Livv
Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 1, 20 février 2013, n° 11/06089

PARIS

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

Avantage mode (SARL)

Défendeur :

D'exploitation Ubu (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Rajbaut

Conseillers :

Mme Chokron, Mme Gaber

Avocats :

Me Landon, Me Flauraud

T. com Paris, du 28 mars 2011

28 mars 2011

Vu l'appel interjeté le 31 mars 2011 par la société AVANTAGE MODE (SARL), du jugement contradictoire rendu par le tribunal de commerce de Paris le 28 mars 2011 dans l'instance l'opposant à la société d'exploitation UBU (SARL), ci-après la société UBU ;

Vu les ultimes écritures signifiées par la société AVANTAGE MODE, appelante, le 25 septembre 2012 ;

Vu les dernières conclusions de la société UBU, intimée, signifiées le 15 octobre 2012 ;

Vu l'ordonnance de clôture prononcée le 4 décembre 2012 ;

SUR CE, LA COUR :

Considérant qu'il est expressément renvoyé, pour un exposé complet des faits de la cause et de la procédure, à la décision entreprise et aux écritures, précédemment visées, des parties ;

Qu'il suffit de rappeler que la société UBU, spécialisée dans la création et la fabrication, dans ses ateliers du [...], de bijoux de fantaisie qu'elle commercialise sous la marque 'UBU', ayant découvert l'offre en vente dans deux magasins parisiens de la société AVANTAGE MODE, en grande quantité et à des prix dérisoires, de bijoux reproduisant selon elle servilement un modèle de fleur stylisée, des modèles de collier, des modèles de bracelet et un modèle de crochet servant d'attache à des colliers, sur lesquels elle revendique des droits d'auteur, a fait procéder à des constats d'achat, les 22 et 23 janvier 2008, puis a engagé, suivant assignation délivrée le 21 janvier 2008 devant le tribunal de commerce de Paris, une instance en contrefaçon et en concurrence déloyale ;

Que le tribunal de commerce de Paris, par le jugement dont appel, a reconnu à la société UBU la qualité à agir, admis les créations opposées au statut d'oeuvres de l'esprit éligibles à la protection instituée au titre du droit d'auteur, retenu à la charge de la société AVANTAGE MODE des actes de contrefaçon par reproduction des caractéristiques originales des modèles opposés ainsi que des actes de concurrence déloyale par effet de gamme et l'a condamnée, en réparation de ces chefs de préjudice, à payer à la société UBU les sommes de 100.000 euros et 35.000 euros, a prononcé des mesures d'interdiction sous astreinte, de confiscation, de publication judiciaire ;

Que la société AVANTAGE MODE reprend, pour l'essentiel, les moyens de défense précédemment soumis aux premiers juges, poursuit la nullité et, en toute hypothèse, la réformation du jugement déféré, demande le remboursement, avec intérêts, des sommes versées au titre de l'exécution provisoire, outre une indemnité de 30.000 euros pour procédure abusive ainsi qu'une mesure de publication aux frais de la société UBU ;

Que la société UBU conclut à la confirmation du jugement dont appel sauf à voir élever à 200 euros le montant de l'astreinte prononcée en première instance, ordonner à la société appelante de communiquer les pièces comptables nécessaires à l'évaluation du préjudice de contrefaçon et la condamner de ce chef, à titre provisionnel, au paiement de la somme de 300.000 euros, outre, au titre de la concurrence déloyale au paiement de 50.000 euros de dommages-intérêts ;

Sur la recevabilité à agir en contrefaçon,

Considérant que la société AVANTAGE MODE soutient, pour combattre le grief de contrefaçon, que la société UBU serait irrecevable à agir faute, en premier lieu, de justifier de modèles enregistrés ;

Or considérant que la société UBU agit au fondement non pas des droits de dessins et modèles visés au Livre V du Code de la propriété intellectuelle mais des droits d'auteur institués au Livre I du Code de la propriété intellectuelle ;

Que selon les articles L.111-1 et suivants du Livre I du Code précité, l'auteur de toute oeuvre de l'esprit, quels qu'en soient le genre, la forme d'expression, le mérite ou la destination, jouit sur cette oeuvre, du seul fait de sa création, d'un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous, qui comporte des attributs d'ordre intellectuel et moral ainsi que des attributs d'ordre patrimonial ;

Qu'il se déduit de ces dispositions le principe de la protection de l'oeuvre sans formalités et du seul fait de la création d'une forme originale ;

Que la fin de non recevoir tirée du défaut d'enregistrement à l'Institut national de la propriété industrielle des modèles de bijoux revendiqués est en conséquence inopérante en la cause ainsi que le tribunal l'a jugé avec raison, au terme d'une exacte application de la loi et dans le respect des moyens de droit respectifs des parties ;

