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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 5, 17 juin 2021, n° 18/28792

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

J'Océane (SAS)

Défendeur :

Transports Viana (Sasu)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Prigent

Avocats :

Me De Groote, Me Berdah

T. com. Créteil, du 24 sept. 2018

24 septembre 2018

FAITS ET PROCÉDURE :

Selon contrat des 10 et 19 décembre 2012, dénommé « cahier des charges prestations transport et de distribution », d'une durée indéterminée, mais stipulant un préavis de trois mois en cas de dénonciation, la SAS J'Océane (société Océane), exerçant l'activité de négoce en gros des produits de la mer sur le Marché d'Intérêt National (MIN) de Rungis, a confié à la SASU Transports Viana (société Viana), spécialisée dans le transport et la distribution rapide de produits frais en Ile de France, ses opérations de transport et livraison de ses marchandises auprès de ses clients. Par lettre recommandée avec accusé de réception du 26 janvier 2015, invoquant des incidents survenus le samedi 24 janvier précédent, qu'elle qualifiait de « graves », la société Océane a notifié la rupture immédiate du contrat.

Le 29 octobre 2015, estimant cette résiliation fautive, la société Viana a attrait la société Océane devant le tribunal de commerce de Créteil aux fins de la faire condamner, au visa des articles 1134 et 1147 (anciens) du code civil, à lui payer des indemnités outre l'indemnisation des frais irrépétibles. Par jugement du 28 juin 2016, le tribunal de commerce de Créteil s'est déclaré incompétent sur le fondement de l'article L. 442-6 du code de commerce en renvoyant l'affaire devant la juridiction consulaire parisienne.

L'instance étant reprise à Paris le 25 novembre 2016, la société Viana, invoquant le caractère abusif de la rupture sans préavis, a sollicité, de nouveau au visa des articles précités 1134 et 1147 (anciens) du code civil, la condamnation de la société Océane à lui payer la somme de 37 700 euros au titre du défaut de respect du préavis contractuel de rupture de 3 mois, et une somme de 26 743,02 euros, majorée des intérêts au taux légal à compter du jugement et anatocisme, « au titre des conséquences financières de la rupture », outre l'indemnisation des frais non compris dans les dépens par l'allocation d'une somme de 3 000 euros.

S'y opposant, au visa de l'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce, la société Océane a reconventionnellement sollicité la condamnation de la société Viana à lui payer une somme de 10 000 euros « pour procédure abusive », en sollicitant aussi l'indemnisation de ses frais irrépétibles par l'allocation d'une somme de 4 000 euros.

Le tribunal a d'abord relevé :

- qu'en ayant indiqué dans sa lettre du 13 février 2015 que les prestations défectueuses n'avaient pas été facturées, la société Viana a reconnu les dysfonctionnements dénoncés par la société Océane, tout en observant que le transporteur en avait immédiatement contesté la gravité alléguée,

- que la société Océane a uniquement fait valoir que la société Viana avait émis un avoir d'un montant de 4 176 euros, pour justifier la gravité rendant impossible l'exécution du préavis contractuel, puis a retenu par ailleurs :

. que les pièces versées aux débats ne permettent pas d'établir le rapport entre cet avoir et les incidents du 24 janvier 2015,

. qu'à défaut de démontrer que ceux-ci avaient vocation à se reproduire, compte tenu de la nature des incidents constatés,

- pour en déduire que la société Océane n'a pas apporté d'éléments probants sur la perte alléguée de clientèle, et qu'en résiliant le contrat à effet immédiat, elle a commis une faute contractuelle. Il a ensuite estimé que la résiliation n'étant pas fautive par elle-même, le second préjudice allégué à hauteur d'une somme de 26 743,02 euros n'est pas fondé, le dommage à indemniser se limitant à la seule absence de respect du préavis, tout en considérant que le préjudice correspond, non à la perte de chiffre d'affaires, mais à « la perte de marge brute sur coût variable » sur la période de trois mois.

Estimant alors, en raison de la nature de l'activité considérée, la marge sur coût variable à 80 %, le tribunal, par jugement contradictoire du 24 septembre 2018 assortie de l'exécution provisoire a condamné la société Océane à payer à la société Viana les sommes de 30 600 euros (37 700 x 0,8) à titre de dommages et intérêts et de 3 000 euros au titre des frais irrépétibles, la demande reconventionnelle de dommages et intérêts de la société Océane étant rejetée.

