CA Reims, ch. civ. sect. 1, 8 juin 2021, n° 20/00537
REIMS
Arrêt
Confirmation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Conseiller :
M. Lecler
Avocats :
Me Chemla, Me Plonquet-Laurenceau
EXPOSE DU LITIGE
Un différend a entraîné la rupture des relations commerciales ayant existé entre la Sarl X et la Sarl Y, d'une part, et la Sas Z, d'autre part.
Par courriers recommandés du 23 mars 2017 avec avis de réception signés, adressés respectivement à la Sarl X (Monsieur A) et à la Sarl Y (Monsieur B) Monsieur Z a notifié la fin de leur collaboration, en raison de difficultés liées à la vente de la gamme W aux Etats-Unis, reprochant aux intéressées une prise de position imposant Monsieur Y comme importateur et en lui refusant une autonomie dans la stratégie de vente.
Par acte d'huissier en date du 12 octobre 2017, la Sarl X et la Sarl Y, ont fait assigner la Sas Z devant le tribunal de commerce de Reims, aux fins d'obtenir, avec le bénéfice de l'exécution provisoire, la condamnation de cette dernière à payer :
- à la Sarl X les sommes de 353 000 euros au titre de l'indemnité compensatrice de rupture du contrat et de 17 625 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis,
- à la Sarl Y les sommes de 353 000 euros au titre de l'indemnité compensatrice de rupture du contrat et de 17 625 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis,
- à chacune la somme de 5 000 euros à titre d'indemnité pour frais irrépétibles.
Par jugement du 28 janvier 2020, le tribunal de commerce de Reims a notamment :
- débouté la société Z de sa demande d'irrecevabilité,
- débouté la Sarl X et la Sarl Y de toutes leurs demandes,
- condamné solidairement la Sarl X ainsi que la Sarl Y à payer à la société la Sarl X et à la Sarl Y la somme de 1 000 euros à titre d'indemnité pour frais irrépétibles ainsi qu'aux dépens.
Par acte en date du 9 mars 2020, la Sarl X ainsi que la Sarl Y ont interjeté appel de ce jugement.
Aux termes de leurs dernières écritures notifiées électroniquement le 23 novembre 2020, la Sarl X ainsi que la Sarl Y concluent à l'infirmation du jugement déféré et demandent à la cour de condamner la société Z à leur payer à chacune les sommes de :
- 423 000 euros au titre de l'indemnité compensatrice de rupture de contrat,
- 17 625 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis,
- 7 000 euros à titre d'indemnité pour frais irrépétibles.
Elles exposent qu'en l'absence de tout écrit, une relation contractuelle s'est instaurée entre les parties pendant près de douze années, ce que ne conteste pas l'intimée puisque seule la qualification de cette relation (à savoir agent commercial ou courtier) est débattue, et ce d'autant plus, qu'un courrier de résiliation distinct a été adressé aux deux sociétés.
Elles soutiennent qu'elles ont exercé leur activité chacune en qualité d'agent commercial, précisant que l'agent commercial n'est pas tenu de conclure lui-même les contrats, la mission de ce dernier se cantonnant à la négociation des contrats que le mandant conclura et signera lui-même par la suite.
Elles précisent que leurs agents commerciaux négociaient les prix, les conditions commerciales et les volumes en direct avec B. Elles insistent sur le fait que si dans le courrier de résiliation de la relation commerciale, il leur est reproché à chacune de s'être opposée à ce que Z reste autonome sur la stratégie de vente aux USA, c'est que ces mêmes agents commerciaux avaient le pouvoir d'engager ladite société.
Elles réfutent toute valeur à l'attestation de B produite tardivement au dossier pour non-respect des conditions de forme de l'article 202 du code de procédure civile et reproche l'absence de date dans la relation des faits pour circonstancier le débat.
Elles font valoir qu'elles sont intervenues de manière permanente pendant 12 ans auprès de la Sas Z, de sorte que leurs relations contractuelles ne peuvent être qualifiées de courtage.
Elles insistent sur le fait que leurs agents commerciaux n'ont commis aucune faute grave de nature à les priver de l'indemnité compensatrice qui est de droit par application de l'article L. 134-12 du code de commerce.
