CA Paris, Pôle 5 ch. 11, 18 juin 2021, n° 18/21353
PARIS
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Demandeur :
Action + (SAS)
Défendeur :
SER Informatique (Sasu), Multi Pôles (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Ardisson
Conseillers :
Mme Sentucq, Mme Paulmier Cayol
Avocats :
Me Baechlin, Me Voituriez, Me Lefèbvre
La société SER Informatique (« SER ») spécialisée dans le secteur d'activité du conseil en systèmes et logiciels informatiques, a noué des relations d'affaires avec la société Action+ depuis le début des années 2000, non formalisées par écrit.
En particulier, la société SER a développé, sur proposition de la société Action+ qui détenait un agrément à cette fin, un logiciel informatique destiné aux entreprises spécialisées en éditique et marketing direct, leur permettant d'automatiser les règles de productions, de facturations et d'échanges électroniques avec La Poste.
La société Action+, pour sa part, s'est chargée de vendre le logiciel informatique développé par la société SER, laquelle en assurait la maintenance en sous-traitance de la première auprès des clients en ayant fait l'acquisition.
A la fin de l'année 2015, les relations entre les parties se sont dégradées, la société Action+ étant débitrice de la somme de 41 523,13 euros auprès de la société SER.
Des pourparlers se sont alors tenus pour remédier à cette situation et, le 11 mars 2016, la société SER a proposé de modifier les relations contractuelles en mettant en place un contrat de prestations de services qui prévoyait, outre un partage différent des marges, la facturation directement par la société SER des clients.
Le 25 mai 2016, le conseil de la société Action+ a refusé ce projet et les négociations n'ont pas abouti.
Le 2 juin 2016, le conseil de la société SER a mis en demeure la société Action+ de régler sous huit jours la somme de 33 695 euros due et annonçait que la société SER n'honorerait plus de commande avant d'avoir reçu cette somme.
Par lettre RAR du 24 juin 2016, la société SER a réitéré sa mise en demeure et exprimé sa volonté de cesser sa relation commerciale avec la société Action+.
Suite à une assignation en référé délivrée par la société SER à l'encontre de la société Action+, le président du tribunal de commerce de Lille Métropole a, par ordonnance du 13 septembre 2016, condamné la société Action+ à payer à la société SER la somme de 22 516,88 euros assortie des intérêts au taux légal à compter du 2 juin 2016, date de la mise en demeure, jusqu'au parfait paiement, en prévoyant un paiement de 1 500 euros par mois jusqu'au 30 novembre 2016 et le solde pour le 31 décembre 2016, outre un versement complémentaire d'une commission de 25 % en sus de celle de 50 % accordée sur les règlements de vente de logiciels et contrats de maintenance entre les parties, le non-paiement d'une échéance rendant le solde immédiatement exigible, ainsi qu'une indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Après le prononcé de cette décision, la société SER a accepté de poursuivre ses prestations de maintenance sur les contrats en cours.
Le 3 janvier 2017, la société SER a mis en demeure la société Action+ de lui régler la somme de 17 826 euros.
Par exploit du 21 février 2017, la société Action+ a assigné la société SER et à la société Multi Pôles, dont la société SER est la filiale à 100 %, devant le tribunal de commerce de Lille Métropole aux fins d'indemnisation de la rupture brutale de la relation commerciale établie et de la captation de clientèle à hauteur de 326 041 euros et d'autorisation de séquestrer la somme de 17 826 euros qui pourra ensuite faire l'objet d'une compensation avec les dommages intérêts dus in solidum par les sociétés SER et Multi Pôles à la société Action+.
Par jugement contradictoire du 17 mai 2018, le tribunal de commerce de Lille Métropole a pour l'essentiel déclaré irrecevable l'action dirigée contre la société Multi Pôles, débouté la société Action+ de toutes ses demandes indemnitaires et d'expertise au titre de la rupture brutale de la relation commerciale établie par la société SER Informatique, débouté la société Action+ de sa demande de séquestre, condamné la société Action+ à payer à la société SER Informatique la somme de 17 826 euros, condamné la société Action+ à payer à la société SER Informatique la somme de 5 000 euros et à la société Multi Pôles la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, et débouté les parties de leurs demandes autres, plus amples ou contraires.
