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Décisions

CA Paris, 1re ch. sect. concurrence, 26 avril 1990, n° ECOC9010067X

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Cartes bancaires (GIE)

Défendeur :

Conseil national du commerce (Association), Ministre chargé de l'Economie, des finances et du budget

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Présidents :

Mme Ezratty, Mme Montanier

Conseillers :

Mme Hannoun, M. Canivet, M. Bargue

Avocats :

Me Lussan, Me Martin, Me Amadio

CA Paris n° ECOC9010067X

26 avril 1990

Vu les mémoires, pièces et documents déposés au greffe à l’appui du recours.

Le 15 septembre 1986, le Conseil national du commerce (CNC) a saisi la Commission de la concurrence d’une plainte visant, d’une part, plusieurs clauses figurant dans le protocole d’accord passé entre les membres fondateurs du groupement des cartes bancaires « CB » (le Groupement), dans l’acte constitutif et le règlement intérieur de celui-ci ainsi que dans le contrat d’adhésion des commerçants au système national de paiement par carte, d’autre part, une prétendue concertation instaurée entre les membres du groupement en vue d’imposer au commerce un seuil minimum de tarification.

Statuant sur cette saisine, le Conseil de la concurrence, succédant à la Commission de la concurrence, a, aux termes de sa décision du 11 octobre 1988, estimé :

- en premier lieu, que la réunion des établissements de crédit au sein d’un groupement d’intérêt économique destiné à promouvoir la carte bancaire ne saurait être considéré en soi comme une pratique relevant des dispositions de l’article 50 de l’ordonnance du 30 juin 1945 mais qu’il devait être recherché si certaines stipulations ou pratiques pouvaient avoir pour effet de fausser le jeu de la concurrence et être ainsi contraires aux dispositions du texte susvisé ;

- en second lieu, que le développement de la carte bancaire et des moyens électroniques associés à celle-ci sont de nature à améliorer l’efficacité, la productivité et la sécurité du système de paiement français et à contribuer au progrès économique à condition toutefois que les stipulations et pratiques mises en œuvre soient strictement indispensables à la réalisation du progrès économique.

A cet égard, le Conseil de la concurrence a constaté que telles qu’elles étaient alors définies, les modalités de la « commission d’interchange » prélevée par la banque du porteur de la carte bancaire sur la banque du commerçant à l’occasion de chaque transaction effectuée par ce moyen et supposée couvrir le coût de la garantie de paiement revêtaient un caractère discriminatoire et étaient de nature à fausser le jeu de la concurrence.

Jugeant ainsi que les conditions de détermination de ladite commission étaient visées par les dispositions de l’article 50 de l’ordonnance précitée, le Conseil de la concurrence a, par l’article 2 du dispositif de sa décision, enjoint au Groupement de mettre en application, au plus tard le 1er mai 1989, des modalités d’interchange fondées sur des critères objectifs tenant compte, en particulier, du degré de sécurité du paiement par carte bancaire dans les commerces.

Statuant sur la vérification de l’exécution des injonctions ainsi formulées, le Conseil de la concurrence a décidé, le 3 mai 1989, après examen du nouveau système prévu par le Groupement, que, pour se conformer à l’injonction susvisée, celui-ci devrait modifier, avant le 30 septembre 1989, la formule de la « commission interbancaire de paiement » (CIP) qui devait se substituer à la « commission d’interchange », pour faire apparaître de façon individualisée les critères objectifs de calcul des rémunérations respectivement destinées à couvrir les charges de traitement des banques émettrices, les mesures collectives de sécurité et le risque attaché à la garantie de paiement.

Sur le recours formé par le Groupement, la cour, par un arrêt du 16 novembre 1989, a annulé la décision déférée, évoqué l’examen des conditions d’exécution des injonctions prononcées par le Conseil de la concurrence dans sa précédente décision du Il octobre 1988, et constaté, pour ce qui relève de l’actuel litige, que n’étaient pas contraires à ladite injonction: la prise en compte, pour le calcul de la CIP, d’un taux de fraude consolidé pour l’ensemble des commerçants d’une même banque, la définition des transactions à partir desquelles est mesuré ce taux de fraude et la perception, au titre de ladite commission, d’un montant fixe minimum.

