TUE, 3e ch., 9 septembre 2014, n° T-494/12
TRIBUNAL DE L'UNION EUROPÉENNE
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Biscuits Poult (SAS)
Défendeur :
Office de l’harmonisation dans le marché intérieur (marques, dessins et modèles) (OHMI), Banketbakkerij Merba BV
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Papasavvas
Juge :
M. Bieliūnas
Avocats :
Me Chapoullié, Me Folliard-Monguiral, Me Abello
Arrêt
Antécédents du litige
1 Le 25 mars 2009, la requérante, Biscuits Poult SAS, a présenté une demande d’enregistrement d’un dessin ou modèle communautaire à l’Office de l’harmonisation dans le marché intérieur (marques, dessins et modèles) (OHMI), en vertu du règlement (CE) no 6/2002 du Conseil, du 12 décembre 2001, sur les dessins ou modèles communautaires (JO 2002, L 3, p. 1).
2 Le dessin ou modèle dont l’enregistrement a été demandé, destiné à être appliqué aux « biscuits », est représenté comme suit :
3 Le dessin ou modèle contesté a été enregistré sous le numéro 1114292‑0001 et publié au Bulletin des dessins ou modèles communautaires no 75/2009, du 22 avril 2009.
4 Le 15 février 2010, l’intervenante, la Banketbakkerij Merba BV, a présenté devant l’OHMI une demande en nullité du dessin ou modèle contesté, fondée sur l’article 25, paragraphe 1, sous b), du règlement no 6/2002. Dans sa demande en nullité, l’intervenante a allégué que le dessin ou modèle contesté était dépourvu de nouveauté et de caractère individuel et que son apparence était imposée par sa fonction technique, au sens des articles 5, 6 et 8 du règlement no 6/2002.
5 À l’appui de sa demande en nullité, l’intervenante a invoqué, en ce qui concerne l’absence de nouveauté et de caractère individuel du dessin ou modèle contesté, les modèles antérieurs reproduits ci-après :
6 Par décision du 28 février 2011, la division d’annulation de l’OHMI a rejeté la demande en nullité du dessin ou modèle contesté.
7 Le 22 avril 2011, l’intervenante a formé un recours auprès de l’OHMI contre la décision de la division d’annulation.
8 Par décision du 2 août 2012 (ci-après la « décision attaquée »), la troisième chambre de recours de l’OHMI a déclaré la nullité du dessin ou modèle contesté en vertu de l’article 25, paragraphe 1, sous b), du règlement no 6/2002, en raison de l’absence de caractère individuel de celui-ci au sens de l’article 6 dudit règlement.
9 En particulier, la chambre de recours a relevé, tout d’abord, que la couche de pâte étalée à l’intérieur du biscuit, sur toute sa longueur, ne pouvait être prise en considération pour l’appréciation du caractère individuel du dessin ou modèle contesté, dès lors qu’elle n’était pas visible lors de l’utilisation normale du produit. Ensuite, la chambre de recours a considéré que l’aspect extérieur du dessin ou modèle contesté était le même que celui des trois premiers dessins ou modèles antérieurs reproduits au point 5 ci-dessus. Enfin, selon la chambre de recours, le dessin ou modèle contesté ne produit pas, chez l’utilisateur averti offrant ou mangeant régulièrement ce type de biscuit, une impression globale différente de celle engendrée par ces trois dessins ou modèles antérieurs compte tenu de la très grande marge de liberté dont jouit le créateur de ce type de produits.
Conclusions des parties
10 La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :
– annuler ou « à tout le moins réformer » la décision attaquée ;
– confirmer la décision de la division d’annulation ;
– rejeter la demande en nullité ;
– condamner l’intervenante aux dépens.
11 L’OHMI conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :
– rejeter le recours ;
– condamner la requérante aux dépens.
