Cass. crim., 16 juin 2021, n° 20-80.204
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
PARTIES
Demandeur :
Rapporteur général de l'Autorité polynésienne de la concurrence
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Soulard
Rapporteur :
M. Wyon
Avocat général :
M. Salomon
Avocats :
SCP Baraduc, Duhamel et Rameix, SAS Cabinet Colin-Stoclet
Faits et procédure
1. Il résulte de l’arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.
2. Saisi par requête du rapporteur général de l'Autorité polynésienne de la concurrence, en date du 2 mai 2019, le juge des libertés et de la détention du tribunal de première instance de Papeete a, par ordonnance du 6 mai 2019, autorisé celui-ci à procéder à des opérations de visite et saisies dans les locaux de plusieurs sociétés, dont la société X, afin de rechercher la preuve d’agissements entrant dans le champ des pratiques prohibées par l'article LP 200-1 du code de la concurrence de Polynésie française, susceptibles d’avoir été commis dans le secteur des travaux routiers de bitumage.
3. La société X, qui a fait l’objet d’une visite domiciliaire en vertu de cette autorisation le 21 mai 2019, a relevé appel de cette décision.
Examen du moyen
Énoncé du moyen
4. Le moyen critique l’ordonnance attaquée en ce qu’elle a dit bien-fondé le recours formé par la société X à l’encontre de l’ordonnance du juge des libertés et de la détention du 6 mai 2019 autorisant le rapporteur général de l’Autorité polynésienne de la concurrence à procéder ou faire procéder à des visites et saisies dans ses locaux, a ordonné l’annulation de ladite ordonnance et par voie de conséquence l’annulation du procès-verbal des visites et saisies du 21 mai 2019, a interdit toute utilisation subséquente dudit procès-verbal et des pièces saisies et ordonné la restitution à la société X des pièces saisies sous scellés I à IV annexés au procès-verbal du 21 mai 2019, a débouté le rapporteur général de l’Autorité polynésienne de la concurrence de sa demande fondée sur les dispositions de l’article 407 du code de procédure civile de la Polynésie française et l’a condamnée aux dépens de l’instance, alors :
« 1°) que pour caractériser des indices d’échange d’informations sensibles et d’action concertée matérialisés par une offre de couverture lors de l’appel d’offres relatif au marché public des routes de l’île de Tahiti de 2016, le juge des libertés et de la détention a, d’une part, s’agissant de l’analyse des prix unitaires, repris à son compte l’étude opérée par les services d’instruction de l’Autorité polynésienne de la concurrence « sur la base des détails estimatifs joints au règlement particulier d’appel d’offre dûment complétés, paraphés et signés par les candidates », en analysant les annexes non occultées 27 à 30 à la requête, d’autre part, s’agissant de l’offre technique des candidats, relevé la commission de deux erreurs identiques par les soumissionnaires, résultant de passages non occultés de l’annexe n° 18 ; qu’en affirmant que le juge des libertés et de la détention avait retenu un indice de pratiques anticoncurrentielles relatives au marché public des chaussées de l’île de Tahiti de 2016 en procédant notamment à l’analyse de l’annexe n° 18 dont les données occultées étaient nécessaires aux conclusions qui étaient tirées de la comparaison des offres des entreprises candidates, tandis que, s’agissant de l’analyse technique, le premier juge ne s’était pas fondé sur les données occultées de l’annexe n° 18, le premier président a dénaturé l’ordonnance du juge des libertés et de la détention, violant ainsi le principe qui interdit au juge de dénaturer les éléments de la cause ;
2°) que le juge saisi d’une demande d’autorisation de procéder à des visites et saisies vérifie le bien-fondé de la demande d’autorisation, qui doit comporter les éléments d’information en possession du demandeur de nature à justifier la visite ; que l’autorisation est fondée dès lors qu’un indice, ou le cas échéant un faisceau d’indices, permet de présumer l’existence d’une pratique anticoncurrentielle ; que l’effet dévolutif de l’appel remet la chose jugée en question devant la juridiction d’appel pour qu’il soit à nouveau statué en fait et en droit ; qu’en l’espèce, pour infirmer l’ordonnance d’autorisation, le premier président s’est borné à relever que certaines annexes à la requête (n° 5, 18, 19 et 39) avaient été occultées pour préserver le secret des affaires puis présentées non occultées au juge des libertés et de la détention qui a autorisé les visites et saisies ; qu’en statuant ainsi, sans rechercher si les autres éléments produits à l’appui de la requête – qui comportait au total 41 annexes – soumis au débat contradictoire, constituaient un faisceau d’indices justifiant l’autorisation des visites et saisies, le premier président a méconnu son office et privé sa décision de base légale au regard des articles 346 du code de procédure civile de la Polynésie française, 5 et 6 de l’ordonnance n° 2017-157 du 9 février 2017 et LP 200-1 du code de la concurrence de la Polynésie française ;
3°) que le juge doit en toutes circonstances faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction ; que le premier président, qui a considéré que la protection du secret des affaires n’était pas justifiée, ayant estimé nécessaire, tant pour le premier juge que pour lui-même, d’apprécier les annexes n 5, 18, 19 et 39 sans occultation, il lui appartenait d’enjoindre à le rapporteur général de l’Autorité polynésienne de la concurrence de les verser ainsi aux débats, ce à quoi elle ne s’est jamais opposée ; qu’en statuant comme il l’a fait, le premier président a commis un excès de pouvoir négatif, violant ainsi les articles 6, alinéa 3, et 346 du code de procédure civile de la Polynésie française, 5 et 6 de l’ordonnance n° 2017-157 du 9 février 2017 et LP 200-1 du code de la concurrence de la Polynésie française. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 346 du code de procédure civile de la Polynésie française :
5. Il résulte de ce texte que le premier président qui annule l'ordonnance du juge des libertés et de la détention autorisant des opérations de visite et saisies doit se prononcer lui-même sur le bien-fondé de la requête de l'administration.