Considérant que la société AVANTAGE MODE prétend, en second lieu, que la société UBU ne justifierait pas, sur les créations revendiquées, de la qualité d'auteur ;

Considérant que la cour observe à l'instar du tribunal :

- que la fleur stylisée revendiquée par la société UBU, est reproduite sur les bagues 07/03 et 07/07, sur les bracelets 10/03 et 10/07 et sur le collier 12/03, divulgués et commercialisés sous le nom de la société UBU ainsi qu'en attestent les catalogues de la société UBU de septembre 2005 et septembre 2007 exposant les bijoux portant les références précitées,

- que le modèle de collier 70/316 figure sur les catalogues de la société UBU de septembre 2005 et septembre 2007,

- que le modèle de collier 70/44 est exposé sur le catalogue de la société UBU de septembre 2005,

- que les modèles de bracelets 91/448, 91/517, 91/511, ont fait respectivement l'objet d'un

dépôt sous enveloppe SOLEAU du 8 juin 2004 ouverte, contradictoirement, par huissier de justice suivant procès-verbal du 21 décembre 2009 et sont présentés sur le catalogue de la société UBU de septembre 2007 ainsi que, sous le nom de cette dernière, dans les revues BFF de janvier 2007 et C+Accessoires de septembre 2007 ;

Considérant que ces éléments permettent d'identifier sans la moindre équivoque les créations revendiquées et de déterminer leur date certaine de commercialisation par la société UBU, laquelle est en l'espèce, pour chacune des créations revendiquées, antérieure à la date de constatation des faits incriminés ;

Or considérant que, en l'absence de revendication d'une personne physique qui s'en prétendrait l'auteur, l'exploitation de l'oeuvre par une personne morale sous son nom fait présumer à l'égard des tiers recherchés pour contrefaçon, que cette personne est titulaire, sur l'oeuvre, des droits patrimoniaux de l'auteur ;

Que la société AVANTAGE MODE n'opposant à cette présomption la moindre preuve contraire, la société UBU doit être regardée comme titulaire des droits patrimoniaux d'auteur sur les créations référencées : 07/03, 07/07, 10/03, 10/07, 12/03, 70/316, 70/44, 91/448, 91/517, 91/511;

Considérant qu'il n'est pas établi en revanche d'actes d'exploitation sous le nom de la société UBU pour les modèles de bracelet respectivement référencés 91/711, 91/708, 91/548, les modèles de collier respectivement référencés 88/316 et 88/389 et le modèle de crochet référencé 99 étant à cet égard relevé que si les modèles en cause ont fait l'objet d'un dépôt sous enveloppe SOLEAU, une telle circonstance n'est pas de nature à justifier qu'ils ont été divulgués, en particulier au moyen d'actes de commercialisation, sous le nom de la société UBU ;

Que le jugement déféré sera en conséquence réformé en ce qu'il a retenu la qualité à agir de la société UBU pour les créations référencées 91/711, 91/708, 91/548, 88/316, 88/389 et 99 ;

Sur l'originalité,

Considérant que la société AVANTAGE MODE conteste l'originalité des modèles de bijoux revendiqués qui s'inscrivent, selon elle, dans le fonds commun des arts primitifs et ne révèlent aucun effort créatif portant l'empreinte de la personnalité de leur auteur ;

Qu'il importe dès lors de se livrer à la recherche nécessaire de l'originalité, l'action en contrefaçon étant subordonnée à la condition que la création, objet de cette action, soit une oeuvre de l'esprit éligible à la protection instituée au titre du droit d'auteur, c'est-à-dire une création originale ;

Considérant que la société UBU identifie et caractérise comme suit les modèles en cause:

- en ce qui concerne les modèles 07/07 et 10/07 : une fleur stylisée en métal composée d'un cercle en relief formant le centre de la fleur et de 4 pétales de formes irrégulières en relief allongées à l'aspect lisse,

- en ce qui concerne les modèles 07/03, 10/03 et 12/03 : une fleur stylisée en métal composée d'un cercle en relief formant le centre de la fleur et de 5 pétales allongées, légèrement creusées et rugueux au touché,

- modèle de collier 70/316 : un pendentif en métal de forme ronde, incurvé, sur lequel sont reproduits en relief des cercles en spirale partant du centre du pendentif, sur le pendentif de forme ronde, se trouve une pièce en métal allongée, accrochée à une autre pièce en métal creuse,

