CAA Marseille, 6e ch., 14 juin 2021, n° 20MA00199
MARSEILLE
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Colis Privé (Sté)
Défendeur :
Ministre de l’Economie, des Finances et de la Relance
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Fédou
Président assesseur :
Mme Massé-Degois
Premier conseiller :
M. Grimaud (Rapporteur)
Rapporteur public :
M. Thielé
Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société Colis Privé a demandé au tribunal administratif de Marseille d'annuler la décision du 29 novembre 2016 par laquelle le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi Provence-Alpes-Côte d'Azur lui a infligé une amende administrative de 220 000 euros en raison de la méconnaissance des dispositions de l'article L. 441-6 du code de commerce et a décidé la publication de cette sanction sur le site internet du ministère de l'économie et des finances, ainsi que la décision du 4 avril 2017 du Ministre de l’Economie et des Finances rejetant son recours gracieux contre cette première décision en ce qui concerne le montant de l'amende.
Par un jugement n° 1703263 du 18 novembre 2019, le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 20 janvier 2020 et 19 mars 2021, la société Colis Privé, représentée par Me B, demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) d'annuler les décisions du 29 novembre 2016 et 4 avril 2017 ou, à défaut, de réduire le montant de l'amende ;
3°) d'ordonner au Ministre de l’Economie, des Finances et de la Relance de publier l'arrêt à intervenir sur le site internet de la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi pour une durée de six mois ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 7 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le jugement est insuffisamment motivé car il écarte le moyen tiré de l'insuffisance de motivation de la décision sans répondre à son argumentation ;
- la décision du 29 novembre 2016, qui ne comporte pas de motivation expliquant la méthode de calcul retenue pour apprécier l'importance des retards de paiement ni la nécessité de l'amende, est insuffisamment motivée ;
- le courrier notifiant les griefs retenus à l'encontre de la société et celui adoptant la décision de sanction ayant été signés par la même autorité, les fonctions de poursuite et de sanction n'ont pas été séparées, de telle sorte que le principe d'impartialité a été méconnu ;
- pour le même motif, la procédure menée à l'encontre de la société a méconnu les stipulations de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la décision est entachée d'erreur de droit car elle se fonde sur un retard moyen résultant de la pondération de la durée de chaque retard en fonction du montant de la facture ;
- pour le même motif, la décision méconnaît le principe de la légalité des délits et des peines posé par les dispositions de l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen ;
- la décision de sanction est entachée d'erreur de droit car elle ne procède à aucune individualisation de la sanction et se fonde uniquement sur la balance comptable des créances des fournisseurs de la société sans tenir compte de ses difficultés de trésorerie, de son besoin de fonds propres, de l'augmentation de son activité ayant désorganisé son service comptable, de la complexité de sa facturation et de la diminution des délais légaux de quarante-cinq à trente jours appliquée dans le domaine du transport routier et des commissions de transport en vertu des dispositions du onzième alinéa du I de l'article L. 441-6 du code de commerce ;
- eu égard à ces circonstances et à son montant, la sanction est disproportionnée.
Par des mémoires en défense enregistrés le 26 février 2021 et le 15 avril 2021, le Ministre de l’Economie, des Finances et de la Relance conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par la société Colis Privé ne sont pas fondés.
Par ordonnance du 16 avril 2021, la clôture d'instruction a été fixée en dernier lieu au 3 mai 2021.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789 ;
- le code de commerce ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. C Grimaud, rapporteur,
- et les conclusions de M. A Thielé, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. Par une décision du 29 novembre 2016, le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi de Provence-Alpes-Côte d'Azur a infligé à la société Colis Privé une amende de 220 000 euros pour non-respect des délais de paiement inter-entreprises sur le fondement de l'article L. 441-6 du code du commerce au titre de l'année 2015, assortie d'une publication sur le site internet de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes. Saisi d'un recours hiérarchique contre cette décision, le Ministre de l’Economie et des Finances a par une décision du 4 avril 2017, confirmé le montant de l'amende infligée et fixé la durée de la publication de la sanction à six mois. La société Colis Privé ayant demandé au tribunal administratif de Marseille d'annuler les décisions du 29 novembre 2016 et du 4 avril 2017 et d'enjoindre à l'Etat de mettre fin à la publication de la sanction, le tribunal a rejeté cette demande.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. En vertu des dispositions de l'article L. 9 du code de justice administrative : « Les jugements sont motivés ».
