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Décisions

Cass. 2e civ., 10 juin 2021, n° 20-13.198

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

PARTIES

Demandeur :

Trajectoire (SAS)

Défendeur :

Neovia (SAS), MJ Synergie (Selarl)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Pireyre

Rapporteur :

Mme Jollec

Avocat général :

M. Aparisi

Avocats :

SCP Bernard Hémery, Carole Thomas-Raquin, Martin Le Guerer, SCP Thouin-Palat et Boucard

Lyon, 8e ch., du 3 déc. 2019

3 décembre 2019

Faits et procédure

1.Selon l'arrêt attaqué (Lyon, 3 décembre 2019) et les productions, se plaignant de faits de concurrence déloyale et de dénigrement sur internet, la société Neovia a saisi le président d’un tribunal de commerce de plusieurs requêtes identiques sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile à fin de voir ordonner des mesures d’instruction au siège social de plusieurs sociétés, dont celui de la société Trajectoire.  

2. Cette requête a été accueillie par une ordonnance du 28 septembre 2018 qui a constitué l’huissier de justice séquestre des documents appréhendés et prévu qu’il ne pourra être mis fin au séquestre que par une décision de justice contradictoire l’autorisant à remettre les documents saisis. Les mesures d’instruction ont été exécutées le 8 octobre 2018.

3. La société Trajectoire a saisi un juge des référés d’une demande en rétractation, laquelle a été rejetée par une ordonnance du 20 février 2019.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa troisième branche, ci-après annexé

4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce grief qui est irrecevable.

Mais sur le moyen, pris en sa deuxième branche  

Enoncé du moyen

5. La société Trajectoire fait grief à l’arrêt de confirmer l’ordonnance du 20 février 2019 en toutes ses dispositions, alors « que ne peuvent être ordonnées sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile que les mesures légalement admissibles ; que ne peuvent ainsi être autorisées3 585 que des mesures circonscrites dans le temps et dans leur objet, ne s’apparentant pas à des mesures générales d’instruction ; qu’en l’espèce, la société Trajectoire invoquait le caractère général et vague des mots-clés tels que « google », « profit », « accord », « entente », ou des prénoms courants, tels que « Eric », « Xavier », « Charlotte », « François » ou encore « Bertrand » ; qu’en affirmant de façon générale, par motifs adoptés du premier juge, que les mesures ordonnées ne se rapportaient qu’à des mots clés précisément énumérés, en rapport avec l’activité de concurrence déloyale dénoncée, sans préciser en quoi le choix de ces mots-clés dont la société Trajectoire invoquait le caractère général étaient pertinents et nécessaires à l’établissement des faits litigieux, la cour d’appel a entaché sa décision de défaut de motifs en violation de l’article 455 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

Vu l’article 145 du code de procédure civile :

6. Selon ce texte, s’il existe un motif légitime de conserver ou d'établir, avant tout procès, la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige, les mesures d'instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées, à la demande de tout intéressé.

7. Constituent des mesures légalement admissibles des mesures d'instruction circonscrites dans le temps et dans leur objet et proportionnées à l'objectif poursuivi. Il incombe, dès lors, au juge de vérifier si la mesure ordonnée était nécessaire à l’exercice du droit à la preuve du requérant et proportionnée aux intérêts antinomiques en présence.

8. Pour confirmer les ordonnances du 20 février 2019 ayant rejeté la demande de rétractation partielle des ordonnances du 28 septembre 2018, l’arrêt retient que les ordonnances ne ciblent pas des documents couverts par un secret d’ordre professionnel et qu’eu égard aux faits de la cause et aux preuves que la société Neovia entend établir ou conserver, les mesures ordonnées apparaissent nécessaires et proportionnées à la protection des intérêts de la partie requérante.

9. Il retient, ensuite, par motifs adoptés, que l’ordonnance sur requête ne cible ni des documents personnels, ni des documents couverts par un secret d’ordre professionnel ou médical et s’en tient à des mots-clés pour découvrir l’identité des auteurs des messages dénigrants, l’écosystème concurrentiel quant aux liens pouvant unir les différentes sociétés cibles, ces dernières niant toute osmose, la recherche d’une utilisation frauduleuse des logiciels développés par la société Neovia, voire, par acronymie, donnée auxdits logiciels et la preuve de débauchage de salariés de la société Neovia, y compris par l’utilisation des prénoms desdits salariés.

10. Il ajoute, enfin, que l’ordonnance présidentielle du 20 septembre 2019 cible de façon précise une recherche volontairement limitée aux fichiers, documents et correspondances, tous en rapport avec les faits litigieux et que ladite ordonnance ne se rapporte qu’à des mots-clés précisément énumérés et en rapport avec l’activité de concurrence déloyale dénoncée.

11. L’arrêt en déduit que les mesures ordonnées dans l’ordonnance du 28 septembre 2018 sont circonscrites dans leur objet et donc légalement admissibles.  

12. En se déterminant ainsi, sans faire ressortir précisément, comme elle y était invitée, que les mots-clefs visant exclusivement des termes génériques (Google, accord, entente, salarié, avis, Linkedin) et les prénoms, noms et appellations des personnes contre lesquelles les mesures d’instruction avaient été sollicitées, étaient suffisamment circonscrits dans le temps et dans leur objet et que l'atteinte portée au secret des affaires était limitée aux nécessités de la recherche des preuves en lien avec le litige et n'était pas disproportionnée au regard du but poursuivi, la cour d'appel n’a pas donné de base légale à sa décision.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l’autre grief du pourvoi, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce que confirmant l’ordonnance du 20 février 2019, il déboute la société Trajectoire de sa demande de rétractation, confirme l’ordonnance du 28 septembre 2018,  

Rejette les autres demandes et condamne la société Trajectoire aux dépens et à payer une indemnité de 1 500 euros à la société Neovia sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, l’arrêt rendu le 3 décembre 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Lyon ;

Remet, sur ces points, l’affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Lyon, autrement composée ;

Condamne la société Neovia aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile,  

Rejette les demandes.