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Décisions

CJUE, gr. ch., 22 juin 2021, n° C-682/18

COUR DE JUSTICE DE L’UNION EUROPEENNE

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Frank Peterson, Elsevier Inc.

Défendeur :

Google LLC, YouTube Inc., YouTube LLC, Google Germany GmbH, Cyando AG

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Lenaerts

Présidents de chambre :

M. Bonichot, M. Vilaras, M. Regan, M. Ilešič (rapporteur)

Vice-président :

Mme Silva de Lapuerta

Juges :

M. Juhász, M. Safjan, M. Šváby, M. Rodin, M. Biltgen, Mme Jürimäe, M. Lycourgos

Avocat général :

M. Saugmandsgaard Øe

Avocats :

Me Wassermann, Me Schippmann, Me Bäcker, Me Feindor-Schmidt, Me Lausen, Me Wimmers, Me Barudi, Me Waldhauser, Me Junker

CJUE n° C-682/18

22 juin 2021

LA COUR (grande chambre),

1 Les demandes de décision préjudicielle portent sur l’interprétation de l’article 3, paragraphe 1, et de l’article 8, paragraphe 3, de la directive 2001/29/CE du Parlement européen et du Conseil, du 22 mai 2001, sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information (JO 2001, L 167, p. 10, ci-après la « directive sur le droit d’auteur »), de l’article 14, paragraphe 1, de la directive 2000/31/CE du Parlement européen et du Conseil, du 8 juin 2000, relative à certains aspects juridiques des services de la société de l’information, et notamment du commerce électronique, dans le marché intérieur (« directive sur le commerce électronique ») (JO 2000, L 178, p. 1), ainsi que de l’article 11, première phrase, et de l’article 13 de la directive 2004/48/CE du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004, relative au respect des droits de propriété intellectuelle (JO 2004, L 157, p. 45 et rectificatif JO 2004, L 195, p. 16, ci-après la « directive relative au respect des droits »).

2 Ces demandes ont été présentées dans le cadre de litiges opposant M. Frank Peterson à Google LLC et à YouTube LLC (affaire C‑682/18) ainsi que Elsevier Inc. à Cyando AG (affaire C‑683/18) au sujet de plusieurs violations des droits de propriété intellectuelle détenus par M. Peterson et Elsevier commises par des utilisateurs, respectivement, de la plateforme de partage de vidéos exploitée par YouTube et de la plateforme d’hébergement et de partage de fichiers exploitée par Cyando.

Le cadre juridique

Le droit international

3 L’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI) a adopté à Genève, le 20 décembre 1996, le traité de l’OMPI sur le droit d’auteur (ci-après le « TDA ») qui a été approuvé au nom de la Communauté européenne par la décision 2000/278/CE du Conseil, du 16 mars 2000 (JO 2000, L 89, p. 6), et est entré en vigueur, en ce qui concerne l’Union européenne, le 14 mars 2010 (JO 2010, L 32, p. 1).

4 L’article 8 du TDA, intitulé « Droit de communication au public », dispose :

« Sans préjudice des dispositions des articles 11.1)2°), 11bis.1)1°) et 2°), 11ter.1)2°), 14.1)2°) et 14bis.1) de la Convention de Berne [pour la protection des œuvres littéraires et artistiques, signée à Berne le 9 septembre 1886 (acte de Paris du 24 juillet 1971), dans sa version résultant de la modification du 28 septembre 1979], les auteurs d’œuvres littéraires et artistiques jouissent du droit exclusif d’autoriser toute communication au public de leurs œuvres par fil ou sans fil, y compris la mise à la disposition du public de leurs œuvres de manière que chacun puisse y avoir accès de l’endroit et au moment qu’il choisit de manière individualisée. »

5 Des déclarations communes concernant le TDA ont été adoptées par la conférence diplomatique le 20 décembre 1996.

6 La déclaration commune concernant l’article 8 dudit traité est libellée comme suit :

« Il est entendu que la simple fourniture d’installations destinées à permettre ou à réaliser une communication ne constitue pas une communication au public au sens du présent traité ou de la Convention de Berne. [...] »

Le droit de l’Union

La directive sur le droit d’auteur

7 Aux termes des considérants 4, 5, 8 à 10, 16, 23, 27, 31 et 59 de la directive sur le droit d’auteur :

« (4) Un cadre juridique harmonisé du droit d’auteur et des droits voisins, en améliorant la sécurité juridique et en assurant dans le même temps un niveau élevé de protection de la propriété intellectuelle, encouragera des investissements importants dans des activités créatrices et novatrices, notamment dans les infrastructures de réseaux, et favorisera ainsi la croissance et une compétitivité accrue de l’industrie européenne, et cela aussi bien dans le secteur de la fourniture de contenus que dans celui des technologies de l’information et, de façon plus générale, dans de nombreux secteurs industriels et culturels. Ce processus permettra de sauvegarder des emplois et encouragera la création de nouveaux emplois.

(5) L’évolution technologique a multiplié et diversifié les vecteurs de création, de production et d’exploitation. Si la protection de la propriété intellectuelle ne nécessite aucun concept nouveau, les règles actuelles en matière de droit d’auteur et de droits voisins devront être adaptées et complétées pour tenir dûment compte des réalités économiques telles que l’apparition de nouvelles formes d’exploitation.

[...]

(8) Les diverses répercussions sociales, sociétales et culturelles de la société de l’information font qu’il y a lieu de prendre en considération la spécificité du contenu des produits et services.

(9) Toute harmonisation du droit d’auteur et des droits voisins doit se fonder sur un niveau de protection élevé, car ces droits sont essentiels à la création intellectuelle. Leur protection contribue au maintien et au développement de la créativité dans l’intérêt des auteurs, des interprètes ou exécutants, des producteurs, des consommateurs, de la culture, des entreprises et du public en général. La propriété intellectuelle a donc été reconnue comme faisant partie intégrante de la propriété.

