CA Paris, Pôle 1 ch. 2, 10 juin 2021, n° 20/18781
PARIS
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Demandeur :
Panification Moderne (SAS)
Défendeur :
Frichti (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Guillou
Conseiller :
M. Rondeau
Avocats :
Me Turlan, Me Zilberman
EXPOSE DU LITIGE
La société Panification Moderne exerce sous l'enseigne « Boulangerie Thierry » et est spécialisée dans la conception et la fabrication de produits boulangers.
La société Frichti est une start-up, spécialisée dans la fabrication et la livraison de repas à domicile ou sur les lieux de travail.
Dès l'année 2016, la société Frichti a passé des commandes auprès de la société Panification Moderne, que cette dernière lui a livrées dans ses laboratoires, et que Frichti a ensuite distribuées à chez ses clients. Aucun contrat écrit n'a été établi.
Par un jugement du 24 mars 2020, la société Panification Moderne a été placée en redressement judiciaire. Par jugement du 17 juin 2020, le tribunal de commerce de Compiègne a prolongé la période d'observation jusqu'au 24 juin 2021.
Par un courriel du 11 juin 2020, la société Frichti a entendu mettre un terme aux relations avec la société Panification Moderne en indiquant cesser toute commande sous 15 jours.
La société Panification a sollicité le bénéfice d'un délai de préavis de 12 mois avec un rythme et volume de commandes équivalents à ceux pratiqués au cours de l'année précédente.
La société Frichti a finalement continué à passer des commandes après l'expiration du délai de 15 jours, ce, pendant quelques semaines, en en réduisant le volume.
Par exploit du 22 juillet 2020, la société Panification Moderne a fait assigner la société Frichti devant le président du tribunal de commerce de Paris aux fins notamment de :
- à titre principal, voir ordonner à la société Frichti la poursuite de leurs relations commerciales pendant un délai de 11 mois jusqu'au 12 mai 2021, à charge de respecter pendant ce délai un rythme et un volume de commande au moins équivalents à ceux pratiqués en 2019, permettant un maintien du chiffre d'affaires mensuel à hauteur de 36 400 euros, et selon les conditions financières en usage et sous astreinte ;
- à titre subsidiaire, voir ordonner à la société Frichti ladite poursuite de leurs relations commerciales dans les conditions citées à titre principal, mais jusqu'au 12 décembre 2020 ;
- en tout état de cause, voir condamner la société Frichti à lui verser une provision de 94 000 euros en compensation de la rupture partielle du contrat d'usage sans préavis au cours de la période de mai, juin, juillet et août 2020 et voir condamner la société Frichti à lui verser une provision de 5 375,40 euros outre la somme de 13 673,62 euros majorée de 10 % à compter du 31ème jour après la fin de la décade de chacune des livraisons dues au mois d'août 2020.
Par ordonnance rendue le 2 décembre 2020, le juge des référés a :
- dit n'y avoir lieu à référé ;
- condamné la société Panification Moderne à verser à la société Frichti la somme de 2 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamné la société Panification Moderne aux entiers dépens, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 44,07 euros TTC dont 7,13 euros de TVA.
Le premier juge a fondé cette décision notamment sur les motifs suivants :
- l'action a été régulièrement engagée et est recevable ;
- en application des articles 1103 et 1104 du code civil, des pièces et des débats, la rupture brutale des relations commerciales aurait pu être anticipée par la société Panification Moderne ; en effet, elle a participé, avant la rupture, à un appel d'offre dont l'objectif était de redéfinir les besoins de la société Frichti dans l'exercice de son activité ; cet appel d'offres a fait l'objet d'une période longue ; en conséquence, la société Panification Moderne ne pouvait pas ignorer qu'il existait une incertitude dans la poursuite de ses relations commerciales avec la société Frichti.
Par déclaration en date du 21 décembre 2020, la société Panification Moderne a interjeté appel de cette ordonnance, à l'encontre de tous les chefs de son dispositif.
