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Décisions

Cass. 2e civ., 10 juin 2021, n° 20-13.737

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

PARTIES

Demandeur :

Défi Retraite (SAS)

Défendeur :

Néovia (SAS), AJ Partenaires (Selarl), Selarl MJ Synergie (ès qual.)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Pireyre

Rapporteur :

Mme Jollec

Avocat général :

M. Aparisi

Avocats :

SCP Marlange et de La Burgade, SCP Thouin-Palat et Boucard

Lyon, 8e ch., du 3 déc. 2019

3 décembre 2019

Intervention

1. Il est donné acte aux sociétés AJ Partenaires, en qualité de commissaire à l’exécution du plan et d’administrateur judiciaire de la société Néovia, et MJ Synergie-mandataires judiciaires, en qualité de mandataire judiciaire de la société Néovia, de leur intervention volontaire.

Faits et procédure

2. Selon l'arrêt attaqué (Lyon, 3 décembre 2019), se plaignant de faits de concurrence déloyale et de dénigrement sur internet, la société Néovia a saisi le président d’un tribunal de commerce de sept requêtes identiques sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile à fin de voir ordonner des mesures d’instruction au siège social de plusieurs sociétés, dont celui de la société Défi retraite.

3. Cette requête a été accueillie par une ordonnance du 28 septembre 2018, qui a constitué l’huissier de justice séquestre des documents appréhendés et prévu qu’il ne pourra être mis fin au séquestre que par une décision de justice contradictoire l’autorisant à remettre les documents saisis. Les mesures d’instruction ont été exécutées le 8 octobre 2018.

4. La société Défi retraite a saisi un juge des référés d’une demande en rétractation, laquelle a été rejetée par une ordonnance du 20 février 2019.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en ses troisième, quatrième et cinquième branches

Enoncé du moyen

5. La société Défi retraite fait grief à l'arrêt de confirmer l’ordonnance de référé du 20 février 2019 en ce qu’elle l’a déboutée de sa demande de3 586 rétractation de l’ordonnance du 28 septembre 2018, de confirmer en tous ses points cette ordonnance et de la débouter de sa demande de non divulgation des pièces séquestrées, alors : « 3°) que, si le droit au respect de la vie privée ne constitue pas en lui-même un obstacle à l'article 145 du code de procédure civile, est illégale une mesure d'instruction in futurum qui lui porte une atteinte disproportionnée au regard de l'objectif poursuivi ; que lorsque l'atteinte au droit au respect de la vie privée est invoquée, le juge ne peut conclure à la légalité de la mesure d'instruction sans procéder à une balance des intérêts en présence, et expliquer précisément en quoi l'atteinte n'est pas disproportionnée ; qu'en l'espèce, l'ordonnance du 28 septembre 2018 autorisait les huissiers désignés à « prendre connaissance et se faire communiquer par tous moyens et le cas échéant prendre copie en 2 exemplaires sur support informatique, les études de droits à la retraite réalisée par la SAS Défi Retraite, quel que soit le format, notamment PDF, Word et Excel » ; qu'en se contentant d'énoncer « qu'eu égard aux faits de la cause et aux preuves que la société Néovia entend établir ou conserver, les mesures ordonnées par l'ordonnance sur requête du 28 septembre 2018 apparaissent nécessaires et proportionnées à la protection des intérêts de la partie requérante », sans s'expliquer précisément sur la circonstance, invoquée par la société Défi retraite, que l'accès aux études de droit à la retraite emportait par hypothèse l'appréhension des données personnelles des clients (état civil, nombre d'enfants, situation familiale, enfants en situation de handicap) nécessaires à la réalisation de ces études, et sur la proportionnalité de l'atteinte cependant que la mesure n'était aucunement cantonnée aux études portant sur des clients ou prospects communs aux sociétés Néovia et Defi retraite, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 145 du code de procédure civile, ensemble l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et l'article 9 du code civil ; 4°) que si le droit au respect de la vie privée ne constitue pas en lui-même un obstacle à l’article 145 du code de procédure civile, est illégale une mesure d’instruction in futurum qui lui porte une atteinte disproportionnée au regard de l’objectif poursuivi ; que lorsque l’atteinte au droit au respect de la vie privée est invoquée, le juge ne peut conclure à la légalité de la mesure d’instruction sans procéder à une balance des intérêts en présence, et expliquer précisément en quoi l’atteinte n’est pas disproportionnée ; qu’en l’espèce, l’ordonnance du 28 septembre 2018 autorisait les huissiers désignés à « prendre connaissance et se faire communiquer par tous moyens et le cas échéant prendre copie en 2 exemplaires sur support informatique, les études de droits à la retraite réalisée par la société Défi Retraite, quel que soit le format, notamment PDF, Word et Excel » ; qu’en se contentant d’énoncer « qu’eu égard aux faits de la cause et aux preuves que la société Néovia entend établir ou conserver, les mesures ordonnées par l’ordonnance sur requête du 28 septembre 2018 apparaissent nécessaires et proportionnées à la protection des intérêts de la partie requérante », sans s’expliquer précisément sur la circonstance, invoquée par la société Défi retraite, que l’accès aux études de droit à la retraite emportait par hypothèse l’appréhension des données personnelles des clients (état civil, nombre d’enfants, situation familiale, enfants en situation de handicap) nécessaires à la réalisation de ces études, et sur la proportionnalité de l’atteinte cependant que la mesure n’était aucunement cantonnée aux études portant sur des clients ou prospects communs aux sociétés Néovia et Défi retraite, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article 145 du code de procédure civile, ensemble l’article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et l’article 9 du code civil ; 5°) que, si le droit au secret des affaires ne constitue pas en lui-même un o obstacle à l’article 145 du code de procédure civile, est illégale une mesure d’instruction in futurum qui lui porte une atteinte disproportionnée au regard de l’objectif poursuivi ; que lorsque l’atteinte au secret des affaires est invoquée, le juge ne peut conclure à la légalité de la mesure d’instruction sans procéder à une balance des intérêts en présence et expliquer précisément en quoi l’atteinte n’est pas disproportionnée ; qu’en l’espèce, l’ordonnance du 28 septembre 2018 autorisait les huissiers désignés à appréhender tous documents mentionnant le nom de la société Défi retraite ainsi que toutes les études de droit à la retraite de la société Défi retraite ; qu’en se contentant d’énoncer « qu’eu égard aux faits de la cause et aux preuves que la société Néovia entend établir ou conserver, les mesures ordonnées par l’ordonnance sur requête du 28 septembre 2018 apparaissent nécessaires et proportionnées à la protection des intérêts de la partie requérante », sans s’expliquer précisément sur la circonstance, invoquée par la société Défi retraite, que ces mesures permettaient d’appréhender l’intégralité du travail et des données de la société Défi retraite, et sur la proportionnalité de l’atteinte cependant que les mesures n’étaient aucunement cantonnées aux données portant sur des clients ou prospects communs aux sociétés Néovia et Défi retraite, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article 145 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