(10) Les auteurs ou les interprètes ou exécutants, pour pouvoir poursuivre leur travail créatif et artistique, doivent obtenir une rémunération appropriée pour l’utilisation de leurs œuvres, de même que les producteurs pour pouvoir financer ce travail. [...] Une protection juridique appropriée des droits de propriété intellectuelle est nécessaire pour garantir une telle rémunération et permettre un rendement satisfaisant de l’investissement.

[...]

(16) [...] La présente directive doit être mise en œuvre dans un délai analogue à celui fixé pour la directive sur le commerce électronique, étant donné que ladite directive établit un cadre harmonisé de principes et de dispositions qui concernent, entre autres, certaines parties importantes de la présente directive. La présente directive est sans préjudice des dispositions relatives à la responsabilité de ladite directive.

[...]

(23) La présente directive doit harmoniser davantage le droit d’auteur de communication au public. Ce droit doit s’entendre au sens large, comme couvrant toute communication au public non présent au lieu d’origine de la communication. [...]

[...]

(27) La simple fourniture d’installations destinées à permettre ou à réaliser une communication ne constitue pas en soi une communication au sens de la présente directive.

[...]

(31) Il convient de maintenir un juste équilibre en matière de droits et d’intérêts entre les différentes catégories de titulaires de droits ainsi qu’entre celles-ci et les utilisateurs d’objets protégés. Les exceptions et limitations actuelles aux droits, telles que prévues par les États membres, doivent être réexaminées à la lumière du nouvel environnement électronique. [...]

[...]

(59) Les services d’intermédiaires peuvent, en particulier dans un environnement numérique, être de plus en plus utilisés par des tiers pour porter atteinte à des droits. Dans de nombreux cas, ces intermédiaires sont les mieux à même de mettre fin à ces atteintes. Par conséquent, sans préjudice de toute autre sanction ou voie de recours dont ils peuvent se prévaloir, les titulaires de droits doivent avoir la possibilité de demander qu’une ordonnance sur requête soit rendue à l’encontre d’un intermédiaire qui transmet dans un réseau une contrefaçon commise par un tiers d’une œuvre protégée ou d’un autre objet protégé. Cette possibilité doit être prévue même lorsque les actions de l’intermédiaire font l’objet d’une exception au titre de l’article 5. Les conditions et modalités concernant une telle ordonnance sur requête devraient relever du droit interne des États membres. »

8 L’article 3 de cette directive, intitulé « Droit de communication d’œuvres au public et droit de mettre à la disposition du public d’autres objets protégés », dispose, à son paragraphe 1 :

« Les États membres prévoient pour les auteurs le droit exclusif d’autoriser ou d’interdire toute communication au public de leurs œuvres, par fil ou sans fil, y compris la mise à la disposition du public de leurs œuvres de manière que chacun puisse y avoir accès de l’endroit et au moment qu’il choisit individuellement. »

9 L’article 8 de ladite directive, intitulé « Sanctions et voies de recours », prévoit :

« 1. Les États membres prévoient des sanctions et des voies de recours appropriées contre les atteintes aux droits et obligations prévus par la présente directive et prennent toutes les mesures nécessaires pour en garantir l’application. Ces sanctions sont efficaces, proportionnées et dissuasives.

2. Chaque État membre prend les mesures nécessaires pour faire en sorte que les titulaires de droits dont les intérêts sont lésés par une infraction commise sur son territoire puissent intenter une action en dommages-intérêts et/ou demander qu’une ordonnance sur requête soit rendue ainsi que, le cas échéant, demander la saisie du matériel concerné par l’infraction ainsi que des dispositifs, produits ou composants visés à l’article 6, paragraphe 2.

3. Les États membres veillent à ce que les titulaires des droits puissent demander qu’une ordonnance sur requête soit rendue à l’encontre des intermédiaires dont les services sont utilisés par un tiers pour porter atteinte à un droit d’auteur ou à un droit voisin. »

La directive sur le commerce électronique

10 Les considérants 41 à 46, 48 et 52 de la directive sur le commerce électronique sont libellés comme suit :

« (41) La présente directive instaure un équilibre entre les différents intérêts en jeu et établit des principes qui peuvent servir de base aux normes et aux accords adoptés par les entreprises.

(42) Les dérogations en matière de responsabilité prévues par la présente directive ne couvrent que les cas où l’activité du prestataire de services dans le cadre de la société de l’information est limitée au processus technique d’exploitation et de fourniture d’un accès à un réseau de communication sur lequel les informations fournies par des tiers sont transmises ou stockées temporairement, dans le seul but d’améliorer l’efficacité de la transmission. Cette activité revêt un caractère purement technique, automatique et passif, qui implique que le prestataire de services de la société de l’information n’a pas la connaissance ni le contrôle des informations transmises ou stockées.

(43) Un prestataire de services peut bénéficier de dérogations pour le “simple transport” et pour la forme de stockage dite “caching” lorsqu’il n’est impliqué en aucune manière dans l’information transmise. Cela suppose, entre autres, qu’il ne modifie pas l’information qu’il transmet. Cette exigence ne couvre pas les manipulations à caractère technique qui ont lieu au cours de la transmission, car ces dernières n’altèrent pas l’intégrité de l’information contenue dans la transmission.

(44) Un prestataire de services qui collabore délibérément avec l’un des destinataires de son service afin de se livrer à des activités illégales va au-delà des activités de “simple transport” ou de “caching” et, dès lors, il ne peut pas bénéficier des dérogations en matière de responsabilité prévues pour ce type d’activité.

(45) Les limitations de responsabilité des prestataires de services intermédiaires prévues dans la présente directive sont sans préjudice de la possibilité d’actions en cessation de différents types. Ces actions en cessation peuvent notamment revêtir la forme de décisions de tribunaux ou d’autorités administratives exigeant qu’il soit mis un terme à toute violation ou que l’on prévienne toute violation, y compris en retirant les informations illicites ou en rendant l’accès à ces dernières impossible.