Le 26 septembre 2018, la société Action+ a relevé appel de ce jugement, intimant les sociétés SER et Multi Pôles.
Par ses écritures remises le 14 janvier 2021 dont le dispositif est expurgé des demandes de constat et de « dire et juger » qui relèvent des moyens et ne sont pas des prétentions au sens de l'article 4 du code de procédure civile, la société Action+ au visa des articles 31, 32 et 122 du code de procédure civile, 1231 et suivants du code civil, 1961 du code civil, L. 442-6, I, 5° du code de commerce et R. 311-3 du code de l'organisation judiciaire, demande à la cour de :
- infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions,
- déclarer recevable et bien fondé l'appel de la société Action+,
- désigner s'il échet, avant dire droit, un expert judiciaire qui aura pour mission d'évaluer le préjudice causé à la société Action+ du fait de la rupture brutale des relations et des manœuvres dolosives causées lors de cette rupture,
- déclarer la société SER Informatique et la société Multi Pôles responsables in solidum du préjudice causé à la société Action+ du fait de la rupture brutale, injustifiée et sans motif des relations contractuelles entre les parties,
- condamner in solidum la société SER Informatique et la société Multi Pôles à réparer le préjudice causé à la société Action+ en conséquence de la rupture brutale et de la captation de clientèle qui s'en est suivie au profit de la société SER Informatique et de la société Multi Pôles par l'attribution de dommages et intérêts à hauteur de 326 041 euros,
- ordonner un séquestre judiciaire à hauteur de 17 826 euros qui pourra ensuite faire l'objet d'une compensation avec les dommages et intérêts dus in solidum par la société SER Informatique et la société Multi Pôles,
- condamner la société SER Informatique et la société Multi Pôles au paiement in solidum à la société Action+ de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner la société SER Informatique et la société Multi Pôles au paiement in solidum des entiers dépens de première instance et d'appel.
Par des conclusions de procédure remises le 25 mars 2021, la société Action+ a demandé que soient jugées irrecevables comme remises tardivement les conclusions n° 3 des sociétés SER et Multi Pôles du 3 mars 2021, soit la veille de la date prévue pour l'ordonnance de clôture.
Par leurs écritures remises le 2 novembre 2020, les sociétés SER et Multi Pôles, au visa des articles L. 442-6- I et D. 442-3 du code de Commerce, demandent à la cour de :
- débouter la société Action+ de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,
- confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions,
Et y ajoutant
- condamner la société Action+ à payer à la société Multi Pôles la somme de 6 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner la société Action+ à payer à la société SER Informatique la somme de 6 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner la société Action+ en tous les dépens.
Par leurs écritures remises le 3 mars 2021, les sociétés SER et Multi Pôles réitèrent leurs prétentions tout en les développant.
SUR CE :
Sur la recevabilité des conclusions n° 3 des intimées
L'article 16 du code de procédure civile dispose que le juge doit, en toutes circonstances, faire observer le principe de la contradiction et ne peut retenir, dans sa décision, les moyens, les explications et les documents invoqués ou produits par les parties que si celles-ci ont été à même d'en débattre contradictoirement.
En l'espèce, les sociétés SER et Multi Pôles, intimées, ont déposé des conclusions n° 3 le 3 mars 2021, soit la veille de la clôture prononcée le 4 mars 2021, alors que les dernières conclusions de l'appelante avaient été déposées le 14 janvier 2021, soit plus d'un mois et demi plus tôt.
Ces conclusions n° 3 produites aux débats par les intimées ne l'ont pas été en temps utile pour permettre à l'appelante d'y répondre avant l'ordonnance de clôture. Les intimées ne justifient par ailleurs d'aucun motif justifiant cette remise tardive.