- modèle de collier 70/44: un pendentif en métal de forme ronde et incurvée, sur lequel sont reproduits en relief des cercles épais en spirale partant du centre du pendentif,

- modèles de bracelet 91/448, 91/517, 91/511 : un assemblage d'éléments en métal qui sont constitués pour chacun de 2, 3 ou 4 petites plaques dont certaines sont plus arrondies que d'autres et qui sont soudées les unes aux autres dans le sens de la largeur du bracelet, les éléments identiques sont accrochés les uns aux autres par des élastiques ;

Considérant qu'il s'infère de ces éléments que la société UBU, qui ne dément pas que ses bijoux s'inscrivent dans la tendance 'ethnique' et, à ce titre, s'inspirent des arts primitifs, ne prétend pas pour autant s'approprier un genre, mais revendique, pour chacun des modèles concernés, une combinaison particulière de caractéristiques, résultant des choix propres de son auteur, et conférant à ce modèle l'originalité requise pour accéder au statut d'oeuvre de l'esprit ;

Que force est à cet égard de relever que les pièces versées aux débats par la société AVANTAGE MODE sous les n° 1 à 22, montrant notamment des bijoux ethniques d'Afrique, d'Asie, d'Océanie, d'Amérique, permettent, certes, de retrouver l'un ou l'autre des éléments composant chacun des modèles de la société UBU mais non pas de rencontrer un modèle qui allierait, dans le même agencement, l'ensemble des caractéristiques revendiquées par la société UBU pour un modèle donné et qui, partant, offrirait la même physionomie que ce modèle donné ;

Or considérant que l'appréciation de l'originalité doit être effectuée de manière globale, en fonction de l'aspect d'ensemble produit par la combinaison des divers éléments caractérisant l'oeuvre et non par l'examen de chacun de ceux-ci, pris individuellement ;

Et qu'il résulte de l'examen auquel la cour s'est livrée des modèles de bijoux en cause que, si certains des éléments qui les composent sont effectivement connus et appartiennent, regardés séparément, au fonds commun des bijoux dits 'primitifs', leur combinaison, en revanche, telle que revendiquée par la société UBU, confère à ces modèles, une physionomie propre, distincte de celle des différents modèles de comparaison, et traduisant un parti-pris esthétique empreint de la personnalité de leur auteur ;

Que la décision entreprise sera confirmée en ce qu'elle a retenu l'originalité des modèles de bijoux 07/03, 07/07, 10/03, 10/07, 12/03, 70/316, 70/44, 91/448, 91/517, 91/511 commercialisés par la société UBU sous son nom et, par voie de conséquence, leur éligibilité à la protection par le droit d'auteur ;

Sur la contrefaçon,

Considérant que la contrefaçon est réalisée, aux termes de l'article L.122-4 du Code de la propriété intellectuelle, par la reproduction, intégrale ou partielle, de l'oeuvre faite sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause ;

Considérant que la société UBU argue de contrefaçon les modèles de bijoux objets des constats d'achat, non contestés, établis par Me YANA, huissier de justice à Paris, les 22 et 23 janvier 2008 dans les deux magasins parisiens exploités par la société AVANTAGE MODE ;

Considérant qu'il suit de l'examen comparatif auquel la cour a procédé, que la société AVANTAGE MODE commercialise :

- un collier orné de fleurs stylisées constituant la reproduction servile des fleurs stylisées en métal de la société UBU composées d'un cercle en relief formant le centre de la fleur et, pour les unes, de 4 pétales de formes irrégulières en relief, allongées, à l'aspect lisse et pour les autres, de 5 pétales allongées, légèrement creusées et rugueuses au touché,

- un pendentif reprenant les caractéristiques originales du pendentif 70/ 316 de la société UBU, à savoir, un pendentif en métal de forme ronde, incurvée, sur lequel sont reproduits en relief des cercles en spirale partant du centre du pendentif, au dessus du pendentif, se trouve une pièce en métal allongée, accrochée à une autre pièce en métal creuse,

- un pendentif reproduisant dans le même agencement, les éléments composant le pendentif 70/44 de la société UBU, à savoir, un pendentif en métal de forme ronde et incurvée, sur lequel sont reproduits en relief des cercles épais en spirale partant du centre du pendentif,

- des bracelets constituant des reproductions serviles des modèles de bracelet 91/448, 91/517, 91/511 et montrant, à l'instar de ces derniers, un assemblage d'éléments en métal constitués de 2 petites plaques dont certaines sont plus arrondies que d'autres et qui sont soudées les unes aux autres dans le sens de la largeur du bracelet et, dans le sens de la longueur du bracelet, accrochées les unes aux autres par des élastiques ;

