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Décisions

CA Paris, 1re ch. sect. concurrence, 27 septembre 1989, n° 89/1194

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Cousin Frères (SA), Dusquenoy (ès qual.), Sartel (SA)

Défendeur :

Ministre chargé de l'Economie

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Présidents :

M. Gelineau-Larrivet, M. Borra

Conseillers :

M. Collomb-Clerc, Mme Hannoun, Mme Favre

Avocats :

Me Prouvost, Me Lemistre

Cons. conc., du 13 dec. 1988

13 décembre 1988

La cour est saisie des recours formés par la société Sartel et par la société Cousin Frères contre la décision n° 88-D-50 du 13 décembre 1988 par laquelle le Conseil de la concurrence a d’une part, enjoint aux sociétés DMC, Sartel et Cousin Frères de cesser d’établir en commun des tarifs et des conditions de vente du fil industriel et du fil de mercerie, et d’autre part, infligé à la société DMC une sanction pécuniaire de 1.500.000 F et à chacune des sociétés Cousin Frères et Sartel une sanction pécuniaire de 750.000 F.

Dans sa décision, à laquelle il convient de se reporter pour l’exposé des faits et de la procédure, le Conseil de la concurrence a relevé que l’élaboration concertée entre les trois sociétés susmentionnées de tarifs identiques et de conditions de vente uniformes constituait un ensemble de pratiques tombant sous le coup des dispositions de l’article 50 de l’ordonnance du 30 juin 1945 sans pouvoir bénéficier de celles de son article 51, qu’elles entraient également dans les prévisions des articles 7 et 10 de l’ordonnance du l décembre 1986 et qu’il y avait lieu de faire application de l’article 13 de celle-ci.

La société Sartel sollicite à titre principal l’annulation de la décision en ce qu’elle méconnaîtrait la situation réelle de la concurrence dans le secteur du fil industriel et du fil de mercerie et qu’elle reposerait sur une analyse inexacte des pratiques incriminées, lesquelles n’auraient pas d’effets anticoncurrentiels sensibles.

Subsidiairement, cette société demande à la cour de réduire le montant de la sanction infligée.

La société Cousin Frères ne conteste pas l’existence d’une entente entre les trois entreprises prépondérantes dans le secteur.

Elle sollicite essentiellement une large diminution du montant de la sanction afin de tenir compte des trois critères énoncés à l’article 53 de l’ordonnance du 30 juin 1945, seul texte applicable selon elle: la gravité des faits, l’importance du dommage causé à l’économie (toutes deux très faibles à ses yeux), enfin ses capacités financières.

Le ministre chargé de l’économie et le ministère public concluent à la confirmation de la décision.

Sur quoi :

La Cour,

Considérant que les deux recours concernent une seule et même affaire; qu’il convient de les joindre et de rendre une décision unique ;

Sur la procédure :

Considérant que si, comme le relève la société Cousin Frères, les faits qui ont motivé la saisine du Conseil de la concurrence par le ministre chargé de l’économie et cette saisine elle-même sont antérieurs à l’entrée en vigueur de l’ordonnance du 1er décembre 1986, il ne s’ensuit pas pour autant que la sanction infligée n’aurait pu l’être que sur le fondement de l’article 53 de l’ordonnance du 30 juin 1945 ;

Qu’en effet, les faits retenus pour la saisine du Conseil de la concurrence sont prohibés par les dispositions de l’article 7 de l’ordonnance du décembre 1986 comme ils l’étaient déjà par celles de l’article 50 de l’ordonnance du 30 juin 1945 ;

Que, de plus, aux termes de l’article 59 de l’ordonnance du 1er décembre 1986 « demeurent valables les actes de constatation et de procédure établis conformément aux dispositions de l’ordonnance du 30 juin 1945 » ;

Que c’est donc à bon droit que le Conseil de la concurrence a fait application de l’article 13 de l’ordonnance du 1er décembre 1986 pour maintenir les trois sociétés concernées dans les liens d’une prévention établie sans solution de continuité par les législations successives ;

Sur le fond :

