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Décisions

CA Paris, ch. 16 cabinet a, 9 juin 2004, n° 02/16722

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Manchelin

Défendeur :

Valarcher

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M; Duclaud

Conseillers :

Mme Imbaud-Content, Mme Fossaert-Sabatier

Avocats :

SCP Narrat-Peytavi, Me Boquet, SCP Fanet Serra Ghidini, Me Milliard

TGI Créteil, 3e ch., du 25 juin 2002

25 juin 2002

Les fails et la procédure peuvent être résumés comme suit :

Mme VALARCHER, propriétaire d’un terrain sur lequel est édifié un hangar, sis à Chevilly-Lame, 284 avenue de Stalingrad, a autorisé à compter de 1986 son fils, M. MANCHELIN, à l’occuper gratuitement pour y exploiter un commerce de vente et réparation de véhicules d'occasion.

Par acte du 13 juillet 1999, faisant suite à une demande amiable du 15 juin 1999, Mme VALARCHER a donné congé à M. MANCHELIN pour le 31 janvier 2000, en offrant au-delà de cette date la conclusion d’un bail commercial soumis au statut, moyennant un loyer annuel de 204 000 F HT. M. MANCHELIN a refusé cette proposition et s’est maintenu dans les lieux.

Mme VALARCHER a alors assigné M. MANCHELIN en expulsion et payement d'une indemnité d'occupation à compter du 1er février 2000 jusqu'à la libération effective des lieux.

C'est dans ces circonstances qu'est intervenu le jugement dont appel.

M. MANCHELIN, appelant, demande à la Cour, par conclusions du 12 février 2004, de :

avant dire droit au fond,

-  prendre acte de ce qu'il est disposé à faire l'avance des frais d'expertise,

-  designer tel expert avec mission d'évaluer la valeur locative au 1er février 2000 du terrain nu et du terrain comprenant le hangar construit dessus,

-  ramener l’indemnité d'occupation a la somme mensuelle de 1525 €,

-  condamner l’intimée aux dépens et à lui verser la somme de 2000 € au titre de l’article 700 du nouveau Code de procédure civile,

A titre principal.

-  reformer le jugement en toutes ses dispositions et statuant à nouveau,

-  constater, si M. MANCHELIN est titulaire d'un contrat de prêt, que le tribunal n'a pas constaté “le besoin pressant et imprévu de la chose” au regard de l’article 1889 du Code civil,

-  dire nul et de nul effet le congé délivré le 13 juillet 1999 pour “vice de forme atteignant le fond”,

-  dire irrecevable en conséquence la demande de Mme VALARCHER formée sur le fondement d'un congé nul,

-  constater la propriété commerciale de M. MANCHELIN exerçant dans les lieux depuis 1986 et dire que les rapports avec Mme VALARCHER relevant du décret du 30 septembre 1953,

-  constater “que le congé du 13 juillet 1999 n'emporte aucune condition stricte de forme relativement à l’offre de régularisation d'un bail futur”,

A titre subsidiaire,

-  constater que Mme VALARCHER ne rapporte pas la preuve de l’écrit indispensable à l’établissement d'un acte de prêt a usage,

-  dire qu'il en peut être mis un terme unilatéralement au prêt à usage lorsqu'il est écrit,

Très subsidiairement, si le congé avait un quelconque effet,

-  rejeter des débats le rapport de M. Carsalade comme non contradictoire et non fondé pour éclairer sur la valeur locative du bien litigieux,

-  dire que le prix du loyer rend inacceptable la proposition formulée par Mme VALARCHER,

-  designer un expert pour définir le montant du loyer commercial auquel pourrait être tenu M. MANCHELIN,

A titre reconventionnel,                                                                               

-  dire que l’ingérence dans la vie privée du concluant, notamment la description de sa prétendue fortune, constitue un abus de droit et une injure,

-   condamner Mme VALARCHER à payer à M. MANCHELIN la somme de 7 622,45 € à titre de dommages et intérêts,

-  condamner Mme VALARCHER aux dépens et à payer la somme de 3811, 23 € au titre de l’article 700 du nouveau Code de procédure civile,

Mme VALARCHER, intimée, prie la Cour, par conclusions du 15 octobre 2003, de :

-  débouter M. MANCHELIN de son appel et confirmer le jugement entrepris,

subsidiairement, si la cour estimait devoir accueillir la demande d’expertise de M. MANCHELIN,

- dire que l'avance des frais sera à la charge exclusive de M. MANCHELIN,

-  dire que le bail prendra effet rétroactivement au 1er février 2000,

-  fixer le loyer provisionnel a la somme de 2700 € TTC rétroactivement à compter du 1er février 2000 avec intérêts au taux légal et capitalisation à compter de l’assignation,

-  condamner M. MANCHELIN aux dépens et à payer une somme de 3500 € au titre de l’article 700 du nouveau Code de procédure civile,

SUR CE LA COUR

Considérant qu'au soutien de son appel, M. MANCHELIN fait valoir que le congé qui lui a été délivré est nul faute de respecter les dispositions de l’article 5 du décret du 30 septembre 1953 devenu l’article L. 145-9 du Code de commerce ; que même si l’on admet, comme l’ont fait les premiers juges, qu’il s'agit d'une convention d’occupation précaire, celle-ci ne pouvait être d’une durée supérieure à 24 mois et dans le cas contraire “le preneur peut se prévaloir des dispositions du décret du 30 septembre 1953” ; que l’existence d'un grief n’est pas nécessaire pour constater la nullité du congé, atteint d’un vice de fond, d'autant qu'un tel congé a en l’espèce pour conséquence de mettre à néant l’exploitation commerciale de M. MANCHELIN, commencé il y a plus de quatorze ans, en lui faisant encourir une expulsion ;

Que Mme VALARCHER a la charge de prouver que le contrat consenti à son fils est un prêt a usage ; que cette preuve ne peut être rapportée que par un écrit et qu’en l’espèce Mme VALARCHER est dans l’incapacité de produire un tel acte; que cette qualification peut d’autant moins être admise que le preneur n'a jamais eu l’intention de contracter sur la base d'un prêt à usage; que Mme VALARCHER ne saurait prétendre résilier unilatéralement le prêt par la seule signification d'un congé en l'absence de justification d'un “besoin pressant et imprévu de la chose” ; qu'en conséquence le tribunal a décidé à tort que M. MANCHELIN était devenu occupant sans droit ni titre, alors qu'il était bénéficiaire d'un contrat de prêt ;

Que M. MANCHELIN qui exploite dans les lieux un fonds de commerce et est immatriculé au registre du commerce, remplit les conditions nécessaires à l’acquisition du statut des baux commerciaux et ne peut se voir opposer une quelconque précarité de la convention litigieuse ;

Qu'ii titre subsidiaire et pour le cas où le congé ouvrirait droit à la régularisation d'un bail commercial, M. MANCHELIN conteste la valeur locative suggérée par Mme VALARCHER en observant que l’estimation de M. Carsalade est intervenue à la seule demande de Mme VALARCHER, hors sa présence, et est en conséquence dépourvue de toute force probante; qu'en toute hypothèse le prix propose ne correspond à aucune référence sérieuse et démontré la volonté de Mme VALARCHER de “détourner les droits de son preneur ou de la mettre en difficulté, sachant les conditions délicates du reclassement d’une telle exploitation” ; qu'il convient avant dire droit d'ordonner une expertise;

Mais considérant qu'aux termes de l’article L. 145-1 du Code de commerce, le statut des baux commerciaux s'applique aux “baux des immeubles ou locaux dans lesquels un fonds de commerce est exploits [...]”; qu'en l’espèce il est constant que, jusqu'à la délivrance d'un congé par la propriétaire, le terrain a été mis gratuitement à la disposition de M. MANCHELIN ; que le bail est un contrat a titre onéreux et qu'ayant bénéficié de l'immeuble depuis 1986 sans verser de loyer ,M. MANCHELIN n'a jamais était titulaire d'un bail et ne peut en conséquence revendiquer les dispositions du statut des baux commerciaux, nonobstant sa qualité de commerçant exploitant un fonds de commerce dans les lieux en cause;

Qu'il en résulte que le contrat en cause ne peut recevoir la qualification de bail commercial, que le congé délivré par Mme VALARCHER n'est pas soumis aux dispositions de l’article L. 145-9 du Code de commerce et qu'a l'issue dudit contrat, M. MANCHELIN ne peut prétendre, à défaut d'accord amiable avec la propriétaire, se voir reconnaitre un droit à la conclusion d'un bail commercial; que l'éventualité de la conclusion d'un tel bail relève du seul accord de volonté des parties, Mme VALARCHER étant libre de proposer le loyer qu'elle entend percevoir et M. MANCHELIN libre d'accepter l’offre, de la refuser ou de négocier un prix diffèrent; qu'en conséquence il n'y a pas lieu à désignation d'un expert;

Considérant, s'agissant de la qualification à donner au contrat, que Mme VALARCHER a donné gratuitement en jouissance son immeuble à M. MANCHELIN, pour raider à implanter et développer son activité commerciale de vente et réparation de véhicules d’occasion ; qu'un tel contrat répond à la définition du prêt a usage prévu par l’article 1875 du Code civil, cette qualification, dont l'essence est la gratuite selon l’article 1876 du même Code, répondant plus exactement à la situation de fait que celle de convention d’occupation précaire retenue par le premier juge, une telle convention se caractérisant par sa précarité mais non sa gratuite;

Que M. MANCHELIN, tout en revendiquant cette qualification, soutient que Mme VALARCHER n'en rapporte pas la preuve faute d’écrit ;

