CA Paris, Pôle 5 ch. 8, 26 mars 2019, n° 18/03273
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Défendeur :
DSG (SCI)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Hébert-Pageot
Conseillers :
Mme Texier, Mme Dubois-Stevant
FAITS ET PROCÉDURE :
M. Julio da S. G., qui exploitait un fonds artisanal de travaux de maçonnerie générale, a été mis en redressement judiciaire le 14 mai 2014 puis en liquidation judiciaire le 14 janvier 2015 par le tribunal de commerce de Melun, la SCP A. et H. étant nommée liquidateur.
Il est par ailleurs gérant et associé des SCI DSI et DSG, dont il détient, respectivement, 99 % et 50 % du capital.
Par jugement du 13 avril 2016, la liquidation judiciaire de M. Julio da S. G. a été étendue à la SCI DSI.
Le 15 mars 2017, la SCP A. et H., ès qualités, a assigné la SCI DSG, ayant pour second associé M. Orlando da S. G., frère de Julio, en vue de lui voir étendre la liquidation judiciaire de ce dernier.
Par jugement du 12 avril 2017, le tribunal de commerce de Melun a rejeté la demande d'extension au motif que « la fictivité [n'était] pas établie, pas plus que la confusion des patrimoines, des flux financiers anormaux n'étant pas prouvés ».
Le liquidateur a relevé appel de ce jugement par déclaration du 8 février 2018 en intimant la SCI DSG.
Le 16 juillet 2018, il a assigné en intervention forcée MM. Julio et Orlando da S. G., le premier en qualité d'associé et de gérant de la SCI DSG et le second en qualité d'associé de la même société.
Suivant conclusions signifiées le 12 septembre 2018, le liquidateur demande à la cour d'infirmer le jugement, de constater la fictivité de la SCI DSG et la confusion des patrimoines de cette société et de ceux de M. Julio da S. G. et de la SCI DSI, d'étendre en conséquence la liquidation judiciaire de M. Julio da S. G. et de la SCI DSI à la SCI DSG et d'ordonner l'emploi des dépens en frais privilégiés de liquidation judiciaire.
Dans ses conclusions signifiées le 12 octobre 2018, M. Orlando da S. G. demande à la cour, « en l'absence des modalités de signification du jugement du 12 avril 2017 », de lui donner acte de ses réserves quant à la régularité de l'appel interjeté par le liquidateur, de déclarer irrecevables les demandes de ce dernier et, en tout état de cause, de l'en débouter, en conséquence de confirmer le jugement et d'ordonner l'emploi des dépens en frais privilégiés de liquidation judiciaire.
La SCI DSG, à laquelle la déclaration d'appel et les conclusions d'appelant ont été signifiées par actes d'huissier des 28 février et 13 mars 2018 remis à étude, n'a pas constitué avocat.
Par courrier du 4 mai 2018, Me D.-G., désignée administrateur provisoire de la SCI DSG puis maintenue dans ces fonctions jusqu'au 22 mars 2019 par ordonnances des 22 septembre 2017 et 12 mars 2018, a fait savoir qu'elle ne mandaterait pas d'avocat pour représenter la SCI DSG et s'en rapportait à justice.
M. Julio da S. G., assigné le 16 juillet 2018 par remise de l'acte à étude, n'a pas constitué avocat.
Le ministère public, auquel l'affaire a été communiquée le 27 février 2018, n'a pas fait connaître son avis.
SUR CE,
Le greffe du tribunal de commerce de Melun ayant indiqué, dans un courriel du 2 janvier 2019 produit par le liquidateur, que le jugement déféré n'avait pas été signifié, l'appel n'est pas tardif.
M. Orlando da S. G., bien que concluant à l'irrecevabilité des demandes du liquidateur, ne précise pas en quoi celles-ci se heurteraient à une fin de non-recevoir.
Aucune cause d'irrecevabilité de ces demandes n'apparaît par ailleurs devoir ou pouvoir être relevée d'office.
Il y a donc lieu d'examiner au fond les demandes du liquidateur.
