CA Versailles, 12e ch., 10 juin 2021, n° 19/06770
VERSAILLES
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Daphiliom (SARL)
Défendeur :
FR Ascenceurs (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Thomas
Conseillers :
Mme Muller, M. Nut
EXPOSE DU LITIGE
La société FR Ascenseurs a pour activité le dépannage, l'entretien et la mise aux normes des ascenseurs.
La société Daphiliom indique exercer une activité de désincarcération des personnes coincées dans les ascenseurs.
Par contrat de prestations de services conclu le 31 décembre 2012, la société Daphiliom a confié un certain nombre d'interventions à la société FR Ascenceurs.
Courant 2017, le contrat a été rompu, les sociétés s'accusant mutuellement d'être à l'origine de cette rupture brutale.
Le 30 novembre 2017, M. Lionel Dos S. (gérant de la société Daphiliom) a envoyé un courriel à plusieurs clients concernant le comportement de la société FR Ascenseurs, laquelle a estimé ce courriel dénigrant à son égard.
Par acte extrajudiciaire du 25 avril 2018, la société Fr Ascenseurs a assigné la société Daphiliom devant le tribunal de commerce de Versailles aux fins de voir condamner la société Daphiliom et M. Dos S. pour concurrence déloyale et actes de dénigrement à lui réparer le préjudice économique subi par le versement de dommages et intérêts, et à réparer le préjudice moral subi du fait de la rupture brutale du contrat commercial par le versement de dommages et intérêts.
Par jugement du 6 septembre 2019 le tribunal de commerce de Versailles a :
- condamné la société Daphiliom à payer à la société Fr Ascenseurs la somme de 30 000 € a titre de dommages et intérêts ;
- dit irrecevable la société Fr Ascenseurs et la société Daphiliom en Ieurs demandes au titre de la rupture brutale des relations commerciales ;
- condamné la société Fr Ascenseurs à payer à la société Daphiliom la somme de 10 000 € à titre de dommages et intérêts ;
- ordonné l'exécution provisoire ;
- condamné la société Daphiliom aux dépens dont les frais de greffe s'élèvent à la somme de 73,22 €.
Par déclaration du 24 septembre 2019, la société Daphiliom a interjeté appel du jugement.
PRÉTENTIONS DES PARTIES
Par dernières conclusions notifiées le 22 mai 2020, la société Daphiliom demande à la cour de :
- dire la société Daphiliom recevable et bien fondée en ses demandes,
- infirmer le jugement déféré en ce qu'il a condamné la société Daphiliom à verser à la société Fr Ascenseurs la somme de 30.000 € à titre de dommages et intérêts,
En conséquence,
- condamner la société Fr Ascenseurs à verser à la société Daphiliom la somme de 70.000 € à titre de dommages et intérêts pour concurrence déloyale et détournement déloyal de clientèle,
- débouter la société Fr Ascenseurs de l'ensemble de ses demandes,
- condamner la société Fr Ascenseurs à la somme de 3.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de la procédure et de son exécution.
Par dernières conclusions notifiées le 2 février 2021, la société Fr Ascenseurs demande à la cour de :
- confirmer partiellement le jugement du tribunal de commerce de Versailles du 6 septembre 2009 en ce qu'il a reconnu les actes de concurrence déloyale de la société Daphiliom contre la société Fr Ascenseurs et a condamné la société Daphiliom,
- infirmer le jugement du tribunal de commerce de Versailles du 06 septembre 2019 en ce qu'il a fixé les dommages intérêts dus à la société Fr Ascenseurs à une somme de 30.000 euros et la fixer à la somme de 124.451 euros,
- infirmer le jugement du tribunal de commerce de Versailles du 06 septembre 2019 en ce qu'il a condamné la société Fr Ascenseurs au paiement de la somme de 10.000 euros pour concurrence déloyale,
- condamner la société Daphiliom en responsabilité des actes de dénigrement et de concurrence déloyale à l'encontre de la société Fr Ascenseurs,
- condamner en conséquence la société Daphiliom au paiement de la somme de 124.451 euros au titre des dommages et intérêts pour le préjudice économique et moral subi du fait de la perte du chiffre d'affaires et de la clientèle ;
- condamner la société Daphiliom au paiement de la somme de 5 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
- condamner la société Daphiliom aux entiers dépens.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 4 mars 2021.
Pour un exposé complet des faits et de la procédure, la cour renvoie expressément au jugement déféré et aux écritures des parties ainsi que cela est prescrit à l'article 455 du code de procédure civile.
MOTIVATION
Le jugement n'est pas contesté en ce qu'il a déclaré la demande présentée au titre de la rupture brutale des relations commerciales, irrecevable.
Sur les faits de concurrence déloyale reprochés à la société Daphiliom
Le jugement a retenu que l'envoi, par le gérant de la société Daphiliom, d'un courriel à des entreprises de façon circulaire portant un discrédit sur la société FR Ascenseurs et son gérant M. R., sans précisions ni éléments probants, était de nature à les dénigrer et caractérisait une concurrence déloyale, portant atteinte à leur réputation.
La société Daphiliom conteste le caractère public de son courriel, donc son caractère dénigrant, et rejette l'attestation de M. H. comme subjective. Elle conteste aussi avoir débauché deux employés de l'intimée, les ayant embauchés deux jours seulement pour une mission ponctuelle avec l'accord de l'intimée. Elle relève l'absence de toute preuve du préjudice économique pour l'intimée, qui serait malvenue à lui reprocher les conséquences d'une rupture qu'elle a initiée.
La société FR Ascenseurs soutient qu'elle a été dénigrée à l'égard d'au moins quatre clients, ainsi que son gérant, les éléments constitutifs du dénigrement étant établis. Elle fait état du contexte de la rupture brutale des relations commerciales entre les deux sociétés, aux torts de la société Daphiliom, laquelle a débauché son personnel technique. Elle détaille les deux chefs de préjudice dont elle souffrirait du fait du comportement de la société Daphiliom, indique avoir déposé une plainte pénale au vu des faits qui a été rejetée pour des questions procédurales.
La divulgation d'une information de nature à jeter le discrédit sur un concurrent constitue un dénigrement, peu important qu'elle soit exacte.
Caractérise un acte de dénigrement constitutif de concurrence déloyale le fait de jeter le discrédit sur une entreprise concurrente en répandant des informations malveillantes sur les produits ou la personne d'un concurrent pour en tirer un profit ; des allégations peuvent être constitutives de dénigrement quand bien même l'information divulguée serait exacte ou de notoriété publique, l'exception de vérité n'étant pas applicable en matière de dénigrement.
En l'espèce, le 30 novembre 2017, le gérant de la société Daphiliom a adressé à plusieurs destinataires - l'appelant reconnaissant un « nombre limité de destinataires » mais la société FR Ascenseurs n'est pas contestée quand elle indique qu'il s'agit de clients - un courriel citant expressément M. R. (gérant de la société FR Ascenseurs) et la société FR Ascenseurs, faisant état de l'absence d'éthique et de déontologie de cette personne, qui notamment donnerait pour consigne à ses salariés de créer des pannes afin que les clients fassent appel à ses interventions pour du dépannage.
La diffusion d'une telle information visant une société concurrente est de nature à jeter un discrédit certain sur la société FR Ascenseurs, et à nuire à sa réputation auprès de ses interlocuteurs.
Au vu de ces seuls faits, les éléments constitutifs du dénigrement sont réunis, et le jugement sera confirmé en ce qu'il a retenu le comportement fautif de la société Daphiliom et de son gérant, révélant une concurrence déloyale.
Il n'y a pas lieu de tenir compte du contexte évoqué par la société FR Ascenseurs de rupture brutale des relations commerciales, dont la cour n'est pas saisie, ni de la plainte pénale déposée par la société FR Ascenceurs.
De même, les attestations produites par chacune des sociétés, si elles révèlent le climat exacerbé existant entre elles, sont insusceptibles de caractériser d'autres faits de dénigrement.
S'agissant du préjudice subi par la société FR Ascenseurs, le jugement a rappelé que le préjudice ne pouvait être évalué au regard du chiffre d'affaires mais de la marge commerciale, et que les causes d'une perte de chiffre d'affaires pouvaient être multiples.
La société Daphiliom relève que l'intimée sollicite 150.000 € de dommages intérêts mais ne verse aucun document comptable ou financier établissant son préjudice.
La société FR Ascenseurs fait état de la gravité de l'atteinte portée à sa réputation, et dénonce la fausseté des attestations produites par l'appelante.
Il convient de relever que la société FR Ascenseurs ne verse pas de pièce établissant la réalité de son préjudice, dont son compte de résultat ne peut témoigner. Le seul tableau montrant l'évolution de son chiffre d'affaires entre août et décembre 2017 - outre qu'il paraît dressé par la société FR Ascenseurs - ne pouvant révéler un impact du dénigrement sur l'activité de cette société ; la cour relève du reste qu'alors que le courriel incriminé est daté du 30 novembre 2017, le chiffre d'affaires du mois de décembre 2017 est supérieur à celui du mois de novembre 2017.