(46) Afin de bénéficier d’une limitation de responsabilité, le prestataire d’un service de la société de l’information consistant dans le stockage d’informations doit, dès qu’il prend effectivement connaissance ou conscience du caractère illicite des activités, agir promptement pour retirer les informations concernées ou rendre l’accès à celles-ci impossible. Il y a lieu de procéder à leur retrait ou de rendre leur accès impossible dans le respect du principe de la liberté d’expression et des procédures établies à cet effet au niveau national. La présente directive n’affecte pas la possibilité qu’ont les États membres de définir des exigences spécifiques auxquelles il doit être satisfait promptement avant de retirer des informations ou d’en rendre l’accès impossible. 

[...]

(48) La présente directive n’affecte en rien la possibilité qu’ont les États membres d’exiger des prestataires de services qui stockent des informations fournies par des destinataires de leurs services qu’ils agissent avec les précautions que l’on peut raisonnablement attendre d’eux et qui sont définies dans la législation nationale, et ce afin de détecter et d’empêcher certains types d’activités illicites.

[...]

(52) L’exercice effectif des libertés du marché intérieur nécessite de garantir aux victimes un accès efficace aux règlements des litiges. Les dommages qui peuvent se produire dans le cadre des services de la société de l’information se caractérisent à la fois par leur rapidité et leur étendue géographique. En raison de cette spécificité et de la nécessité de veiller à ce que les autorités nationales ne mettent pas en cause la confiance qu’elles doivent s’accorder mutuellement, la présente directive invite les États membres à faire en sorte que les recours juridictionnels appropriés soient disponibles. Les États membres doivent évaluer la nécessité de fournir un accès aux procédures juridictionnelles par les moyens électroniques appropriés. »

11 L’article 14 de cette directive, intitulé « Hébergement », énonce :

« 1. Les États membres veillent à ce que, en cas de fourniture d’un service de la société de l’information consistant à stocker des informations fournies par un destinataire du service, le prestataire ne soit pas responsable des informations stockées à la demande d’un destinataire du service à condition que :

a) le prestataire n’ait pas effectivement connaissance de l’activité ou de l’information illicites et, en ce qui concerne une demande en dommages et intérêts, n’ait pas connaissance de faits ou de circonstances selon lesquels l’activité ou l’information illicite est apparente

ou

b) le prestataire, dès le moment où il a de telles connaissances, agisse promptement pour retirer les informations ou rendre l’accès à celles-ci impossible. 

2. Le paragraphe 1 ne s’applique pas lorsque le destinataire du service agit sous l’autorité ou le contrôle du prestataire.

3. Le présent article n’affecte pas la possibilité, pour une juridiction ou une autorité administrative, conformément aux systèmes juridiques des États membres, d’exiger du prestataire qu’il mette un terme à une violation ou qu’il prévienne une violation et n’affecte pas non plus la possibilité, pour les États membres, d’instaurer des procédures régissant le retrait de ces informations ou les actions pour en rendre l’accès impossible. »

12 L’article 15 de ladite directive, intitulé « Absence d’obligation générale en matière de surveillance », prévoit, à son paragraphe 1 :

« Les États membres ne doivent pas imposer aux prestataires, pour la fourniture des services visée aux articles 12, 13 et 14, une obligation générale de surveiller les informations qu’ils transmettent ou stockent, ou une obligation générale de rechercher activement des faits ou des circonstances révélant des activités illicites. »

13 L’article 18 de la directive sur le commerce électronique, intitulé « Recours juridictionnels », dispose, à son paragraphe 1 :

« Les États membres veillent à ce que les recours juridictionnels disponibles dans le droit national portant sur les activités des services de la société de l’information permettent l’adoption rapide de mesures, y compris par voie de référé, visant à mettre un terme à toute violation alléguée et à prévenir toute nouvelle atteinte aux intérêts concernés. »

La directive relative au respect des droits

14 Aux termes des considérants 17, 22 et 23 de la directive relative au respect des droits :

« (17) Les mesures, procédures et réparations prévues par la présente directive devraient être déterminées dans chaque cas de manière à tenir dûment compte des caractéristiques spécifiques de ce cas, notamment des caractéristiques spécifiques de chaque droit de propriété intellectuelle et, lorsqu’il y a lieu, du caractère intentionnel ou non intentionnel de l’atteinte commise.

[...]

(22) Il est également indispensable de prévoir des mesures provisoires permettant de faire cesser immédiatement l’atteinte sans attendre une décision au fond, dans le respect des droits de la défense, en veillant à la proportionnalité des mesures provisoires en fonction des spécificités de chaque cas d’espèce, et en prévoyant les garanties nécessaires pour couvrir les frais et dommages occasionnés à la partie défenderesse par une demande injustifiée. Ces mesures sont notamment justifiées lorsque tout retard serait de nature à causer un préjudice irréparable au titulaire d’un droit de propriété intellectuelle.

(23) Sans préjudice de toute autre mesure, procédure ou réparation existante, les titulaires des droits devraient avoir la possibilité de demander une injonction à l’encontre d’un intermédiaire dont les services sont utilisés par un tiers pour porter atteinte au droit de propriété industrielle du titulaire. Les conditions et procédures relatives à une telle injonction devraient relever du droit national des États membres. En ce qui concerne les atteintes au droit d’auteur et aux droits voisins, un niveau élevé d’harmonisation est déjà prévu par la directive [sur le droit d’auteur]. Il convient, par conséquent, que la présente directive n’affecte pas l’article 8, paragraphe 3, de la directive [sur le droit d’auteur]. »

15 L’article 3 de cette directive, intitulé « Obligation générale », énonce :

« 1. Les États membres prévoient les mesures, procédures et réparations nécessaires pour assurer le respect des droits de propriété intellectuelle visés par la présente directive. Ces mesures, procédures et réparations doivent être loyales et équitables, ne doivent pas être inutilement complexes ou coûteuses et ne doivent pas comporter de délais déraisonnables ni entraîner de retards injustifiés.

2. Les mesures, procédures et réparations doivent également être effectives, proportionnées et dissuasives et être appliquées de manière à éviter la création d’obstacles au commerce légitime et à offrir des sauvegardes contre leur usage abusif. »

16 L’article 11 de ladite directive, intitulé « Injonctions », prévoit :

« Les États membres veillent à ce que, lorsqu’une décision judiciaire a été prise constatant une atteinte à un droit de propriété intellectuelle, les autorités judiciaires compétentes puissent rendre à l’encontre du contrevenant une injonction visant à interdire la poursuite de cette atteinte. Lorsque la législation nationale le prévoit, le non-respect d’une injonction est, le cas échéant, passible d’une astreinte, destinée à en assurer l’exécution. Les États membres veillent également à ce que les titulaires de droits puissent demander une injonction à l’encontre des intermédiaires dont les services sont utilisés par un tiers pour porter atteinte à un droit de propriété intellectuelle, sans préjudice de l’article 8, paragraphe 3, de la directive [sur le droit d’auteur]. »

17 L’article 13 de la directive relative au respect des droits, intitulé « Dommages-intérêts », dispose :

« 1. Les États membres veillent à ce que, à la demande de la partie lésée, les autorités judiciaires compétentes ordonnent au contrevenant qui s’est livré à une activité contrefaisante en le sachant ou en ayant des motifs raisonnables de le savoir de verser au titulaire du droit des dommages-intérêts adaptés au préjudice que celui-ci a réellement subi du fait de l’atteinte.

Lorsqu’elles fixent les dommages-intérêts, les autorités judiciaires :

a) prennent en considération tous les aspects appropriés, tels que les conséquences économiques négatives, notamment le manque à gagner, subies par la partie lésée, les bénéfices injustement réalisés par le contrevenant et, dans des cas appropriés, des facteurs non économiques, comme le préjudice moral causé au titulaire du droit du fait de l’atteinte ;

ou

b) à titre d’alternative, peuvent décider, dans des cas appropriés, de fixer un montant forfaitaire de dommages-intérêts, sur la base d’éléments tels que, au moins, le montant des redevances ou droits qui auraient été dus si le contrevenant avait demandé l’autorisation d’utiliser le droit de propriété intellectuelle en question.

2. Lorsque le contrevenant s’est livré à une activité contrefaisante sans le savoir ou sans avoir de motifs raisonnables de le savoir, les États membres peuvent prévoir que les autorités judiciaires pourront ordonner le recouvrement des bénéfices ou le paiement de dommages-intérêts susceptibles d’être préétablis. »

Les litiges au principal et les questions préjudicielles

L’affaire C682/18

18 M. Peterson est un producteur de musique et soutient être propriétaire de la société Nemo Studios.

19 YouTube exploite la plateforme Internet éponyme sur laquelle les utilisateurs peuvent téléverser (upload) gratuitement leurs propres vidéos et les mettre à la disposition d’autres internautes. Google est l’associée unique et la représentante légale de YouTube. YouTube Inc. et Google Germany GmbH ne sont plus parties au litige.

20 Le 20 mai 1996, la société Nemo Studio Frank Peterson a conclu avec l’artiste Sarah Brightman un contrat d’artiste exclusif de portée mondiale relatif à l’exploitation d’enregistrements audio et vidéo de ses spectacles. Ce contrat a fait l’objet en 2005 d’un accord complémentaire. Le 1er septembre 2000, M. Peterson a conclu en son nom et au nom de la société Nemo Studios un accord de licence avec Capitol Records Inc. portant sur la distribution exclusive des enregistrements et des spectacles de Sarah Brightman par Capitol Records.

21 Au mois de novembre 2008, l’album A Winter Symphony, composé d’œuvres interprétées par l’artiste, a été commercialisé. Le 4 novembre 2008, Sarah Brightman a débuté une tournée, dénommée « Symphony Tour », au cours de laquelle elle a interprété les œuvres enregistrées sur l’album.

22 Les 6 et 7 novembre 2008, des œuvres tirées de cet album et des enregistrements privés de concerts de cette tournée étaient consultables sur la plateforme Internet YouTube et couplés à des images fixes ainsi qu’à des images animées. Par courrier du 7 novembre 2008, M. Peterson, produisant, à l’appui de sa demande, des captures d’écran destinées à établir les faits qu’il dénonce, s’est adressé à Google Germany et a exigé de celle-ci ainsi que de Google qu’elles fournissent des déclarations d’abstention sous peine de sanction. Google Germany s’est ensuite adressée à YouTube, qui a recherché manuellement, à l’aide des captures d’écran transmises par M. Peterson, les adresses Internet (URL) des vidéos en cause et en a bloqué l’accès. Les parties s’opposent sur l’étendue de ces blocages d’accès.

23 Le 19 novembre 2008, des enregistrements audio de spectacles de l’artiste, couplés à des images fixes et à des images animées, pouvaient de nouveau être consultés sur la plateforme Internet YouTube.

24 En conséquence, M. Peterson a introduit devant le Landgericht Hamburg (tribunal régional d’Hambourg, Allemagne) contre Google et YouTube (ci-après, ensemble, les « défenderesses au principal ») une action en cessation, en communication de renseignements et en constatation de leur obligation de verser des dommages-intérêts. À l’appui de cette action, il a invoqué ses droits propres en tant que producteur de l’album A Winter Symphony ainsi que les droits propres et les droits découlant de ceux de l’artiste liés à l’exécution des œuvres contenues dans cet album réalisé avec sa participation artistique en tant que producteur et choriste. Il fait en outre valoir, à l’égard des enregistrements des concerts de la tournée « Symphony Tour », qu’il est le compositeur et l’auteur des textes de diverses œuvres de l’album. De plus, il détiendrait, en tant qu’éditeur, des droits dérivés de ceux des auteurs à l’égard de diverses œuvres musicales.

25 Par arrêt du 3 septembre 2010, la juridiction saisie a fait droit au recours en tant qu’il porte sur trois œuvres musicales et a rejeté le recours pour le surplus.

26 M. Peterson ainsi que les défenderesses au principal ont fait appel de cette décision devant l’Oberlandesgericht Hamburg (tribunal régional supérieur d’Hambourg, Allemagne). M. Peterson a demandé qu’il soit interdit aux défenderesses au principal de mettre à la disposition du public, dans des versions synchronisées ou reliées d’une autre manière à des contenus de tiers ou à des fins publicitaires, douze enregistrements audio ou interprétations figurant dans l’album A Winter Symphony de l’artiste Sarah Brightman, qu’il a produit, ainsi que douze œuvres musicales de sa composition tirées de concerts de la tournée « Symphony Tour » ou, à titre subsidiaire, de permettre à des tiers une telle mise à la disposition du public des œuvres concernées. Il a en outre exigé la communication de renseignements sur les activités illicites et sur le chiffre d’affaires ou les bénéfices réalisés grâce à ces activités. Il a également demandé la condamnation de YouTube au paiement de dommages-intérêts et celle de Google à la répétition de l’indu. À titre subsidiaire, il a demandé à obtenir des renseignements sur les utilisateurs de la plateforme Internet YouTube qui ont téléversé les titres en question en utilisant des pseudonymes.

27 Par arrêt du 1er juillet 2015, l’Oberlandesgericht Hamburg (tribunal régional supérieur d’Hambourg) a en partie réformé l’arrêt rendu en première instance et a condamné les défenderesses au principal à ne pas permettre aux tiers, en ce qui concerne sept œuvres musicales, de mettre à la disposition du public, dans des versions synchronisées ou reliées d’une autre manière à des contenus de tiers ou à des fins publicitaires, des enregistrements audio ou des interprétations par l’artiste tirés de l’album A Winter Symphony. Il a de plus condamné les défenderesses au principal à indiquer les noms et les adresses postales des utilisateurs de la plateforme qui ont téléversé les œuvres musicales sur celle-ci en utilisant un pseudonyme ou, à défaut d’adresse postale, l’adresse électronique de ces utilisateurs. La juridiction d’appel a rejeté le recours pour le surplus, comme étant en partie irrecevable et en partie dénué de fondement.

28 S’agissant des sept œuvres musicales tirées de l’album A Winter Symphony, la juridiction d’appel a considéré que les droits de M. Peterson ont été violés en raison du fait que ces œuvres ont été placées sans autorisation sur la plateforme de partage de vidéos de YouTube et rattachées à des images animées, comme des films tirés de la vidéo promotionnelle de l’artiste. Elle a considéré que YouTube n’est pas responsable de ces infractions en tant qu’auteur ou complice, dès lors qu’elle n’aurait joué aucun rôle actif dans la création ou le placement des contenus litigieux sur la plateforme et n’aurait pas non plus fait siens ces contenus provenant de tiers. En outre, elle n’aurait pas fait preuve de l’intention nécessaire pour être responsable en tant que complice, étant donné qu’elle n’aurait pas eu connaissance des infractions concrètes. YouTube serait néanmoins responsable en tant que « perturbatrice » (Störerin), dès lors qu’elle aurait violé les obligations de comportement qui lui incombent. Ainsi, en ce qui concerne lesdites œuvres, alors que des activités illicites portant sur ces dernières lui auraient été signalées, elle n’aurait pas immédiatement effacé les contenus incriminés ou bloqué l’accès à ces contenus.

29 En revanche, en ce qui concerne les enregistrements de concerts de la tournée « Symphony Tour », YouTube n’aurait violé aucune obligation de comportement. Les vidéos sur lesquelles figurent les œuvres musicales désignées auraient certes été illégalement placées par des tiers sur la plateforme de partage de vidéos. YouTube n’aurait cependant pas été suffisamment informée de ces infractions ou aurait procédé à temps aux blocages d’accès des contenus en question qui s’imposaient, voire ne pourrait pas se voir reprocher d’avoir violé l’obligation de procéder immédiatement au blocage de ces contenus.

30 La juridiction d’appel a notamment établi les faits suivants :

– Près de 35 heures d’enregistrements vidéo sont téléversées par minute et plusieurs centaines de milliers de vidéos sont téléversées chaque jour sur la plateforme Internet YouTube. Le téléversement des vidéos sur les serveurs de Google s’effectue selon un procédé automatisé, sans visionnage ou contrôle préalable par les défenderesses au principal.

– Pour pouvoir téléverser des vidéos sur la plateforme Internet YouTube, il est nécessaire de créer un compte, avec un nom d’utilisateur et un mot de passe, et d’accepter les conditions générales d’utilisation de cette plateforme. L’utilisateur qui, après s’être ainsi enregistré, téléverse une vidéo peut choisir de la laisser en mode « privé » ou de la publier sur la plateforme. Dans la seconde hypothèse, la vidéo en question peut être visionnée par tout internaute en flux continu (streaming) depuis ladite plateforme.

– En vertu des conditions générales d’utilisation de YouTube, chaque utilisateur accorde à celle-ci, sur les vidéos qu’il a téléversées et jusqu’à leur retrait de la plateforme, une licence mondiale, non exclusive et libre de redevance pour l’utilisation, la reproduction, la distribution, la création d’œuvres dérivées, l’exposition et l’exécution en lien avec la mise à disposition de la plateforme et les activités de YouTube, y compris la publicité.

– En acceptant ces conditions générales, l’utilisateur confirme qu’il dispose de tous les droits, accords, autorisations et licences nécessaires sur les vidéos qu’il a téléversées. YouTube appelle par ailleurs les utilisateurs de sa plateforme, dans les « Lignes directrices de la communauté », à respecter les droits d’auteur. Ceux-ci sont en outre clairement informés, lors de chaque téléversement, qu’aucune vidéo portant atteinte à ces droits ne saurait être publiée sur la plateforme.

– YouTube a mis en place différents dispositifs techniques afin de faire cesser et de prévenir les infractions sur sa plateforme. Toute personne peut lui notifier la présence d’une vidéo illicite par écrit, télécopie, courrier électronique ou formulaire web. Un bouton de notification a été créé grâce auquel les contenus indécents ou illicites peuvent être signalés. Les titulaires de droits ont également la possibilité, au moyen d’un procédé spécial d’alerte, de faire éliminer de la plateforme, en indiquant les adresses Internet (URL) correspondantes, jusqu’à dix vidéos concrètement désignées par contestation.

– YouTube a, en outre, mis en place un programme de vérification des contenus (Content Verification Program) qui facilite la désignation des vidéos par le titulaire des droits, en lui permettant de cocher dans une liste de vidéos celles qu’il considère comme portant atteinte à ses droits. Ce programme est uniquement mis à la disposition des entreprises qui se sont enregistrées spécialement à cet effet, et non pas des simples particuliers. Si une vidéo est bloquée en raison d’un signalement par le titulaire des droits, l’utilisateur qui l’a téléversée est averti que son compte sera bloqué en cas de récidive.

– En outre, pour identifier les contenus illicites, YouTube a développé les logiciels de reconnaissance de contenu, dénommés « Content ID » ou « YouTube Audio ID » et « YouTube Video ID ». À cet effet, le titulaire des droits doit fournir un fichier de référence audio ou vidéo qui permet à YouTube d’identifier sur sa plateforme d’autres vidéos ayant, en tout ou partie, le même contenu. Si une telle vidéo est identifiée, le titulaire des droits en est informé par YouTube. Le titulaire des droits peut alors soit faire procéder au blocage du contenu en question, soit autoriser ce contenu et participer aux recettes publicitaires.

– YouTube offre une fonction de recherche et procède à une évaluation de la pertinence géographique des résultats de recherche résumés sur la page d’accueil sous forme de « classement » sous les rubriques « vidéos vues actuellement », « vidéos promues » et « vidéos tendances ». D’autres aperçus de l’offre sont disponibles sous les intitulés « vidéos » et « chaînes » avec les sous-rubriques « divertissement », « musique » ou « film et animation ». Si un utilisateur enregistré utilise la plateforme, il se voit présenter un aperçu des « vidéos recommandées », dont le contenu varie en fonction des vidéos qu’il a déjà vues.

– Des bandeaux publicitaires de prestataires tiers et spécifiques à la région en cause se trouvent en marge de la page d’accueil. Une autre possibilité d’exploitation publicitaire sur YouTube est constituée par des messages vidéo dont l’insertion suppose la conclusion d’un contrat distinct entre l’utilisateur téléversant la vidéo et YouTube. En ce qui concerne les vidéos en cause dans le présent litige, il ne semble cependant pas y avoir de lien avec la publicité.

31 Le Bundesgerichtshof (Cour fédérale de justice, Allemagne) a autorisé le pourvoi en Revision contre l’arrêt d’appel en le limitant aux moyens déclarés recevables par la juridiction d’appel. M. Peterson maintient ses moyens de recours dans le cadre de son pourvoi en Revision pour autant que la juridiction d’appel les a rejetés comme étant dénués de fondement. Dans leur pourvoi en Revision, les défenderesses au principal concluent au rejet intégral du recours.

32 La juridiction de renvoi relève que le bien-fondé du pourvoi de M. Peterson dépend, en premier lieu, du point de savoir si le comportement de YouTube dans le litige au principal constitue une communication au public, au sens de l’article 3, paragraphe 1, de la directive sur le droit d’auteur. Elle estime que tel pourrait être le cas uniquement pour les sept œuvres musicales tirées de l’album A Winter Symphony que YouTube n’a pas promptement retirées ou bloquées, alors qu’elle avait été informée du fait, établi par la juridiction d’appel, que ces œuvres ont été illégalement mises à la disposition du public par l’intermédiaire de sa plateforme.

33 En effet, en exploitant sa plateforme, YouTube n’exercerait pas un rôle incontournable, au sens de la jurisprudence de la Cour, requis aux fins que son comportement puisse être qualifié d’acte de communication, si, après avoir pris connaissance de la mise à la disposition du public de contenus portant atteinte au droit d’auteur, elle les efface ou en bloque immédiatement l’accès. Pour pouvoir considérer que YouTube exerce un tel rôle, il serait nécessaire qu’elle ait pleinement conscience des conséquences de son comportement et notamment de l’absence d’autorisation du titulaire des droits. Or, dès lors que le téléversement de vidéos a lieu automatiquement, YouTube n’aurait pas connaissance de la mise à la disposition du public de contenus portant atteinte au droit d’auteur avant que le titulaire des droits ne l’en informe. La juridiction de renvoi souligne que YouTube informe les utilisateurs, dans ses conditions générales d’utilisation, puis ultérieurement, au cours du processus de téléversement, qu’il leur est interdit de porter atteinte au droit d’auteur par l’intermédiaire de sa plateforme et fournit aux titulaires de droits des outils par lesquels ces derniers peuvent agir contre de telles atteintes.

34 La juridiction de renvoi expose que, si le comportement de YouTube en cause au principal ne peut être qualifié de communication au public, au sens de l’article 3, paragraphe 1, de la directive sur le droit d’auteur, il est alors nécessaire de déterminer, en deuxième lieu, si l’activité de l’exploitant d’une plateforme de partage de vidéos, telle que celle de YouTube, relève du champ d’application de l’article 14, paragraphe 1, de la directive sur le commerce électronique, de sorte que cet exploitant est susceptible de bénéficier d’une exonération de responsabilité quant aux informations stockées sur sa plateforme. Cette juridiction relève que, ainsi que cela ressort des éléments constatés par la juridiction d’appel, YouTube n’a pas lié de publicité aux vidéos portant atteinte aux droits d’auteur de M. Peterson. Se poserait toutefois la question de savoir si YouTube a néanmoins joué un rôle actif, faisant obstacle à l’application de cette disposition, compte tenu des autres circonstances de l’espèce, telles que résumées au point 30 du présent arrêt.

35 Dans l’hypothèse où le rôle joué par YouTube doit être qualifié de neutre et où, partant, son activité relève du champ d’application de l’article 14, paragraphe 1, de la directive sur le commerce électronique, se poserait, en troisième lieu, la question de savoir si la « connaissance [effective] de l’activité ou de l’information illicites » et la « connaissance de faits ou de circonstances selon lesquels l’activité ou l’information illicite est apparente », au sens de cette disposition, doivent concerner des activités ou des informations illicites concrètes. Selon la juridiction de renvoi, il y a lieu de répondre à cette question par l’affirmative. En effet, il résulterait des termes et de l’économie de ladite disposition qu’il ne suffit pas que le prestataire ait eu connaissance, de manière générale, du fait que ses services sont utilisés pour commettre des activités illicites quelconques. Une infraction devrait donc être signalée de manière concrète et précise au prestataire afin que celui-ci puisse la constater sans examen juridique et matériel approfondi.

36 La juridiction de renvoi expose que, si le comportement de YouTube en cause au principal relève du champ d’application de l’article 14, paragraphe 1, de la directive sur le commerce électronique, se poserait également, en quatrième lieu, la question de savoir s’il est compatible avec l’article 8, paragraphe 3, de la directive sur le droit d’auteur que le titulaire des droits ne puisse obtenir une ordonnance sur requête contre un exploitant d’une plateforme de partage de vidéos, dont les services ont été utilisés par un tiers pour porter atteinte à un droit d’auteur ou à des droits voisins, que si, après la notification d’une atteinte claire à un tel droit, l’exploitant n’est pas intervenu promptement pour effacer le contenu en question ou en bloquer l’accès et veiller à ce que de telles atteintes ne se reproduisent pas. Selon cette juridiction, il y a lieu de répondre par l’affirmative à cette question, dès lors qu’il résulterait de l’article 14, paragraphe 1, et de l’article 15, paragraphe 1, de la directive sur le commerce électronique qu’une ordonnance sur requête contre un tel exploitant ne peut être prévue dans le droit national des États membres que lorsque celui-ci a effectivement connaissance de l’activité ou de l’information illicites.

37 Dans l’hypothèse où le comportement de YouTube ne relève pas du champ d’application de l’article 14, paragraphe 1, de la directive sur le commerce électronique, se poserait, en cinquième lieu, la question de savoir si YouTube doit, même en l’absence de communication au public, au sens de l’article 3, paragraphe 1, de la directive sur le droit d’auteur, être considérée comme un « contrevenant » qui, contrairement à un « intermédiaire », peut, en vertu des articles 11 et 13 de la directive relative au respect des droits, faire l’objet d’une action non seulement en cessation, mais également en paiement de dommages-intérêts et en recouvrement des bénéfices.

38 Toujours dans l’hypothèse visée au point précédent et pour le cas où la Cour suivrait à cet égard l’avis de la juridiction de renvoi, selon lequel YouTube devrait être considérée comme un contrevenant, se poserait, en sixième et dernier lieu, la question de savoir si l’obligation d’un tel contrevenant de payer des dommages-intérêts, en vertu de l’article 13, paragraphe 1, de la directive relative au respect des droits, peut être subordonnée à la condition qu’il ait agi délibérément tant en ce qui concerne sa propre activité illicite qu’en ce qui concerne l’activité illicite concrète du tiers.

39 Dans ces conditions, le Bundesgerichtshof (Cour fédérale de justice) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1) L’exploitant d’une plateforme de partage de vidéos sur laquelle les utilisateurs mettent à la disposition du public des vidéos comportant des contenus protégés par le droit d’auteur sans l’accord des titulaires de droits procède-t-il à un acte de communication, au sens de l’article 3, paragraphe 1, de la directive [sur le droit d’auteur], lorsque

– il tire des recettes publicitaires de la plateforme,

– le téléversement s’effectue automatiquement et sans visualisation ou contrôle préalable par l’exploitant,

– l’exploitant obtient en application des conditions d’utilisation et pour la durée du placement de la vidéo sur la plateforme une licence mondiale, non exclusive et libre de redevance à l’égard des vidéos,

– l’exploitant signale dans les conditions d’utilisation et dans le cadre du processus de téléversement que les contenus portant atteinte au droit d’auteur ne sauraient être placés sur la plateforme,

– l’exploitant met à disposition des outils grâce auxquels les titulaires de droits peuvent agir pour faire bloquer l’accès aux vidéos portant atteinte à leurs droits,

– l’exploitant procède sur la plateforme à un traitement des résultats de recherche sous forme de listes de classement et de rubriques de contenus et présente aux utilisateurs enregistrés un aperçu de vidéos recommandées en fonction des vidéos déjà vues par ces utilisateurs,

s’il n’a pas concrètement connaissance de la disponibilité de contenus violant le droit d’auteur ou efface immédiatement ou bloque sans délai l’accès à ces contenus lorsqu’il en prend connaissance ?

2) En cas de réponse négative à la première question :

L’activité de l’exploitant d’une plateforme de partage de vidéos relève-t-elle dans les circonstances décrites dans la première question du champ d’application de l’article 14, paragraphe 1, de la directive [sur le commerce électronique] ?

3) En cas de réponse affirmative à la deuxième question :

La connaissance effective de l’activité ou de l’information illicites ou la connaissance des faits ou des circonstances selon lesquels l’activité ou l’information illicite est apparente doivent-elles, en vertu de l’article 14, paragraphe 1, de la directive [sur le commerce électronique], concerner des activités ou informations illicites concrètes ?

4) Toujours dans l’hypothèse d’une réponse affirmative à la deuxième question :

Est-il conforme à l’article 8, paragraphe 3, de la directive [sur le droit d’auteur] que le titulaire des droits ne peut obtenir une ordonnance sur requête contre un prestataire de services, dont le service consistant à stocker des informations fournies par un utilisateur a été utilisé par un utilisateur pour porter atteinte à un droit d’auteur ou à un droit voisin, que lorsque, après qu’une atteinte claire au droit a été signalée, une telle atteinte se reproduit ? 

5) Dans l’hypothèse où il serait répondu par la négative aux première et deuxième questions :

L’exploitant d’une plateforme de partage de vidéos est-il, dans les circonstances décrites dans la première question, un contrevenant au sens de l’article 11, première phrase, et de l’article 13 de la directive [relative au respect des droits] ?