Appelante le 24 décembre 2018, la société Océane réclame, aux termes de ses dernières écritures transmises par le RPVA le 22 mars 2019, la somme de 4 000 euros au titre de ses frais irrépétibles et poursuit l'infirmation du jugement en sollicitant à nouveau, tant le rejet intégral des demandes de la société Viana, que le bénéfice de sa demande reconventionnelle d'une indemnité d'un montant de 10 000 euros « pour procédure abusive et injustifiée », tout en demandant aussi la confirmation du jugement « en ce qu'il a débouté la société Viana de sa demande supplémentaire de paiement de la somme de 40 324 euros à titre de dommages et intérêts ».

Intimée, la société Viana réclame, aux termes de ses dernières conclusions transmises par le RPVA le 20 mai 2019, la somme de 5 000 euros au titre de ses frais irrépétibles et poursuit la confirmation du jugement en ce qu'il a admis l'indemnisation en raison de l'absence de préavis de trois mois, mais sa réformation quant au quantum alloué et en ce qu'il a rejeté ses demandes de réparation des autres préjudices découlant directement de la rupture, en sollicitant à nouveau la condamnation de la société Océane à lui payer les sommes de 37 700 euros au titre du préavis et de 26 743,02 euros au titre du préjudice financier.

Sur ce,

Prétendant qu'il y avait déjà eu antérieurement des incidents de livraison et que ceux du 24 janvier 2015 auprès de ses clients importants, les sociétés Suraya et Sushi Yaki, de colis oubliés, d'erreurs de livraison et de caisses cassées, ont entraîné des retours de marchandises et « un important manque à gagner », la société Océane estime que le maintien des relations commerciales n'était plus possible durant le préavis de trois mois.

Contestant avoir reconnu des incidents en estimant que la société Océane ne les a pas démontrés, et précisant que l'avoir d'un montant de 4 176 euros n'indique nullement la raison pour laquelle il a été établi, la société Viana précise que l'article 15 du contrat stipule une faculté de dénonciation avec un préavis de trois mois, et indique avoir contesté les conditions de la rupture, par sa lettre recommandée du 13 février 2015 avec avis de réception du 16 février 2015.

Le contrat litigieux ayant été signé avant le 1er octobre 2016, il relève des textes en vigueur avant la survenance de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 et des textes subséquents.

L'article 15 du contrat stipule que le contrat est conclu pour une durée indéterminée et pourra être dénoncé par l'une ou l'autre des parties en respectant un préavis de trois mois après dénonciation par lettre recommandée avec avis de réception. Il n'est pas contesté que la résiliation a été notifiée par écrit mais sans respect du préavis contractuel de trois mois.

Il ne ressort pas des pièces versées au dossier, l'existence d'incidents antérieurs à ceux du 24 janvier 2015. En application de l'article 1315 ancien du code civil et en présence des contestations élevées par la société Viana, tant sur la gravité alléguée des incidents du 24 janvier 2015, que sur leur réelle conséquence quant à la perte de clients et au manque à gagner, il appartient à la société Océane de rapporter la preuve de ses assertions. Or, en se bornant à produire l'échange de courriels entre les 26 janvier et 24 mars 2015, soit ceux :

- du 26 janvier (15H12) transmettant une facture rectifiée de la société Viana,

- du 27 janvier 2015 (7H04+1) de la société Océane, indiquant que la facture précédente à celle rectifiée avait déjà été enregistrée en comptabilité et sollicitant, en conséquence, un avoir de la différence à la place de la facture rectifiée,

- du 4 février 2015 (17H27) transmettant l'avoir (d'un montant de 696 euros TTC) émis par la société Viana,

- du 24 mars 2015 (11H13) par lequel la société Viana indique qu'elle enverra un chèque en remboursement du trop-perçu,

la société Océane ne rapporte pas les preuves, qui lui incombe, justifiant la gravité alléguée des incidents du samedi 24 janvier 2015, rendant prétendument impossible le maintien des relations durant le préavis contractuel de trois mois. Le contrat ayant été stipulé à durée indéterminée, sa résiliation elle-même ne constitue pas une faute contractuelle et c'est à juste titre que les premiers juges ont estimé que seul le défaut de respect du préavis contractuel de trois mois était fautif.

Pour justifier le défaut de respect du préavis, la société Océane invoque aussi les dispositions de l'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce autorisant la rupture sans préavis d'une relation commerciale en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations. Si une relation commerciale, au sens de l'article précité, peut être contractualisée, comme en l'espèce, il n'en demeure pas moins qu'en n'ayant pas justifié des circonstances qui auraient rendu impossible le maintien des relations durant le préavis contractuel de trois mois, la société Océane n'établit pas davantage le défaut d'exécution de ses obligations par la société Viana qui l'aurait autorisée à rompre sans préavis la relation commerciale.