Au terme de ses conclusions communiquées par voie électronique le 31 mars 2021, la société Panification Moderne demande à la cour, sur le fondement des articles 872 et 873 du code de procédure civile et des articles L. 442-1, II et L. 441-11 du code de commerce, de :
- recevoir la société Panification Moderne en sa déclaration d'appel ainsi qu'en ses conclusions d'appel de l'ordonnance rendue par le président du tribunal de commerce de Paris le 2 décembre 2020, n° de RG 2020027116 l'en juger bien fondée ;
- infirmer l'ordonnance déférée en toutes ses dispositions en ce qu'il a dit n'y avoir lieu à référé, et en sa condamnation de la société Panification Moderne à verser à la société Frichti la somme de 2 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
Et statuant à nouveau
- juger que la rupture des relations commerciales par la société Frichti le 11 juin 2020 est brutale, sans préavis suffisant et fautive, et en conséquence la condamner à réparer le trouble manifestement illicite et à verser à titre provisionnel à la société Panification Moderne :
- à titre principal, une somme de 406 110 euros en compensation de la perte de chiffre d'affaires pendant un délai de 11 mois, soit jusqu'au 12 mai 2021 sur la base du maintien du chiffre d'affaires moyen mensuel de 36 400 euros ;
- à titre subsidiaire une somme de 129 000 euros en compensation de la perte partielle de chiffre d'affaires au cours de la période de mai, juin, juillet, août et septembre 2020 sur la base du maintien du chiffre d'affaires moyen mensuel de 36 400 euros ;
- condamner la société Frichti à payer la société Panification Moderne la somme de 5 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, et aux entiers dépens.
La société Panification Moderne fait valoir en substance les éléments suivants :
- aucun contrat écrit n'a été dressé en 2016, ce qui n'a pourtant pas empêché les sociétés Panification Moderne et Frichti d'établir des relations commerciales stables ; en effet, la société Frichti a passé des commandes régulières jusqu'en avril 2020 ; le 27 septembre 2019 et dans le but d'améliorer ses offres, la société Frichti a soumis un cahier des charges à la société Panification Moderne ; la société Panification Moderne s'est adaptée à toutes les demandes de la société Frichti ; en mai 2020, et malgré la part belle faite à la livraison à domicile en raison de la crise sanitaire, la société Frichti a réduit ses commandes et a imposé des délais supérieurs de paiement ;
- le 11 juin 2020, la société Frichti a mis un terme aux relations commerciales avec la société Panification Moderne en invoquant des griefs abusifs ; malgré la demande de la société Panification Moderne de bénéficier d'un délai de préavis de 12 mois, la société Frichti a répondu arrêter ses commandes sous 15 jours ;
- en application de l'article 872 du code de procédure civile, la condition de l'urgence exigée en référé est remplie ; en effet, la jurisprudence considère qu'une baisse des commandes est une rupture des relations commerciales ; en l'espèce, le chiffre d'affaire de la société Panification Moderne a été divisé par plus de 4 entre février 2020 et août 2020 ; le délai de prévenance de 15 jours était excessivement court d'autant que la société Panification Moderne était en redressement judiciaire ; la rupture a été brutale et les griefs invoqués sont abusifs ;
- en application de l'article 873 du code de procédure civile, une provision peut être accordée au créancier d'une obligation dont l'existence n'est pas sérieusement contestable ; en outre, l'article L. 442-1, II du code de commerce prévoit que celui qui rompt brutalement et même partiellement une relation commerciale, sans préavis suffisant, engage sa responsabilité ;