3. Si la société Colis Privé soutient que le jugement n'a pas répondu à son argumentation relative à l'insuffisance de motivation de la décision du 29 novembre 2016, il est constant que les premiers juges ont expressément répondu à ce moyen par une motivation tenant compte de l'argumentation de la requérante. Celle-ci n'est donc pas fondée à soutenir que le jugement attaqué serait entaché d'une insuffisance de motivation.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
En ce qui concerne la légalité externe :
4. En premier lieu, la décision du 29 novembre 2016 mentionne l'article L. 441-6 du code de commerce, qui constitue sa base légale, ainsi que les manquements reprochés à la société Colis Privé, et rappelle la communication à la société du procès-verbal dressé le 21 septembre 2016, qui précisait le détail des griefs imputés à la requérante. Il s'ensuit que, la décision de sanction énonçant les considérations de droit et de fait qui la fondent dans son principe et son montant, elle est suffisamment motivée, la circonstance qu'elle ne décrive pas la méthode de calcul retenue par l'administration pour déterminer l'ampleur des manquements imputés à la société étant sans incidence sur le bien-fondé de ce moyen.
5. En deuxième lieu, il résulte des termes des points 67 à 69 de la décision n° 2014-690 DC du 13 mars 2014 du Conseil constitutionnel que l'attribution à la DIRECCTE, autorité administrative chargée de la concurrence et de la consommation, de la compétence pour constater les infractions et manquements aux obligations posées par les diverses dispositions du code de commerce, enjoindre au professionnel de se conformer à celles-ci, de cesser tout agissement illicite ou de supprimer toute clause illicite et, d'autre part, pour prononcer les amendes administratives sanctionnant les manquements relevés ne méconnaissent pas le principe de la séparation des pouvoirs, non plus qu'aucun autre principe ou règle de valeur constitutionnelle. Par ailleurs, si les poursuites engagées par le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi en vue d'infliger des sanctions financières sur le fondement de l'article L. 442-6 du code de commerce dans leur rédaction alors en vigueur constituent des accusations en matière pénale, au sens de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, il n'en résulte pas que la procédure administrative doive respecter les stipulations de cet article, dès lors, d'une part, que ni la DIRECCTE ni son directeur, compétents pour prendre les mesures de sanction, ne peuvent être regardés comme un tribunal, au sens des stipulations de cet article, et, d'autre part, que la décision de sanction peut faire l'objet d'un recours de plein contentieux devant la juridiction administrative, conformément aux exigences de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Il en résulte que la société Colis Privé n'est pas fondée à soutenir que le cumul des pouvoirs de constatation et de répression des infractions par la DIRECCTE méconnaîtrait le principe d'impartialité ou tout autre principe, stipulation ou disposition imposant la séparation des autorités administratives responsables du déclenchement des poursuites et de leur sanction, et notamment des stipulations de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
En ce qui concerne la légalité interne :
6. Aux termes des dispositions de l'article L. 441-6 du code de commerce dans leur rédaction applicable à la date de la décision attaquée : « I. - Tout producteur, prestataire de services, grossiste ou importateur est tenu de communiquer ses conditions générales de vente à tout acheteur de produits ou tout demandeur de prestations de services qui en fait la demande pour une activité professionnelle. (...) / Le délai convenu entre les parties pour régler les sommes dues ne peut dépasser soixante jours à compter de la date d'émission de la facture. Par dérogation, un délai maximal de quarante-cinq jours fin de mois à compter de la date d'émission de la facture peut être convenu entre les parties, sous réserve que ce délai soit expressément stipulé par contrat et qu'il ne constitue pas un abus manifeste à l'égard du créancier. En cas de facture périodique, au sens du 3 du I de l'article 289 du code général des impôts, le délai convenu entre les parties ne peut dépasser quarante-cinq jours à compter de la date d'émission de la facture. (...) / Nonobstant les dispositions précédentes, pour le transport routier de marchandises, pour la location de véhicules avec ou sans conducteur, pour la commission de transport ainsi que pour les activités de transitaire, d'agent maritime et de fret aérien, de courtier de fret et de commissionnaire en douane, les délais de paiement convenus ne peuvent en aucun cas dépasser trente jours à compter de la date d'émission de la facture. / (...) VI. - Sont passibles d'une amende administrative dont le montant ne peut excéder 75 000 euros pour une personne physique et 375 000 euros pour une personne morale le fait de ne pas respecter les délais de paiement mentionnés aux huitième, neuvième, onzième et dernier alinéas du I du présent article, le fait de ne pas indiquer dans les conditions de règlement les mentions figurant à la première phrase du douzième alinéa du même I, le fait de fixer un taux ou des conditions d'exigibilité des pénalités de retard selon des modalités non conformes à ce même alinéa ainsi que le fait de ne pas respecter les modalités de computation des délais de paiement convenues entre les parties conformément au neuvième alinéa dudit I. L'amende est prononcée dans les conditions prévues à l'article L. 465-2. Le montant de l'amende encourue est doublé en cas de réitération du manquement dans un délai de deux ans à compter de la date à laquelle la première décision de sanction est devenue définitive ».
7. En premier lieu, il résulte de l'instruction que l'agent missionné par la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi pour contrôler la facturation de la société Colis Privé a sélectionné vingt comptes clients de la société représentant quatre-cent trente factures et a calculé un retard moyen pondéré correspondant à la moyenne des retards constatés sur chacune des factures réglée en dehors des délais légaux, pondérés par le montant de cette facture. Contrairement à ce que soutient la société requérante, le recours à cette méthode, qui permet d'évaluer la perturbation engendrée dans le tissu économique par les retards de paiement interentreprises en fonction du montant des factures réglées tardivement, n'est, au vu de l'objectif poursuivi par les dispositions précitées, entachée d'aucune erreur de droit. La société n'est pas davantage fondée à soutenir que cette méthode, qui repose sur une évaluation des retards de paiement imputés à un créancier envers ses fournisseurs conformément à la définition de l'infraction qui résulte des dispositions précitées, méconnaîtrait le principe de la légalité des délits et des peines posé par les dispositions de l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen.
8. En deuxième lieu, il ne résulte pas de l'instruction que la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi et le ministre des finances n'auraient pas tenu compte de la situation particulière de la société avant de prononcer la sanction en cause. Le moyen d'erreur de droit soulevé sur ce point doit par conséquent être écarté.
9. En troisième lieu, il résulte de l'instruction que la société Colis Privé, caractérisée par un nombre important de fournisseurs, a connu une importante croissance de son activité au cours des années précédant le contrôle opéré par la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi et se trouvait, au moment de ce contrôle, dans une situation financière difficile à la suite de l'échec du projet d'acquisition de son capital social par la société Amazon et à la désorganisation de son service comptable, qui devait traiter de nombreuses factures dans un contexte marqué par la réduction des délais légaux de paiement. Eu égard à ces circonstances et aux manquements constatés, qui consistent en un retard moyen de paiement constaté de trente-cinq jours pour un montant global de factures payées avec retard de 1 200 000 euros, la société Colis Privé est fondée à soutenir que la sanction de 220 000 euros qui lui a été infligée est excessive. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de ramener l'amende décidée par la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi à la somme de 150 000 euros.
10. Il résulte de tout ce qui précède que la société Colis Privé est seulement fondée à demander, d'une part, l'annulation du jugement attaqué en ce qu'il a refusé de réduire le montant de l'amende prononcée par les décisions des 29 novembre 2016 et 4 avril 2017 et, d'autre part, l'annulation de ces décisions dans cette mesure.
Sur les conclusions à fin de publication du présent arrêt :
11. Il n'appartient pas au juge administratif d'ordonner la publication d'une de ses décisions. Les conclusions de la société Colis Privé tendant à ce qu'il soit enjoint au Ministre de l’Economie et des Finances d'assurer la publication du présent arrêt sur le site internet de la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi pour une durée de six mois sont dès lors irrecevables et ne peuvent qu'être rejetées.
Sur les frais liés au litige :
12. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées par la société Colis Privé sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DÉCIDE :
Article 1er : Le montant de l'amende prononcée à l'encontre de la société Colis Privé par la décision du 29 novembre 2016 du directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi de Provence-Alpes-Côte d'Azur confirmée par la décision du 4 avril 2017 du Ministre de l’Economie et des Finances est ramené à un montant de 150 000 euros.
Article 2 : Le jugement n° 1703263 du tribunal administratif de Marseille du 18 novembre 2019 et les décisions des 29 novembre 2016 et 4 avril 2017 sont annulés en ce qu'ils ont de contraire au présent arrêt.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la société Colis Privé est rejeté.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la société Colis Privé et au Ministre de l’Economie, des Finances et de la Relance.