne la durée du délai de prescription auquel est soumise une demande introduite par un consommateur aux fins de la restitution de sommes indûment versées, sur le fondement de clauses abusives au sens de la directive 93/13, il y a lieu de relever que la Cour a déjà eu l’occasion de se prononcer sur la compatibilité avec le principe d’effectivité de délais de prescription comparables à celui en cause au principal, ayant des durées de trois et de cinq ans, qui ont été opposés à des actions visant à faire valoir les effets restitutifs d’une constatation du caractère abusif d’une clause contractuelle. Selon la Cour, à condition qu’ils soient établis et connus à l’avance, ces délais sont, en principe, suffisants pour permettre au consommateur concerné de préparer et de former un recours effectif. Ainsi, des durées de trois à cinq ans ne sont pas, en elles-mêmes, incompatibles avec le principe d’effectivité (voir, en ce sens, arrêts du 9 juillet 2020, Raiffeisen Bank et BRD Groupe Société Générale, C‑698/18 et C‑699/18, EU:C:2020:537, points 62 et 64, ainsi que du 16 juillet 2020, Caixabank et Banco Bilbao Vizcaya Argentaria, C‑224/19 et C‑259/19, EU:C:2020:578, point 87 ainsi que jurisprudence citée).
42 En conséquence, il y a lieu de considérer que, pour autant qu’il est établi et connu d’avance, un délai de prescription de cinq ans, tel que celui en cause au principal, opposé à une demande introduite par un consommateur aux fins de la restitution de sommes indûment versées, sur le fondement de clauses abusives au sens de la directive 93/13, ne paraît pas de nature à rendre pratiquement impossible ou excessivement difficile l’exercice des droits conférés par la directive 93/13. En effet, un délai d’une telle durée est, en principe, matériellement suffisant pour permettre au consommateur de préparer et de former un recours effectif afin de faire valoir les droits qu’il tire de cette directive, et ce notamment sous forme de prétentions, de nature restitutive, fondées sur le caractère abusif d’une clause contractuelle.
43 Cependant, s’agissant, troisièmement, du point de départ du délai de prescription en cause au principal, il existe un risque non négligeable que le consommateur ne soit pas en mesure d’invoquer, durant ce délai, les droits que lui confère la directive 93/13 (voir, en ce sens, arrêt du 5 mars 2020, OPR-Finance, C‑679/18, EU:C:2020:167, point 22 et jurisprudence citée).
44 En effet, il ressort des indications fournies par la juridiction de renvoi que le délai de prescription de cinq ans, prévu à l’article 2224 du code civil, commence à courir, selon la jurisprudence issue des juridictions françaises, à la date de l’acceptation de l’offre du prêt en cause.
45 À cet égard, il convient de tenir compte de la situation d’infériorité du consommateur à l’égard du professionnel en ce qui concerne tant le pouvoir de négociation que le niveau d’information, situation qui le conduit à adhérer aux conditions rédigées préalablement par le professionnel, sans pouvoir exercer une influence sur le contenu de celles-ci (voir, en ce sens, arrêt du 9 juillet 2020, Raiffeisen Bank et BRD Groupe Société Générale, C‑698/18 et C‑699/18, EU:C:2020:537, point 66 ainsi que jurisprudence citée). De même, il importe de rappeler que les consommateurs peuvent ignorer le caractère abusif d’une clause figurant dans un contrat de prêt hypothécaire ou ne perçoivent pas l’étendue de leurs droits découlant de la directive 93/13 (voir, en ce sens, arrêt du 16 juillet 2020, Caixabank et Banco Bilbao Vizcaya Argentaria, C‑224/19 et C‑259/19, EU:C:2020:578, point 90 ainsi que jurisprudence citée).
46 Il y a lieu de relever qu’un délai de prescription peut être compatible avec le principe d’effectivité uniquement si le consommateur a eu la possibilité de connaître ses droits avant que ce délai ne commence à courir ou ne s’écoule (voir, en ce sens, arrêts du 6 octobre 2009, Asturcom Telecomunicaciones, C‑40/08, EU:C:2009:615, point 45 ; du 9 juillet 2020, Raiffeisen Bank et BRD Groupe Société Générale, C‑698/18 et C‑699/18, EU:C:2020:537, point 67, ainsi que du 16 juillet 2020, Caixabank et Banco Bilbao Vizcaya Argentaria, C‑224/19 et C‑259/19, EU:C:2020:578, point 91).
47 Or, l’opposition d’un délai de prescription de cinq ans, tel que celui en cause au principal, à une demande introduite par un consommateur aux fins de la restitution de sommes indûment versées, sur le fondement de clauses abusives au sens de la directive 93/13, qui commence à courir à la date de l’acceptation de l’offre de prêt, n’est pas de nature à assurer audit consommateur une protection effective, dès lors que ce délai risque d’avoir expiré avant même que le consommateur ne puisse avoir connaissance de la nature abusive d’une clause contenue dans le contrat en cause. Un tel délai rend excessivement difficile l’exercice des droits que ce consommateur tire de la directive 93/13 et méconnaît, dès lors, le principe d’effectivité (voir, par analogie, arrêts du 9 juillet 2020, Raiffeisen Bank et BRD Groupe Société Générale, C‑698/18 et C‑699/18, EU:C:2020:537, points 67 et 75, ainsi que du 16 juillet 2020, Caixabank et Banco Bilbao Vizcaya Argentaria, C‑224/19 et C‑259/19, EU:C:2020:578, point 91).