- s'agissant de l'existence d'un trouble manifestement illicite, il est caractérisé en l'espèce ; en effet, alors que les relations entre la société Panification Moderne et la société Frichti ont duré plus de 4 ans, le préavis accordé a été de 15 jours, ce qui n'est pas raisonnable ;
- en outre, aucun motif ne justifiait une telle rupture brutale ; la société Frichti n'a jamais procédé à une quelconque mise en garde en raison d'insatisfactions alors que la société Panification Moderne a toujours respecté ses obligations contractuelles ;
- ensuite, avant même l'envoi du message de rupture des relations de juin 2020, la société Frichti avait déjà commencé à réduire ses commandes, ce qui constituait déjà une rupture partielle fautive ;
- enfin, la société Frichti estime qu'en annonçant le 27 septembre 2019 son intention de recourir à une procédure d'appel d'offres, elle aurait notifié par anticipation à la société Panification Moderne le point de départ d'un délai de préavis, largement suffisant une fois arrivé à la mi-juin 2020 ; toutefois, la société Panification Moderne conteste la régularité et la portée de ce prétendu appel d'offres ; la cour d'appel d'Amiens a pu estimer qu'un appel d'offres rédigé en termes généraux sans allusion à la pérennité du contrat ne peut s'analyser comme une rupture de relations commerciales ;
- en l'espèce et d'une part, le mail de rupture de juin 2020 de la société Frichti ne fait aucune référence à cet « appel d'offres » ; d'autre part, le mail du 27 septembre 2019 n'est pas clair et précis et ne répond pas aux critères de l'appel d'offres ; il ne semblait pas vouloir écarter la société Panification Moderne mais au contraire compléter la liste des fournisseurs ; il est plutôt un simple cahier des charges comme la société Frichti a l'habitude d'y recourir ;
- s'agissant de la réparation de ce trouble manifestement illicite, la cour d'appel de Paris a pu décider que la brutalité de la rupture des relations commerciales devait être sanctionnée par la poursuite des dites relations en considération de leur durée, du chiffre d'affaires, et de la masse salariale ;
- en l'espèce, la société Frichti a rompu abusivement les relations en laissant un délai de prévenance très court, en ayant déjà recherché un autre fournisseur en amont en remplacement de la société Panification Moderne, en ne prévenant pas le mandataire judiciaire de cette dernière de la rupture, et en diminuant drastiquement le volume de ses commandes malgré le prolongement de quelques semaines du délai de 15 jours initialement imposé ; la société Frichti avoue elle-même que le préavis aurait dû être de 11 mois ; en conséquence et la société Frichti ayant dû accorder un délai de préavis de 11 mois jusqu'en mai 2021, c'est sur cette durée que l'indemnisation de la société Panification Moderne devra être évaluée pour compenser la perte des commandes.
La société Frichti, par conclusions transmises par voie électronique le 23 mars 2021, demande à la cour, sur le fondement des articles 872 et 873 du code de procédure civile et de l'article L. 442-1, II du code de commerce, de :
- dire et juger qu'aucune rupture brutale de relation commerciale établie, au sens de l'article L. 441-2, II du Code de commerce, ne saurait être reprochée à la société Frichti ;
- dire et juger que les demandes formulées par la société Panification Moderne ne remplissent pas les conditions prescrites par les articles 872 et 873 du code de procédure civile ;
En conséquence
- confirmer l'ordonnance rendue par le président du tribunal de commerce de Paris en date du 2 décembre 2020, en ce que ce dernier a dit n'y avoir lieu à référé et a débouté la société Panification Moderne de l'ensemble de ses demandes ;
En tout état de cause
- condamner la société Panification Moderne à verser à la société Frichti la somme de 7 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamner la société Panification Moderne aux entiers dépens.