Dès lors, la cour écartera ces conclusions n° 3 sur le fondement de l'article 16 du code de procédure civile et s'en rapportera aux conclusions n° 2 déposées le 2 novembre 2020.
Sur la recevabilité de l'action dirigée contre la société Multi Pôles
La société Action+ reproche aux premiers juges d'avoir déclaré irrecevable son action dirigée contre la société Multi Pôles, nouvel actionnaire majoritaire de la société SER depuis 2015, alors que Monsieur X, Président Directeur Général de la société Multi Pôles, a été le principal interlocuteur de la société Action+ depuis 2015 et que sa signature se retrouve sur de nombreux échanges entre les parties, ce qui démontre selon elle les liens contractuels entre la société Action+ et la société Multi Pôles.
A l'appui de ses allégations, la société Action+ produit un courriel du 26 février 2016 adressé par Monsieur X à Monsieur Y, président de la société Action+ et à Monsieur Z, directeur de la société SER, dans lequel Monsieur X transmet le compte rendu de la réunion qui s'est tenue entre les parties le 24 février 2016.
Elle produit également un courriel du 11 mars 2016, également adressé par Monsieur X à Monsieur Y et à Monsieur Z, dans lequel Monsieur X déclare avoir pris connaissance des observations formulées par Monsieur Y sur le compte rendu et ne pouvoir les accepter en totalité, et indique joindre à son mail un projet de contrat de prestation.
Cependant, si ces documents ont pour intérêt de démontrer que Monsieur X, également président de la société SER, est intervenu dans le cadre des négociations entre les sociétés Action+ et SER, ils ne suffisent pas à rapporter la preuve de l'existence d'un lien contractuel entre la société Multi Pôles et la société Action+.
C'est donc à bon droit que le Tribunal a déclaré irrecevable l'action de la société Action+ dirigée contre la société Multi Pôles pour défaut d'intérêt à agir au visa des articles 32 et 122 du code de procédure civile.
Sur le fond
La société Action+ soutient :
- qu'elle avait choisi la société SER comme sous-traitant informatique et lui avait demandé de développer des logiciels postaux à destination des clients de La Poste ;
- que c'est grâce à la société Action+ et à sa parfaite maîtrise du secteur que la société SER a développé les codes sources nécessaires aux logiciels de traitement du courrier imposés par la société La Poste, alors que la société SER n'avait pas de spécialité auparavant dans ce secteur d'activité ;
- qu'à la suite de son changement d'actionnaire majoritaire, la société SER a tenté d'imposer à la société Action+ une modification substantielle de la convention exécutée depuis quinze ans en lui soumettant le 11 mars 2016 un projet de contrat de prestation de services qui avait pour effet d'inverser totalement la relation existante afin que la société SER puisse prendre la place de la société Action+ auprès de la société La Poste qui est en lien avec les clients finaux ;
- que la société Action+ ayant refusé cette modification, la société SER s'est alors appropriée, par des manœuvres dolosives et à son seul profit, le logiciel créé, expérimenté et confié par la société Action+ aux clients, et ce alors que ce logiciel est la propriété intellectuelle de la société Action+, avant de rompre brutalement sa relation commerciale avec la société Action+ ;
- que cette rupture avait pour objectif de priver définitivement la société Action+ de la technologie lui appartenant et de lui rendre impossible le remplacement de cette technologie, la société SER ayant conservé les codes sources du logiciel ;
- qu'en effet la société Action+ n'a pu faire face, en temps et en investissement, à la création de nouveaux logiciels, à leur expérimentation et implantation, lesquels impliquent notamment des démarches auprès de La Poste et le démarchage des clients ;
- qu'ainsi elle est bien fondée à exercer une action sur le fondement de la rupture brutale de la relation commerciale établie ;
- que certes la société Action+ était redevable de la somme de 41 523,13 euros envers la société SER en janvier 2016, mais un accord était intervenu entre les parties en février 2016 pour que la société Action+ règle chaque mois une somme de 1 500 euros à la société SER et lui verse par ailleurs une commission supplémentaire, ce qu'elle a parfaitement respecté ;