Mais considérant que l’écrit n'est pas une condition nécessaire a la validité d'un tel contrat mais seulement à sa preuve conformément au droit commun ; qu'en l’espèce les relations de filiation existante entre les parties expliquent l’impossibilité morale de Mme VALARCHER de se procurer un écrit et il existe de surcroit un commencement de preuve par écrit résultant de la carte de visite professionnelle de M. MANCHELIN, à l'enseigne “SUD ACCIDENTEES” mentionnant l’adresse du 284 avenue de Stalingrad 96150 CHEVILLY-LARUE ; que ces circonstances autorisent Mme VALARCHER , conformément aux dispositions des articles 1347 et 1348 du Code civil, à prouver l'existence da contrat par tous moyens; qu'en l'espèce le congé du 13 juillet 1999 à été délivré a la personne de M. MANCHELIN a l’adresse précitée ; que ce dernier n'a jamais contesté le caractère gratuit de cette mise à disposition ; considérant que Mme VALARCHER rapporte ainsi la preuve lui incombant de l'existence du contrat et de son contenu, à savoir la mise à disposition de l'immeuble, pour un usage déterminé, et la gratuite du prêt; que dans ces conditions il importe peu que M. MANCHELIN allègue, sans aucunement l’établir, n'avoir pas eu l’intention de contrats “sur la base d'un prêt à usage”, des lors qu'il n'offre aucune qualification alternative si ce n’est celle de bail commercial, non applicable en la cause pour les raisons précédemment énoncées;

Considérant qu'il n’est pas contesté que le prêt a été consenti

MANCHELIN en 1986; qu'aucun acte n'ayant été établi, il n'est pas rapporté la preuve d'un terme contractuel; qu'en pareille hypothèse il appartient au juge de fixer ce terme; que les circonstances de l'espèce permettent de retenir comme terme raisonnable la date du 1er février 2000, étant observé que le but envisagé par les parties (aide à l’installation de M. MANCHELIN ) a été parfaitement accompli par le maintien du commodat durant 14 années et que M. MANCHELIN a avisé de la demande de restitution plusieurs mois à l'avance, dès la demande amiable du 15 juin 1999 ;

Que dès lors le tribunal a retenu à juste titre que M. MANCHELIN était devenu occupant sans droit ni titre à compter de cette date et redevable en conséquence d'une indemnité d'occupation ; que M. MANCHELIN ne produit aucun élément au soutien de sa demande de modération, à la somme mensuelle de 1525 €, de l’indemnité d'occupation fixée par le premier juge et qu'il convient de rappeler qu'une indemnité d’occupation de droit commun a un caractère à la fois compensatoire et indemnitaire ; que le jugement sera confirmé en ce qu’il a fixé l’indemnité d'occupation mensuelle à la somme de 2700 € ; que les intérêts au taux légal ne peuvent courir qu'à compter du jugement fixant cette indemnité et que la capitalisation demandée sera ordonnée pour les intérêts échus depuis plus d'un an à compter du 15 octobre 2003, date des conclusions formulant cette demande;

Considérant que M. MANCHELIN demande l’allocation de dommages et intérêts en réparation du préjudice que lui cause la production par Mme VALARCHER de ses résultats d'exploitation et la description de sa “prétendue fortune immobilière personnelle”, sans aucune nécessité, ce qui caractérise une intrusion dans sa vie privée et une intention de nuire ;

Mais considérant que les pièces en cause, accessibles au public, ne constituent aucunement une intrusion dans la vie privée ; que leur utilité dans la solution du présent litige n’est pas nulle, notamment pour fixer le terme du commodat ; que d'ailleurs M. MANCHELIN s'appuie également sur la consistance du patrimoine de sa mère pour s’opposer à ses demandes ;

Qu’aucune faute n'étant caractérisée la demande de réparation ne peut qu'être écartée ;

Qu’il y a donc lieu, par motifs partiellement substitués, de confirmer le jugement en toutes ses dispositions ;

Considérant qu'il est équitable d'allouer à Mme VALARCHER la somme de 2500 € au titre de l’article 700 du nouveau Code de procédure civile ;

Que M. MANCHELIN, qui succombe, doit supporter les dépens et ne peut bénéficier des dispositions du texte précité ;

PAR CES MOTIFS, se substituant partiellement a ceux du tribunal.

Statuant publiquement et contradictoirement ;

Confirmes-en toutes ses dispositions le jugement entrepris,

Y ajoutant,

Dit que les intérêts au taux légal dus à compter du jugement sur les indemnités d'occupation, seront capitalises dans les conditions de l’article 1154 du Code civil à compter du 15 octobre 2003 ;

Condamne M. MANCHELIN à payer à Mme VALARCHER la somme de 2500 € au titre de l’article 700 du nouveau Code de procédure civile ;

Déboute M. MANCHELIN de sa demande au même titre ;

Condamne M. MANCHELIN aux dépens et autorise la SCP Narrat et Peytavi, avoué, à les recouvrer conformément aux dispositions de l’article 699 du nouveau Code de procédure civile.