La société Frichti expose en résumé ce qui suit :
- contrairement à ce qu'indique la société Panification Moderne, la société Frichti n'a eu de cesse que de l'alerter pendant leurs relations sur les problèmes de qualité des produits et de logistique, rencontrés, elle le prouve par un ensemble de pièces produites aux débats ;
- au regard de ces critiques, le 27 septembre 2019, la société Frichti a informé la société Panification Moderne de son intention de la mettre en concurrence avec d'autres fournisseurs dans le cadre d'un appel d'offres particulièrement complet ;
- cet appel d'offres a été confirmé une nouvelle fois par un mail adressé à la société Panification Moderne le 10 février 2020 ; la société Frichti a ensuite retenu un autre fournisseur ;
- la société Panification Moderne n'a pas hésité à assigner au fond la société Frichti, avant même que le juge des référés ne statue en première instance, ce qui démontre le caractère mal fondé de la procédure de référé ;
- d'une part et en application de l'article L. 442-1, II du code de commerce et de la jurisprudence, le point de départ d'un préavis se caractérise par un « acte du partenaire manifestant son intention de ne pas poursuivre la relation commerciale » et cet acte peut être la notification de la décision de recourir à un appel d'offres ;
- en l'espèce et dès le 27 septembre 2019, la société Frichti a informé la société Panification Moderne de son intention de recourir à un appel d'offres en raison des problèmes de qualité des produits de cette dernière ; cet appel d'offres a été rappelé le 10 février 2020 ; l'arrêt de la cour d'appel d'Amiens ne correspond absolument pas aux faits d'espèce et l'appel d'offres de la société Frichti était très clair et précis ; en conséquence, le 27 septembre 2019 est le point de départ du délai de préavis, la société Panification Moderne n'ayant alors aucune garantie de remporter l'appel d'offres ;
- d'autre part, le délai de préavis de 11 mois courant du 27 septembre 2019 au 1er septembre 2020 est suffisant ; en effet, sa durée s'apprécie au regard des circonstances de fait entourant la relation commerciale ; la jurisprudence estime que pour des relations commerciales de 4 ans, un préavis de 6 mois est suffisant ; il n'existait pas d'obligation d'exclusivité ou de volume de commandes entre les parties ;
- enfin, il n'y a pas lieu à référé ;
- d'une part, aucun trouble manifestement illicite n'est caractérisé, le délai de 11 mois ayant laissé le temps à la société Panification Moderne de trouver d'autres débouchés, le marché avec la société Frichti représentant moins de 6 % de son chiffre d'affaires global, et la société Frichti ayant prévenu plusieurs fois son fournisseur de ses insatisfactions ;
- d'autre part, la demande de provision se heurte à des contestations sérieuses, notamment car rien n'obligeait la société Frichti à maintenir le volume de ses commandes ; enfin, la rupture partielle des relations commerciales par la société Frichti constituant une faute n'est pas caractérisée ; si la société Frichti a diminué le volume des commandes pendant la crise sanitaire c'est parce qu'elle ne livrait plus dans les entreprises, et pendant l'été car la capitale se vide lors de la période estivale.
Il sera renvoyé aux conclusions susvisées pour un plus ample exposé des faits, moyens et prétentions des parties en application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.
SUR CE, LA COUR
L'article 873, alinéa 1er, du code de procédure civile dispose que le président du tribunal de commerce peut, dans les limites de la compétence du tribunal, et même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.
Le dommage imminent s'entend du dommage qui ne s'est pas encore réalisé mais qui se produira sûrement si la situation présente doit se perpétuer. Pour que la mesure sollicitée soit prononcée, il doit nécessairement être constaté, à la date où le juge statue et avec l'évidence qui s'impose à la juridiction des référés, l'imminence d'un dommage. La constatation de l'imminence du dommage suffit à caractériser l'urgence afin d'en éviter les effets.
Le trouble manifestement illicite résulte quant à lui de toute perturbation procédant d'un fait qui directement ou indirectement constitue une violation de la règle de droit. Pour que la mesure sollicitée soit prononcée, il doit nécessairement être constaté, à la date où le juge statue et avec l'évidence qui s'impose en référé, la méconnaissance d'un droit sur le point de se réaliser et dont la survenance et la réalité sont certaines.