6. Pour annuler l’ordonnance autorisant les opérations de visite et de saisies dans les locaux de la société X, l’ordonnance attaquée relève que l'ordonnance rendue par le juge des libertés et de la détention énonce en préambule que certaines annexes n'ont pas été jointes à la requête de l’administration dans leur version originale, les annexes 5, 18, 19 et 39 ayant fait l'objet d'une occultation partielle afin de préserver toute information sensible, et l'annexe 5 ayant été rendue anonyme, mesures justifiées par la protection du secret des affaires et des données personnelles de personnes physiques, afin de leur éviter des représailles.
7. Le premier président retient cependant qu’il résulte de l’analyse du juge des libertés et de la détention que ce dernier a également eu connaissance de la version originale non expurgée des annexes, ce que le premier juge a confirmé dans un courrier selon lequel les annexes 5, 18, 19 et 39 lui ont bien été présentées en version originale complète, et ont été prises en considération pour autoriser les visites et saisies.
8. Il énonce que le juge des libertés et de la détention s'est donc appuyé, concernant l'annexe 39 et l'indice qu'il constitue à ses yeux, sur des éléments chiffrés qui sont ainsi soustraits au débat contradictoire devant s'instaurer a posteriori devant le premier président, et que la société appelante se trouve dès lors dans l'incapacité de discuter. Il ajoute que si la protection du secret des affaires peut justifier la présentation au juge des libertés et de la détention de documents en partie expurgés, et qui seront ultérieurement soumis comme tels à l'examen contradictoire, encore faut-il que ces documents laissent subsister suffisamment d'éléments pour que le magistrat ait pu y trouver la justification d'une présomption de pratiques anticoncurrentielles, ce qui n'est pas le cas de l'annexe 39 de la requête, dès lors que c'est la teneur même de l'indice telle qu'analysée dans son ordonnance par le juge des libertés et de la détention qui est entièrement occultée.
9. Le premier président conclut qu’il doit par principe contrôler que le juge des libertés et de la détention a vérifié l'existence d'indices sur la seule base des éléments qui seront ensuite soumis au débat contradictoire, et que force est de constater qu'en l'espèce, l'annexe 39 ne remplit nullement cette condition, alors que c'est précisément sur ce document que le premier juge s'est fondé pour estimer qu'il existerait une présomption de pratiques anticoncurrentielles dans le déroulement de la procédure d'appel d'offres afférente au marché de travaux publics de revêtement des chaussées de l'île de Moorea de 2015.
10. Concernant le second marché de travaux publics, relatif au revêtement des chaussées de l'île de Tahiti, ayant fait l'objet d'un avis d'appel à la concurrence du 12 septembre 2016, invoqué par la requête comme également susceptible de receler un indice de l'existence de pratiques anticoncurrentielles, l’ordonnance attaquée énonce encore que le juge des libertés et de la détention a procédé notamment à l'analyse de l'annexe 18 qui contient un tableau d’analyse des prix présentant, s'agissant de la valeur technique des offres, une occultation, sans aucune justification, de 15 sur 17 composantes de l'offre d'Interoute, dont la comparaison avec les offres de X est pourtant nécessaire aux conclusions qui en sont tirées.
11. Le premier président en conclut que cette occultation, certes partielle, ne permet pas à la société appelante de présenter utilement sa défense dans le débat contradictoire et, en tout cas, ne permet pas davantage au premier président de contrôler que le juge des libertés a vérifié l'existence d'indices sur la seule base des éléments soumis au débat contradictoire.
12. En se déterminant ainsi, sans examiner lui-même si des indices de pratiques anticoncurrentielles résultaient des pièces qu’il estimait avoir été régulièrement produites devant lui et qui pouvaient être soumises au débat contradictoire entre les parties, le premier président a méconnu le texte susvisé et le principe ci-dessus rappelé.
13. La cassation est par conséquent encourue.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'ordonnance susvisée du premier président de la cour d'appel de Papeete, en date du 4 décembre 2019, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi ;
RENVOIE la cause et les parties devant la juridiction du premier président de la cour d'appel de Papeete, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil.