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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 1, 8 juin 2011, n° 09/21321

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Sté Crystal denim (SAS)

Défendeur :

Sté BA & SH (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Pimoulle

Conseillers :

Mme Chokron, Mme Gaber

Avocats :

SCP Baufume Galland Vignes, SCP Narrat Peytavi

CA Paris n° 09/21321

8 juin 2011

ARRÊT : - Par défaut

- rendu par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Monsieur Didier PIMOULLE, président et par Mademoiselle Aurélie GESLIN, greffière à laquelle la minute du présent arrêt a été remise par le magistrat signataire.

***

Vu le jugement réputé contradictoire du 18 septembre 2009 rendu par le tribunal de commerce de Paris, signifié le 2 octobre 2009 à la SAS CRYSTAL DENIM,

Vu l'appel interjeté le 16 octobre 2009 par cette société et Maurice OHAYON,

Vu l'assignation du 18 octobre 2010 remise à tiers, délivrée à la requête des appelants à la société SPOT, intimée non comparante,

Vu les dernières conclusions du 28 mars 2011 des appelants,

Vu les dernières conclusions du 5 avril 2011, et les conclusions de procédure du même jour, de la société BA & SH, intimée et incidemment appelante,

Vu l'ordonnance de clôture du 5 avril 2011,

SUR CE, LA COUR,

Considérant que la société BA et SH demande d'écarter les pièces :

-1, 2 et 37, comme non communiquées en original,

-11, comme incomplète, quant à la production des articles acquis ou à leur date d'acquisition,

-16, comme mentionnant inexactement l'adjonction de 'pièces' alors que seul un pantalon est joint, 14, 15 et 17, comme visant des pièces saisies non versées aux débats ;

Qu'il sera relevé que la société BA et SH a pu s'expliquer dans ses écritures sur les pièces 1, 2 et 37 telles que communiquées, et qu'elles ont été contradictoirement présentées en original devant la cour ; qu'il n'y a pas lieu à rejet, alors qu'en fait seule la valeur probante de ces pièces, ainsi que des pièces 11, 14 à 17, est susceptible d'être en cause, dans l'appréciation au fond du litige, ce qui au demeurant n'est pas sérieusement contesté ;

Considérant qu'il sera rappelé que Maurice OHAYON a déposé le 2 avril 2003 un modèle de griffe pour poche de vêtement (n° 03 2131) et se prévaut de droits d'auteur sur ce modèle, commercialisé sous les marques NOFITY, dont la société NOTIFY LICENSING est propriétaire et dont la société CRYSTAL DENIM est licenciée exclusif pour les produits en cause (pantalons) ;

Qu'ayant découvert l'offre en vente par les sociétés BA & SH et SPOT, de modèles de pantalons comportant une griffe constituant, selon eux, la reproduction quasi servile de leur griffe de poche et des caractéristiques de leur modèle ou marque, Maurice OHAYON et les sociétés NOTIFY LICENSING et CRYSTAL DENIM ont fait procéder à des constats d'achats de modèles BA & SH, suivant procès-verbal d'huissier de justice des 11, 14 et 21 janvier 2008 et, autorisés par ordonnances présidentielles du 15 janvier 2008, à une saisie-contrefaçon :

-les 17 janvier et 24 janvier 2008, au siège social de la société BA & SH, (procès verbaux de Maître Viviane NAKACHE),

-le 17 janvier 2008, dans l'entrepôt de la société BA & SH (procès verbal de Maître Nicole BOROTA), avec dénonciation de clichés du 21 janvier 2008,

-le 21 janvier 2008, dans une boutique de la société SPOT (procès verbal de Maître Viviane NAKACHE) ;

Que, dans ces circonstances, Maurice OHAYON et la société CRYSTAL DENIM ont fait assigner le 30 janvier 2008 les sociétés BA & SH et SPOT devant le tribunal de commerce de Paris en contrefaçon sur le fondement des livres I, III et V du Code de la propriété intellectuelle et en concurrence déloyale, la société BA & SH, seule comparante, opposant préalablement la nullité des opérations de saisie contrefaçon diligentées à son encontre ;