12 L’intervenante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :
– rejeter le recours ;
– confirmer la décision attaquée ;
– à titre subsidiaire, renvoyer l’affaire devant la chambre de recours pour qu’elle statue sur le caractère individuel du dessin ou modèle contesté au vu de l’ensemble des dessins ou modèles antérieurs ;
– condamner la requérante aux dépens.
En droit
13 Au soutien de son recours, la requérante soulève, en substance, un moyen tiré de la violation de l’article 6 du règlement no 6/2002.
14 Au soutien de ce moyen, la requérante fait valoir que la chambre de recours a exclu à tort la représentation de l’aspect interne du dessin ou modèle contesté et qu’elle a ainsi omis de constater les différences par rapport aux dessins ou modèles antérieurs conférant à ce dessin ou modèle un caractère individuel.
15 La requérante fait valoir qu’un biscuit ne peut pas être considéré comme un « produit complexe » au sens de l’article 3, sous c), du règlement no 6/2002 et que, dès lors, la pâte étalée à l’intérieur du biscuit, sur toute sa longueur, ne constitue pas une pièce d’un tel produit. Partant, l’article 4, paragraphe 2, du même règlement ne serait pas applicable en l’espèce.
16 À titre subsidiaire, la requérante fait valoir que la pâte étalée à l’intérieur du biscuit, sur toute sa longueur, est visible lors d’une utilisation normale du produit, dès lors que ce dernier sera cassé au moment de sa consommation, qui en constitue une utilisation normale. En outre, une telle représentation d’un biscuit refléterait les usages promotionnels de l’industrie concernée. L’aspect de la pâte en question aurait donc dû être pris en considération, même en application de l’article 4, paragraphe 2, du règlement no 6/2002.
17 Ainsi, la requérante fait valoir que, compte tenu de l’ensemble des caractéristiques du dessin ou modèle contesté, telles que son apparence, ses lignes, ses contours, ses couleurs, le contraste entre parties intérieures et extérieures, le caractère doré de la surface, le nombre de morceaux de chocolat sur la surface et sa texture, la chambre de recours aurait dû lui reconnaître un caractère individuel par rapport aux trois premiers dessins ou modèles reproduits au point 5 ci-dessus.
18 À cet égard, ainsi qu’il ressort de l’article 3, sous a), du règlement no 6/2002, un « dessin ou modèle » est défini comme étant « l’apparence d’un produit ou d’une partie de produit que lui confèrent, en particulier, les caractéristiques des lignes, des contours, des couleurs, de la forme, de la texture et/ou des matériaux du produit lui-même et/ou de son ornementation ».
19 Il en résulte que la « protection d’un dessin ou modèle » au sens de l’article 4, paragraphe 1, du règlement no 6/2002 consiste en la protection de l’apparence d’un produit, à savoir, selon l’article 3, sous b), du même règlement, de tout article industriel ou artisanal, ou d’une partie d’un tel article.
20 Il ressort par ailleurs des considérants 7, 12 et 14 du règlement no 6/2002, qui se réfèrent à la protection de l’esthétique industrielle, à la limitation de la protection aux éléments visibles et à l’impression produite sur l’utilisateur averti qui regarde l’apparence du produit, que ce règlement confère exclusivement une protection aux parties visibles des produits ou des parties de produits, qui peuvent par conséquent être enregistrées comme dessins ou modèles.
21 Dans ce contexte, l’article 4, paragraphe 2, du règlement no 6/2002 établit une règle spéciale portant spécifiquement sur les dessins ou modèles appliqués à un produit ou incorporés dans un produit qui constitue une pièce d’un produit complexe au sens de l’article 3, sous c), du règlement no 6/2002. Selon cette règle, ces dessins ou modèles sont protégés uniquement si, premièrement, la pièce, une fois incorporée dans le produit complexe, reste visible lors d’une utilisation normale de ce produit et, deuxièmement, les caractéristiques visibles de la pièce remplissent en tant que telles les conditions de nouveauté et de caractère individuel.