L'article L. 442-1, II du code de commerce dispose pour sa part qu'engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par toute personne exerçant des activités de production, de distribution ou de services de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, en l'absence d'un préavis écrit qui tienne compte notamment de la durée de la relation commerciale, en référence aux usages du commerce ou aux accords interprofessionnels.
En cas de litige entre les parties sur la durée du préavis, la responsabilité de l'auteur de la rupture ne peut être engagée du chef d'une durée insuffisante dès lors qu'il a respecté un préavis de dix-huit mois.
La rupture brutale d'une relation commerciale établie est donc susceptible de constituer un trouble manifestement illicite à laquelle le juge des référés, même en présence d'une contestation sérieuse, peut mettre fin, au provisoire, dans l'attente d'une décision au fond.
De même ce juge peut, pour prévenir un dommage imminent et même en présence de contestations sérieuses, prendre des mesures provisoires jusqu'à ce qu'il soit statué au fond.
Au regard de ce texte, la brutalité de la rupture d'une relation commerciale établie, si elle est avérée, est susceptible de constituer un trouble manifestement illicite ou de nature à causer un dommage imminent qu'il appartient au juge des référés d'apprécier.
Sur l'existence de relations commerciales établies :
Pour déterminer si une relation commerciale peut être qualifiée d'établie, la jurisprudence prend en compte plusieurs critères tels que la durée des relations entre les partenaires, la continuité de celles-ci ou encore l'importance ou l'évolution du chiffre d'affaires réalisé : l'ensemble des critères constitue des indices quant à l'existence et la qualité de la relation commerciale, le critère de la durée restant prépondérant.
Il n'est pas contesté que les relations commerciales entre la société Panification Moderne et la société Frichti existent depuis l'année 2016.
Précisément :
- aucun contrat écrit n'a été signé à l'origine entre les parties mais les relations se sont poursuivies et maintenues de 2016 à 2020,
- par courriel du 27 septembre 2019, la société Frichti a transmis à la société Panification Moderne un document intitulé « appel d'offres », en précisant « vous trouverez ci-joint l'appel d'offres que nous allons bientôt transmettre à différents fournisseurs, car nous avons un problème de qualité sur certains produits. Aussi j'attends comme prévu la liste des ingrédients et origines des produits de chacun des produits que vous nous proposez svp »,
- à ce courriel était joint un document intitulé « Appel d'offres Boulangerie », présentant les services attendus par Frichti, en ce compris « le respect du cahier des charges, contrôle qualité tous les matins en interne, traçabilité de produits et contrôle des origines, des produits avec une liste d'ingrédients propres »
- par courriel du 10 février 2020, la société Frichti a indiqué à la société Panification Moderne « Dans tous les cas, aucune décision ne peut être prise sans tarif et liste d'ingrédients. En parallèle, je vous joins ci-dessous l'inventaire que nous souhaitons avoir courant premier semestre avec une liste d'ingrédients clean. Sachez que je commence à demander cette semaine auprès de plusieurs boulangeries leur faisabilité. Le but étant d'avoir une seule boulangerie ou maximum deux »
Il en résulte bien une succession de contrats dans le temps qui établissent avec l'évidence requise en référé l'existence de relations commerciales établies.
- sur le caractère brutal de la rupture des relations commerciales établies
Il n'est pas contesté que, par courriel du 11 juin 2020, la société Frichti a entendu mettre un terme à sa relation commerciale avec la société Panification Moderne dans les termes suivants : « Comme annoncé au téléphone, nous souhaitons mettre un terme à notre partenariat pour plusieurs raisons :
- problème de QOS (quality of service) récurrents,
- Qualité/charte qualité pas aux attentes
- tarifs trop élevés
J'attends comme convenu votre retour en début de semaine pour avoir une date définitive d'arrêt (idéalement le délai le plus court) ».
En réponse, par courriel du même jour, la société Panification Moderne a répondu ainsi : « en réponse à votre demande et eu égard à la situation, le préavis sera de douze mois ».
