CA Paris, 4e ch. B, 7 avril 2006, n° 05/02885
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Lebrun (SA)
Défendeur :
Guy Degrenne (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Pezard
Conseillers :
Mme Regniez, M. Marcus
Avocats :
SCP Arnaudy - Baechlin, SCP Fanet - Serra - Ghidini
ARRÊT :
- Contradictoire.
- prononcé en audience publique par Madame PEZARD , président ,
- signé par Madame PEZARD, président et par L.MALTERRE-PAYARD, greffier présent lors du prononcé.
La cour est saisie d'un appel formé par la société anonyme LEBRUN à l'encontre d'un jugement contradictoirement rendu le 10 décembre 2004 par le tribunal de commerce de Paris qui a dit :
- le modèle des assiettes "SUCRE-SALE" original et protégeable au sens du Code de la Propriété Intellectuelle.
- dit que la société anonyme LEBRUN s'est rendue coupable de contrefaçon en reproduisant le modèle "SUCRE-SALE" et de concurrence déloyale.
- condamné la société anonyme LEBRUN à payer à la Société Anonyme GUY DEGRENNE la somme de 100.000 euros au tire du préjudice subi toutes causes confondues.
- ordonné la destruction des assiettes en cause sous le contrôle d'un huissier de justice aux frais de la société anonyme LEBRUN, et ce, sous astreinte de 500,00 euros par jour de retard à compter de la signification du présent jugement, le droit de liquider l'astreinte restant au Juge de l'Exécution.
- fait interdiction à la société anonyme LEBRUN de poursuivre la vente, l'exposition, l'importation et la commercialisation des articles contrefaisants et ce sous astreinte de 500,00 euros par infraction constatée à compter de la date de la signification du présent jugement, le droit de liquider l'astreinte restant au Juge de l'Exécution.
- débouté les parties de leurs autres demandes plus amples ou contraires.
- ordonné l'exécution provisoire du présent jugement, sauf en ce qui concerne les mesures de destruction.
- condamné la société anonyme LEBRUN à payer à la Société anonyme GUY DEGRENNE la somme de 3.000,00 euros au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile, déboutant pour le surplus.
- condamné la société anonyme LEBRUN aux entiers dépens.
Il convient de rappeler que :
la société GUY DEGRENNE se déclare propriétaire d'une ligne de modèles d'assiettes dits "SUCRE-SALE" références radis, potiron, poivron, etc... Les modèles de cette gamme ont fait l'objet, auprès de l'Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle, d'un dépôt international visant la France, sous le numéro d'enregistrement DM/039.199 effectué le 12 février 1997 et dûment publié le 30 avril 1997.
Chaque modèle de cette gamme est associé à un fruit ou à un légume (radis, potiron, poivron, etc..) lequel est reproduit six fois à intervalles réguliers sur l'aile de l'assiette, en alternance avec son nom en écriture calligraphiée et sur un fond vichy.
Elle constate que la société LEBRUN offre à la vente des assiettes "FRIENDS" reprenant servilement ou quasi servilement les caractéristiques de ses modèles. Après requête auprès du Tribunal de Grande Instance de SAINT-OMER, elle est autorisée par ordonnance à procéder à une saisie-contrefaçon chez la société LEBRUN le 08 janvier 2004, saisie réalisée le 22 janvier 2004 établissant l'offre à la vente par la société LEBRUN de deux assiettes creuses, deux assiettes plates, deux assiettes à dessert, articles objets du présent litige, ainsi que des documents établissant la vente dans les magasins SIEL et COVENDI à Paris, raison de la présente procédure.
Monsieur DEVOS de la société LEBRUN a indiqué que les assiettes avaient été acquises en Pologne de la société PORCELANY WALBRZYCH et a remis des factures pour 21.960 pièces dont 18.160 ont été vendues,
Dans ses dernières conclusions signifiées le 12 janvier 2006, la société LEBRUN, appelante, demande essentiellement à la cour de :
- dire que la société GUY DEGRENNE ne peut prétendre à des droits privatifs sur son modèle déposé sous le nom "SUCRÉ SALÉ",
- subsidiairement, dire que la société LEBRUN ne s'est livrée à aucun acte de contrefaçon à l'encontre de la société GUY DEGRENNE ,
- débouter, par conséquent, la société GUY DEGRENNE de l'intégralité de ses demandes,
- à titre reconventionnel, condamner la société GUY DEGRENNE à payer au profit de la société LEBRUN les sommes de :
* 30.000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi consécutif à la saisie contrefaçon abusive,
* 8000 euros au titre de l'article 700 du NCPC.
- condamner la société GUY DEGRENNE aux entiers dépens .
Dans ses dernières conclusions signifiées le 8 février 2006, la société GUY DEGRENNE, intimée, demande à la cour de :
- confirmer le jugement du Tribunal de Commerce de Paris en date du 10 décembre 2004 en ce qu'il a :
.