22 En effet, étant donné la nature particulière des pièces d’un produit complexe au sens de l’article 3, sous c), du règlement no 6/2002, lesquelles peuvent faire l’objet d’une production et d’une commercialisation distinctes de la production et de la commercialisation du produit complexe, il est raisonnable pour le législateur de leur reconnaître la possibilité d’être enregistrées en tant que dessins ou modèles, mais sous réserve de leur visibilité après incorporation dans le produit complexe et uniquement pour les parties visibles des pièces en question lors d’une utilisation normale du produit complexe et dans la mesure où ces parties sont nouvelles et présentent un caractère individuel.
23 L’article 4, paragraphes 2 et 3, du règlement no 6/2002 n’a donc ni pour objet ni pour effet de multiplier les aspects d’un produit qui peuvent constituer un dessin ou modèle selon l’article 3, sous a), de ce règlement, mais d’établir une règle spéciale portant sur un cas de figure particulier.
24 En l’espèce, comme exposé au point 14 de la décision attaquée, la requérante a admis devant la chambre de recours que la couche de pâte à tartiner fondante étalée à l’intérieur du biscuit, sur toute sa longueur, ne devenait visible que si le biscuit était cassé. Par conséquent, une telle caractéristique ne se rapporte pas à l’apparence du produit en cause.
25 Force est donc de constater que la chambre de recours a fait une correcte application des articles 3 et 6 du règlement no 6/2002 lorsqu’elle a conclu, aux points 15 et 16 de la décision attaquée, que la couche de pâte à tartiner fondante étalée à l’intérieur du biscuit, sur toute sa longueur, n’était pas visible, puisque le produit devait être cassé pour que l’intérieur en fût rendu visible, de sorte que cette caractéristique n’entrait pas en ligne de compte pour l’appréciation du caractère individuel du dessin ou modèle contesté.
26 En outre, ainsi que le font valoir l’OHMI et l’intervenante, le fait que le produit en question pourrait révéler un aspect proche du dessin ou modèle contesté lorsqu’il est brisé afin d’être consommé est dépourvu de pertinence.
27 À cet égard, l’argument de la requérante selon lequel la couche de pâte à tartiner fondante étalée à l’intérieur du biscuit, sur toute sa longueur, devient visible lors d’une « utilisation normale » du biscuit, à savoir lors de sa consommation, repose sur une mauvaise compréhension de l’article 4, paragraphes 2 et 3, du règlement no 6/2002 et est, de ce fait, inopérant. En effet, il ressort de ces dispositions que la notion d’« utilisation normale » est pertinente uniquement lorsqu’il s’agit d’apprécier le caractère protégeable d’un dessin ou modèle appliqué à ou incorporé dans un produit qui constitue une pièce d’un produit complexe au sens de l’article 3, sous c), du règlement no 6/2002. L’article 4, paragraphe 3, dudit règlement précise par ailleurs que la notion d’« utilisation normale » est définie « au sens du paragraphe 2, [sous] a) », du même article.
28 Or, les parties soutiennent unanimement, et à juste titre, qu’un biscuit tel que celui représenté par le dessin ou modèle contesté n’est pas un produit complexe au sens de l’article 3, sous c), du règlement no 6/2002, puisqu’il ne se compose pas de pièces multiples pouvant être remplacées de manière à permettre son démontage et remontage. Par conséquent, les caractéristiques protégeables du dessin ou modèle contesté sont définies par référence aux règles exposées aux points 18 à 20 ci-dessus, lesquelles, s’agissant de produits ne constituant pas des pièces à assembler dans un produit complexe au sens de l’article 3, sous c), du règlement no 6/2002, ne renvoient pas à la notion d’« utilisation normale », mais à l’apparence du produit au sens de l’article 3, sous a), de ce règlement.
29 La chambre de recours n’a donc pas commis d’erreur en précisant, aux points 13 et 16 de la décision attaquée, que les caractéristiques non visibles du produit, qui ne se rapportent pas à son apparence, ne pouvaient être prises en compte pour déterminer si le dessin ou modèle contesté pouvait faire l’objet d’une protection, ni en en déduisant, au point 17 de la décision attaquée, que « le fourrage contenu à l’intérieur du biscuit, selon la représentation du modèle, n’a[vait] pas à être pris en compte dans l’examen du caractère individuel du modèle ».