L'article L. 621-2, alinéa 2, du code de commerce, rendu applicable à la liquidation judiciaire par l'article L. 641-1, I, du même code, dispose que « [...] la procédure ouverte peut être étendue à une ou plusieurs autres personnes en cas de confusion de leur patrimoine avec celui du débiteur ou de fictivité de la personne morale. »
Le liquidateur invoque à la fois la fictivité de la SCI DSG et la confusion du patrimoine de cette dernière et de ceux de M. Julio da S. G. et de la SCI DSI.
- Sur la fictivité de la SCI DSG
Le liquidateur prétend que la création de la SCI DSG avait pour unique but de permettre à M. Julio da S. G. d'interposer une personne morale entre lui et ses créanciers et, au soutien de cette appréciation, invoque :
- l'absence de tenue d'une assemblée générale depuis la création de la SCI en 2008 ;
- le refus de M. Julio da S. G. de répondre à sa mise en demeure de lui adresser certains documents sociaux, comptables et bancaires de la SCI DSG ;
- la désignation par ordonnance du 22 septembre 2017 de Me D.-G. en qualité d'administrateur provisoire de la SCI DSG et l'absence d'obtention par cette dernière des documents sociaux, comptables et financiers de la société.
M. Orlando da S. G. réplique que les allégations du liquidateur reposent sur de simples affirmations et que la SCI DSG n'est pas fictive puisque régulièrement représentée par un administrateur provisoire.
En premier lieu, il résulte des statuts de la SCI DSG, établis le 9 décembre 2008, que les deux associés de celle-ci, MM. Julio et Orlando da S. G., se sont vus attribuer 50 parts sociales chacun en contrepartie de l'apport de 250 euros en numéraire qu'ils avaient effectué.
Les statuts stipulent également que M. Julio da S. G., gérant statutaire, n'est habilité à procéder à certaines opérations, et notamment à acheter, échanger et vendre des immeuble ou encore à engager la société au-dessus d'une somme de 7 000 euros, qu'après y avoir été autorisé par une décision des associés représentant plus de la moitié du capital social, autrement dit, compte tenu de la répartition du capital, à la condition d'avoir obtenu l'accord du second associé.
La contribution financière des deux associés, identique, la répartition égalitaire du capital entre eux et l'étendue du pouvoir d'autorisation du second associé, limitant fortement la liberté de gestion de M. Julio da S. G., s'inscrivent en contradiction avec l'allégation de la création d'une société de façade sous le couvert de laquelle ce dernier opérerait en maître de l'affaire.
En deuxième lieu, la SCI DSG a pour objet « l'acquisition, l'administration et la gestion par la location ou autrement de tous immeubles et biens immobiliers » et « toutes opérations financières, mobilières ou immobilières se rattachant directement ou indirectement à cet objet et susceptibles d'en favoriser la réalisation, à condition toutefois d'en respecter le caractère civil ».
La SCI DSG est aujourd'hui propriétaire d'un immeuble en copropriété se trouvant [...] constitué de six appartements (dont deux studios). Elle a procédé à une première acquisition immobilière le 26 mai 2009, puis à une seconde le 10 mai 2012 portant sur deux lots d'un appartement situé dans l'immeuble précité.
Deux emprunts ont été souscrits par la SCI DSG auprès de la Caixa Geral de Depositos pour financer ses opérations immobilières dont les mensualités, ainsi qu'il ressort de deux courriers du 16 octobre 2016 adressés par cette banque à la SCI DSG, ont été payées jusqu'au mois de décembre 2015 inclus.
Un « rapport d'expertise d'un ensemble immobilier à usage d'habitation [...] » mentionne qu'au 31 mai 2015, un seul appartement n'était pas loué.
Ces différents éléments font ressortir l'existence d'une activité propre de la SCI DSG.
En troisième lieu, la désignation d'un administrateur provisoire ne constitue pas, en tant que telle, un indice de fictivité, ou d'absence de fictivité, de la SCI DSG et les raisons qui l'ont motivée - à savoir, aux termes de l'ordonnance du 22 septembre 2017, le fait que « la gestion de la SCI DSG n'est plus assurée de manière régulière par M. Julio da S. G. » et que les associés sont « en froid » - n'apportent aucun éclairage utile sur le caractère artificiel ou non de la création de la SCI DSG.
Enfin, si MM. Julio et Orlando da S. G. n'ont pas déféré à l'injonction, assortie d'une astreinte, de communiquer les procès-verbaux des assemblées générales de la SCI DSG prononcée par l'ordonnance du 22 septembre 2017, la référence faite par l'acte de vente du 10 mai 2012 au procès-verbal d'une assemblée générale des associés du 6 juin 2011 ayant autorisé M. Julio da S. G. à conclure cette opération contredit l'affirmation d'une absence de réunion de cet organe depuis la création de la SCI DSG en 2008.
En outre et surtout, l'absence de réunion régulière de l'assemblée générale des associés, à la supposer établie, ne suffit pas à caractériser, à elle seule, la fictivité de la société DSG.
Il résulte de ce qui précède que le critère d'extension tenant à la fictivité de la SCI DSG n'est pas satisfait.
- Sur la confusion des patrimoines de la SCI DSG, de M. Julio da S. G. et de la SCI DSI
Les différents éléments invoqués par le liquidateur pour conclure à la confusion du patrimoine de la SCI DSG et de celui de la SCI DSI ou de M. Julio da S. G. seront examinés ci-après, étant précisé que, selon M. Orlando da S. G., ceux-ci reposent sur de simples affirmations.
Les éléments se rapportant à la vente du 10 mai 2012 conclue entre la SCI DSI, vendeur, et la SCI DSG, acquéreur
En premier lieu, la prétendue appréhension par M. Julio da S. G. du prix de vente versé à la SCI DSI ne concerne pas le patrimoine de la SCI DSG et, partant, est impropre à caractériser la confusion des patrimoines alléguée.
Ensuite, la vente du 10 mai 2012, même intervenue entre deux SCI ayant un associé en commun et le même gérant, ne met pas en exergue une confusion des patrimoines de ces sociétés dès lors qu'un prix, dont il n'est pas allégué qu'il était anormal, a été perçu en contrepartie de la cession du bien concerné.
Le dirigeant et associé d'une société ayant intérêt à favoriser l'obtention d'un financement par cette dernière, le cautionnement consenti par M. Julio da S. G. en vue de garantir le remboursement du prêt accordé à la SCI DSG par la Caixa Geral de Depositos pour financer l'acquisition du bien et l'assurance emprunteur souscrite par lui dans le même contexte n'attestent pas davantage de la confusion des patrimoines invoquée.
Enfin, l'allégation selon laquelle M. Julio da S. G. a appréhendé la partie des fonds prêtés par la Caixa Geral de Depositos à la SCI DSG destinés au paiement de travaux procède d'une simple affirmation, étant en outre observé que l'argument du liquidateur tenant à l'absence de « facturation » de ces travaux à la SCI DSG est dépourvu de pertinence, s'agissant de travaux dont le contrat de prêt mentionne qu'ils étaient entrepris par la copropriété.
L'appréhension par M. Julio da S. G. des loyers revenant à la SCI DSG et à la SCI DSI
La prétendue appropriation par M. Julio da S. G. des loyers revenant à la SCI DSI n'est pas susceptible de caractériser une confusion des patrimoines du premier et de la SCI DSG ou de ceux des deux SCI.
Quant au détournement des loyers revenant à la SCI DSG, il n'est corroboré par aucune pièce. Au demeurant, celui-ci apparaît improbable dès lors, d'une part, que, comme il a été dit, les mensualités des deux prêts consentis par la Caixa Geral de Depositos à la SCI DSG pour financer ses acquisitions immobilières ont été remboursées jusqu'au mois de décembre 2015 inclus et, d'autre part, que le contrat de prêt lié à la vente du 10 mai 2012 stipule la domiciliation des loyers produits par le bien financé sur le compte de la SCI DSG ouvert dans les livres de la Caixa Geral de Depositos.
L'occupation par M. Julio da S. G., sans contrepartie, d'un appartement de l'immeuble du [...], propriété de la SCI DSG
Il résulte des documents versés aux débats qu'à l'époque de la création de la SCI DSG et au moins jusqu'au début de l'année 2016, M. Julio da S. G. était domicilié à Avon (77).