Avant dire droit sur les autres points discutés, la cour a prescrit que le directeur général de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes se ferait remettre, par le Groupement, tous les documents et procéderait à toutes constatations nécessaires aux fins de lui faire rapport sur les taux de fraude calculés pour les mois de mai, juin et juillet 1989 ainsi que sur les taux de commission qui en résultent, entre chaque banque ou groupe de banques des titulaires de cartes et chaque banque ou groupe de banques de commerçants.

La cour renvoie à cet arrêt pour un exposé plus complet de la procédure antérieure et la description du système interbancaire de paiement d’après les indications fournies par le Groupement lui-même.

Dans le rapport qu’elle a déposé, l’autorité constatante rappelle que les charges supportées par les banques émettrices, au triple titre des opérations de traitement, des mesures de sécurité collective et de la garantie de paiement, sont couvertes par la commission interbancaire de paiement (CIP), acquittée par les banques de commerçants auprès des banques de porteurs, exprimée en un pourcentage du montant des transactions résultant pour chaque couple de banque ou groupe de banques de commerçants et banque ou groupe de banques de porteurs, d’un «taux interbancaire de cartes en opposition» (TICO), selon le barème déjà reproduit dans le précédent arrêt.

Pour chaque période trimestrielle de référence, le taux de fraude est calculé selon une fraction comprenant, au dénominateur, le montant de l’ensemble des transactions présentées à la compensation entre les deux banques ou groupes de banques concernés et, au numérateur, parmi ces transactions, celles qui participent à la fraude.

Contrairement à ce qu’avait indiqué le Groupement au Conseil de la concurrence et à la cour, la fraude prise en compte pour le calcul du TICO n’est pas celle qui est réalisée au moyen des cartes inscrites au fichier des oppositions (OPPOCIP) à la date de la compensation, mais celle qui est constatée trois jours avant, en référence au même fichier.

En ce qui concerne les variations respectives du taux de fraude et du taux de commission, selon le barème fixé, il a été observé :

- que, dans les rapports par couples d’établissements, la variation, selon les paliers établis, emporte que le taux de commission ne croit pas continûment en fonction du taux de fraude et qu’il n’y a entre eux ni rapport constant ni proportionnalité, cette discontinuité étant renforcée par la fixation à 0,20 p. 100 d’un taux de fraude maximum au-dessus duquel s’applique un taux de commission de 0,70 p. 100 ;

- qu’il apparaît que ces effets ne sont pas atténués et sont même, dans certains cas, aggravés si on se réfère aux taux moyens de fraude et de commission par banque ou groupe de banque de commerçants et qu’en particulier l’amplitude de variation du taux de fraude moyen est supérieure de moitié à celle du taux moyen de commission ;

- que l’absence de proportionnalité entre taux moyen de fraude et taux moyen de commission apparaît encore plus nettement sous l’effet de l’écrêtement à 0,20 p. 100 pour les établissements qui présentent le taux de fraude le plus élevé, certains d’entre eux parvenant, avec un taux de fraude moyen de 0,25 p. 100, à se voir appliquer un taux moyen de commission inférieur au maximum de 0,70 p. 100 ;

- que, pour la période de référence, la fraude mesurée est de 0,16 p. 100 du montant total des transactions alors que le montant moyen réel de la part variable de la commission est de 0,13 p. 100 ;

- que, pour la même période, le taux moyen de la commission est de 0,633 p. 100 alors que, selon la grille de calcul, le taux à partir duquel elle varie en plus ou en moins en fonction du taux de fraude est de 0,60 p. 100, cet écart représentant 16,5 p. 100 de son amplitude de variation ;

- que la modification consistant à mesurer la fraude, en confrontant les factures présentées au paiement aux cartes figurant sur le fichier des oppositions trois jours avant la date de compensation, a pour effet de réduire sensiblement le taux de fraude pris en compte et, par suite, le taux de la commission qui, sans cette correction, serait pour la majorité des banques le taux maximum de 0,70 p. 100, cet ajustement ayant pour conséquence de transférer l’incidence d’une partie de la fraude, évaluée à 0,90 p. 100 du montant des transactions de la partie de la commission variant en fonction de la fraude, à celle qui est invariable et d’accroître ainsi la part mutualisée de la garantie.