Que les premiers juges ont, suivant décision dont appel, retenu la régularité des saisies pratiquées et la protection du modèle invoqué sur le fondement des livres I et III du Code de la propriété intellectuelle, mais estimé que la société BA &SH n'avait pas commis d'actes de contrefaçon envers Maurice OHAYON ni de concurrence déloyale envers la société CRYSTAL DENIM, les déboutant de toutes leurs prétentions de ces chefs et les condamnant aux frais de procédure ;

Sur les opérations de saisie contrefaçon

Considérant que la société BA & SH, réitérant ses moyens de première instance et y ajoutant, invoque diverses causes de nullité des saisies pratiquées aux lieux de son siège social et de son entrepôt, étant relevé que la force probante de la communication faite quant aux pièces saisies ne relève pas de l'appréciation de la validité des opérations de saisie ;

Que la société BA & SH reproche, tout d'abord, aux appelants d'avoir invoqué des droits sur une marque correspondant au modèle invoqué pour ne revendiquer que des droits d'auteur et de dessins et modèles ; que le seul fait que la société NOTIFY LICENSING, seule titulaire des marques revendiquées, se soit associée à Maurice OHAYON et à la société CRISTAL DENIM pour obtenir l'autorisation de procéder à des saisies contrefaçon et n'ait pas cru devoir, au vu du résultat de ces saisies, assigner au fond en contrefaçon de marque ne saurait entacher de nullité les opérations de saisie également fondées sur les droits d'auteur et de dessins et modèles, visés par l'assignation introductive d'instance ; qu'en effet, même s'il était amplement argué d'une atteinte au droits des marques de la société NOTIFY LICENSING et de son licencié la société CRISTAL DENIM, les requêtes aux fins de saisie contrefaçon indiquaient clairement au magistrat saisi que Maurice OHAYON était propriétaire d'un modèle déposé, actuellement revendiqué, et qu'il était reproché la reproduction d'éléments originaux ; que ce moyen de nullité ne saurait, en conséquence, prospérer et la décision entreprise sera confirmée de ce chef ;

Que la société BA & SH invoque également , en cause d'appel, le non respect d'un délai raisonnable entre la signification des ordonnances ayant autorisé la saisie, avant son déroulement le 17 janvier 2008 au sein de son entrepôt et de son siège social ; que ce délai doit permettre au saisi de vérifier l'étendue des pouvoirs qui ont été conférés à l'huissier instrumentaire sans pour autant priver la mesure autorisée de toute utilité ; qu'en l'espèce la dirigeante de la société a été en mesure de joindre son avocat, qui lui a demandé de faxer l'ordonnance, préalablement à toutes recherches de l'huissier (Me NAKACHE) 'après 25 minutes d'attente', délai suffisant pour opérer les vérifications nécessaires ; qu'il n'est par ailleurs pas établi que la signification concomitante à l'autre saisie pratiquée dans l'entrepôt a pu causer grief alors que l'interlocutrice de l'huissier (Me BOROTA), qui n'était pas en mesure de le renseigner, a pu appeler la responsable de la société, dans les locaux de laquelle se trouvait l'autre huissier instrumentaire et que les investigations n'ont débuté qu'ensuite de cet entretien ; que ce moyen sera dès lors également rejeté ;

Considérant que, s'agissant de la saisie du 24 janvier 2008, qui reprend les opérations suspendues le 17 janvier 2008 par l'huissier au siège de la société BA & SH, le tribunal a estimé que cette reprise avec correction d'une erreur matérielle concernant l'adresse à laquelle l'huissier s'était rendu ne constituait pas un motif de nullité de la saisie ; qu'il résulte de la comparaison de la copie du procès verbal de saisie contrefaçon du 24 janvier 2008 remise à la société BA & SH et du second original que si la mention manuscrite indiquant que l'huissier s'est rendu au [...] a bien été reproduite dans cet acte, en revanche celle dactylographiée (manifestement préétablie) indiquant en entête comme adresse de saisie le '[...]' a été reprise avec l'ajout de la mention 'et encore au siège social [...]' ; que l'huissier ne pouvait ainsi modifier, de son propre chef, une mention du procès verbal, même si manifestement celle-ci résultait d'une erreur purement matérielle, sans altérer la valeur de son acte, causant grief ; que les opérations de reprise de saisie du 24 janvier 2008, à supposer même qu'elles se soient avérées nécessaires, ce qui n'est pas démontré, seront donc annulées ;