Subsidiairement, elles soutiennent qu'elles doivent être indemnisées sur le fondement du mandat d'intérêt commun. Elles précisent qu'elles avaient intérêt à fidéliser et à développer le chiffre d'affaires de la société Z puisque les commissions perçues étaient en fonction des ventes réalisées.
Aux termes de ses dernières écritures notifiées électroniquement le 15 septembre 2020, la Sas Z conclut à la confirmation du jugement déféré et demande à la cour de condamner les sociétés X ainsi que Y à lui payer la somme globale de 15 000 euros à titre d'indemnité pour frais irrépétibles.
Subsidiairement, elle conclut à l'irrecevabilité pour défaut d'intérêt à agir et au débouté, estimant que les appelantes échouent pour démontrer l'existence d'un contrat d'agent commercial liant les parties, la relation contractuelle devant selon elle être qualifiée de contrat de courtage, Monsieur Z étant au demeurant en relation avec Monsieur A et Monsieur B et non pas avec les sociétés X et Y.
Elle expose que l'application du statut d'agent commercial ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties dans le contrat, ni de la dénomination qu'elles ont donnée à leur convention, mais des conditions dans lesquelles l'activité est effectivement exercée.
Elle soutient que les appelantes ne bénéficiaient pas du pouvoir de négociation. Elle affirme que les prétendus agents commerciaux n'ont jamais négocié de façon indépendante pour le compte et au nom de la société Z, laissant le soin à la société B de le faire.
Elle demande également à la cour d'écarter des débats les pièces non traduites.
Elle fait valoir que les sociétés adverses échouent dans leur tentative d'établir l'existence d'un pouvoir de négociation, qui doit impérativement comprendre le pouvoir d'apporter une modification aux tarifs et conditions fixées par le donneur d'ordres. Elle précise que les prétendus agents ne sont à aucun moment intervenus, si ce n'est pour conseiller Monsieur Z de confier le soin à la société B de négocier avec TOTAL WINE.
Elle fait valoir que les sociétés appelantes n'avaient ni pouvoir de négociation, ni de représentation et que seule une activité de courtage peut être retenue, ce qui engendre en cas de révocation, l'absence d'indemnité et de préavis.
Elle indique que le mandat d'intérêt commun implique un pouvoir de représentation du mandant, qui fait défaut en l'espèce.
Elle ajoute que la rupture des relations contractuelles est fondée sur des manquements graves imputables aux appelantes.
MOTIFS DE LA DECISION
A titre liminaire, il y a lieu de relever que la société Z dans le dispositif de ses dernières écritures demande à la cour à « titre principal » de confirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu par le tribunal de commerce de Reims en date du 28 janvier 2020 et « à titre subsidiaire » de réformer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté la société Z de sa demande d'irrecevabilité.
Force est de constater que la demande de confirmation à titre principal implique que la cour n'a pas à examiner la question de la recevabilité des demandes de la Sarl X ainsi que de la Sarl Y, laquelle a été définitivement admise par la société Z en application du dispositif de ses écritures.
Sur la nature de la relation contractuelle :
Il est constant qu'aucun contrat écrit ne lie les parties, de sorte qu'il incombe aux sociétés X ainsi que Y de prouver l'existence du statut d'agent commercial qu'elles invoquent dans la relation contractuelle ayant existé avec la société Z.
Aux termes de l'article L. 134-1 alinéa 1 du code de commerce, l'agent commercial est un mandataire qui, à titre de profession indépendante, sans être lié par un contrat de louage de services, est chargé de façon permanente, de négocier et, éventuellement de conclure des contrats de vente, d'achat, de location ou de prestation de services, au nom et pour le compte de producteurs, industriels, de commerçants ou d'autres agents commerciaux. Il peut être une personne physique ou une personne morale.
Ainsi, l'agent commercial est un mandataire qui de façon permanente traite avec la clientèle au nom et pour le compte de producteurs, d'industriels ou de commerçants.