- dit que le modèle des assiettes « SUCRE-SALE » est nouveau et original et protégeable au sens du Code de la propriété Intellectuelle,
- dit que la société LEBRUN a reproduit le modèle « SUCRE SALE » et s'est rendue coupable de contrefaçon et de concurrence déloyale,
- ordonné sous astreinte de 500 euros par jour de retard à compter de la signification de la décision, la destruction des assiettes contrefaisantes sous le contrôle d'un huissier de justice aux frais de la société LEBRUN,
- interdit à la société LEBRUN, sous astreinte de 500 euros par jour de retard à compter de la signification de la décision, la poursuite de la vente, de l'exposition, de l'importation et de la commercialisation des articles contrefaisants ;
Y ajoutant,
- dire et juger qu'en important sur le territoire français et en commercialisant le modèle FRIENDS Olive, la société LEBRUN a commis des actes de contrefaçon des droits détenus par la société GUY DEGRENNE sur le dépôt international de dessins et modèles numéro DM/039.199 visant la France ;
- infirmer le jugement du Tribunal de Commerce de Paris en date du 10 décembre 2004 en ce qu'il a condamné la société LEBRUN à verser à la société GUY DEGRENNE la somme de 100.000 euros à titre de dommages et intérêts.
Statuant à nouveau,
- condamner la société LEBRUN à verser à la société GUY DEGRENNE la somme de 70.000 Euros en réparation du préjudice résultant des actes de contrefaçon,
- condamner la société LEBRUN à verser à la société GUY DEGRENNE la somme de 50.000 Euros en réparation du préjudice résultant des actes de concurrence déloyale,
- ordonner à titre de complément d'indemnisation du préjudice de la société GUY DEGRENNE la publication de l'arrêt dans trois journaux ou revues au choix de la société LEBRUN et à ses frais exclusifs pour un montant total de 20.000 euros H.T ;
- condamner la société LEBRUN à verser à la société GUY DEGRENNE la somme de 15.000 Euros au titre de l'article 700 du NCPC.
Ceci étant exposé,
Sur l'originalité des modèles
Considérant qu'à l'appui de ses prétentions la société LEBRUN fait valoir que les modèles d'assiettes revendiqués par la société GUY DEGRENNE sous la référence SUCRÉ SALÉ ayant fait l'objet, auprès de l'Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle, d'un dépôt international visant la France, sous le numéro d'enregistrement DM/039.199 effectué le 12 février 1997 et publié le 30 avril 1997 ne présentent ni nouveauté ni caractère propre ;
Considérant que pour antérioriser les modèles litigieux, la société LEBRUN produit, parmi de nombreux documents ne contenant chacun qu'une seule caractéristique isolée des éléments composant les modèles DEGRENNE, une seule pièce qui serait susceptible de constituer un décor identique au décor des modèles attaqués (pièces n°9 de l'appelante) ; que toutefois, cette pièce attestant du décor 'William' du modèle de la société PORCELANNE TOGRAGNA, n'est pas datée, ce que d'ailleurs ne conteste pas l'appelante ; qu'au surplus, ce décor ne comporte aucunement l'inscription du nom du fruit représenté sur l'assiette ;
Que la cour constate également que, si les motifs Vichy ont effectivement été déjà employés en matière de vaisselle, de même que la représentation de fruits et légumes et les inscriptions de type manuscrit, la combinaison de l'ensemble de ces éléments selon l'agencement proposé par l'intimée présente une physionomie propre et nouvelle, constituant une création originale ; que ce décor n'est pas constitutif d'un genre, contrairement à ce que soutient l'appelante, dès lors que l'inclusion à l'intérieur d'une bande de décor située à l'extrémité de l'aile d'une assiette ou de tout article de vaisselle, de fruits ou légumes au nombre de six, en alternance avec son nom en écriture calligraphiée et sur un fond Vichy ne constitue pas une extension d'un droit privatif à tout décor de porcelaine évoquant les fruits ou légumes et le motif Vichy ;
Qu'en conséquence, les modèles de la société GUY DEGRENNE sont susceptibles de bénéficier de la protection des dispositions du Code de la propriété intellectuelle au titre des dessins et modèles ; que la décision des premiers juges sera confirmée de ce chef ;
Sur la contrefaçon
Considérant que l'appelante fait valoir que le décor de l'assiette revendiqué par l'intimée, ne saurait se confondre, chez l'observateur averti, à son décor commercialisé sous le nom 'FRIENDS' ; qu'elle expose à cette fin que :
les assiettes plates provenant de ces deux modèles différent sur un grand nombre de points :
- décor "FRIENDS" : bordure composée d'un filet bleu cobalt,
- décor "SUCRE-SALE" : aucun filet de couleur bleue,
- décor "FRIENDS" : fonds composé d'une nappe de 12 pans de couleur
grise,
- décor "SUCRE SALE" : fonds composé d'un vichy de 18 pans de couleur beige,
- décor "FRIENDS" : une bande de même couleur faisant le tour de
l'assiette,
- décor "SUCRE SALE" : une bande alternant des couleurs différentes faisant le tour de l'assiette,
- décor "FRIENDS" : contre-filet intérieur vert,
- décor "SUCRE SALE" : aucun contre-filet,
- décor "FRIENDS" : couleurs vives, avec dominante de bleu "cobalt",
- décor "SUCRE SALE" : couleurs pastelles.