Sur la contrefaçon

Considérant que les premiers juges ont admis le caractère original de la création revendiquée ; qu'il sera relevé que Maurice OHAYON se prévaut à la fois de la protection au titre du droit dessins et modèles et de celle, sans formalité, instituée au titre du droit d'auteur, du seul fait de la création d'une forme originale ;

Considérant que Maurice OHAYON soutient que l'originalité de la création revendiquée procède de la combinaison des éléments caractéristiques suivants :

<<griffe de poche de vêtement dont l'une des extrémités est rabattue sur la bordure de la poche pour y être cousue à l'intérieur, et l'autre extrémité traverse la poche dans une boutonnière pour y être également rabattue et cousue à l'intérieur de la poche[...]griffe, matérialisée par un ruban de tissu de dimensions arbitrairement choisie (face visible : environ 1cm/3cm)[...] apposée à cheval sur l'extrémité droite du haut de la poche, pinçant légèrement la bordure de poche>> ;

Que certes le modèle ainsi défini n'apparaît pas constituer la reprise dans une même combinaison d'éléments existants relevant de l'univers de l'apposition d'une étiquette sur une poche arrière d'un pantalon, mais présente une physionomie propre par l'impression visuelle d'ensemble qu'il suscite par comparaison à d'autres modèles invoqués par la société BA & SH (correspondant à la pièce adverse n°34) ; que, cependant, si la combinaison revendiquée procède de choix arbitraires de positionnement, de fixation dans une boutonnière ou de dimensions, il ne peut pour autant être admis qu'elle porte l'empreinte de la personnalité de son auteur témoignant d'une activité créatrice certaine, même limitée ; que la décision entreprise sera, en conséquence, infirmée en ce qu'elle a admis que ce modèle était protégeable au titre du droit d'auteur ;

Considérant qu'ayant fait l'objet d'un enregistrement par l'INPI, ce modèle doit bénéficier de la protection des dessins et modèles, dès lors qu'il n'est nullement argué d'une absence de nouveauté (aucune diffusion, antérieure à la date du dépôt, d'un modèle identique n'étant invoquée) et qu'il n'est produit aucun élément de nature à contredire son caractère propre, étant relevé qu'il est admis qu'il présente des caractéristiques spécifiques ;

Que la contrefaçon s'apprécie cependant en fonction de l'impression visuelle d'ensemble produite ;

Que le modèle publié est caractérisé, selon la description de chacune des trois vues représentées (de face, en perspective et de profil), par une griffe de poche de vêtement dont l'une des extrémités est rabattue sur la bordure de la poche pour y être cousue à l'intérieur, et l'autre extrémité traverse la poche dans une boutonnière pour y être également rabattue et cousue à l'intérieur de la poche ; que les trois dessins montrent cette fixation caractéristique, les deux premiers dessins figurant l'apposition de cette griffe, en forme de ruban sans signe distinctif, sur le côté droit du haut d'une poche, le dépôt ne faisant par contre nullement mention de dimensions particulières ou d'un pincement de la poche ainsi que justement relevé par la société BA & SH ;

Que force est de constater, au terme de la comparaison à laquelle la Cour a procédé du modèle déposé et de la griffe de poche apposée sur les pantalons BA & SH produits (notamment le pantalon sous scellé portant mention du procès verbal de saisie contrefaçon du 17 janvier 2008 de Maître BOROTA) que cette dernière consiste, ainsi que d'ailleurs décrit dans le constat d'achats de janvier 2008, en <<une petite languette cousue sur les deux parties de la poche >> ;

