CA Versailles, 14e ch., 12 décembre 2019, n° 18/08341
VERSAILLES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Défi Group (Sasu)
Défendeur :
Société générale (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Guillaume
Conseillers :
Mme Grison-Pascail, Mme Le Bras
EXPOSE DU LITIGE
La SASU Défi Group est une société par actions simplifiée à associé unique au capital de 6 000 000 euros, dont le siège social est situé [...].
La société Défi Group exerce dans le domaine de la publicité extérieure avec deux types de supports, la publicité lumineuse et la toile publicitaire, et des emplacements loués à des agences ou à des annonceurs pour des durées moyennes de 5 à 6 ans pour les premières, 1 ou 2 mois pour les autres.
La société Défi Group est l'une des principales sociétés du groupe Défi opérationnel en France et à l'étranger via ses filiales.
Plusieurs autorisations de découvert ont été consenties à la société Défi Group par ses partenaires bancaires parmi lesquels se trouve la Société Générale à hauteur de 200 000 euros.
À partir de 2014, les sociétés du groupe Défi ont été confrontées à une baisse d'activité.
Une première procédure de conciliation a abouti à la signature d'un premier protocole de conciliation, constaté par ordonnance du président délégué du tribunal de commerce de Nanterre rendue le 28 juillet 2015, qui prévoyait de maintenir intégralement les financements à court terme pour les mêmes montants et conditions financières qu'à l'ouverture du mandat ad hoc précédant la conciliation, et ce jusqu'au 30 juin 2016, terme prorogé une première fois jusqu'au 30 juin 2017 et finalement jusqu'au 30 juin 2018.
Par la suite, la société Défi Group a souhaité obtenir de nouvelles modalités de report de paiement et a donc entamé de nouvelles négociations avec ses actionnaires et créanciers.
Par ordonnance rendue par le président du tribunal de commerce Nanterre, une nouvelle procédure de conciliation a ainsi été ouverte le 13 décembre 2017, désignant le 8 mars 2018 la SELARL B. L. prise en la personne de Maître B. en qualité de conciliateur de la société Défi Group.
Dans le cadre de cette conciliation, la Société Générale, créancier bancaire, a refusé le maintien de son autorisation de découvert d'un montant de 200 000 euros. Par courriel du 28 mars 2018, elle a écrit qu'ayant 'déjà accordé un maintien de sa ligne de découvert de 200 000 euros jusqu'au 30 juin 2017 suivant un protocole d'accord signé en 2015 puis un report de son exigibilité jusqu'au 30 juin 2018, (elle) n'accordera pas de délai supplémentaire pour le maintien de son autorisation de découvert ...'. Elle a ainsi refusé de signer le protocole de conciliation.
Un protocole a néanmoins été signé par tous les actionnaires et autres créanciers le 11 avril 2018.
Par un jugement rendu le 11 mai 2018, le président délégué du tribunal de commerce de Nanterre a homologué le protocole de conciliation signé les 11 et 12 avril 2018.
Par actes d'huissier de justice délivrés les 12 et 13 novembre 2018, la SASU Défi Group a assigné en la forme des référés la SA Société Générale et la SELARL B. L. afin d'obtenir, au visa des articles 1343-5 du code civil et L 611-10-1 alinéa 2 et R 611-35 du code du commerce, principalement, un paiement in fine ainsi que la suspension des majorations d'intérêts ou de pénalités encourues à raison du retard pendant ce délai.
Par ordonnance contradictoire rendue en la forme des référés le 28 novembre 2018, le président délégué du tribunal de commerce de Nanterre a :
- ordonné à la société Défi Group de procéder au règlement de sa dette de 195 144,09 euros en 24 mensualités égales, le premier versement devant intervenir le 1er jour du mois qui suit la signification de la présente ordonnance, ce moratoire étant assorti d'une clause de déchéance du terme,
- rejeté le surplus de la demande,
- constaté que l'exécution provisoire est de droit par application de l'article 492-1 du code de procédure civile,
- laissé les dépens à la charge de la société Défi Group,
- liquidé les dépens à recouvrer par le greffe à la somme de 60,67 euros, dont TVA de 10,11 euros.
Par déclaration reçue le 11 décembre 2018, la société Défi Group a interjeté appel par un acte visant l'ensemble des chefs de décision.
Un virement de 8 131 euros a été porté au crédit du compte litigieux le 30 janvier 2019.
Dans ses dernières conclusions transmises le 14 janvier 2019 auxquelles il convient de se reporter pour un exposé détaillé de ses prétentions et moyens, la société Défi Group demande à la cour, au visa des articles L. 611-10-1 et R. 611-35 du code de commerce et 1343-5 et 1344 du code civil, de :
- confirmer l'ordonnance rendue le 28 novembre 2018 en ce qu'elle l'a déclarée recevable à agir en vertu de l'article 7.8 du protocole de conciliation et donc à faire application des dispositions de l'alinéa 2 de l'article L.611-10-1 du code de commerce ;
- infirmer l'ordonnance du 28 novembre 2018 en ce qu'elle a :
ordonné à la concluante de procéder au règlement de sa dette de 195 144,09 euros en 24 mensualités égales, le premier versement devant intervenir le 1er jour du mois qui suit la signification de l'ordonnance du 28 novembre 2018, ce moratoire étant assorti d'une clause de déchéance du terme,
rejeté le surplus de la demande de la société Défi Group,
laissé les dépens à la charge de la société Défi Group.
et statuant à nouveau :
- lui accorder un report de 24 mois pour le règlement de sa dette au titre du financement court terme de la Société Générale d'un montant total de 195 144,09 euros, selon les modalités suivantes :
paiement in fine de la somme de 195 144,09 euros dans un délai 24 mois à compter de la date de la présente décision à intervenir.
- dire que les majorations d'intérêts ou de pénalités encourues à raison du retard cesseront d'être dues pendant le délai ainsi fixé ;
- dire que les intérêts échus de cette créance ne peuvent produire des intérêts ;
- condamner la Société Générale à lui rembourser toutes les sommes perçues au titre du remboursement du financement court terme Société Générale à la suite de l'ordonnance rendue le 28 novembre 2018 ;
- condamner l'intimée aux entiers dépens.
Dans ses dernières conclusions transmises le 14 février 2019 auxquelles il convient de se reporter pour un exposé détaillé de ses prétentions et moyens, la SELARL B. L. demande à la cour, au visa des articles L.611-10-1 et R.611-35 du code de commerce, de :
- lui donner acte agissant en sa qualité de commissaire à l'exécution du protocole, désignée à cette fonction par jugement du tribunal de commerce de Nanterre en date du 11 mai 2018, prise en la personne de Maître Maxime L., de ce qu'elle s'en rapporte à justice sur les mérites de l'appel interjeté, et des demandes formées devant la cour ;
- condamner tout succombant aux dépens ;
- dire qu'il pourront être directement recouvrés par Maître Julie G., avocat au barreau de Versailles, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
Dans ses dernières conclusions transmises le 13 février 2019 auxquelles il convient de se reporter pour un exposé détaillé de ses prétentions et moyens, la Société Générale demande à la cour, au visa des articles L.611-10-1 et R.611-35 du code de commerce et 1343-5 et 1344 du code civil, de :
- déclarer la société Défi Group mal fondée en son appel et l'en débouter ;
en conséquence,
- confirmer l'ordonnance en la forme des référés rendue par le président délégué du tribunal de commerce de Nanterre le 28 novembre 2018, en toutes ses dispositions ;
y ajoutant,
- condamner la société Défi Group à lui payer la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel ;
- condamner la société Défi Group aux entiers dépens, dont distraction au profit de Maître L., avocat associé de la SCP BLST, par application de l'article 699 du code de procédure civile.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 23 mars 2019.
MOTIFS DE LA DÉCISION
La société Défi Group agit sur le fondement de l'article 7.8 du protocole de conciliation et des articles 611-10-1 alinéa 2 du code du commerce et 1343-5 du code civil.
L'article 7.8 du protocole de Conciliation 2018 indique que :
'Il est rappelé que la Société Générale a refusé de proroger le Financement Court Terme SG et indiqué que le remboursement de ce concours devrait intervenir au plus tard le 30 juin 2018.