- que son préjudice né du caractère brutal de la rupture consiste en la perte de clientèle et la cessation d'activité, la société Action+ étant dans l'impossibilité de servir ses clients depuis que la société SER a capté à son seul profit son savoir-faire de sous-traitant ;
En réponse, les intimées soutiennent :
- que c'est la société SER qui a développé le logiciel informatique et qui réalisait l'ensemble des prestations de maintenance informatique que la société Action+ facturait directement à ses clients, sans toutefois régler la société SER de ses prestations ;
- qu'ainsi le 1er janvier 2016, la société Action+ était redevable envers la société SER d'une somme de 41 523,13 euros correspondant à des factures impayées, ce qui explique que la société SER, dans un premier temps, a proposé de facturer directement les clients pour ne plus avoir à subir de retards de paiements, puis, face au refus de la société Action+, à mettre un terme à ses relations d'affaires par courriers recommandés des 24 juin et 22 juillet 2016 ;
- que le non-paiement persistant et injustifié des prestations fournies par la société SER est de nature à justifier la rupture sans préavis de la relation commerciale établie entre les deux sociétés, ces impayés portant sur près de 6 mois de chiffre d'affaires de la société SER Informatique ;
- que cependant, pour ne pas nuire à la société Action+, la société SER a poursuivi la réalisation de ses prestations jusqu'au terme des contrats de maintenance conclus par la société Action+, soit jusqu'au 31 août 2017, respectant ainsi un délai de préavis de plus de 15 mois pour lui permettre de trouver une solution de remplacement, en prenant le risque de retards de paiement complémentaires sur ses prestations ;
- que contrairement à ce que prétend la société Action+, la société SER est propriétaire du logiciel ;
- que la société SER n'a jamais détourné aucun client de la société Action+ ;
- que la société Action+ est parfaitement libre de vendre le logiciel et de poursuivre ses contrats de maintenance auprès de ses clients même si la relation commerciale avec la société SER ne s'est pas poursuivie ;
- que la société Action+ ne démontre pas la brutalité de la rupture dont elle est responsable et ne rapporte pas la preuve d'une quelconque faute commise par la société SER ;
- que, s'agissant du préjudice, la société Action+ ne peut prétendre avoir perdu 60 % de ses clients alors qu'elle a renouvelé ses contrats de maintenance informatique avec la totalité de ses clients, pour lesquels la société SER a poursuivi ses prestations sans en être payées.
La société Action+, qui bénéficiait d'un agrément de La Poste, a sollicité la société SER pour concevoir des logiciels. Le rôle de la société SER était de concevoir les logiciels, les mettre en place chez les clients démarchés par la société Action+ et assurer leur maintenance auprès de ceux-ci. La société Action+ facturait elle-même les clients pour la totalité de la prestation, y compris la maintenance et rémunérait la société SER à hauteur de 50 % du chiffre d'affaires réalisé.
Les relations d'affaires entre les sociétés Action+ et SER n'ont jamais été formalisées par un écrit. Elles produisent cependant un contrat liant la société Action+ à l'une de ses clientes, la société Pitney Bowes, qui donne des indications sur les rôles respectifs des différents protagonistes, ce contrat ayant été signé en présence de la société SER.
Ce contrat de revente de logiciels postaux signé le 28 décembre 2012 prévoit notamment :
« Attendu que Pitney Bowes possède le droit de commercialiser les logiciels postaux sous licence ;
Attendu que Action+ a le droit d'exploitation exclusif des logiciels postaux sous licence développés par SER Informatique, propriétaire de l'ensemble des droits de propriété intellectuelle du source code des logiciels cités ci-dessus ;
Attendu que Action+ est reconnue par la commission technique de la Poste depuis le 20/12/2000 ;
Attendu que Action+ a tout pouvoir pour promouvoir, développer les ventes du logiciel ;
Attendu que Pitney Bowes souhaite obtenir d'Action+ un droit de revente des logiciels A et B sous licence dans le Territoire ; ».