Toutefois, Me D.-G. relève dans son rapport qu'un courrier envoyé par elle à ce domicile le 10 octobre 2017 a été retourné avec la mention « n'habite pas à l'adresse indiquée ». En outre, les vérifications effectuées par l'huissier chargé de délivrer une assignation en intervention forcée à M. Julio da S. G. dans le cadre de la présente instance font ressortir une domiciliation au [...], adresse de l'immeuble appartenant à la SCI DSG.
SI ces éléments corroborent l'allégation du liquidateur selon laquelle M. Julio da S. G. occupe désormais un appartement propriété de la SCI DSG, une telle occupation, à la supposer dépourvue de contrepartie, est postérieure à l'ouverture de la procédure collective de l'intéressé, intervenue le 14 janvier 2015, et, partant, ne peut être utilement invoquée pour fonder une extension de celle-ci à la SCI DSG.
La correspondance entre le cumul des emprunts souscrits par la SCI DSG et le passif de M. Julio da S. G.
L'allégation du liquidateur selon laquelle « le cumul des emprunts qui avaient été souscrits par la SCI DSG s'établissait au 12 octobre 2016 à la somme 230 770,22 euros qui correspond en réalité au passif de M. da S. G. Julio » soulève une difficulté de compréhension.
S'il est ainsi soutenu que M. Julio da S. G. a été le véritable bénéficiaire des deux emprunts concernés, force est de constater qu'une telle appréciation n'est étayée par aucune pièce. S'il est seulement relevé que les sommes restant dues par la SCI DSG au titre de ces emprunts figurent également au passif de M. Julio da S. G., une telle circonstance, qui peut s'expliquer par les cautionnements consentis par ce dernier, ne démontre pas l'existence d'une confusion des patrimoines.
L'absence d'obtention des documents comptables et bancaires de la SCI DSG
La circonstance que les documents comptables et relevés bancaires de la SCI DSG n'ont pu être obtenus des frères da S. G. et/ou de la Caixa Bank ne suffit pas à établir la confusion du patrimoine de cette dernière et de ceux de M. Julio da S. G. ou de la SCI DSI.
La reconnaissance de la confusion des patrimoines par MM. Julio et Orlando da S. G.
Si le jugement ayant étendu la liquidation judiciaire de M. Julio da S. G. à la SCI DSI relève que ce dernier ne s'oppose pas à une telle extension, il ne ressort d'aucune pièce du dossier que, comme le prétend le liquidateur, M. Julio da S. G. a « convenu » de la confusion de son patrimoine ou de celui de la SCI DSI avec celui de la SCI DSG.
S'agissant de M. Orlando da S. G., il conteste avoir rédigé l'écrit du 2 juin 2018 dont se prévaut le liquidateur mentionnant qu'il « confirme [son] accord pour l'extension de la procédure de liquidation de monsieur julio Da S. G. » et soutient avoir signé ce document en y apposant son prénom sans en mesurer la portée.
La teneur de l'écrit en cause, qui n'évoque ni les critères de l'extension, ni les conséquences de celle-ci, conjuguée au fait que M. Orlando da S. G. se dit incapable de rédiger un texte en français, ne permettent pas de retenir que ce dernier, en apposant sa signature, a entendu reconnaître la confusion du patrimoine de la SCI DSG et de celui de M. Julio da S. G. ou de la SCI DSI.
En outre et en tout état de cause, c'est de manière inopérante que le liquidateur se prévaut de ce que MM. Julio et Orlando da S. G. ont « convenu » de la confusion des patrimoines dès lors qu'une telle reconnaissance porte sur un point de droit et, partant, ne peut être retenue comme constituant un aveu.
Il s'infère de l'ensemble des éléments qui précèdent que la confusion des patrimoines invoquée n'est pas établie.
Aucun des deux critères d'extension n'étant satisfait, il convient de confirmer le jugement.
Les dépens seront employés en frais de liquidation judiciaire.
PAR CES MOTIFS,
Confirme le jugement,
Ordonne l'emploi des dépens en frais privilégiés de liquidation judiciaire.