48 Eu égard à ce qui précède, il y a lieu de répondre aux première et deuxième questions que l’article 6, paragraphe 1, et l’article 7, paragraphe 1, de la directive 93/13, lus à la lumière du principe d’effectivité, doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une réglementation nationale soumettant l’introduction d’une demande par un consommateur :
– aux fins de la constatation du caractère abusif d’une clause figurant dans un contrat conclu entre un professionnel et ce consommateur à un délai de prescription ;
– aux fins de la restitution de sommes indûment versées, sur le fondement de telles clauses abusives, à un délai de prescription de cinq ans, dès lors que ce délai commence à courir à la date de l’acceptation de l’offre de prêt de telle sorte que le consommateur a pu, à ce moment-là, ignorer l’ensemble de ses droits découlant de cette directive.
Sur la troisième question
49 Par sa troisième question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 4, paragraphe 2, de la directive 93/13 doit être interprété en ce sens que la notion d’« objet principal du contrat », au sens de cette disposition, couvre les clauses du contrat de prêt qui prévoient que la devise étrangère est la monnaie de compte et que l’euro est la monnaie de paiement et qui ont pour effet de faire porter le risque de change sur l’emprunteur.
50 Conformément à l’article 4, paragraphe 2, de la directive 93/13, l’appréciation du caractère abusif des clauses d’un contrat ne porte ni sur la définition de l’objet principal de ce contrat ni sur l’adéquation entre le prix et la rémunération, d’une part, et les services ou les biens à fournir en contrepartie, d’autre part, pour autant que ces clauses sont rédigées de façon claire et compréhensible. Le juge peut donc contrôler le caractère abusif d’une clause, qui porte sur la définition de l’objet principal du contrat, uniquement si cette clause n’est pas claire et compréhensible.
51 À cet égard, la Cour a jugé que l’article 4, paragraphe 2, de la directive 93/13 édicte une exception au mécanisme de contrôle de fond des clauses abusives, tel que prévu dans le cadre du système de protection des consommateurs mis en œuvre par cette directive, et que, dès lors, il convient de donner une interprétation stricte à cette disposition (arrêt du 20 septembre 2017, Andriciuc e.a., C‑186/16, EU:C:2017:703, point 34 ainsi que jurisprudence citée).
52 En ce qui concerne la catégorie des clauses du contrat qui relèvent de la notion d’« objet principal du contrat », au sens de l’article 4, paragraphe 2, de la directive 93/13, la Cour a également jugé que ces clauses doivent s’entendre comme étant celles qui fixent les prestations essentielles de ce contrat et qui, comme telles, caractérisent celui-ci. En revanche, les clauses qui revêtent un caractère accessoire par rapport à celles qui définissent l’essence même du rapport contractuel ne sauraient relever de ladite notion (arrêt du 3 octobre 2019, Kiss et CIB Bank, C‑621/17, EU:C:2019:820, point 32 ainsi que jurisprudence citée).
53 Il appartient à la juridiction de renvoi d’examiner, eu égard à la nature, à l’économie générale et aux stipulations des contrats de prêt en cause au principal ainsi qu’au contexte juridique et factuel dans lequel ces derniers s’inscrivent, si les clauses visées par la troisième question constituent un élément essentiel de la prestation du débiteur consistant dans le remboursement du montant mis à sa disposition par le prêteur (voir, en ce sens, arrêt du 3 octobre 2019, Kiss et CIB Bank, C‑621/17, EU:C:2019:820, point 33 ainsi que jurisprudence citée).
54 Cela étant, il incombe néanmoins à la Cour de dégager de l’article 4, paragraphe 2, de la directive 93/13 les critères applicables lors d’un tel examen (voir, en ce sens, arrêt du 20 septembre 2017, Andriciuc e.a., C‑186/16, EU:C:2017:703, point 33).
55 À cet égard, s’agissant des contrats de prêt libellés en devise étrangère et remboursables en devise nationale, la Cour a précisé que l’exclusion de l’appréciation du caractère abusif des clauses portant sur l’adéquation entre le prix et la rémunération, d’une part, et les services ou les biens à fournir en contrepartie, d’autre part, ne saurait s’appliquer à des clauses qui se limitent à déterminer, en vue du calcul des remboursements, le cours de conversion de la devise étrangère dans laquelle le contrat de prêt est libellé, sans toutefois qu’aucun service de change soit fourni par le prêteur lors dudit calcul, et ne comportent, dès lors, aucune « rémunération » dont l’adéquation en tant que contrepartie d’une prestation effectuée par le prêteur ne saurait faire l’objet d’une appréciation de son caractère abusif en vertu de l’article 4, paragraphe 2, de la directive 93/13 (arrêt du 30 avril 2014, Kásler et Káslerné Rábai, C‑26/13, EU:C:2014:282, point 58).
56 Cependant, la Cour a également précisé, sans toutefois limiter ce constat aux seuls contrats de prêt libellés en devise étrangère et remboursables en cette même devise, que les clauses du contrat qui se rapportent au risque de change définissent l’objet principal de ce contrat (voir, notamment, arrêts du 20 septembre 2018, OTP Bank et OTP Faktoring, C‑51/17, EU:C:2018:750, point 68 ainsi que jurisprudence citée, et du 14 mars 2019, Dunai, C‑118/17, EU:C:2019:207, point 48).
57 À cet égard, il convient d’observer que, par un contrat de crédit, le prêteur s’engage, principalement, à mettre à la disposition de l’emprunteur une certaine somme d’argent, ce dernier s’engageant, pour sa part, principalement à rembourser, en règle générale avec intérêts, cette somme selon les échéances prévues. Les prestations essentielles d’un tel contrat se rapportent, dès lors, à une somme d’argent qui doit être définie par rapport aux monnaies de paiement et de remboursement qui y sont stipulées. Dès lors, le fait qu’un crédit doit être remboursé dans une certaine monnaie a trait, en principe, non pas à une modalité accessoire de paiement, mais bien à la nature même de l’obligation du débiteur, constituant ainsi un élément essentiel d’un contrat de prêt (arrêt du 20 septembre 2017, Andriciuc e.a., C‑186/16, EU:C:2017:703, point 38).
58 Il appartient donc à la juridiction de renvoi d’apprécier, en tenant compte des critères dégagés aux points 55 à 57 du présent arrêt, si les clauses des contrats en cause au principal, qui prévoient que la devise étrangère est la monnaie de compte et que l’euro est la monnaie de paiement et qui ont pour effet de faire porter le risque de change sur l’emprunteur, ont trait à la nature même de l’obligation du débiteur de rembourser le montant mis à sa disposition par le prêteur, et ce indépendamment du point de savoir si la contestation du consommateur porte également sur les frais de change.
59 Par ailleurs, il importe de préciser que l’existence, dans un contrat de prêt libellé en devise étrangère, d’une autre clause permettant à l’emprunteur d’exercer une option de conversion en euros à dates prédéterminées ne saurait signifier que les clauses portant sur le risque de change acquièrent de ce fait une dimension accessoire. En effet, le fait que les parties ont la possibilité de modifier, à certaines échéances, une des clauses essentielles du contrat permet à l’emprunteur de modifier les conditions de son prêt ex nunc, sans que l’existence d’une telle possibilité ait une incidence directe sur l’appréciation de la prestation essentielle caractérisant le contrat en cause.
60 Au vu de l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient de répondre à la troisième question que l’article 4, paragraphe 2, de la directive 93/13 doit être interprété en ce sens que les clauses du contrat de prêt qui prévoient que la devise étrangère est la monnaie de compte et que l’euro est la monnaie de paiement et qui ont pour effet de faire porter le risque de change sur l’emprunteur relèvent de cette disposition dans le cas où ces clauses fixent un élément essentiel caractérisant ledit contrat.
Sur les quatrième et cinquième questions
61 Par ses quatrième et cinquième questions, qu’il convient d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 4, paragraphe 2, de la directive 93/13 doit être interprété en ce sens que, dans le cadre d’un contrat de prêt libellé en devise étrangère, l’exigence de transparence des clauses de ce contrat qui prévoient que la devise étrangère est la monnaie de compte et que l’euro est la monnaie de paiement et qui ont pour effet de faire porter le risque de change sur l’emprunteur, est satisfaite dès lors que le professionnel a fourni au consommateur des informations relatives à l’incidence sur les obligations financières de ce consommateur de la hausse ou de la dépréciation éventuelles de l’euro par rapport à la devise étrangère dans laquelle le prêt a été libellé.
62 Selon une jurisprudence constante relative à l’exigence de transparence, l’information, avant la conclusion d’un contrat, sur les conditions contractuelles et les conséquences de ladite conclusion est, pour un consommateur, d’une importance fondamentale. C’est notamment sur la base de cette information que ce dernier décide s’il souhaite se lier contractuellement à un professionnel en adhérant aux conditions rédigées préalablement par celui-ci (arrêt du 3 mars 2020, Gómez del Moral Guasch, C‑125/18, EU:C:2020:138, point 49 et jurisprudence citée).
63 Il s’ensuit que l’exigence de transparence des clauses contractuelles, telle qu’elle résulte de l’article 4, paragraphe 2, et de l’article 5 de la directive 93/13, ne saurait être réduite au seul caractère compréhensible sur les plans formel et grammatical de celles-ci. Le système de protection mis en œuvre par cette directive reposant sur l’idée que le consommateur se trouve dans une situation d’infériorité à l’égard du professionnel en ce qui concerne, notamment, le niveau d’information, cette exigence de rédaction claire et compréhensible des clauses contractuelles et, partant, de transparence, imposée par ladite directive, doit être entendue de manière extensive (arrêt du 3 mars 2020, Gómez del Moral Guasch, C‑125/18, EU:C:2020:138, point 50 et jurisprudence citée).
64 En conséquence, ladite exigence doit être comprise comme imposant non seulement que la clause concernée soit intelligible pour le consommateur sur les plans formel et grammatical, mais également qu’un consommateur moyen, normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, soit mis en mesure de comprendre le fonctionnement concret de cette clause et d’évaluer ainsi, sur le fondement de critères précis et intelligibles, les conséquences économiques, potentiellement significatives, d’une telle clause sur ses obligations financières (arrêt du 3 mars 2020, Gómez del Moral Guasch, C‑125/18, EU:C:2020:138, point 51 et jurisprudence citée).
65 Cela implique notamment que le contrat doit exposer de manière transparente le fonctionnement concret du mécanisme auquel la clause concernée fait référence ainsi que, le cas échéant, la relation entre ce mécanisme et celui prescrit par d’autres clauses, de telle sorte que ce consommateur soit mis en mesure d’évaluer, sur le fondement de critères précis et intelligibles, les conséquences économiques qui en découlent pour lui (voir, en ce sens, arrêt du 27 janvier 2021, Dexia Nederland, C‑229/19 et C‑289/19, EU:C:2021:68, point 50 ainsi que jurisprudence citée).
66 La question de savoir si, en l’occurrence, l’exigence de transparence a été respectée doit être examinée par la juridiction de renvoi à la lumière de l’ensemble des éléments de fait pertinents, au nombre desquels figurent la publicité et l’information fournies, dans le cadre de la négociation des contrats de prêt en cause au principal, non seulement par le prêteur lui-même, mais aussi par toute autre personne ayant participé, au nom de ce professionnel, à la commercialisation des prêts concernés.
67 Plus particulièrement, il incombe au juge national, lorsqu’il tient compte de l’ensemble des circonstances entourant la conclusion du contrat de prêt, de vérifier que, dans l’affaire concernée, ont été communiqués au consommateur l’ensemble des éléments susceptibles d’avoir une incidence sur la portée de son engagement lui permettant d’évaluer, notamment, le coût total de son emprunt. Jouent un rôle décisif dans cette appréciation, d’une part, la question de savoir si les clauses de ce contrat sont rédigées de manière claire et compréhensible de sorte qu’elles permettent à un consommateur moyen, tel que décrit au point 64 du présent arrêt, d’évaluer un tel coût et, d’autre part, la circonstance liée à l’absence de mention, dans le contrat de crédit, des informations considérées, au regard de la nature des biens ou des services qui font l’objet de ce contrat, comme étant essentielles (voir, en ce sens, arrêt du 3 mars 2020, Gómez del Moral Guasch, C‑125/18, EU:C:2020:138, point 52 et jurisprudence citée).
68 En l’occurrence, la juridiction de renvoi relève que les requérants au principal ont reçu, avant la souscription de leurs prêts, des informations sur l’incidence des variations de la parité entre l’euro et le franc suisse sur la durée du contrat et sur les règlements aux fins du paiement du solde du compte. Le risque de change n’aurait toutefois été nullement mentionné.
69 En ce qui concerne les contrats de prêt libellés en devise étrangère, tels que ceux en cause au principal, il y a lieu de constater, en premier lieu, qu’est pertinente, aux fins de ladite appréciation, toute information fournie par le professionnel qui vise à éclairer le consommateur sur le fonctionnement du mécanisme de change et le risque lié à celui-ci. Constituent des éléments d’une importance particulière les précisions concernant les risques encourus par l’emprunteur en cas de dépréciation importante de la monnaie ayant cours légal dans l’État membre où celui-ci est domicilié et d’une hausse du taux d’intérêt étranger.
70 À cet égard, ainsi que l’a souligné le Comité européen du risque systémique dans sa recommandation CERS/2011/1, du 21 septembre 2011, concernant les prêts en devises (JO 2011, C 342, p. 1), les établissements financiers doivent fournir aux emprunteurs des informations suffisantes pour permettre à ceux-ci de prendre leurs décisions avec prudence et en toute connaissance de cause, celles-ci devant au moins traiter de l’incidence sur les remboursements d’une dépréciation importante de la monnaie ayant cours légal dans l’État membre où l’emprunteur est domicilié et d’une hausse du taux d’intérêt étranger (Recommandation A – Sensibilisation des emprunteurs aux risques, point 1) (arrêt du 20 septembre 2018, OTP Bank et OTP Faktoring, C‑51/17, EU:C:2018:750, point 74 ainsi que jurisprudence citée).
71 La Cour a relevé, en particulier, que l’emprunteur doit être clairement informé du fait que, en concluant un contrat de prêt libellé dans une devise étrangère, il s’expose à un risque de change qu’il lui sera, éventuellement, économiquement difficile d’assumer en cas de dépréciation de la monnaie dans laquelle il perçoit ses revenus. En outre, le professionnel doit exposer les possibles variations des taux de change et les risques inhérents à la conclusion d’un tel contrat (voir, en ce sens, arrêt du 20 septembre 2018, OTP Bank et OTP Faktoring, C‑51/17, EU:C:2018:750, point 75 ainsi que jurisprudence citée).
72 Il en découle que, afin de respecter l’exigence de transparence, les informations communiquées par le professionnel doivent pouvoir permettre à un consommateur moyen, normalement informé et raisonnablement attentif et avisé non seulement de comprendre que, en fonction des variations du taux de change, l’évolution de la parité entre la monnaie de compte et la monnaie de paiement peut entraîner des conséquences défavorables à l’égard de ses obligations financières, mais également de comprendre, dans le cadre de la souscription d’un prêt libellé en devise étrangère, le risque réel auquel il s’expose, pendant toute la durée du contrat, dans l’hypothèse d’une dépréciation importante de la monnaie dans laquelle il perçoit ses revenus par rapport à la monnaie de compte.
73 Dans ce cadre, il importe de préciser que les simulations chiffrées, telles que celles incluses dans certaines offres de prêt en cause au principal, peuvent constituer un élément d’information utile, si elles sont fondées sur des données suffisantes et exactes, et si elles comportent des appréciations objectives qui sont communiquées de manière claire et compréhensible au consommateur. Ce n’est qu’à ces conditions que de telles simulations peuvent permettre au professionnel d’attirer l’attention de ce consommateur sur le risque des conséquences économiques négatives, potentiellement significatives, des clauses contractuelles en cause. Or, comme toute autre information relative à la portée de l’engagement du consommateur, communiquée par le professionnel, les simulations chiffrées doivent contribuer à la compréhension par ce consommateur de la portée réelle du risque, à long terme, lié aux possibles variations des taux de change et ainsi, des risques inhérents à la conclusion d’un contrat de prêt libellé en devise étrangère.
74 Ainsi, dans le cadre d’un contrat de prêt libellé en devise étrangère exposant le consommateur à un risque de change, ne saurait satisfaire à l’exigence de transparence la communication à ce consommateur d’informations, même nombreuses, si celles-ci sont fondées sur l’hypothèse que la parité entre la monnaie de compte et la monnaie de paiement restera stable tout au long de la durée de ce contrat. Il en est notamment ainsi lorsque le consommateur n’a pas été averti par le professionnel du contexte économique susceptible d’avoir des répercussions sur les variations des taux de change, de sorte que le consommateur n’a pas été mis en mesure de comprendre concrètement les conséquences potentiellement lourdes, qui peuvent découler de la souscription d’un prêt libellé en devise étrangère, sur sa situation financière.
75 En deuxième lieu, figure également parmi les éléments pertinents, aux fins de l’appréciation mentionnée au point 67 du présent arrêt, le langage utilisé par l’établissement financier dans les documents précontractuels et contractuels. En particulier, l’absence de termes ou d’explications avertissant l’emprunteur, de manière explicite, de l’existence de risques particuliers liés aux contrats de prêt libellés en devise étrangère peut confirmer que l’exigence de transparence, telle qu’elle résulte notamment de l’article 4, paragraphe 2, de la directive 93/13, n’est pas satisfaite.
76 En troisième et dernier lieu, eu égard aux circonstances factuelles relevées au point 15 du présent arrêt, il importe de rappeler que la constatation du caractère déloyal d’une pratique commerciale, sur lequel les parties au principal ont débattu lors de l’audience devant la Cour, peut également constituer un élément parmi d’autres sur lequel le juge national peut fonder son appréciation du caractère abusif des clauses figurant dans un contrat conclu entre un professionnel et un consommateur (voir, en ce sens, arrêt du 15 mars 2012, Pereničová et Perenič, C‑453/10, EU:C:2012:144, point 43).
77 Cependant, cet élément ne saurait établir automatiquement et à lui seul que l’exigence de transparence qui découle de l’article 4, paragraphe 2, de la directive 93/13 n’est pas satisfaite, cette question devant être examinée en fonction de toutes les circonstances propres au cas d’espèce (voir, en ce sens, arrêt du 15 mars 2012, Pereničová et Perenič, C‑453/10, EU:C:2012:144, point 44 ainsi que jurisprudence citée).
78 Eu égard aux considérations qui précèdent, il convient de répondre aux quatrième et cinquième questions que l’article 4, paragraphe 2, de la directive 93/13 doit être interprété en ce sens que, dans le cadre d’un contrat de prêt libellé en devise étrangère, l’exigence de transparence des clauses de ce contrat qui prévoient que la devise étrangère est la monnaie de compte et que l’euro est la monnaie de paiement et qui ont pour effet de faire porter le risque de change sur l’emprunteur, est satisfaite lorsque le professionnel a fourni au consommateur des informations suffisantes et exactes permettant à un consommateur moyen, normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, de comprendre le fonctionnement concret du mécanisme financier en cause et d’évaluer ainsi le risque des conséquences économiques négatives, potentiellement significatives, de telles clauses sur ses obligations financières pendant toute la durée de ce même contrat.
Sur les sixième et septième questions
79 Par ses sixième et septième questions, qu’il convient d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande, en substance, si la directive 93/13 doit être interprétée en ce sens qu’elle s’oppose à ce que la charge de la preuve du caractère clair et compréhensible d’une clause contractuelle, au sens de l’article 4, paragraphe 2, de cette directive, incombe au consommateur et si tel est également le cas en ce qui concerne la transmission des informations contenues dans des documents relatifs aux techniques de vente employées par le professionnel, ou par une autre personne ayant participé, au nom de ce professionnel, à la commercialisation des prêts en cause.
80 À cet égard, il y a lieu de relever que la directive 93/13 ne contient aucune disposition relative à la charge de la preuve en ce qui concerne le caractère clair et compréhensible d’une clause contractuelle, au sens de l’article 4, paragraphe 2, de cette directive.
81 Partant, ainsi qu’il ressort de la jurisprudence citée au point 27 du présent arrêt, de telles modalités de mise en œuvre de la protection des consommateurs, prévue par la directive 93/13, relèvent de l’ordre juridique interne des États membres en vertu du principe de l’autonomie procédurale de ces derniers, étant précisé que ces modalités ne doivent pas être moins favorables que celles régissant des situations similaires de nature interne (principe d’équivalence) ni être aménagées de manière à rendre en pratique impossible ou excessivement difficile l’exercice des droits conférés par l’ordre juridique de l’Union (principe d’effectivité).
82 À cet égard, il y a lieu de relever que la directive 93/13 vise notamment à protéger le consommateur afin de rééquilibrer l’asymétrie entre la position du professionnel et celle du consommateur dans la relation contractuelle. Cette asymétrie résulte de la situation d’infériorité du consommateur à l’égard du professionnel en ce qui concerne tant le pouvoir de négociation que le niveau d’information, situation qui conduit le consommateur à adhérer, ainsi qu’il l’a été rappelé au point 45 du présent arrêt, aux conditions rédigées préalablement par le professionnel, sans pouvoir exercer une influence sur le contenu de celles-ci.
83 De même, ainsi qu’il a déjà été constaté au point 78 du présent arrêt, pour que soit satisfaite l’exigence de transparence, telle qu’elle résulte notamment de l’article 4, paragraphe 2, de la directive 93/13, le professionnel doit fournir au consommateur les informations suffisantes et exactes qui permettent à ce dernier d’évaluer le risque des conséquences économiques négatives, potentiellement significatives, des clauses contractuelles sur ses obligations financières.
84 Dans cette perspective, il y a lieu de relever que le respect du principe d’effectivité et la réalisation de l’objectif sous-tendant la directive 93/13 consistant à protéger le consommateur en rééquilibrant l’asymétrie entre la position du professionnel et celle du consommateur ne pourraient être assurés si la charge de la preuve du caractère clair et compréhensible d’une clause contractuelle, au sens de l’article 4, paragraphe 2, de cette directive reposait sur le consommateur.
85 En effet, comme l’ont fait, en substance, observer le gouvernement français et la Commission européenne dans leurs observations écrites, l’effectivité de l’exercice des droits conférés par la directive 93/13 ne pourrait être assurée si le consommateur était tenu de prouver un fait négatif, à savoir que le professionnel ne lui a pas fourni toutes les informations nécessaires afin de satisfaire à l’exigence de transparence, telle qu’elle résulte notamment de l’article 4, paragraphe 2, de la directive 93/13.
86 Au contraire, il convient de considérer que l’effectivité de l’exercice des droits conférés par la directive 93/13 peut être assurée lorsque le professionnel est, en principe, tenu de justifier devant le juge de la bonne exécution de ses obligations précontractuelles et contractuelles liées notamment à l’exigence de transparence des clauses contractuelles, telle qu’elle résulte notamment de l’article 4, paragraphe 2, de la directive 93/13. Ainsi peut être garantie la protection du consommateur, sans porter une atteinte démesurée au droit du professionnel à un procès équitable (voir, par analogie, arrêt du 18 décembre 2014, CA Consumer Finance, C‑449/13, EU:C:2014:2464, point 28).
87 À cet égard, il convient par ailleurs de préciser, en ce qui concerne les « documents relatifs aux techniques de vente », visés spécifiquement par la septième question, que l’obligation du professionnel de justifier de la bonne exécution de ses obligations précontractuelles et contractuelles doit également couvrir la preuve relative à la communication des informations contenues dans de tels documents au consommateur par le professionnel, ou par toute autre personne ayant participé, au nom de ce professionnel, à la commercialisation des prêts en cause. Il en est ainsi notamment lorsqu’il est considéré que ces documents peuvent s’avérer utiles aux fins de l’appréciation du caractère clair et compréhensible d’une clause contractuelle au sens de l’article 4, paragraphe 2, de la directive 93/13.
88 Ainsi que l’a relevé à juste titre la juridiction de renvoi, il appartient, en définitive, au professionnel de maîtriser les canaux de distribution de ses produits, qu’il s’agisse du choix des intermédiaires ou de la communication commerciale vis-à-vis du consommateur. Il devrait donc être en mesure de disposer des preuves de ce que les documents en cause n’ont pas été utilisés ou ne l’étaient plus à la date de conclusion du contrat afin de justifier de la bonne exécution de ses obligations précontractuelles et contractuelles liées notamment à l’exigence de transparence des clauses contractuelles.
89 Il résulte de ce qui précède qu’il convient de répondre aux sixième et septième questions que la directive 93/13 doit être interprétée en ce sens qu’elle s’oppose à ce que la charge de la preuve du caractère clair et compréhensible d’une clause contractuelle, au sens de l’article 4, paragraphe 2, de cette directive, incombe au consommateur.
Sur la huitième question
90 Par sa huitième question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 3, paragraphe l, de la directive 93/13 doit être interprété en ce sens que les clauses d’un contrat de prêt qui prévoient que la devise étrangère est la monnaie de compte et que l’euro est la monnaie de paiement et qui ont pour effet de faire porter le risque de change sur l’emprunteur, créent un déséquilibre significatif entre les droits et les obligations des parties découlant dudit contrat au détriment du consommateur dès lors que, d’une part, le professionnel dispose de moyens supérieurs au consommateur pour anticiper le risque de change et que, d’autre part, le risque supporté par ce professionnel est plafonné tandis que celui supporté par le consommateur ne l’est pas.
91 Il importe de rappeler tout d’abord que, en vertu de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 93/13, une clause non négociée d’un contrat conclu entre un consommateur et un professionnel est considérée comme abusive lorsque, en dépit de l’exigence de bonne foi, elle crée, au détriment du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et les obligations des parties découlant de ce contrat.