Sur la rupture des relations commerciales
L'article L. 442-6, I, 5° ancien du code de commerce dispose qu' « Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers (...) de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels. (...) Les dispositions qui précèdent ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis, en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure (...) ».
Il est de jurisprudence constante qu'il y a relation commerciale établie dans le cas où la relation commerciale entre les parties revêtait, avant la rupture, un caractère suivi, stable et habituel et où la partie qui n'a pas pris l'initiative de la rupture pouvait raisonnablement anticiper pour l'avenir une certaine continuité du flux d'affaires avec son partenaire commercial. Sont en particulier pris en considération la durée, le caractère significatif, la stabilité et la régularité de la relation commerciale.
En l'espèce, le caractère établi de la relation commerciale, non contesté par les parties, ne pose pas de difficultés nonobstant l'absence de contrat écrit depuis l'origine dans la mesure où la relation a bien un caractère prolongé par sa durée qui excède 10 ans, un caractère significatif par le chiffre d'affaires de 60 000 euros environ qu'elle générait pour la société SER et du double pour la société Action+, et un caractère stable et régulier comme s'en accordent les parties. Il s'agit donc d'une relation commerciale établie au sens de l'article L. 442-6, I, 5° ancien du code de commerce, applicable en l'espèce.
En l'espèce, la société SER indique qu'au 1er janvier 2016, la société Action+ lui était redevable d'une somme de 41 523,13 euros correspondant à des factures impayées. Elle se prévaut de cet arriéré dû par la société Action + sur ses factures pour prétendre qu'il pouvait être mis fin à la relation commerciale établie sans avoir à respecter un préavis.
Lors d'une réunion qui s'est tenue le 24 février 2016, les parties ont convenu que la société Action+ rembourserait sa dette avant le 30 novembre 2016 par virement de 1 500 euros par mois ainsi que par un versement complémentaire de 25 % en sus de la commission de 50 % accordée sur les règlements de vente de logiciels et contrats de maintenance, et ce jusqu'à épuisement de la dette.
Lors de cette réunion dont les termes ont été repris dans un compte rendu et rappelés à la société Action+ par courriel du 11 mars 2016, la société SER a proposé plusieurs modifications dans la relation contractuelle, en particulier une facturation directe des clients par la société SER et une baisse de la rétrocession de la société Action+ sur les ventes de logiciels et de contrats de maintenance. Il n'apparaît pas que l'échéancier consenti par la société SER fût subordonné à l'acceptation de cette dernière proposition qui modifiait l'économie générale de convention en écornant la relation de sous-traitance.
Ces propositions de modifications ont été refusées le 25 mai 2016 par la société Action+ et, en réponse, la société SER a mis en demeure la société Action+, par courrier du 2 juin 2016, de lui régler sous huit jours la somme de 33 695 euros lui restant due tout en l'informant qu'elle n'honorerait plus de commande jusqu'à réception de cette somme.
L'échéancier convenu entre les parties le 24 février 2016 plus favorable au débiteur que l'ordonnance de référé rendue le 13 septembre 2016, en application du principe de la force obligatoire des conventions, a force de loi dans leurs relations, étant par ailleurs avéré qu'il avait été respecté par la société Action+.
Cet échéancier prévoyait que la totalité des sommes devait être remboursée au 30 novembre 2016. Cependant, bien avant l'échéance prévue, la société SER a subitement, au mépris de l'accord passé entre les parties, réclamé à la société Action+, par courrier du 2 juin 2016, la totalité des sommes dues et annoncé qu'elle n'honorerait plus aucune commande jusqu'à réception des sommes, avant finalement de mettre un terme à la relation commerciale par courriers recommandés des 24 juin et 22 juillet 2016.