Pour autant, il convient de tenir compte de l'atteinte particulièrement grave portée à la réputation de la société FR Ascenseurs et de son gérant qu'un tel acte de dénigrement constitue, et à ses conséquences sur l'évolution future de son activité économique.
Au vu de ce qui précède, le montant des dommages intérêts attribués à la société FR Ascenseurs sera ramené à 20.000€.
Sur les actes de concurrence déloyale reprochés à la société FR Ascenseurs
Le jugement a retenu qu'alors que le contrat liant les deux sociétés contenait une clause de non-concurrence à l'égard de la société FR Ascenseurs, celle-ci a conclu des contrats avec d'anciens clients de la société Daphiliom, de sorte qu'elle a été condamnée au paiement de 10.000 € de dommages intérêts.
La société Daphiliom indique que la société FR Ascenseurs a profité de sa position de sous-traitant pour détourner des clients en profitant des données sensibles de Daphiliom, comme sa grille tarifaire ou ses fichiers clients, auxquelles elle avait accès. Elle fait état du préjudice qu'elle a subi du fait de ce détournement de clientèle.
La société FR Ascenseurs soutient que les griefs que l'appelante lui impute sont montés de toutes pièces, et conteste la crédibilité des attestations versées par la société Daphiliom.
Comme relevé par le jugement, le contrat conclu entre les parties le 31 décembre 2012 contenait une obligation de non-concurrence, par laquelle la société FR Ascenseurs s'était interdit d'exercer des activités concurrentes de celles de la société Daphiliom, et s'était interdit pendant une durée de deux années après la cessation du contrat, pour quelque cause que ce soit, de s'intéresser directement ou indirectement à des activités concurrentes de celles exploitées par la société Daphiliom, et notamment d'exercer, sur le secteur géographique et auprès de la clientèle ayant fait l'objet du contrat, l'activité d'une entreprise concurrente de la société Daphiliom.
Alors que les relations contractuelles se sont arrêtées en 2017, la société Daphiliom produit plusieurs attestations (MM. H., A.) faisant état du détournement, par le gérant de la société FR Ascenseurs, de clients de la société Daphiliom entre 2016 et 2019, soit alors que la société FR Ascenseurs était tenue par la clause de non-concurrence. De même M. F. a-t-il témoigné que la société FR Ascenseurs avait contacté la plupart des clients de la société Daphiliom en leur proposant des prix inférieurs.
Si l'intimée conteste la crédibilité de ce témoin, qu'elle a licencié, elle produit elle-même un courriel daté du 6 novembre 2018 pour justifier qu'elle n'avait contracté que postérieurement avec la FAIN ; pour autant, le fait qu'elle ait contracté avec cette société cliente de la société Daphiliom, comme en attestent du reste les auteurs des attestations précités en 2018, alors que les relations entre les sociétés Daphiliom et FR Ascenseurs ont cessé en 2017, révèle une violation de l'obligation de non-concurrence à laquelle elle était tenue.
En conséquence, le jugement sera confirmé en ce qu'il a retenu ce grief.
Si la société Daphiliom soutient que le tribunal de commerce a mal apprécié l'importance du chiffre d'affaires qu'elle réalisait avec la société FAIN comme avec la société AFEM, les extraits de grand livre qu'elle produit ne sont pas certifiés par expert-comptable, et ne permettent pas de connaître la marge qu'elle réalisait.
Aussi, le jugement sera confirmé en ce qu'il a condamné la société FR Ascenseurs au paiement à la société Daphiliom de la somme de 10.000 € à titre de dommages-intérêts.
Sur les autres demandes
Le jugement sera confirmé en ce qu'il a condamné la société Daphiliom au paiement des dépens de 1re instance, et dit n'y avoir lieu au paiement au titre des frais irrépétibles.
La société Daphiliom sera condamnée au paiement des dépens d'appel, et les demandes présentées au titre de l'article 700 du code de procédure civile seront rejetées.
PAR CES MOTIFS
Statuant par décision contradictoire,
Confirme le jugement, sauf s'agissant du montant des dommages-intérêts attribués à la société FR Ascenseurs, qui est ramené à 20.000 €,
y ajoutant,
déboute les parties de leurs autres demandes,
Condamne la société Daphiliom au paiement des dépens.