Il en ressort bien que :
- si les relations commerciales des sociétés Frichti et Panification Moderne sont établies, elles ont été inscrites dans un cadre précaire, celui des appels d'offres, à compter de l'année 2019,
- la société Panification Moderne y a régulièrement participé et n'a pas manifesté son refus d'être mise en concurrence,
- la circonstance que la société Panification Moderne ait été choisie en 2019 n'est pas de nature à démontrer à elle seule la certitude, ou l'espérance certaine de voir ces relations commerciales se poursuivre systématiquement,
- que la mise en compétition avec d'autres professionnels ne pouvait laisser augurer à la société Panification Moderne que cette relation établie avait vocation à perdurer de façon automatique, ce d'autant plus que des critiques sur la qualité des produits et le respect du cahier des charges ont régulièrement été transmises
- la société Panification Moderne qui s'est soumise aux appels d'offres ne pouvait ignorer l'aléa que comportait la mise en concurrence ni le fait qu'avoir remporté précédemment un appel d'offre ne lui conférait aucun droit à réitération.
La notification de l'intention de recourir à un appel d'offres vaut notification de l'intention de rompre, de sorte que la rupture n'est pas brutale si le préavis est suffisant. Il est ainsi suffisamment établi que, dès le 10 février 2020, date du lancement du dernier appel d'offres, la société Panification Moderne était informée de l'aléa qui pesait sur la pérennité des prestations qu'elle réalisait pour la société Frichti.
Il apparaît ainsi que :
- le point de départ du préavis doit être fixé, avec l'évidence requise en référé au 10 février 2020, date de l'annonce du dernier appel d'offres,
- il est incontestable et incontesté que la société Frichti a finalement prolongé le délai de préavis au 1er septembre 2020, laissant ainsi un délai de 7 mois, qui, toujours avec l'évidence requise en référé, apparaît comme raisonnable, étant précisé que les relations commerciales des parties étaient établies depuis moins de quatre années.
- sur la demande subsidiaire de la société Panification Moderne
La société Panification Moderne sollicite, sur le fondement de l'article 873 du code de procédure civile, et de l'article L. 442-1, II du code de commerce, à titre subsidiaire, une provision au motif de la rupture partielle des relations entre les parties, la société Frichti ayant selon elle amorcé dès l'annonce de la rupture une réduction du volume des commandes depuis le mois de mai.
Il ressort tout d'abord du tableau fourni par la société Frichti, intitulé « ventes en volume 2020 » que les ventes de produits de boulangerie fournis par la société Panification Moderne sont en effet passées de 57 410 unités (février 2020) à 21 674 unités en juin 2020, soit une diminution des ventes de 62,3 %.
La société Frichti explique cette diminution des ventes par la société Panification Moderne par un contexte général, soit d'abord celui du confinement à compter de mars 2020, qui a amené ses clients à se détourner de la livraison de repas à domicile pour cuisiner, puis celui de la période estivale de vacances et de la saisonnalité de son activité.
Si ces considérations d'ordre général ne sont pas précisément étayées, force est de constater que la société Panification Moderne, pour sa part, ne justifie pas non plus que la dite diminution des commandes procéderait d'une volonté délibérée de la société Frichti, qui a dans un cadre volontaire prolongé le préavis au 1er septembre 2020, ce qui est contradictoire avec la rupture partielle alléguée par la société Panification Moderne.
De la sorte, il n'y a pas lieu à référé sur ce point.
La décision du premier juge sera confirmée quant aux dépens et aux sommes allouées sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile. Une somme sera également mise à sa charge pour les frais irrépétibles en cause d'appel.
PAR CES MOTIFS
Confirme l'ordonnance de référé rendue en toutes ses dispositions,
Y ajoutant,
Dit n'y avoir pas lieu à référé sur la demande subsidiaire de la société Panification Moderne,
Déboute les parties de leurs autres demandes,
Condamne la société Panification Moderne aux dépens et à payer une somme supplémentaire de 4 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.