Ces courriers successifs montrent que c'est avant tout le refus de la société Action+ d'accepter les modifications relatives à la facturation des clients qui a déterminé la société SER à mettre fin à la relation commerciale établie, et non les sommes dues par la société Action+ puisque le remboursement de celles-ci avait fait l'objet d'un accord qui était parfaitement respecté par la société Action+ à la date de la rupture.
Or, le refus d'une partie d'accepter une modification de son contrat ne saurait s'analyser en une faute de sa part susceptible de la priver d'un préavis dans le cadre de la rupture d'une relation commerciale établie.
Il en résulte qu'en annonçant qu'elle n'honorerait désormais plus aucune commande, la société SER a rompu brutalement la relation commerciale établie avec la société Action+ en date du 2 juin 2016, et a engagé sa responsabilité à ce titre alors qu'au vu des quinze années de la relation commerciale, la société Action+ aurait pu prétendre à un préavis d'une durée de 12 mois que ne compense pas la poursuite des seuls contrats de maintenance jusqu'à leur terme.
La société Action+ est donc bien fondée à obtenir une indemnisation calculée sur la base de sa marge brute escomptée sur la vente et l'installation de logiciels et la vente de nouveaux contrats de maintenance, à l'exception de la marge brute réalisée sur la maintenance des contrats en cours dont la société SER a poursuivi l'exécution jusqu'à leur échéance.
A l'appui de sa demande d'indemnisation, la société Action+ produit une attestation de son expert-comptable indiquant que l'activité de vente et d'installation de solutions postales réalisée avec la société SER sur la période du 1er janvier 2011 au 31 décembre 2015 lui a généré une marge brute de 250 501 euros sur les logiciels, de 6 337 euros sur les imprimantes F et de 69 203 euros sur les activités accessoires (dont formations), soit une marge brute totale de 326 041 euros sur cinq ans.
S'il n'est pas contesté que la société Action+ a réalisé une marge brute grâce à la vente et à l'installation de logiciels développés par la société SER, il en va différemment des ventes d'imprimantes F et des activités accessoires incluant les étiquettes, faute pour la société Action+ d'en rapporter la preuve qui lui incombe.
Il en résulte que seules seront prises en compte pour le calcul du préjudice les marges brutes réalisées sur les activités relatives aux logiciels pour un montant de 250 501 euros et sur les activités relatives aux formations pour un montant de 39 030 euros conformément à l'attestation d'expertise comptable, soit une marge brute totale de 289 531 euros sur cinq ans et donc une marge brute moyenne de 57 906,20 euros sur douze mois.
La société SER sera ainsi condamnée à indemniser la société Action+ à hauteur de 57 906,20 euros en réparation du préjudice causé par la brutalité de la rupture de la relation commerciale établie nouée entre ces deux sociétés.
Sur le détournement de clientèle
La société Action+ soutient que la société SER aurait détourné sa clientèle.
A l'appui de ses allégations, la société Action+ produit une facture que la société SER aurait adressée le 13 juin 2016 à la société Routage 86, cliente de la société Action+, en méconnaissance du droit exclusif d'exploitation qu'elle détient sur les logiciels.
Cependant, la société Action+ ne produit aucun contrat ou document explicitant les rôles respectifs des sociétés Action+, Routage 86 et SER dans le cadre de leur relation commerciale et se contente de citer le contrat signé le 28 décembre 2012 entre les sociétés Action+ et Pitney Bowes en présence de la société SER. Il en résulte que la facture produite ne suffit pas à rapporter la preuve que la société SER aurait méconnu un droit exclusif d'exploitation appartenant à la société Action+, ni encore moins qu'elle aurait détourné sa clientèle.
La société Action+ produit par ailleurs un courrier du 16 septembre 2016 adressé par la société SER aux clients de la société Action+ afin de les informer qu'elle cessait ses relations d'affaires avec cette dernière et qu'elle n'effectuerait, en conséquence, plus aucune prestation par l'intermédiaire de celle-ci à compter de l'échéance du contrat de maintenance de chaque client.