Qu'elle ajoute que s'agissant des assiettes plates, nonobstant les distinctions d'ensemble ci-dessus reprises, elle commercialise un seul et même modèle sur lequel figure un dessin d'olives complétée de l'inscription 'LES OLIVES' ;
Que la société GUY DEGRENNE commercialise, quant à elle, quatre décors d'assiettes plates différents, représentant uniquement des variétés de légumes, à savoir : potiron, aubergine, poivron, radis, alors que l'olive est un fruit ; que de surcroît, les noms de légumes retenus par la société GUY DEGRENNE ne sont précédés d'aucun article défini ;
Qu'à la différence de 'potiron, aubergine, poivron, radis', la société LEBRUN a fait le choix d'inscrire sur ses assiettes 'les olives'.
Considérant toutefois que malgré les différences existant entre les assiettes litigieuses, il n'en demeure pas moins que la société LEBRUN a emprunté à la société intimée la combinaison de la reproduction à six reprises d'un fruit ou légume à intervalles réguliers sur l'aile de l'assiette en alternance avec son nom en écriture calligraphiée et sur un fond vichy, susceptibles de créer dans l'esprit d'un acheteur d'attention moyenne un risque de confusion ;
Que les premiers juges ont avec raison retenu la contrefaçon ; que le jugement sera confirmé de ce chef ;
Qu'il sera ajouté à la demande de l'intimée que la société LEBRUN qui ne conteste pas avoir fait appel à la société polonaise FABRYCA PORCELANY WALBRZYCH en tant que fournisseur, a en important sur le territoire français et en commercialisant le modèle FRIENDS Olive, a commis des actes de contrefaçon des droits détenus par la société GUY DEGRENNE sur le dépôt international de dessins et modèles n°DM/039.199 visant la France ;
Sur la concurrence déloyale
Considérant que la société LEBRUN critique le tribunal en ce qu'il l'a condamnée pour des actes de concurrence déloyale ;
Considérant toutefois sans que l'appelante n'oppose d'éléments pertinents, que l'intimée justifie les faits de parasitisme économique et de concurrence déloyale qu'elle lui reproche, dès lors que les factures saisies au siège de la société LEBRUN démontrent que cette société s'adresse à des revendeurs spécialisés du même type que les clients de la société GUY DEGRENNE et que la différence importante de prix des modèles en cause (de plus de moitié) est non seulement infondée mais encore ne résulte pas d'usage de commerce loyal ;
Qu'en conséquence, la décision des premiers juges sera confirmée de ce chef ;
Sur les mesures de réparation
Considérant que la société GUY DEGRENNE ne communique pas en cause d'appel des éléments nouveaux susceptibles de modifier le montant de la réparation de son préjudice justement évalué par les premiers juges compte tenu des justificatifs produits ;
Que le jugement sera également confirmé de ce chef, y compris en ce qu'il a prononcé des mesures accessoires de destruction et d'interdiction ;
Considérant qu'il y a lieu d'ordonner la publication de l'arrêt dans deux journaux ou revues au choix de la société LEBRUN et à ses frais exclusifs pour un montant total de 6000 euros ;
Considérant que la société LEBRUN qui succombe sera condamnée à verser la somme de 4500 euros à la société GUY DEGRENNE en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ainsi que les dépens de première instance et d'appel ;
PAR CES MOTIFS
Confirme le jugement déféré,
Y ajoutant,
Dit qu'en important sur le territoire français et en commercialisant le modèle FRIENDS Olive, la société LEBRUN a commis des actes de contrefaçon des droits détenus par la société GUY DEGRENNE sur le dépôt international de dessins et modèles n°DM/039.199 visant la France ;
Ordonne la publication de l'arrêt dans deux journaux ou revues au choix de la société LEBRUN et à ses frais exclusifs pour un montant total de 6000 euros ;
Rejette toutes autres demandes,
Condamne la société anonyme LEBRUN à verser à la société anonyme GUY DEGRENNE 4500 euros en application de l'article 700 du NCPC,
La condamne en tous les dépens et admet la SCP ARNAUDY BAECHLIN au bénéfice de l'article 699 du NCPC.