A partir de ces constatations, le ministre de l’économie, des finances et du budget estime, dans ses observations, que le système proposé par le Groupement est conforme aux injonctions faites par le Conseil de la concurrence dans sa décision du 11 octobre 1988 en ce qu’il prévoit une commission unique calculée en pourcentage du montant des transactions.

En revanche, il considère que le Groupement doit corriger le système de calcul de cette commission pour faire en sorte :

- que son taux puisse varier en fonction du taux de fraude, de part et d’autre, du taux pivot proposé (0,60 p. 100), de manière continue (ou strictement croissante), depuis un taux de fraude nul jusqu’à un taux de fraude suffisamment élevé pour rendre effective l’incitation à réduire la fraude ;

- que soit établi entre la part variable de la commission et le taux de fraude un rapport constant égal à un, si la fraude est saisie le jour de la compensation et un rapport supérieur (de l’ordre de 25/16) si la mesure se fait trois jours avant la compensation.

Enfin, le ministre propose qu’il soit, à titre de complément d’injonction, ordonné au Groupement :

- d’élaborer un dispositif permettant l’adéquation entre le niveau et la structure de la commission et le coût du système ;

- de faire coïncider, dans le système mis en œuvre, le taux moyen de commission avec le taux pivot de 0,60 p. 100.

Mettant en évidence chacun des points critiques du constat, le CNC soutient, ainsi qu’il l’avait déjà développé dans ses précédentes écritures, que la formule de la C.I.P. n’est pas conforme à l’injonction faite par l’article 2 du dispositif de la décision du Conseil de la concurrence du 11 octobre 1988 et aux dispositions de l’article 10-2 de l’ordonnance du 1er décembre 1986.

Réitérant ses demandes initiales, il prie en conséquence la cour d’ordonner qu’il soit mis fin à ces pratiques tant en ce qui concerne la globalisation de la commission que ses modalités de variation :

- en annulant le barème de calcul mis en œuvre ;

- en faisant injonction au Groupement d’en modifier la formule pour la rendre conforme à la décision du Conseil de la concurrence du 11 octobre 1988; en lui ordonnant de communiquer aux banques adhérentes, à l’intention des commerces affiliés au réseau « Cartes bancaires », la liste nationale des cartes « opposées» en vigueur au jour du paiement des transactions, du relevé individuel des transactions fraudées avec extraction du taux de fraude par banque de porteurs et de la liste trimestrielle des TICO moyens de chaque banque affiliée.

Enfin, le CNC conclut au prononcé de sanctions pécuniaires à l’encontre du Groupement.

Se référant à l’avis d’un expert qu’il a lui-même consulté, le Groupement critique la méthode d’analyse du directeur général de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes à qui il reproche de s’être fondé sur des postulats non vérifiés portant notamment sur l’amplitude de variation et le montant de la commission et d’avoir commis des erreurs techniques, essentiellement en limitant son analyse aux taux moyens de fraude et de commissions enregistrés par les treize principales banques.

Il fait ensuite observer qu’après l’arrêt prononcé par la cour le 16 novembre 1989, ne restent en discussion que la question de l’individualisation des éléments de la commission et celle de ses modalités de variation et il conclut :

- en reprenant les arguments déjà développés dans ses précédentes écritures, que la dissociation de la commission en trois éléments distincts n’est nullement imposée par la décision du Il octobre 1988 et que la définition de trois modes de calcul pour chacune de ses composantes rend illusoire le principe d’une commission unique ;

- que, contrairement à ce qui est affirmé dans le rapport de constat, les divers taux observés pour l’ensemble des banques de commerçants présentent une dispersion effective et suffisante ;

- que les effets de seuil critiqués ont été recherchés et préférés à une progression continue du taux de la commission pour inciter tout à la fois les banques de commerçants à faire baisser le taux de fraude en cherchant à se situer dans la tranche inférieure et les banques déporteurs à être plus vigilantes dans l’attribution des cartes afin d’éviter d’assumer la charge de la fraude excédant le taux maximum ;

- que la mesure de la fraude trois jours avant la date de compensation est conforme à l’arrêt précité de la cour qui a exclu, pour le calcul de son taux, la prise en compte de la fraude avant opposition; que cette modalité est nécessaire pour tenir compte, à égalité entre les commerçants, des délais d’acheminement des factures et qu’elle est propre à inciter ceux-ci à remettre plus rapidement à l’encaissement les titres de paiement.