30 En outre, dès lors que la règle portant spécifiquement sur les pièces destinées à être assemblées dans un produit complexe qu’établit l’article 4, paragraphes 2 et 3, du règlement no 6/2002 (voir points 21 à 23 ci-dessus) constitue une adaptation, concernant ce domaine particulier non visé par la présente espèce, du principe exposé aux points 18 à 20 ci-dessus et n’a ni pour objet ni pour effet de modifier la condition liée à la visibilité des aspects d’un produit représentés par un dessin ou modèle, le fait que les points 13 et 16 de la décision attaquée contiennent une référence à cette disposition n’est pas de nature à invalider le raisonnement exposé aux points 13 à 17 de la même décision.
31 Par conséquent, aucun des arguments de la requérante, exposés aux points 15 et 16 ci-dessus, n’est de nature à remettre en cause le bien-fondé de la décision attaquée. En outre, dès lors que seuls les aspects visibles du produit représenté par le dessin ou modèle contesté peuvent entrer en ligne de compte aux fins de l’appréciation du caractère individuel (voir points 25 à 30 ci-dessus), l’argumentation de la requérante se rapportant à cette appréciation (voir point 17 ci-dessus) doit être écartée.
32 En effet, compte tenu de la grande liberté du créateur en la matière, constatée au point 30 de la décision attaquée et d’ailleurs non remise en cause par la requérante, il y a lieu de confirmer les appréciations de la chambre de recours à cet égard.
33 En particulier, ainsi que l’a constaté la chambre de recours aux points 21 à 24 de la décision attaquée, la surface irrégulière et rugueuse de l’extérieur du biscuit, sa couleur jaunâtre, sa forme arrondie et la présence de pépites de chocolat sont des caractéristiques communes aux dessins et modèles en conflit, qui déterminent l’impression globale produite sur un utilisateur averti, si bien que le dessin ou modèle contesté ne saurait être considéré comme présentant un caractère individuel.
34 L’aspect plus lisse de la surface du dessin ou modèle contesté par rapport au premier et au troisième dessins ou modèles reproduits au point 5 ci-dessus ainsi que les différences portant sur le nombre, sur les dimensions précises et sur le caractère plus ou moins saillant des pépites de chocolat présentes sur chacun de ces dessins ou modèles et sur le dessin ou modèle contesté ne confèrent pas un caractère individuel à ce dernier. En effet, eu égard à la grande liberté du créateur en la matière, ces différences ne sont pas de nature à produire sur l’utilisateur averti, tel que défini au point 28 de la décision attaquée, une impression globale différente au profit du dessin ou modèle contesté.
35 Partant, c’est sans commettre d’erreur que la chambre de recours a constaté, au point 31 de la décision attaquée, que le dessin ou modèle contesté devait être déclaré nul, conformément à l’article 25, paragraphe 1, sous b), du règlement no 6/2002, pour défaut de caractère individuel au sens de l’article 6 du même règlement.
36 Il y a donc lieu de rejeter le recours, sans qu’il soit besoin de se prononcer sur la recevabilité du deuxième chef de conclusions présenté par la requérante et sur celle d’une annexe de la requête, mises en cause par l’OHMI.
Sur les dépens
37 Aux termes de l’article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La requérante ayant succombé, il y a lieu de la condamner aux dépens exposés par l’OHMI et par l’intervenante, conformément aux conclusions de ceux-ci.
Par ces motifs,
LE TRIBUNAL (troisième chambre)
déclare et arrête :
1) Le recours est rejeté.
2) Biscuits Poult SAS supportera ses propres dépens ainsi que ceux exposés par l’Office de l’harmonisation dans le marché intérieur (marques, dessins et modèles) (OHMI) et par la Banketbakkerij Merba BV.