Affirmant qu'elle travaillait principalement pour la société Océane depuis 2012 en générant les sommes de :

- 300 euros par jour, au titre des tournées effectuées dans les Yvelines,

- 280 euros par jour, au titre de celles effectuées dans le Val de Marne,

la société Viana en déduit que le préavis non effectué de trois mois correspondant à 65 jours de travail effectif, soit les sommes de 19 500 euros (300 x 65) et de 18 200 euros (280 x 65) totalisant la somme de 37 700 euros, dont elle précise avoir mis en demeure la société Océane de la lui payer, par lettre recommandée du 10 avril 2015 avec avis de réception du 13 avril 2015, en raison du défaut de respect du préavis contractuel.

La société Océane fait alors valoir que :

- le taux de marge sur coût variable retenu par le tribunal est « totalement arbitraire »,

- le principe de la rupture des relations commerciale est de réparer le préjudice découlant, non de la rupture elle-même, mais de sa brutalité, conduisant à n'indemniser que la seule « perte de marge brute à raison de l'insuffisance ou de l'absence de préavis »,

- la société Viana, ayant immédiatement réorienté son activité sur le transport de fruits et légumes et ne versant au dossier aucun document comptable « de nature à établir le préjudice allégué », ne rapporte pas la preuve des dommages qu'elle allègue, l'attestation de son expert-comptable évoquant de simples pertes potentielles.

La société Viana invoque le chiffre d'affaires qu'elle aurait facturé durant le préavis de trois mois, s'il avait été respecté. Cependant, s'agissant de dédommager un préjudice, seule la perte de marge brute doit être indemnisée, la réorientation de l'activité de la société Viana vers le transport de fruits et légumes, alléguée par la société Océane sans au demeurant le démontrer, étant à cet égard, sans incidence sur l'évaluation du préjudice résultant du défaut de respect du préavis contractuel de dénonciation du contrat initialement conclu entre les sociétés Océane et Viana.

La société Viana produit aux débats une évaluation par son expert-comptable des conséquences financières résultant de la cessation du contrat. Celui-ci a, à partir du chiffre d'affaires mensuel d'un montant de 5 940 euros pour deux camions, fixé le taux de marge à 41,39 % soit 5 940 euros X 2 (camions) X 41,39 % X 3 mois = 14 751,40 euros.

La société Océane sollicite la confirmation du jugement « en ce qu'il a débouté la société Viana de sa demande supplémentaire de paiement de la somme de 40 324 euros à titre de dommages et intérêts ». En réalité, le tribunal a rejeté le préjudice allégué à hauteur d'une somme demandée de 26 743,02 euros figurant dans les dernières écritures et demandes oralement formulées en première instance.

La société Viana a renouvelé sa demande d'indemnisation de ses « autres préjudices découlant directement de la rupture », en sollicitant à nouveau la condamnation de la société Océane à lui payer la somme de 26 743,02 euros au titre du « préjudice financier ». Cependant, le tribunal de commerce a, à juste titre retenu que ce préjudice est la conséquence de la résiliation qui n'est pas en elle-même fautive, sauf sur le défaut de préavis qui a été indemnisé et le jugement sera en conséquence confirmé en ce que la demande de la société Viana au titre « d'un préjudice financier », distinct de celui résultant du défaut de respect du préavis contractuel a été rejetée.

L'appelante a aussi renouvelé en appel sa demande reconventionnelle d'une indemnité d'un montant de 10 000 euros « pour procédure particulièrement abusive et injustifiée ». Mais celle-ci n'est pas fondée en raison de la décision prise.

L'issue du litige en appel justifie que chaque partie conserve la charge de ses frais irrépétibles et que les dépens soient partagés par moitié.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Statuant publiquement et contradictoirement,

CONFIRME le jugement sauf sur la somme allouée à la SASU Transports Viana à titre de dommages et intérêts,

Statuant à nouveau du chef infirmé,

CONDAMNE la SAS J’Océane à verser à la SASU Transports Viana la somme de 14 751, 40 euros à titre de dommages et intérêts pour non-respect du préavis contractuel,

REJETTE toute autre demande,

DIT que les parties conserveront la charge de leurs frais irrépétibles d'appel,

PARTAGE les dépens d'appel par moitié entre les parties.