Que cette languette porte la mention BA & SH, parfaitement distincte, et ne figure aucune boutonnière dans laquelle elle s'insérerait ; qu'elle donne clairement à voir une étiquette simplement cousue et non une étiquette apparaissant visuellement se rabattre dans sa partie haute sur la bordure de la poche et s'insérer dans sa partie inférieure à l'intérieur de cette poche (l'étiquette étant cousue à l'intérieur de la poche, dans la partie non visible) ; qu'il en résulte une impression d'ensemble différente, même si l'étiquette en ruban est également placée dans le modèle incriminé verticalement en haut à droite de la poche (comme dans le modèle déposé), le modèle argué de contrefaçon n'évoquant nullement, malgré ce positionnement et des proportions comparables, la caractéristique d'un lien enserrant le haut de la poche, propre au modèle déposé ; que par voie de conséquence, Maurice OHAYON n'est pas fondé à conclure à des différences mineures et la contrefaçon ne s'avère pas caractérisée à la charge de la société BA & SH ni de la société SPOT, revendeur ; que Maurice OHAYON ne peut qu'être débouté de l'ensemble de ses demandes à ce titre et le jugement confirmé à cet égard ;

Sur la concurrence déloyale

Considérant que les premiers juges ont exactement relevé qu'en l'absence de contrefaçon il convenait de rechercher si des éléments distincts étaient susceptibles de caractériser à l'encontre de la société CRYSTAL DENIM des actes de concurrence déloyale ;

Que si les sociétés en cause commercialisent des pantalons ou jeans (même si ce n'est pas l'activité exclusive de la société BA & SH), et s'il est usuel d'identifier ces produits par un signe distinctif à l'arrière et notamment sur la poche droite, la recherche d'un risque de confusion ou la volonté de tirer indûment profit du succès d'une commercialisation n'est par établie ;

Qu'en effet le choix de broder à l'intérieur des pantalons la marque BA & SH ne peut induire en erreur quant à l'existence d'un partenariat avec les modèles commercialisés par la société CRYSTAL DENIM qui comportent, même en cas de 'co-branding', la mention distincte de leur marque NOFITY brodée ;

Que le consommateur de pantalons ou jeans, habitué à l'apposition de dénominations distinctes, selon les marques, sur ce type de produit, aura son attention attirée par la mention immédiatement perceptible de la marque BA & SH sur l'étiquette de poche, laquelle ne reprend pas, ainsi que précédemment rappelé, la fixation caractéristique de celle des modèles commercialisés par la société CRYSTAL DENIM, pas plus, en fait, que la spécificité d'un ruban rayé avec un effet pincé les identifiant ;

Qu'en réalité, il est exclu que le consommateur normalement informé et raisonnablement avisé puisse se méprendre sur l'origine d'un pantalon commercialisé par les sociétés BA & SH ou SPOT ; que l'ensemble des demandes au titre de la concurrence déloyale ne peuvent qu'être rejetées, la décision entreprise devant être confirmée sur ce point ;

Sur la demande reconventionnelle

Considérant que qu'il n'est pas pour autant établi que la présente action a revêtu un caractère malin et en conséquence abusif qui ouvrirait droit à indemnité compensatoire ;

qu'il convient donc de débouter la société BA & SH de ce chef ;

PAR CES MOTIFS,

Confirme la décision entreprise en toutes ses dispositions, sauf en ce qu'elle a dit régulières les opérations de saisie contrefaçon du 24 janvier 2008 (et non 2009) effectuées par maître NAKACHE et original et digne de protection des livres I et III du Code de la propriété intellectuelle le modèle de griffe de poche de Maurice OHAYON ;

Statuant à nouveau dans cette limite et y ajoutant,

Déclare nul le procès verbal de saisie contrefaçon du 24 janvier 2008 de Maître NAKACHE ;

Dit que le modèle de griffe de poche de Maurice OHAYON n'est pas protégeable au titre du droit d'auteur mais bénéficie de la protection du livre V du Code de la propriété intellectuelle ;

Rejette toutes autres demandes des parties contraires à la motivation ;

Condamne Maurice OHAYON et la société CRYSTAL DENIM , sans qu'il y ait lieu à solidarité, aux dépens d'appel qui pourront être recouvrés par la SCP NARRAT PEYTAVI, avoué, conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile, et à verser à la société BA & SH une somme complémentaire de 5.000 euros au titre des frais irrépétibles d'appel.