Il se différencie du commissionnaire qui agit en son nom propre et du courtier qui se contente de rapprocher les parties pour qu'elles concluent entre elles une opération en apportant leur consentement.
L'intermédiaire, dont l'activité consiste en la promotion des produits d'une société sans pouvoir les négocier avec la clientèle, ne peut bénéficier du statut d'agent commercial.
L'application du statut d'agent commercial ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties, ni de la dénomination qu'elles ont donné à leurs conventions mais des conditions dans lesquelles l'activité est effectivement exercée.
A l'inverse de l'apporteur d'affaire, qui lui est chargé de mettre en rapport deux personnes en vue de la conclusion d'un contrat, l'agent commercial dispose du mandat pour négocier le contrat.
L'activité essentielle de l'agent commercial consiste en la négociation de contrats pour le compte de son mandant, et en la recherche de cocontractants. L'agent doit intervenir de manière indépendante et permanente, et non sur instructions de son mandant. Ainsi, une société qui ne dispose pas, de façon permanente d'un pouvoir de négocier des contrats au nom et pour le compte de son mandant, n'a pas la qualité d'agent commercial. Il en résulte qu'est insuffisant à conférer cette qualité le fait que le mandataire ait parfois été conduit à prendre des initiatives localement, à préconiser et effectuer quelques actions commerciales, à intervenir dans le déroulement des opérations et à recevoir, à titre occasionnel, des bons de commande qui concernaient des approvisionnements à la suite d'appel d'offres après que les négociations commerciales avaient déjà eu lieu.
De même, l'intermédiaire qui ne négocie pas, et remplit uniquement une fonction technique, une fonction d'assistance et de conseil ou une mission de prospection, d'assistance commerciale et de contrôle et de suivi d'expéditions, se limitant à des opérations matérielles, ne peut prétendre à la qualification d'agent commercial.
Contrairement à ce qu'affirme la société X, celle-ci n'intervenait pas de manière constante pour la société Z. En effet, si le 6 septembre 2005, la société X apparaît pour la commande de B aux côtés de la société Z, s'agissant de la production de bouteilles de la marque « Kirkland signature », cela s'explique par le fait que la société X a vendu également cette même marque à B, et que n'en ayant pas suffisamment, elle a mis en relation la société Z en relation avec B.
Il ressort des pièces produites aux débats par les appelantes que dans les contrats des 17 juin 2008, 21 janvier 2009, 16 octobre 2009 et 2 juin 2014, conclus avec B, Monsieur A et Monsieur Z signent séparément, Monsieur A pour la société X et Monsieur Z pour la société Z.
De plus, il y a lieu de relever que les bons de commande sont établis au nom de la SAS Z et Fils et que les contrats conclus avec B sont signés et tamponnés par la SAS Z et Fils.
Ainsi la référence faite à A et Z apparaît comme étant leur qualité de producteurs à tous les deux, ce qui exclut celle d'agent commercial pour la société X.
Cette situation est confirmée par le mail adressé par B, en date du 18 janvier 2014, répondant à Monsieur A, dans le corps duquel il est écrit :
« Salut A. j'espère que tout va bien est-il possible de produire le KS Rosé en Magnums cette année plutôt qu'en bouteilles de 750 ml ?
Notre accord signé avec Z, pour cette année 2014, est pour les mêmes quantités, coûts et conditions de paiement qu'en 2013 ».
La société Y n'apparaît quant à elle sur aucun document produit aux débats, Monsieur B intervenant uniquement au travers d'échanges de mails, s'agissant de mise en relation entre les parties.
Le 30 novembre 2018, par mail adressé à Z, dans le cadre de cette procédure, B, a communiqué une attestation aux termes de laquelle il a écrit :
« J'importe du champagne produit par Z Mon contrat d'importation pour le champagne produit par Z est passé exclusivement avec Z Monsieur B et Monsieur A n'étaient pas impliqués dans les négociations. J'ai négocié avec Z Je n'ai passé aucun accord avec Monsieur B ni avec Monsieur A ».
Ce document illustre le fait que les sociétés appelantes n'étaient pas investies d'un pouvoir de négociation dans la diffusion du Z pour le compte de la société Z.