Considérant qu'il suit de ces observations que chacun des modèles incriminés reproduit dans une même combinaison les caractéristiques qui confèrent au modèle opposé de la société UBU son originalité, à telle enseigne qu'il produit, au regard du modèle original, une physionomie d'ensemble très ressemblante et caractérise ainsi une contrefaçon ;

Sur la concurrence déloyale,

Considérant que la société UBU fait valoir à raison que la reproduction servile par la société AVANTAGE MODE de ses créations référencées 07/03, 07/07, 10/03, 10/07, 12/03, 70/316, 70/44, 91/448, 91/517, 91/511 n'est pas fortuite et caractérise une volonté délibérée de générer, par la création d'un effet de gamme, un risque de confusion dans l'esprit de la clientèle ;

Or considérant que la création d'un effet de gamme par la reproduction de plusieurs modèles d'une même collection, constitue un fait distinct de la contrefaçon ; qu'au surplus, un tel fait, consistant à introduire un risque de confusion sur l'origine des produits constitue une atteinte à l'exercice paisible et loyal de la liberté du commerce et caractérise une faute au sens des dispositions de l'article 1382 du Code civil ;

Qu'il s'ensuit que le jugement a retenu à bon droit le grief de concurrence déloyale à la charge de la société AVANTAGE MODE et mérite confirmation de ce chef ;

Sur les mesures réparatrices,

Considérant qu'en vertu des dispositions de l'article L.331-1-3 du Code de la propriété intellectuelle, la juridiction prend en compte, pour fixer les dommages-intérêts, les conséquences économiques négatives, dont le manque à gagner, subies par la partie lésée, les bénéfices réalisés par l'auteur de l'atteinte aux droits et le préjudice moral causé au titulaire de ces droits du fait de l'atteinte ;

Considérant que si les éléments de la procédure ne permettent pas d'estimer avec exactitude le volume de la contrefaçon, ils établissent en revanche que les actes illicites concernent dix modèles de la société UBU, que les produits de contrefaçon sont de médiocre qualité et qu'ils sont offerts à la vente à des prix dérisoires (de 2,30 à 7,50 euros par article) ;

Que de telles circonstances sont de nature à banaliser le modèle original et, par voie de conséquence, à porter atteinte à la valeur patrimoniale des modèles originaux, que, de surcroît, le caractère servile des copies réalisées a nécessairement contribué à avilir ces modèles et à les déprécier aux yeux de la clientèle dont une partie s'est inéluctablement détournée ;

Considérant qu'en l'état de ces éléments, et nonobstant le fait qu'il résulte du présent arrêt que la société UBU n'est pas recevable à agir pour les modèles référencés 91/711, 91/708, 91/548, 88/316, 88/389 et 99, les premiers juges ont procédé à une juste évaluation du préjudice de contrefaçon en allouant à la société UBU, sans qu'il ne soit nécessaire de procéder à une communication complémentaire ou à une mesure d'instruction, une indemnité de 100.000 euros au paiement de laquelle la société AVANTAGE MODE sera condamnée ;

Que c'est encore au terme d'une exacte appréciation des circonstances de la cause que le tribunal a fixé à 35.000 le montant des dommages-intérêts des suites du préjudice de concurrence déloyale ;

Considérant, enfin, que les mesures de confiscation, d'interdiction et de publication, prononcées par le tribunal, sont nécessaires et suffisantes pour faire cesser les actes illicites et prévenir leur renouvellement ; qu'elles seront confirmées sauf à préciser qu'elles ne sauraient concerner les produits de la société AVANTAGE MODE argués de contrefaçon des références 91/711, 91/708, 91/548, 88/316, 88/389 et 99, pour lesquelles la société UBU a été déclarée irrecevable à agir et à ajouter que la mesure de publication fera mention du présent arrêt ;

Considérant qu'il s'infère du sens de l'arrêt que les demandes de la société AVANTAGE MODE en remboursement des sommes versées au titre de l'exécution provisoire et en paiement de dommages-intérêts au fondement de procédure abusive, doivent être rejetées ;

PAR CES MOTIFS:

Infirme le jugement déféré en ce qu'il a retenu la qualité à agir de la société UBU pour les créations référencées 91/711, 91/708, 91/548, 88/316, 88/389 et 99,

Le confirme pour le surplus,

Y ajoutant,

Dit que la mesure de publication fera mention du présent arrêt,

Déboute des demandes contraires aux motifs de l'arrêt,

Condamne la société AVANTAGE MODE aux dépens de la procédure qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile et à verser à la société UBU une indemnité complémentaire de 10.000 euros au titre des frais irrépétibles.