DEFI GROUP s'engage, conformément aux dispositions de l'alinéa 2 de l'article L. 611-10-1 du code de commerce, à saisir le Président du Tribunal de Commerce de Nanterre dans un délai de quinze (15) jours à compter de :
' la réception de la mise en demeure de la Société Générale, telle que définie par l'article 1344 du Code civil, aux fins de remboursement de sa créance au titre du Financement Court Terme SG;
' la réception de tout acte introductif d'instance aux fins de condamnation de DEFI GROUP au remboursement de la créance de la Société Générale au titre du Financement Court Terme SG.
Dans le cadre de cette action, DEFI GROUP s'engage à solliciter du Président du Tribunal de Commerce de Nanterre, en application des dispositions de l'article 1343-5 du code civil, un report de vingt-quatre (24) mois pour le règlement de la dette de DEFI GROUP au titre du Financement Court Terme SG selon les modalités suivantes : paiement in fine du Financement Court Terme SG à l'issue d'un délai de 24 mois à compter de la décision à intervenir.
Dans l'hypothèse où DEFI GROUP serait déboutée de sa demande, elle s'engage à saisir Maître Gilles B., qui l'accepte, afin qu'il informe les Prêteurs Court Terme de la décision rendue. En tant que de besoin, Maître Gilles B. convoquera les Parties à une réunion au cours de laquelle seront exposée la situation de la Société et convenu des mesures à prendre en conséquence'.
L'appelante verse aux débats une lettre recommandée avec accusé de réception datée du 13 juillet 2018, par laquelle la Société Générale a sollicité un remboursement du découvert et donc un règlement sous huitaine de la somme de 195 866,04 euros, somme majorée des intérêts à courir jusqu'au complet paiement. Il ressort du décompte qu'elle produit également, que la somme de 1 220,75 euros a été portée au crédit du compte le 24 juillet 2018 'en compensation légale, unité de compte', ce qui laisse un solde de 194 645,29 euros.
La société Défi Group en saisissant le tribunal de commerce de Nanterre, a donc respecté ses obligations vis-à-vis des autres signataires du protocole.
Selon l'article L.611-10-1 du code de commerce :
« Pendant la durée de son exécution, l'accord constaté ou homologué interrompt ou interdit toute action en justice et arrête ou interdit toute poursuite individuelle tant sur les meubles que les immeubles du débiteur dans le but d'obtenir le paiement des créances qui en font l'objet ; nonobstant les dispositions de l'article 1343-2 du code civil, les intérêts échus de ces créances ne peuvent produire des intérêts. Il interrompt, pour la même durée, les délais impartis aux créanciers parties à l'accord à peine de déchéance ou de résolution des droits afférents aux créances mentionnées par l'accord.
Si, au cours de cette même durée, le débiteur est mis en demeure ou poursuivi par l'un des créanciers appelés à la conciliation dans le but d'obtenir le paiement d'une créance qui n'a pas fait l'objet de l'accord, le juge qui a ouvert la procédure de conciliation peut, à la demande du débiteur et après avoir recueilli, le cas échéant, les observations du mandataire à l'exécution de l'accord, faire application des dispositions de l'article 1343-5 du code civil, en prenant en compte les conditions d'exécution de l'accord. Les dispositions du présent alinéa ne sont pas applicables aux créanciers mentionnés au troisième alinéa de l'article L. 611-7. »
L'alinéa 1 de l'article R.611-35 du code de commerce dispose que :
« Pour l'application de l'avant-dernier alinéa de l'article L. 611-7 ou du dernier alinéa de l'article L. 611-10-1, le débiteur assigne le créancier poursuivant ou l'ayant mis en demeure devant le président du tribunal qui a ouvert la procédure de conciliation. Celui-ci statue sur les délais en la forme des référés après avoir recueilli les observations du conciliateur ou, le cas échéant, du mandataire à l'exécution de l'accord. »
L'article 1343-5 alinéa 1er du code civil dispose que :
«Le juge peut, compte tenu de la situation du débiteur et en considération des besoins du créancier, reporter ou échelonner, dans la limite de deux années, le paiement des sommes dues.»
La société Défi Group sollicite un report de 24 mois pour le règlement de sa dette au titre du financement court terme de la Société Générale d'un montant total de 195 144,09 euros, l'infirmation de l'ordonnance rendue le 28 novembre 2018 et que soient prises en considération, préalablement à l'octroi de délais de paiement, « les conditions de l'exécution du protocole de conciliation » et « la situation du débiteur ». Elle argue de l'existence du protocole et évoque le risque de rupture d'égalité entre les créanciers, avec un risque de dénonciation du protocole.