Enfin, le Groupement soutient que les propositions d’injonction faites par le ministre de l’économie, des finances et du budget relatives à l’adéquation du montant de la commission au coût du système et de l’alignement de son taux moyen sur son taux pivot excèdent les limites de la saisine de la cour.

Le requérant conclut que la formule qu’il a mise en œuvre est conforme à la décision définitive du Conseil de la concurrence du 11 octobre 1988.

Reprenant l’analyse faite dans sa décision du 3 mai 1989, le conseil de la concurrence estime que le rapport fait à la cour par l’autorité administrative désignée démontre que la modalité de calcul retenue par le Groupement n’est pas fondée sur des « critères objectifs tenant compte, en particulier, du degré de sécurité du paiement par carte bancaire dans le commerce» et qu’ainsi il ne satisfait pas à l’injonction qui lui a été faite le 11 octobre 1988.

Sur quoi la cour :

Considérant qu’après l’exécution de la mesure de contrat prescrite par son arrêt du 16 novembre 1989, la cour reste saisie des griefs concernant le non-respect par le Groupement de l’injonction à lui faite par l’article 2 du dispositif de la décision du Conseil de la concurrence du 11 octobre 1988 en ce que la commission:

- est calculée selon une formule qui n’individualise pas chacun des éléments qu’elle est destinée à rétribuer ;

- fait payer des charges fixes en proportion du montant des transactions ;

- n’assure ni proportionnalité ni progressivité du taux de la commission en fonction de la contribution des commerçants à la sécurité du système de paiement par carte bancaire ;

- qu’il convient d’ajouter à ces points litigieux les aménagements apportés, depuis la précédente décision, à l’assiette de la fraude mesurée.

1. Sur l’individualisation des éléments de calcul de la commission interbancaire de paiement :

Considérant que, selon le Groupement, la commission versée par la banque du commerçant à la banque du porteur sur toutes les transactions interbancaires est destinée à rémunérer tout à la fois le risque attaché à la garantie de paiement, les mesures collectives de Sécurité ainsi que les charges de traitement ;

Considérant que l’injonction du Conseil de la concurrence oblige le Groupement à justifier que la commission interbancaire de paiement est fondée sur des critères objectifs, ce qui implique nécessairement que chacune de ses trois composantes soit individuellement observable et mesurable; qu’il s’ensuit que chacune d’elles doit être distinguée dans la formule de calcul de la commission, soit en part fixe, soit en pourcentage, alors que tel n’est pas le cas du barème actuellement appliqué selon lequel les trois éléments, entrant indistinctement dans le coût de l’ensemble des charges et prestations rétribuées, varient indivisément en fonction du seul taux de fraude ;

Que, contrairement à ce qui est allégué, l’exigence de différenciation des éléments intervenant dans le montant de la commission était comprise dans l’injonction initiale du Conseil de la concurrence ;

Que cette injonction étant définitive, il est sans intérêt d’en discuter le bien-fondé mais qu’au demeurant, contrairement à ce qui est affirmé, la transparence introduite par cette identification des services rétribués par la commission permet d’en apprécier le coût relatif et a de ce fait un effet positif sur la concurrence ;

Considérant que le Groupement ne peut utilement soutenir qu’une telle dissociation des éléments de la commission serait contraire au principe de l’unicité de celle-ci admis par le Conseil de la concurrence; qu’en effet la fixation d’une commission globale n’est nullement incompatible avec l’intégration d’éléments différenciés dans la formule unique servant à l’établir ;

Que l’argument selon lequel cette différenciation pourrait inciter les commerçants à renoncer à la garantie de paiement et à exclure celle-ci du montant de la commission qu’ils payent à leur banque n’est pas davantage opérant, dès Lors qu’en l’état il est loisible au Groupement, en situation de monopole sur le marché des cartes bancaires, de refuser la division des prestations qu’il fournit ;

Qu’enfin, il ne peut être valablement objecté qu’une telle interprétation de l’injonction du Conseil de la concurrence aboutirait à contrôler le prix de la prestation fournie, dans la mesure où il n’est imposé par ce moyen aucune tarification individuelle ou collective des services rémunérés par la commission.