92 Il convient également de préciser que, selon une jurisprudence constante, la compétence de la Cour porte sur l’interprétation des critères que le juge national peut ou doit appliquer lors de l’examen d’une clause contractuelle au regard des dispositions de cette directive, et notamment lors de l’examen du caractère éventuellement abusif d’une clause au sens de l’article 3, paragraphe 1, de ladite directive, étant précisé qu’il appartient à ce juge de se prononcer sur la qualification concrète d’une clause contractuelle particulière en fonction des circonstances propres au cas d’espèce. Il en ressort que la Cour doit se limiter à fournir à la juridiction de renvoi des indications dont cette dernière est censée tenir compte afin d’apprécier le caractère abusif de la clause concernée (voir, en ce sens, arrêt du 3 septembre 2020, Profi Credit Polska, C‑84/19, C‑222/19 et C‑252/19, EU:C:2020:631, point 91 ainsi que jurisprudence citée).
93 En ce qui concerne l’appréciation du caractère abusif d’une clause contractuelle, il incombe au juge national de déterminer, en tenant compte des critères énoncés à l’article 3, paragraphe 1, ainsi qu’à l’article 5 de la directive 93/13, si, eu égard aux circonstances propres au cas d’espèce, une telle clause satisfait aux exigences de bonne foi, d’équilibre et de transparence posées par cette directive (voir, notamment, arrêt du 7 novembre 2019, Profi Credit Polska, C‑419/18 et C‑483/18, EU:C:2019:930, point 53 ainsi que jurisprudence citée).
94 Ainsi, le caractère transparent d’une clause contractuelle, tel qu’exigé à l’article 5 de la directive 93/13, constitue l’un des éléments à prendre en compte dans le cadre de l’appréciation du caractère abusif de cette clause qu’il appartient au juge national d’effectuer en vertu de l’article 3, paragraphe 1, de cette directive (arrêt du 3 octobre 2019, Kiss et CIB Bank, C‑621/17, EU:C:2019:820, point 49 ainsi que jurisprudence citée).
95 En l’occurrence, les clauses contractuelles en cause au principal, insérées dans des contrats de prêt libellés en devise étrangère, prévoient que les deux parties subissent un risque de change, mais que le risque supporté par le professionnel, en l’occurrence l’établissement bancaire, est plafonné tandis que celui supporté par le consommateur ne l’est pas. Ces clauses font ainsi peser, en cas de dépréciation importante de la monnaie nationale par rapport à la devise étrangère, le risque de change sur le consommateur.
96 À cet égard, il ressort de la jurisprudence de la Cour que, dans le cadre des contrats de prêt libellés en devise étrangère, tels que ceux en cause au principal, le juge national doit apprécier, eu égard à l’ensemble des circonstances de l’affaire au principal, et, en tenant notamment compte de l’expertise et des connaissances du professionnel en ce qui concerne les possibles variations des taux de change et les risques inhérents à la souscription d’un prêt libellé en devise étrangère, dans un premier temps, le possible non-respect de l’exigence de bonne foi et, dans un second temps, l’existence d’un éventuel déséquilibre significatif, au sens de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 93/13 (voir, en ce sens, arrêt du 20 septembre 2017, Andriciuc e.a., C‑186/16, EU:C:2017:703, point 56).
97 En ce qui concerne l’exigence de bonne foi, il importe de relever, ainsi qu’il ressort du seizième considérant de la directive 93/13, que, dans le cadre de cette appréciation, il faut notamment tenir compte de la force des positions respectives de négociation des parties et de la question de savoir si le consommateur a été encouragé par quelque moyen à donner son accord à la clause concernée.
98 S’agissant de la question de savoir si une clause crée, en dépit de l’exigence de bonne foi, au détriment du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et les obligations des parties au contrat découlant de celui-ci, le juge national doit vérifier si le professionnel, en traitant de façon loyale et équitable avec le consommateur, pouvait raisonnablement s’attendre à ce que ce dernier accepte cette clause à la suite d’une négociation individuelle (voir, notamment, arrêt du 3 septembre 2020, Profi Credit Polska, C‑84/19, C‑222/19 et C‑252/19, EU:C:2020:631, point 93 ainsi que jurisprudence citée).
99 Partant, pour apprécier si les clauses d’un contrat, telles que celles en cause au principal, créent au détriment du consommateur un déséquilibre significatif entre les droits et les obligations des parties au contrat de prêt qui contient ces clauses, il convient de tenir compte de l’ensemble des circonstances dont le prêteur professionnel pouvait avoir connaissance au moment de la conclusion de ce contrat, compte tenu notamment de son expertise, en ce qui concerne les possibles variations des taux de change et les risques inhérents à la souscription d’un tel prêt et qui étaient de nature à avoir des répercussions sur l’exécution ultérieure du contrat ainsi que sur la situation juridique du consommateur.
100 Au regard des connaissances et des moyens supérieurs du professionnel pour anticiper le risque de change, qui peut se matérialiser à n’importe quel moment au cours de la durée du contrat, ainsi que du risque non plafonné relatif aux variations des taux de change que les clauses contractuelles telles que celles en cause au principal font peser sur le consommateur, il y a lieu de considérer que de telles clauses peuvent donner lieu à un déséquilibre significatif entre les droits et les obligations des parties découlant du contrat de prêt concerné au détriment du consommateur.
