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Décisions

CA Versailles, 14e ch., 27 novembre 2013, n° 13/00670

VERSAILLES

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

MergerMarket Limited (Sté)

Défendeur :

Consolis Denmark A/S (Sté), Consolis Holding (SAS), Consolis Netherlands BV (Sté), Consolis OY AB (Sté), DW Beton GmbH (Sté), DW Schwellen GmbH (Sté), DW Systembau GmbH (Sté), Bourbouloux (ès qual.), Parma OY AB (Sté), PCP Holding (SAS), Addtek Holding International AB (Sté), Sateba Système Vagneux (SA), Spenncon AS (Sté), Tonful AB (Sté), Tonful OY AB (Sté), VBI Huyssen BV (Sté), VBI Verenigde Bouwprodukten Industrie BV (Sté), VBI Verkoop Maatschappij BV (Sté), Addtek International AB (Sté), Aktiebolager Strangebeton (Sté), Betonrohre GmbH (Sté), Bonna Sabla (SA), Bonna Sabla (SNC), Consolis (SAS), Consolis AS (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Varlamoff

Conseillers :

Mme Brylinski, Mme Catry

Avocats :

Me Dupuis, Me Marembert, Me Debray, Me Bouffard, Me Regrettier-Germain, Me Dupuy

T. com. Nanterre, prés., du 16 nov. 2012

16 novembre 2012

EXPOSE DU LITIGE

La société MERGERMARKET LIMITED, filiale du groupe Financial Times, est éditrice du site d'informations financières en ligne, Debtwire, consultable par abonnement et spécialisé dans le suivi de l'endettement des entreprises qui, à ce titre, rend compte notamment des opérations à effets de levier dites LBO.

Le groupe CONSOLIS, leader européen des produits en béton préfabriqués, a fait l'objet, en décembre 2006, d'une LBO qui s'est poursuivie sur plusieurs années dans un contexte de crise ce qui l'a amené à solliciter à plusieurs reprises, du président du tribunal de commerce de Nanterre, la mise en place de mesures de prévention des difficultés.

Notamment, par ordonnance en date du 11 juillet 2012, la selarl FHB a été désignée en qualité de mandataire ad hoc avec notamment pour mission (conduite par Maître Hélène BOURBOULOUX) de rechercher « la conclusion d'un nouvel accord avec les Prêteurs Senior et Second lien et toute autre partie prenante, ou toute autre opération, de nature à assurer la pérennité des sociétés du groupe CONSOLIS dans le respect équitable des intérêts en présence et ce, en assurant la confidentialité la plus stricte de ces négociations par tout moyen de droit ».

Debtwire, qui avait déjà publié une trentaine d'articles relatant les difficultés rencontrées par les sociétés du groupe CONSOLIS et les procédures engagées par celles-ci pour tenter de les surmonter, a publié le 18 juillet suivant un article commentant l'ouverture de cette procédure de mandat ad hoc. Il a poursuivi son information en mettant en ligne cinq autres articles rendant compte de l'évolution de celle-ci.

Le 4 octobre 2012, Maître Hélène BOURBOULOUX a adressé à Debtwire, à l'attention de Mme Julie Meicamp, journaliste auteur de ces articles, un courrier dans lequel elle constatait que de façon répétée, depuis de nombreux mois, le site publiait des informations relatives à des sociétés pour lesquelles elle s'était vue confier une mission de mandataire ad hoc ou de conciliation, lui rappelait le caractère confidentiel de celles-ci et le mettait en garde contre d'éventuelles poursuites judiciaires s'il ne cessait pas de telles diffusions, sans cependant citer à aucun moment les sociétés du groupe CONSOLIS.

Très rapidement après l'envoi de ce courrier, plusieurs sociétés de ce groupe, précisément énumérées au chapeau du présent arrêt, ainsi que la selarl FHB, ont fait assigner la société MERGERMARKET LIMITED, par acte des 23 et 24 octobre 2012, au visa des articles 872 et 873 du code de procédure civile, L 511-33 du code monétaire et financier, 226-13 et 321-1 du code pénal, 9 du code civil et L 611-15 du code de commerce, pour qu'il lui soit ordonné de retirer l'ensemble des articles contenant des informations confidentielles les concernant, qu'il lui soit fait injonction de ne publier aucun nouvel article, à peine d'une astreinte, et qu'elle soit condamnée au paiement d'une provision à valoir sur la réparation du préjudice subi, une expertise devant être ordonnée pour établir l'ensemble des préjudices financiers et moraux résultant de ses agissements.

Par ordonnance en date du 16 novembre 2012, le délégataire du président du tribunal de commerce de Nanterre, après avoir rejeté les exceptions d'incompétence et les fins de non-recevoir soulevées par la défenderesse, a :

- dit que la société MERGERMARKET LIMITED a causé un trouble manifestement illicite qu'il convient de faire cesser dans les plus brefs délais et qu'il y a lieu de prendre les mesures nécessaires pour prévenir un dommage imminent,

- ordonné à celle-ci de retirer de son site internet Debtwire l'ensemble des articles contenant les informations couvertes par la confidentialité au titre des procédures de prévention concernant le groupe CONSOLIS, sous astreinte de la somme de 50 000 euros par jour de retard et par article, à compter de trois jours après la signification de l'ordonnance,

- interdit de publier quelque article que ce soit relatif aux procédures de prévention concernant le groupe CONSOLIS, sous astreinte de la somme de 50 000 euros par infraction constatée, lesdites astreintes courant jusqu'à l'issue des procédures de prévention, se réservant le pouvoir de les liquider,

- débouté le groupe CONSOLIS de ses demandes au titre du paiement d'une provision et en désignation d'un expert,

- condamné la société MERGERMARKET LIMITED à verser aux sociétés du groupe CONSOLIS la somme de 10 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile et à la selarl FHB, celle de 5 000 euros au même titre.

La société MERGERMARKET LIMITED a interjeté appel de cette décision par déclaration en date du 23 janvier 2013.

Par ses conclusions déposées le 9 septembre 2013, elle demande à la cour d'infirmer l'ordonnance déférée en ce qu'elle lui a enjoint de retirer tout article relatif aux procédures de prévention concernant le groupe CONSOLIS et lui a interdit d'en publier pour l'avenir en l'absence de trouble manifestement illicite et de dommage imminent et sollicite à l'encontre des sociétés du groupe CONSOLIS et de la selarl FHB la somme de 80 000 euros en compensation de ses frais irrépétibles.

Par leurs conclusions déposées le 23 août 2013, les sociétés du groupe CONSOLIS demandent à la cour de confirmer la décision entreprise et de condamner la société MERGERMARKET LIMITED à leur payer la somme de 20 000 euros en compensation de ses frais irrépétibles

Par ses écritures déposées le 24 juillet 2013, la SELARL FHB, prise en la personne de Maître Hélène BOURBOULOUX, conclut dans le même sens et sollicite la somme de 5 000 euros au titre de ses frais irrépétibles.

MOTIFS DE LA DÉCISION,

Il sera renvoyé aux écritures de chacune des parties pour un exposé détaillé des moyens développés par celles-ci.

A titre liminaire, il convient de constater que l'appelante n'a pas entendu remettre en cause l'ordonnance déférée en ce qu'elle l'a déboutée des exceptions d'incompétence et des fins de non-recevoir soulevées. Elle sera immédiatement confirmée de ce chef.

Le premier juge a fait droit à l'action commune engagée par les sociétés du groupe CONSOLIS et la selarl FHB en retenant que « la liberté d'expression reconnue aux organes de presse doit s'exercer dans le respect des droits d'autrui et que la divulgation délibérée par Debtwire, sur son site internet, d'informations que la loi déclare soumises à la confidentialité, est fautive et excède les droits légitimes que peut revendiquer la société MERGERMARKET LIMITED ».

L'appelante si elle reconnaît l'intégralité des diffusions en cause dont elle indique d'ailleurs qu'elles ont été rendues publiques et quelques fois avant elle, par d'autres organes de presse, critique cette analyse, rappelant que l'on se trouve sur le terrain de la liberté de la presse et qu'elle est en droit d'invoquer la liberté d'informer du journaliste, liberté fondamentale ne pouvant faire l'objet de restrictions lorsque les informations sont transmises de bonne foi, sur la base de faits exacts et fiables, par ailleurs précises et ce, d'autant plus lorsqu'il s'agit comme dans le cas présent d'informations utiles car permettant une meilleure transparence de la vie des affaires.

Le trouble manifestement illicite tel qu'allégué peut se traduire comme la perturbation constituée par la violation évidente de la règle de droit ou encore par la méconnaissance d'une norme juridique obligatoire.

En l'espèce, les intimés se prévalent de la violation par la société MERGERMARKET LIMITED de plusieurs règles de droit, soutenant qu'elle a tout à la fois enfreint l'obligation de confidentialité pesant sur les personnes appelées à une procédures de prévention des difficultés des entreprises, le secret bancaire liant les prêteurs ainsi que le secret pesant sur toute personne qui en est dépositaire et enfin, qu'elle a porté atteinte à la vie privée de l'entreprise.

Certaines de ces règles seront rapidement écartées, comme l'a fait le premier juge, telles celles relatives au secret au motif d'une part, qu'il n'est nullement établi que les informations diffusées étaient couvertes par le secret, qu'il soit bancaire ou autre, et d'autre part, que la société MERGERMARKET LIMITED en tant que journaliste, n'est nullement tenue à quelconque secret, étant ajouté que le seul recel d'informations obtenues par le secret ne constitue pas d'évidence une infraction répréhensible.

En ce qui concerne une éventuelle atteinte à la vie privée de l'entreprise, force est de constater qu'une telle notion dont l'existence est particulièrement discutée peut difficilement donner lieu à protection par le juge des référés alors même qu'en l'espèce, l'atteinte prétendue à celle-ci résulterait de la divulgation d'informations de nature patrimoniale ou relatives à ses relations avec des tiers, en l'occurrence les prêteurs.

Il reste à examiner les demandes au regard de l'article L 611-15 du code de commerce qui dispose que toute personne qui est appelée à la procédure de conciliation ou à un mandat ad hoc ou, qui par ses fonctions, en a connaissance, est tenue à la confidentialité.

De cette simple lecture, il ressort à l'évidence que la société MERGERMARKET LIMITED ne peut être directement tenue par cette obligation, n'ayant pas été appelée à la procédure concernée, et par ailleurs l'expression « ses fonctions » ne pouvant renvoyer au travail d'investigation du journaliste.

Par contre, il est établi qu'elle a publié, comme d'autres journaux spécialisés ainsi qu'elle en justifie (Les Échos, Capital Structure) des informations relatives à ces procédures dont on ignore comment elles ont été obtenues, voire même si c'est auprès de personne soumises à cette obligation de confidentialité.

Néanmoins, il sera observé que même si les sociétés du groupe CONSOLIS allèguent qu'il en est résulté un préjudice, aucune demande de réparation pécuniaire n'est formulée dans le cadre du dispositif de leurs écritures et qu'il apparaît, au vu d'un article du journal L'Agefi, versé aux débats par l'appelante, que la procédure de mandat ad hoc s'est terminée par une conciliation courant mars 2013.

De ces éléments, il ressort que le fait pour la société MERGERMARKET LIMITED, d'avoir publié sur un site spécialisé dans le suivi de l'endettement des société, ouvert à ses seuls abonnés, sans qu'il soit justifié du préjudice qui en serait résulté, des informations soumises à confidentialité par application de l'article L 611-15 du code de commerce qui ne crée aucune obligation à son égard, ne saurait constituer au regard des droits essentiels à la liberté d'informer du journaliste et à la protection de ses sources d'information, une violation évidente de la loi susceptible d'être sanctionnée par la juridiction des référés.

En conséquence, l'ordonnance sera infirmée en ce qu'elle a fait droit aux demandes des sociétés du groupe CONSOLIS et de la selarl FHB.

Les sociétés du groupe CONSOLIS seront condamnées aux entiers dépens après application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au seul profit de la société MERGERMARKET LIMITED.

PAR CES MOTIFS

La Cour,

Statuant publiquement, par arrêt contradictoire, et en matière de référé,

Confirme l'ordonnance du 16 novembre 2012 en qu'elle a débouté la société MERGERMARKET LIMITED des exceptions d'incompétence et des fins de non-recevoir soulevées,

L'infirme en toutes ses autres dispositions,

Statuant de nouveau,

Déboute les sociétés du groupe CONSOLIS et la selarl FHB de l'ensemble de leurs demandes,

Condamne in solidum les sociétés du groupe CONSOLIS précisément énumérées dans le chapeau du présent arrêt à verser à la société MERGERMARKET LIMITED la somme de 6 000 euros (six mille euros) au titre des dispositions de l'article 700 du code procédure civile,

Les condamne aux entiers dépens qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.