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Décisions

CA Bordeaux, 4e ch. civ., 9 juin 2021, n° 18/04492

BORDEAUX

Arrêt

PARTIES

Défendeur :

Ballande & Méneret (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Chelle

Conseillers :

Mme Fabry, Mme Brisset

T. com. Bordeaux, du 13 juill. 2018

13 juillet 2018

FAITS ET PROCÉDURE

M. X exerçait des fonctions d'agent commercial depuis 2005 pour la SAS Ballande & Méneret négociants en vins. Au début de l'année 2015, la société lui a proposé la signature d'un contrat écrit comportant des modifications qui ont été refusées par M. X.

Le 31 mars 2015, la société Ballande & Méneret a notifié à M.X la rupture de son contrat d'agent commercial, lui indiquant que l'indemnité compensatrice de rupture se chiffrait à la somme de 73 114 euros.

M. X a contesté ce montant et réclamé des rappels de commissions.

Le désaccord persistant, M. X, par acte du 14 mars 2017, a fait assigner la société Ballande & Méneret devant le tribunal de commerce de Bordeaux en paiement de diverses sommes au titre de l'exécution et de la rupture du contrat d'agent commercial.

Par jugement du 9 juillet 2018, le tribunal, en substance et sous le bénéfice de l'exécution provisoire, a condamné la société Ballande & Méneret à payer à M. X les sommes de 3 613,36 euros HT et 2 408,24 euros HT. Il a condamné M. X au paiement d'une indemnité de 1 500 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens. Le tribunal a rejeté le surplus des demandes.

M. X a relevé appel de la décision le 27 juillet 2018, énonçant dans sa déclaration les chefs critiqués du jugement et intimant la société Ballande & Méneret.

PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

Dans ses dernières écritures en date du 19 mars 2021, auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé des moyens et prétentions, M. X demande à la cour de :

A titre principal

Réformant intégralement le jugement entrepris,

Quant aux commissions restantes dues,

Condamner la société Ballande au paiement de la somme de 69 549,37 euros HT soit 83 459,24 euros TTC ventilée de la sorte

. 3 613,36 euros HT soit 4 336,03 euros TTC, qu'elle reconnaît devoir,

. 65 936,01 euros HT soit 79 123,21 euros TTC qu'elle conteste

Condamner la société Ballande & Méneret à verser à Monsieur X la somme complémentaire de 2 023,18 euros HT, soit 2 427,81 euros TTC, au titre de rappel de commission sur réservation Cdiscount.

Quant à l'indemnité de rupture,

Condamner la société Ballande & Méneret à verser à Monsieur X la somme de 176 119,9 euros correspondant au reliquat de son indemnité spécifique de rupture en se basant sur une indemnité de 36 mois ou la somme de 93 041,9 euros en se basant sur une indemnité de 24 mois

A titre subsidiaire,

Confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a,

Condamné la société Ballande au paiement de la somme de 3 613,36 euros HT soit 4 336,03 euros TTC, qu'elle reconnaît devoir au titre des commissions restant dues,

Réformant le jugement entrepris,

Réintégrer, dans l'assiette de calcul de l'indemnité de rupture, les sommes reconnues comme dues par la société Ballande au titre des commissions sur vente et sur courtage

En conséquence,

Condamner la société Ballande & Méneret à verser à Monsieur X la somme de 92 454,12 euros correspondant au reliquat de son indemnité légale de rupture en se basant sur une indemnité de 36 mois ou 37 264,75 euros en se basant sur 24 mois

A titre infiniment subsidiaire,

Confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a,

Condamné la société Ballande au paiement de la somme de 3 613,36 euros HT soit 4 336,03 euros TTC, qu'elle reconnaît devoir au titre des commissions restant dues,

Réformant le jugement entrepris,

Réintégrer, dans l'assiette de calcul de l'indemnité de rupture, les sommes reconnues comme dues par la société Ballande au titre des commissions sur vente

En conséquence,

Condamner la société Ballande & Méneret à verser à Monsieur X la somme de 62 826,03 euros correspondant au reliquat de son indemnité légale de rupture en se basant sur une indemnité de 36 mois ou 17 512,68 euros en se basant sur 24 mois

En tout état de cause,

Dire que les sommes auxquelles la société Ballande & Méneret sera condamné porteront intérêt à taux légal à compter de la mise en demeure notifiée le 19 mars 2016.

Condamner la société Ballande & Méneret à verser à Monsieur X la somme de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts pour perte de chance de pouvoir facturer des commissions pendant son préavis.

Condamner la société Ballande & Méneret à verser à Monsieur X la somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts pour perte de chance de pouvoir facturer des commissions sur son secteur du fait de la présence d'un autre agent commercial.

Réformer le jugement entrepris en ce qu'il a condamné Monsieur X à une indemnité au titre de l'article 700

Et dès lors

Condamner la société Ballande & Méneret à verser à Monsieur X la somme de 8 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens de la première instance et de l'appel.

Il fait valoir que si des sommes lui ont été versées pendant le cours de la première instance il n'est pas rempli de ses droits tant au titre de l'exécution du contrat que de sa rupture. Il s'explique sur le calcul de ses commissions et précise que son adversaire ne justifie pas avoir réglé certaines d'entre elles comme elle l'invoque. Il indique avoir en outre subi un préjudice du fait de la présence d'un autre agent commercial sur son secteur, perdant ainsi une chance de facturer, perte de chance qui a en outre existé pendant sa période de préavis. Il discute le montant de l'indemnité de rupture laquelle doit réparer son entier préjudice et estime que c'est sur une période de 36 mois qu'elle doit être calculée compte tenu des circonstances. Il discute également l'assiette de calcul tant sur les périodes de références que sur le montant des commissions à inclure.

Dans ses dernières écritures en date du 28 janvier 2019, auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé des moyens et prétentions, la société Ballande & Méneret demande à la cour de :

Confirmer le jugement rendu par le tribunal de commerce de Bordeaux le 9 juillet 2018.

Rejeter l'intégralité des demandes, fins et conclusions de Monsieur F... X.

Condamner Monsieur F... X au paiement d'une indemnité de 8 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile

Condamner Monsieur F... X aux dépens de l'appel

Elle soutient qu'à l'exception des sommes retenues par le tribunal, M. X a été rempli de ses droits au titre des commissions et que celles dont il demande paiement, soit ne sont pas dues, soit ont été réglées au titre d'exercices précédant celui de la rupture. Quant à l'indemnité de rupture, elle considère que c'est à juste titre qu'elle a pris comme référence les années 2012 à 2014. Elle discute les sommes à intégrer dans l'assiette de calcul et considère que l'indemnité doit être retenue à ....

La clôture de la procédure a été prononcée selon ordonnance du 28 avril 2021.

Le 29 avril 2021, M. X a communiqué de nouvelles pièces. Par conclusions de procédure du 5 mai 2021, la société Ballande et Méneret a demandé qu'elles soient rejetées des débats.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Postérieurement à la clôture et sans invoquer un motif grave, M. X a communiqué 5 nouvelles pièces. Elles ne peuvent qu'être écartées des débats, M. X ne justifiant en rien d'un motif de révocation de l'ordonnance de clôture. Les pièces 18 à 22 de sa communication seront donc écartées des débats.

Sur le fond, il est constant que le contrat d'agent commercial qui liait les parties a été rompu à l'initiative du mandant et dans des conditions ne privant pas le mandataire de son indemnité de rupture. Ce principe n'a jamais été contesté et le seul débat est celui du quantum des sommes dues à M. X en fin de contrat tant au titre de l'indemnité de rupture qu'au titre des différents rappels tenant à l'exécution de ce contrat.

Certaines sommes ont été réglées en cours de procédure de sorte qu'il convient uniquement d'apprécier les sommes dont M. X sollicite le paiement dans le dispositif de ses écritures.

Sur les commissions,

Outre la somme de 3 613,36 euros HT retenue par les premiers juges et non contestée de sorte qu'elle ne peut relever d'une infirmation du jugement, M. X considère qu'il lui reste dû la somme de 69 549,37 euros correspondant à des commissions sur 191 ventes, non réglées par la société Ballande.

Chacune des parties produit des éléments de preuve qui demeurent parcellaires.

S'agissant des commissions dont le principe est contesté, M. X ne peut opposer à son adversaire le principe selon lequel il lui incombe de démontrer qu'il s'est libéré de son obligation par le paiement puisqu'il lui appartient de prouver que la commission est due.

Or, il apparaît pour les deux commandes Cdiscount du 20 novembre 2013 que l'une a fait l'objet d'un avoir qui éteint le droit à commission et que pour l'autre, il n'est pas justifié de la confirmation de commande de sorte que le droit à commission n'est pas né. Ces deux commandes ne pouvaient ouvrir droit à commission pour les sommes de 1 710 euros et 6 458,10 euros.

Pour les autres sommes récapitulées par M. X en pièce 6, le droit à commission est justifié. Il n'est d'ailleurs pas contesté dans son principe par l'intimée qui soutient avoir réglé.

Dès lors qu'elle invoque l'extinction de son obligation par le paiement, c'est sur elle que repose la charge de la preuve. C'est à tort que M. X soutient que l'intimée ne produit aucune preuve de paiement, mais il est exact que les preuves produites sont partielles.

Ainsi, pour toute la période antérieure au 1er octobre 2013, l'intimée qui a récapitulé les commissions dues (pour des montants presque identiques à ceux invoqués par l'appelant) dans un tableau, produit non seulement cette pièce unilatérale mais également les factures émises par M. X avec la référence du paiement par virement ou comprenant un numéro de chèque, éléments corroborés par sa comptabilité. Les commissions pour la période antérieure ont donc bien été réglées.

En revanche, à compter du 1er octobre 2013, la société Ballande ne produit pas d'élément en ce sens. Des commissions pour cette période sont cependant incluse à hauteur de 3 063,12 euros dans la somme retenue par les premiers juges.

En conséquence, de la réclamation présentée par M. X en pièce 6, il convient de déduire outre les sommes Cdiscount visées ci-dessus, la somme totale de 5 085,59 euros correspondant aux commissions pour la période antérieure au 1er octobre 2013 ayant fait l'objet d'un paiement exception faite des deux sommes admises par la société Ballande.