Cependant, la société SER ayant informé la société Action+ par courrier du 24 juin 2016 qu'elle n'entendait pas poursuivre leurs relations commerciales puis par courrier du 22 juillet 2016 qu'elle n'assurerait plus aucune prestation pour les contrats de maintenance à compter de leur échéance, il n'apparaît pas abusif qu'elle ait, à partir du mois de septembre 2016, informé les clients auprès desquelles elle intervenait en tant que sous-traitante de la société Action+ de la cessation de la relation d'affaires entre les deux sociétés.
La société Action+ indique qu'à la suite de ce courrier, ses clients se seraient empressés de résilier leur propre contrat et produit à l'appui trois courriers de résiliation. L'un de ces courriers émane de la société TLG, dont le président n'est autre que Monsieur X, et est daté du 17 mars 2016 ; il ne s'agit donc pas d'un courrier de résiliation consécutif à l'annonce par la société SER de la cessation de ses relations commerciales avec la société Action+, mais d'un courrier antérieur à cette annonce. Les deux autres courriers de résiliation émanent des sociétés Indus Editique et Action VPC Routage et sont datées respectivement du 15 février 2017 et du 4 avril 2017, soit entre cinq et six mois après l'annonce par la société SER de la cessation de ses relations commerciales avec la société Action+. Ces deux courriers qui concernent uniquement deux clients ne sont pas de nature à établir l'existence d'un détournement de clientèle par la société SER au détriment de la société Action+ qui se voit en conséquence déboutée de sa demande de dommages intérêts. Le jugement est confirmé de ce chef.
Sur la demande de séquestre
La société Action+ reconnaît être redevable à l'égard de la société SER de trois factures respectivement de 1 908 euros TTC, 9 858 euros TTC et 4 152 euros TTC émises le 26 octobre 2016 totalisant un montant de 15 918 euros TTC, somme à laquelle il convient d'ajouter la somme de 1 908 euros correspondant à la facture de SER du 21 septembre 2017, soit au total 17 826 euros.
Elle demande la mise sous séquestre judiciaire de cette somme de 17 826 euros jusqu'à ce que le juge du fond se soit prononcé par décision devenue définitive sur sa demande de dommages et intérêts à l'encontre de la société SER.
La société SER étant condamnée à indemniser la société Action+ à hauteur de 57 906,20 euros en réparation du préjudice causé par la brutalité de la rupture de la relation commerciale établie nouée entre ces deux sociétés, la compensation entre les créances et dettes réciproques des parties jouant de plein, la demande de mise sous séquestre formée par la société Action+ est rejetée tandis qu'après compensation le montant de la condamnation prononcée à l'encontre de la société SER est ramené à 40 080,20 €.
Les parties succombant partiellement en leurs prétentions, chacune conservera la charge de ses propres dépens ; les considérations tenant à l'équité commandent de faire application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'il suit.
PAR CES MOTIFS :
Infirme le jugement rendu le 17 mai 2018 par le tribunal de commerce de Lille Métropole en ce qu'il a débouté la société Action+ de ses demandes indemnitaires au titre de la rupture brutale de la relation commerciale établie par la société SER Informatique et l'a condamnée à payer à la société SER informatique la somme de 5 000 euros et à la société Multi Pôles la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Le confirme pour le surplus ;
Statuant à nouveau,
Après compensation avec le montant des sommes dues par la société Action + à la société SER à hauteur de 17 826 €, condamne la société SER Informatique à payer à la société Action+ la somme de 40 080,20 € euros en réparation du préjudice causé par la brutalité de la rupture de la relation commerciale établie nouée entre ces deux sociétés ;
Condamne la société SER Informatique à payer à la société Action+ la somme de 5 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Laisse à chaque partie la charge de ses propres dépens.