2. Sur la rémunération des charges fixes en proportion du montant des transactions :

Considérant que le rapport de constat fait apparaître que la commission, établie en pourcentage de la valeur totale des transactions enregistrées entre une banque de commerçants et une banque de porteurs, varie en fonction du taux de fraude constaté sans tenir compte du nombre des opérations exécutées ;

Considérant cependant que le traitement par la banque émettrice des paiements par carte bancaire engendre nécessairement, par transaction, un coût fixe dont l’évaluation objective résulte du rapport entre le mon tant global des charges d’exploitation correspondantes et le nombre d’opérations enregistrées ;

Considérant que, si le fait de rémunérer les prestations relatives au traitement des paiements effectués par carte bancaire proportionnellement au montant des transactions n’apparaît pas en soi constitutif d’une pratique anticoncurrentielle et qu’il peut même être soutenu qu’en mutualisant le coût des petits paiements, elle a un effet économiquement bénéfique (auquel s’oppose la perception d’un montant minimum forfaitaire de un franc), il est, en revanche, contraire au principe de la prise en compte objective de cette composante de la commission, imposé par l’injonction initiale, de couvrir une charge fixe en fonction d’un taux de fraude qui n’a, en lui-même, aucune incidence sur ce coût de la prestation rétribuée ;

Considérant que ce procédé a pour effet d’intégrer une partie du coût de l’insécurité dans les charges spécifiquement afférentes aux opérations de traitement des paiements par carte.

3. Sur la proportionnalité et la progressivité du taux de la commission avec la contribution des commerçants à la sécurité du système de paiement par carte bancaire :

Considérant que le rapport montre, ainsi qu’il a été ci-dessus exposé, qu’en appliquant le barème par paliers mis en œuvre par le Groupement, le taux moyen de fraude enregistré d’une banque à l’autre s’insère dans une amplitude de variation très large comprise entre O p. 100 à 5,2 p. 100 alors que, comparativement, le taux de commission évolue dans des limites très étroites de 0,50 p. 100 à 0,66 p. 100; qu’il n’est pas contestable que ces modalités de calcul ne permettent pas une réelle progressivité du taux de la commission avec le taux de fraude; que cette anomalie est aggravée par les effets d’écrêtement, à tel point qu’il ressort du graphique comparé établi par le Groupement lui-même que le taux moyen de commission ne progresse plus au-delà d’un taux moyen de fraude de 0,2 p. 100 qui est cependant atteint par de nombreuses banques tandis qu’à partir de ce seuil, l’application différenciée, selon les banques de porteurs, des taux effectifs de fraude conduit paradoxalement à la baisse du taux moyen de la commission ;

Que, dès lors, l’objectif d’une meilleure sécurité des paiements par carte bancaire est contrarié par la discrimination que le système introduit entre, d’une part, les établissements enregistrant des taux de fraude élevés qui sont indûment protégés par le plafonnement de la commission à un niveau très bas et, d’autre part, ceux qui affichent un faible taux de fraude sans pouvoir tirer les avantages de leurs efforts ;

Considérant qu’il en résulte que le système d’échelonnement par tranche des taux de fraude et de commission ne permet pas une prise en compte objective du degré de sécurité du paiement par carte bancaire, lequel suppose une progression continue et sans plafonnement de la part de commission afférente à la garantie depuis un taux de commission égal à zéro pour un taux de fraude nul ;

Considérant que cette appréciation ne peut être mise en doute par les critiques exprimées par le Groupement sur les méthodes d’analyse de l’autorité constatante, selon lesquelles ne seraient pas significatifs des résultats observés en taux moyens et limités aux treize plus grandes banques, dès lors, d’une part, que ces établissements traitent plus de 96 p. 100 du montant des transactions et que ce sont des taux moyens dont les banques tiennent compte avec leur clientèle ;

Considérant que l’argumentation soutenue par le Groupement sur l’effet incitatif du système de gradation par les paliers n’est pas convaincante en ce qu’elle est fondée sur le postulat, non vérifié, de la volonté des banques d’investir en dépenses de sécurité pour franchir des seuils à la baisse plutôt que de se maintenir à moindre coût sur des positions acquises ;

Qu’en outre le plafonnement du taux de la commission n’est pas indispensable pour inciter les banques de porteurs à montrer plus de discerne ment dans la délivrance des cartes ;