C'est donc un rappel de commission de 56 407,97 euros HT (69 661,66 - 1 710 - 6 458,10 - 5 085,59) qui est du à M. X, incluant la somme retenue par les premiers juges. Le jugement sera infirmé en ce sens et la société Ballande condamnée au paiement.

M. X sollicite en outre une commission de 2 023,18 euros HT de retour sur échantillonnage. Cependant, il ne justifie pas que la réservation du 23 mars 2015 ait fait l'objet d'une confirmation. Les pièces 9 et 10 ne peuvent être rapportées à cette réservation alors qu'il s'agit d'une confirmation qui serait antérieure à la réservation ce qui est incohérent. Cela est d'autant plus incohérent que les vins sont partiellement différents. Le fait que ces vins aient pu se retrouver sur le site de Cdiscount est indifférent puisque ce client était récurrent.

M. X ne pouvait qu'être débouté de cette prétention.

Sur l'indemnité de rupture,

Elle doit réparer le préjudice subi en application des dispositions de l'article L. 134-12 du code de commerce. Il convient tout d'abord de déterminer l'assiette de calcul. Les parties s'opposent sur les années de références et ne justifient que fort peu de leurs calculs respectifs.

L'année 2012 a été une année d'exercice complet pour l'agent et il n'y a pas lieu de l'exclure de la base de calcul au seul motif que les commissions auraient été moindres. Cela est d'autant plus le cas que M. X pour retenir l'année 2015, année non complète comme celle de la rupture, la majore tout à fait artificiellement en y ajoutant toutes les commissions réclamées y compris pour des périodes antérieures. Au surplus, seules les sommes admises par la cour doivent être retenues et ce pour les périodes des exercices inclus dans l'assiette, sans retenir les commissions de courtage qui sont indépendantes de l'exercice du mandat d'agent commercial.

Les exercices de référence à retenir sont donc ceux des années 2012, 2013 et 2014 pour 109 670 euros, somme à laquelle on doit ajouter les commissions retenues par la cour et concernant ces trois exercices, c'est à dire la somme de 56 407,97 euros dont il convient de déduire celle de 2 713,98 euros correspondant à des commandes 2015 exclues de l'assiette.

L'assiette s'établit à ainsi à 163 363,99 euros sur trois ans, soit une moyenne annuelle de 54 454,66 euros.

Sur son montant, il est exact que la référence de 24 mois ne s'impose en rien au juge judiciaire et constitue uniquement un usage auquel il est fréquemment référé. Cependant, en l'espèce aucun élément ne conduit à retenir une indemnité de 36 mois qui excéderait en l'espèce la mesure du préjudice réellement subi, compte tenu en particulier d'une durée de mandat de 10 ans. Le montant de l'indemnité de rupture s'élève donc à la somme de 108 909,32 euros. De cette somme il convient de déduire celle de 73 114 euros déjà versée par la société Ballande qui demeure donc débitrice de la somme de 35 795,32 euros. Le jugement sera infirmé et la société Ballande condamnée au paiement de cette somme.

Sur les autres demandes,

M. X sollicite en outre deux sommes à titre indemnitaire en réparation d'une perte de chance de pouvoir facturer des commissions pendant son préavis et de pouvoir facturer des commissions sur son secteur du fait de la présence d'un autre agent.

Ces demandes sont présentées de façon manifestement très forfaitaire. Or, y compris dans le cadre d'une perte de chance, le préjudice doit être établi et si M. X se prévaut des dispositions de l'article R. 134-3 du code de commerce, cela ne saurait le dispenser d'établir un préjudice. Cela est d'autant plus le cas qu'il ne précise pas les périodes pendant lesquelles un autre commercial aurait été sur son secteur, qui peuvent se recouper avec son préavis, période pour laquelle il ne donne pas davantage d'éléments démonstratifs. En outre, sans aucune pièce à l'appui il invoque uniquement une commission perdue de 2 020 euros pour formuler ensuite sans plus d'explication et encore moins de justificatif deux demandes indemnitaires manifestement forfaitaires. Ceci ne peut être retenu et il sera débouté de ces demandes.

L'action de M. X demeurait bien fondée en son principe et c'est à tort qu'il a été mis à sa charge une indemnité de procédure et les dépens. Le jugement sera réformé de ce chef.

L'intimée sera condamnée au paiement de la somme de 3 000 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens de première instance et d'appel.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire et en dernier ressort,

Ecarte des débats les pièces 18 à 22 communiquées par M. X,

Infirme le jugement du tribunal de commerce de Bordeaux du 13 juillet 2018,

Statuant à nouveau,

Condamne la SAS Ballande & Méneret à payer à M. X les sommes de :

- 54 407,97 euros HT à titre de rappel de commissions,

- 35 792,32 euros à titre de complément d'indemnité de rupture,

- 3 000 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

Déboute M. X de ses autres demandes indemnitaires,

Condamne la SAS Ballande & Méneret aux dépens de première instance et d'appel.