De la même manière, le mail du 22 octobre 2016 de A à Z ayant pour objet « RE :MARCHE » dans lequel Monsieur A demande à Monsieur Z que son assistante Véronique fasse « un tableau des prix établis à B depuis le début » prouve que ni Monsieur A, ni Monsieur B ne négocient les prix avec B. Par ailleurs, dans ce même courriel, Monsieur Z donne des directives très claires quant aux prix des bouteilles ainsi que des arguments sur le prix du raisin.
Les sociétés appelantes échouent dans l'administration de la preuve s'agissant d'un mandat permanent de négociation et de représentation qu'elles invoquent pour le compte de la société Z. En effet, l'existence d'un compte rendu de réunion à travers un mail du 23 mars 2015 entre B, Z, A et B, adressé par Monsieur B à Monsieur A est insuffisant pour justifier de ce que Monsieur Z, en participant à la réunion a souhaité confier un mandat de représentation aux sociétés X ainsi que Y.
S'agissant de la prospection d'un nouveau marché concernant le développement de la marque Z, il résulte des courriels que les sociétés X ainsi que Y versent aux débats, que les commandes passées se font par l'intermédiaire de B pour le client final COSTO.
Ainsi, la cour estime que le rôle joué par les sociétés X ainsi que Y consiste uniquement en un rôle d'entremise, d'intermédiaire.
Il ressort des pièces produites aux dossiers que :
- Monsieur A a eu un rôle d'apporteur d'affaires, puisque c'est lui qui, dans un premier temps, a contacté Monsieur Z pour vendre du champagne à B sous la marque Kirkland,
- Monsieur B a joué essentiellement un rôle d'intermédiaire et de traducteur.
Dans ces conditions, au vu des éléments ci-dessus développés, la cour juge que les sociétés X ainsi que Y, en apportant une aide technique et logistique, ont accompli une mission uniquement « de mise en relation », « de facilitateur » d'affaires, faute de justifier d'un pouvoir de négociation et de représentation.
Ces sociétés ne peuvent dès lors voir prospérer leur demande en paiement au titre d'une indemnité compensatrice fondée sur l'article L. 134-1 du code de commerce.
Subsidiairement, les sociétés X ainsi que Y invoquent la rupture abusive d'un mandat d'intérêt commun.
Le mandat d'intérêt commun suppose que le mandant et le mandataire aient des droits directs et concurrents sur l'objet du mandat, de telle sorte que, par leurs activités réciproques et complémentaires, ils contribuent tous deux à l'accroissement d'une clientèle qui est leur bien commun.
La notion d'intérêt commun ne se confond pas avec la notion de salaire, de sorte que le mandataire doit avoir un intérêt personnel au contrat qu'il est chargé de conclure.
En l'espèce, force est de constater, au vu des éléments ci-dessus développés, que les sociétés X ainsi que Y ne disposaient pas d'un pouvoir de représentation pour le compte de la société Z, ni de négociation. Aussi, ces éléments faisant défaut, les relations d'affaires entre les parties ne peuvent être qualifiées de mandat d'intérêt commun.
Par conséquent, il convient de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a débouté les sociétés X ainsi que Y de leurs demandes en paiement.
Sur les autres demandes :
Conformément à l'article 696 du code de procédure civile, les sociétés X ainsi que Y succombant, elles seront tenues in solidum aux dépens d'appel.
Les circonstances de l'espèce commandent de condamner les X ainsi que Y à payer à la SAS Z la somme de 2 000 euros à titre d'indemnité pour frais irrépétibles et de les débouter de leurs demandes sur ce même fondement.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement par arrêt contradictoire,
CONFIRME le jugement rendu le 28 janvier 2020 par le tribunal de commerce de Reims, en toutes ses dispositions.
Y ajoutant,
CONDAMNE les sociétés X ainsi que Y à payer à la SAS Z la somme de 2 000 euros à titre d'indemnité pour frais irrépétibles.
Les DEBOUTE de leurs demandes sur ce même fondement.
CONDAME in solidum les sociétés X ainsi que Y aux dépens d'appel.