Vu l’article 145 du code de procédure civile :

6. Si le secret des affaires ne constitue pas en lui-même un obstacle à l'application des dispositions de l'article 145 du code de procédure civile, c’est à la condition que le juge constate que les mesures qu'il ordonne procèdent d'un motif légitime, sont nécessaires à la protection des droits de la partie qui les a sollicitées, et ne portent pas une atteinte disproportionnée aux droits de l’autre partie au regard de l’objectif poursuivi.

7. Pour confirmer les ordonnances du 20 février 2019 ayant rejeté la demande de rétractation partielle des ordonnances du 28 septembre 2018, l’arrêt retient que les ordonnances ne ciblent pas des documents couverts par un secret d’ordre professionnel et qu’eu égard aux faits de la cause et aux preuves que la société Néovia entend établir ou conserver, les mesures ordonnées apparaissent nécessaires et proportionnées à la protection des intérêts de la partie requérante.

8. Il retient, ensuite, par motifs adoptés, que l’ordonnance sur requête ne cible ni des documents personnels, ni des documents couverts par un secret d’ordre professionnel ou médical et s’en tient à des mots-clés pour découvrir l’identité des auteurs des messages dénigrants, l’écosystème concurrentiel quant aux liens pouvant unir les différentes sociétés cibles, ces dernières niant toute osmose, la recherche d’une utilisation frauduleuse des logiciels développés par la société Néovia, voire, par acronymie, donnée auxdits logiciels, et la preuve de débauchage de salariés de la société Néovia, y compris par l’utilisation des prénoms desdits salariés.  

9. Il ajoute, enfin, que l’ordonnance présidentielle du 20 septembre 2019 cible de façon précise une recherche volontairement limitée aux fichiers, documents et correspondances, tous en rapport avec les faits litigieux et que ladite ordonnance ne se rapporte qu’à des mots-clés précisément énumérés et en rapport avec l’activité de concurrence déloyale dénoncée.

10. L’arrêt en déduit que les mesures ordonnées dans l’ordonnance du 28 septembre 2018 sont circonscrites dans leur objet et donc légalement admissibles.

11. En se déterminant ainsi, sans rechercher, comme elle y était invitée, si les mesures d'instruction demandées étaient nécessaires à la détermination de la preuve des faits allégués et ne portaient pas une atteinte disproportionnée au secret des affaires de la société Défi retraite au regard de l’objectif poursuivi, la cour d’appel a privé sa décision de base légale.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi, la Cour :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu’il reçoit l’exception d’incompétence ratione loci soulevée par la société Défi retraite et la déclare mal fondée, l’arrêt rendu le 3 décembre 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Lyon ;

Remet, sur les autres points, l’affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Lyon, autrement composée ;

Condamne la société Néovia et la société AJ Partenaires, en qualité de commissaire à l’exécution du plan de la société Néovia, aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile,  

Rejette les demandes.