101 En effet, sous réserve des vérifications qu’il incombe à la juridiction de renvoi d’effectuer, les clauses contractuelles en cause au principal semblent faire peser sur le consommateur, dans la mesure où le professionnel n’a pas respecté l’exigence de transparence à l’égard de ce consommateur, un risque disproportionné par rapport aux prestations et au montant du prêt reçus, puisque l’application de ces clauses a pour conséquence que le consommateur doit supporter le coût de l’évolution des taux de change à terme. En fonction de cette évolution, ce consommateur peut se trouver dans une situation dans laquelle, d’une part, le montant du capital restant dû en monnaie de paiement, en l’occurrence en euros, est considérablement plus important que la somme initialement empruntée et, d’autre part, les mensualités versées ont presque exclusivement couvert les seuls intérêts. Il en est notamment ainsi lorsque cette augmentation du capital restant dû en devise nationale n’est pas équilibrée par la différence entre le taux d’intérêt de la devise étrangère et celui de la devise nationale, étant précisé que l’existence d’une telle différence constitue l’avantage principal d’un prêt libellé en devise étrangère pour l’emprunteur.
102 Dans de telles conditions, compte tenu notamment de l’exigence de transparence qui découle de l’article 5 de la directive 93/13, il ne pourrait être considéré que le professionnel pouvait raisonnablement s’attendre, en traitant de façon transparente avec le consommateur, à ce que ce dernier accepte de telles clauses à la suite d’une négociation individuelle (voir, par analogie, arrêt du 3 septembre 2020, Profi Credit Polska, C‑84/19, C‑222/19 et C‑252/19, EU:C:2020:631, point 96), ce qu’il appartient néanmoins à la juridiction de renvoi de vérifier.
103 Eu égard à ce qui précède, il y a lieu de répondre à la huitième question que l’article 3, paragraphe l, de la directive 93/13 doit être interprété en ce sens que les clauses d’un contrat de prêt qui prévoient que la devise étrangère est la monnaie de compte et que l’euro est la monnaie de paiement et qui ont pour effet de faire porter le risque de change, sans qu’il soit plafonné, sur l’emprunteur, sont susceptibles de créer un déséquilibre significatif entre les droits et les obligations des parties découlant dudit contrat au détriment du consommateur, dès lors que le professionnel ne pouvait raisonnablement s’attendre, en respectant l’exigence de transparence à l’égard du consommateur, à ce que ce dernier accepte, à la suite d’une négociation individuelle, un risque disproportionné de change qui résulte de telles clauses.
Sur les dépens
104 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.
Par ces motifs, la Cour (première chambre) dit pour droit :
1) L’article 6, paragraphe 1, et l’article 7, paragraphe 1, de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, lus à la lumière du principe d’effectivité, doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une réglementation nationale soumettant l’introduction d’une demande par un consommateur :
– aux fins de la constatation du caractère abusif d’une clause figurant dans un contrat conclu entre un professionnel et ce consommateur à un délai de prescription ;
– aux fins de la restitution de sommes indûment versées, sur le fondement de telles clauses abusives, à un délai de prescription de cinq ans, dès lors que ce délai commence à courir à la date de l’acceptation de l’offre de prêt de telle sorte que le consommateur a pu, à ce moment-là, ignorer l’ensemble de ses droits découlant de cette directive.
2) L’article 4, paragraphe 2, de la directive 93/13 doit être interprété en ce sens que les clauses du contrat de prêt qui prévoient que la devise étrangère est la monnaie de compte et que l’euro est la monnaie de paiement et qui ont pour effet de faire porter le risque de change sur l’emprunteur relèvent de cette disposition dans le cas où ces clauses fixent un élément essentiel caractérisant ledit contrat.
3) L’article 4, paragraphe 2, de la directive 93/13 doit être interprété en ce sens que, dans le cadre d’un contrat de prêt libellé en devise étrangère, l’exigence de transparence des clauses de ce contrat qui prévoient que la devise étrangère est la monnaie de compte et que l’euro est la monnaie de paiement et qui ont pour effet de faire porter le risque de change sur l’emprunteur, est satisfaite lorsque le professionnel a fourni au consommateur des informations suffisantes et exactes permettant à un consommateur moyen, normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, de comprendre le fonctionnement concret du mécanisme financier en cause et d’évaluer ainsi le risque des conséquences économiques négatives, potentiellement significatives, de telles clauses sur ses obligations financières pendant toute la durée de ce même contrat.
4) La directive 93/13 doit être interprétée en ce sens qu’elle s’oppose à ce que la charge de la preuve du caractère clair et compréhensible d’une clause contractuelle, au sens de l’article 4, paragraphe 2, de cette directive, incombe au consommateur.
5) L’article 3, paragraphe 1, de la directive 93/13 doit être interprété en ce sens que les clauses d’un contrat de prêt qui prévoient que la devise étrangère est la monnaie de compte et que l’euro est la monnaie de paiement et qui ont pour effet de faire porter le risque de change, sans qu’il soit plafonné, sur l’emprunteur, sont susceptibles de créer un déséquilibre significatif entre les droits et les obligations des parties découlant dudit contrat au détriment du consommateur, dès lors que le professionnel ne pouvait raisonnablement s’attendre, en respectant l’exigence de transparence à l’égard du consommateur, à ce que ce dernier accepte, à la suite d’une négociation individuelle, un risque disproportionné de change qui résulte de telles clauses.