Considérant que le premier alinéa de l’article 7 de l’ordonnance du 1er décembre 1986, comme antérieurement le premier alinéa de l’article 50 de l’ordonnance du 30 juin 1945, prohibe toutes les actions concertées, les conventions expresses ou tacites, qui ont pour objet ou peuvent avoir pour effet d’empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence ;

Considérant qu’en l’espèce la société Cousin Frères reconnaît et la société Sartel ne conteste pas sérieusement qu’elles se sont concertées avec la société DMC pour adopter une politique commune en matière de prix et de conditions de vente ;

Que l’existence de cette concertation est au surplus établie par les pièces du dossier, notamment par le compte-rendu de la réunion syndicale du 16 avril 1985 ;

Qu’ainsi l’objet même de l’accord exprès de volonté intervenu entre les trois opérateurs prépondérants sur les marchés du fil industriel et de la mercerie était l’abandon par chacun d’eux d’une partie de sa liberté de décision dans l’élaboration des prix et de certaines conditions de vente ;

Considérant que les sociétés Sartel et Cousin Frères minimisent seulement les effets de l’entente en soulignant que les tarifs élaborés en commun n’ont guère été respectés et que la concurrence sur les marchés concernés n’a pas été affectée de façon sensible par les pratiques incriminées ;

Mais considérant que s’il est exact que les trois entreprises sus mentionnées ont été amenées à consentir des prix s’écartant des tarifs qu’elles avaient élaborés, elles n’en ont pas moins enfreint la prohibition édictée par l’article 7 de l’ordonnance du 1er décembre 1986, disposition qui vise toute entente ayant un objet anticoncurrentiel, même si elle n’a pas d’effet ;

Que l’application de cette disposition n’est pas subordonnée à la démonstration de l’existence matérielle d’un effet anticoncurrentiel dès lors que l’existence d’un objet anticoncurrentiel est évidente, comme en l’espèce ;

Qu’il s’ensuit que le moyen tiré de l’absence de nocivité de l’entente doit être rejeté ;

Considérant au demeurant que l’absence d’effets de ladite entente n’est pas établie ;

Qu’il a été constaté que les prix ont augmenté alors que le volume des ventes a diminué ;

Qu’il n’est pas contesté que les tarifs ont reçu une application chaque fois que celle-ci a été possible, c’est-à-dire à l’occasion des ventes aux petits clients

Qu’il résulte des pièces du dossier que les écarts entre les prix effectivement pratiqués et ceux des tarifs ont été volontairement limités ;

Qu’enfin, l’effet indirect d’un tarif non intégralement respecté selon l’expression recueillie d’un protagoniste en l’espèce, de « tirer prix en avant »

Considérant que les justifications données par les sociétés Sartel et Cousin Frères de l’harmonisation concertée de certaines conditions de vente ne sont pas pertinentes ;

Qu’en effet, si le coût de l’organisation de vente en dépôts aux destinées clients importants implique une majoration des prix, il n’implique nullement une uniformisation de cette majoration ;

Que de même, s’il est économiquement justifié de prévoir des conditions de vente strictes à l’égard des petits clients, il n’est pas nécessaire que ces conditions soient identiques d’une entreprise à l’autre ;

Considérant que le moyen tiré de la situation du secteur doit être également écarté ;

Que la récession du marché et sa relative pénétration par les importations ne sauraient justifier par elles-mêmes des restrictions apportées volontairement à la concurrence ;

Considérant en définitive que les recours formés par les sociétés Sartel et Cousin Frères sont mal fondés ;

Considérant qu’au vu des éléments fournis et compte tenu notamment de la gravité des faits, il apparaît que la sanction infligée à chacune d’elles par le Conseil de la concurrence doit être approuvée ;

Par ces motifs :

Ordonne la jonction des procédures inscrites sous les numéros 89-1194 et 89-1287 du registre général ;

Donne acte à maître Duquesnoy, ès qualités d’administrateur judiciaire au règlement judiciaire de la société Sartel de son intervention ;

Confirme la décision déférée ;

Condamne les sociétés Sartel et Cousin Frères aux dépens.