L'appelante ne conteste donc pas qu'elle restait devoir la somme de 195 144,09 euros.
Elle présente ses comptes et ses perspectives d'évolution.
La SELARL B. L. rappelle que le principe d'égalité est une condition déterminante dans le cadre du protocole adopté et s'en rapporte à justice.
La Société Générale relève que l'article L 611-10-1 ne prévoit qu'une faculté pour le juge, qu'elle estime peu opportune compte tenu des précédents délais accordés et des possibilités précédemment offertes, et fait valoir que les perspectives de redressement de l'entreprise sont aléatoires.
Il n'est pas contesté qu'un premier protocole de conciliation a été signé le 28 juillet 2015 entre la société Défi Group et ses créanciers dont la Société Générale, ni que ce premier protocole n'a pas abouti au règlement de la dette, ni que la Société Générale avait expressément précisé dans un courriel daté du 28 mars 2018, qu'elle n'accorderait pas de délai supplémentaire pour son autorisation de découvert.
Pour autant, il convient de considérer que le virement de 8 131 euros porté au crédit du compte le 30 janvier 2019 témoigne de la volonté de la société Défi Group d'apurer sa dette vis-à-vis de la Société Générale et, dans une certaine mesure, de ses capacités financières.
Il est constant par ailleurs, ainsi que le rappelle la Société Générale en page 4 de ses conclusions, que les autres prêteurs ont accepté aux termes du dernier protocole de conciliation, le paiement in fine réclamé par la société Défi Group dans le cadre de la présente procédure. Il en résulte qu'un paiement échelonné de la dette, s'il est accordé à la Société Générale, risque d'entraîner une perte de confiance des autres créanciers et engendre de façon certaine, une rupture d'égalité entre eux, y compris d'autres établissements financiers qui ne sont pas moins légitimes que l'intimée à obtenir, dans des conditions équivalentes, le règlement de leur dette.
Doit être également pris en considération le fait que des investissements sont nécessaires en début de période pour que puisse être envisagé un changement stratégique pour s'adapter aux nouvelles conditions du marché résultant de la généralisation à partir de 2020 à Paris notamment, des affichages digitaux.
En conséquence, il convient d'infirmer l'ordonnance entreprise et d'accorder un report de 24 mois pour le règlement de la dette, ainsi qu'il sera dit dans le dispositif.
La société Défi Group sollicite la condamnation de la Société Générale à lui 'rembourser toutes les sommes perçues au titre du remboursement du financement court terme à la suite de l'ordonnance du 28 novembre 2018".
Aucun remboursement immédiat ne devra cependant intervenir. La dette sera plutôt fixée à la somme de 187 013,09 euros pour tenir compte du virement de 8 131 euros qui a été porté au crédit du compte le 30 janvier 2019 en exécution de l'ordonnance entreprise dont la Société Générale demande la confirmation, y compris sur le montant.
L'équité commande de ne faire application de l'article 700 du code de procédure civile ni en première instance, ni en appel. Les dépens seront laissés à la charge de celles des parties qui les ont engagés en première instance, comme en appel.
PAR CES MOTIFS
La cour statuant par arrêt contradictoire,
INFIRME l'ordonnance rendue le 28 novembre 2018 par le président du tribunal de commerce de Nanterre,
Statuant à nouveau,
ACCORDE un report de 24 mois pour le règlement de la dette de la société Défi Group au titre du financement court terme de la Société Générale fixé au montant total de 187 013,09 euros, selon un paiement in fine de cette somme dans un délai 24 mois à compter de la date de la présente décision,
DIT que les majorations d'intérêts ou de pénalités encourues à raison du retard cessent d'être dues pendant le délai ainsi fixé,
DIT que les intérêts échus de cette créance ne peuvent produire des intérêts,
REJETTE toute autre demande,
DIT n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile tant en première instance qu'en appel,
DIT que chacune des parties supportera la charge des dépens de première instance et d'appel par elles engagés, qui pourront être recouvrés, s'agissant des dépens d'appel, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.