4. Sur l’assiette du taux de fraude :

Considérant que, dans son arrêt du 16 novembre 1989, la cour avait admis que le taux de fraude constaté sur l’ensemble des transactions réalisées entre banques avec les cartes françaises inscrites au fichier national des oppositions, au moment de la compensation, pouvait être regardé comme une mesure objective de la fraude même si une partie de celle-ci en était exclue, notamment la fraude avant opposition ;

Considérant que le Groupement a mis en œuvre un système différent consistant à évaluer la fraude à partir des oppositions enregistrées trois jours avant la date de la compensation ;

Considérant que, selon les constatations du directeur général de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, cette modification a essentiellement pour effet de réduire dans des proportions significatives l’incidence de la fraude sur la partie variable de la commission pour en reporter la charge sur l’ensemble du système; qu’elle aboutit en définitive à priver d’objectivité le critère retenu ;

Considérant que le requérant ne peut utilement prétendre que cet amé nagement a été introduit afin d’inciter les commerçants à remettre plus vite les factures payées par cartes bancaires, alors que ceux-ci sont déjà suffisamment déterminés â le faire pour réaliser leurs liquidités, que les délais de compensation leur échappent en partie et qu’ils n’ont au surplus aucune incidence sur la réalité de la fraude et par suite sur la part de celle-ci effectivement imputable au commerce ;

Considérant que les stipulations et pratiques ci-dessus examinées ont toutes pour effet de transférer l’incidence de la fraude de la partie de la commission variant â proportion de celle-ci â celle qui rémunère globalement l’ensemble des charges du système de paiement par carte bancaire ;

Que, par ce moyen, elles répartissent uniformément une partie non négligeable du poids de l’insécurité sur l’ensemble des banques, sans tenir compte de leur contribution individuelle et des efforts de leur clientèle de commerçants en vue de réduire les risques de fraude ;

Qu’en conséquence, elles ne respectent pas l’injonction faite au Groupement de mettre en application des modalités de détermination de la commission interbancaire de paiement fondées sur des critères objectifs tenant compte, en particulier, du degré de sécurité du paiement par carte bancaire dans les commerces ;

Considérant que ladite injonction a été prescrite par le Conseil de la concurrence afin de contraindre le Groupement â assumer l’objectif de progrès économique dont il se prévaut pour justifier des modalités de détermination de la commission prélevée â l’occasion des transactions interbancaires relatives aux paiements par carte, dont Le caractère anticoncurrentiel avait été relevé par la décision définitive du Conseil de la concurrence du 11 octobre 1988 ;

Considérant qu’il appartient au seul Groupement d’établir des modalités de calcul de la commission qu’il perçoit propres à satisfaire à cette injonction, sans qu’il y ait lieu pour la cour, qui ne peut s’immiscer dans le fonctionnement d’une entreprise, de les déterminer elle-même, sous couvert de préciser, compléter ou aménager une injonction dont elle constate l’inexécution ;

Considérant que, dans sa décision du 3 mai 1989, le Conseil de la concurrence a indiqué que sa saisine avait pour seul objet l’examen des conditions d’exécution par le Groupement des injonctions prononcées le 11 octobre 1988; qu’il a précisé, dans ses observations à la cour qu’il n’avait statué ni par application de l’article 14 de l’ordonnance du 1er décembre 1986, lui permettant d’infliger des sanctions pécuniaires en cas de méconnaissance de ses injonctions, ni par application de son article 21 relatif à l’instruction des affaires au fond ;

Qu’il s’ensuit que, dans les limites du contentieux qui lui est dévolu, la cour n’est pas autorisée à prononcer d’éventuelles sanctions pécuniaires et qu’il revient au Conseil de la concurrence, saisi, le cas échéant, conformément aux dispositions de l’article li de l’ordonnance précitée, de statuer s’il l’estime justifié, par application de l’article 14 de ce texte,

Par ces motifs :

Dit que telles qu’elles ont été constatées par le directeur de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, les modalités de détermination de la commission interbancaire de paiement mises en œuvre par le Groupement des cartes bancaires « C.B.» ne sont pas conformes à l’injonction contenue dans l’article 2 de la décision du Conseil de la concurrence du 11 octobre 1988.

Met les dépens à la charge du requérant.