6) En cas de réponse affirmative à la cinquième question :

L’obligation d’un tel contrevenant de verser des dommages-intérêts au titre de l’article 13, paragraphe 1, de la directive [relative au respect des droits] peut-elle être soumise à la condition que celui-ci ait agi intentionnellement en ce qui concerne tant sa propre activité illicite que celle d’un tiers et qu’il savait ou aurait raisonnablement dû savoir que les utilisateurs utilisent la plateforme pour commettre des infractions concrètes ? »

L’affaire C683/18

40 Elsevier est une maison d’édition spécialisée internationale, titulaire des droits d’exploitation exclusifs sur les œuvres en cause au principal.

41 Cyando exploite la plateforme d’hébergement et de partage de fichiers « Uploaded », à laquelle il peut être accédé par les sites Internet uploaded.net, uploaded.to et ul.to. Cette plateforme offre à tous les internautes de l’espace de stockage gratuit pour le téléversement (upload) de fichiers quel que soit leur contenu. Afin de pouvoir téléverser des fichiers sur ladite plateforme, il est nécessaire de créer un compte, avec un nom d’utilisateur et un mot de passe, en fournissant notamment une adresse électronique. La mise en ligne d’un fichier téléversé par un utilisateur s’effectue automatiquement et sans visualisation ou contrôle préalable par Cyando. Pour chaque fichier téléversé, Cyando établit automatiquement un lien de téléchargement (download-link) qui permet d’accéder directement au fichier concerné et le communique automatiquement à l’utilisateur qui l’a téléversé.

42 Cyando n’offre, pour les fichiers stockés sur sa plateforme, ni répertoire ni fonction de recherche. Les utilisateurs peuvent néanmoins partager sur Internet les liens de téléchargement qui leur ont été communiqués par Cyando, notamment dans des blogs, des forums ou encore dans des « collections de liens ». Ces collections, qui sont offertes par des tiers, indexent ces liens, fournissent des informations relatives au contenu des fichiers auxquels lesdits liens renvoient et permettent ainsi aux internautes de rechercher les fichiers qu’ils souhaitent télécharger. De cette manière, d’autres internautes peuvent accéder aux fichiers stockés sur la plateforme de Cyando.

43 Le téléchargement (download) de fichiers à partir de la plateforme de Cyando est gratuit. La quantité et la vitesse du téléchargement sont néanmoins limitées pour les utilisateurs non enregistrés ainsi que pour les utilisateurs bénéficiant d’un abonnement gratuit. Les utilisateurs qui disposent d’un abonnement payant bénéficient d’un volume de téléchargement quotidien de 30 GB, cumulable jusqu’à un maximum de 500 GB sans limitation de la vitesse de téléchargement. Ils peuvent procéder à un nombre illimité de téléchargements simultanés et ne doivent supporter aucun temps d’attente entre les différents téléchargements. Le prix d’un tel abonnement est compris entre 4,99 euros pour deux jours et 99,99 euros pour deux ans. Cyando verse aux utilisateurs ayant téléversé des fichiers une rémunération en fonction du nombre de téléchargements de ces fichiers. Ainsi, jusqu’à 40 euros sont versés pour 1 000 téléchargements.

44 D’après les conditions générales de Cyando, il est interdit aux utilisateurs de sa plateforme de porter sur celle-ci atteinte au droit d’auteur.

45 La juridiction de renvoi expose que cette plateforme est utilisée tant pour des applications légales que pour des applications qui portent atteinte au droit d’auteur. Cyando a été informée du fait que plus de 9 500 œuvres ont été téléversées sur sa plateforme, pour lesquelles, en violation du droit d’auteur, les liens de téléchargement ont été partagés sur Internet sur environ 800 sites différents (collections de liens, blogs, forums).

46 En particulier, sur la base de recherches effectuées du 11 au 19 décembre 2013, Elsevier a notifié à Cyando, par deux lettres en date du 10 janvier 2014 et du 17 janvier 2014, que trois des œuvres sur lesquelles elle détient des droits d’exploitation exclusifs, à savoir Gray’s Anatomy for StudentsAtlas of Human Anatomy et Campbell-Walsh Urology, peuvent être consultées en tant que fichier sur la plateforme Uploaded, par l’intermédiaire des collections de liens rehabgate.com, avaxhome.ws et bookarchive.ws.

47 Elsevier a formé un recours contre Cyando devant le Landgericht München I (tribunal régional de Munich I, Allemagne). Elsevier a notamment demandé que Cyando soit condamnée en cessation, à titre principal, en tant qu’auteur des atteintes au droit d’auteur commises sur les œuvres en cause au principal, à titre subsidiaire, en tant que complice de ces atteintes et, à titre plus subsidiaire encore, en tant que « perturbatrice » (Störerin). Elsevier a également demandé que Cyando soit condamnée à lui fournir certains renseignements ainsi qu’à lui verser des dommages-intérêts pour ces mêmes atteintes.

48 Par arrêt du 18 mars 2016, le Landgericht München I (tribunal régional de Munich I) a condamné Cyando en cessation en tant que complice des atteintes au droit d’auteur sur trois des œuvres en cause au principal, à savoir celles citées dans les lettres du 10 janvier 2014 et du 17 janvier 2014.

49 Elsevier et Cyando ont chacune fait appel de cette décision devant l’Oberlandesgericht München (tribunal régional supérieur de Munich, Allemagne).

50 Par un arrêt du 2 mars 2017, la juridiction d’appel a réformé l’arrêt rendu en première instance. Cette juridiction a condamné Cyando en cessation en tant que « perturbatrice » s’agissant des atteintes au droit d’auteur sur les trois œuvres citées dans les lettres du 10 janvier 2014 et du 17 janvier 2014 et a rejeté le recours pour le surplus.

51 La juridiction d’appel a notamment considéré qu’Elsevier ne pouvait poursuivre Cyando en tant qu’auteur des atteintes aux droits d’auteur en cause. En effet, la contribution de Cyando se limiterait à la fourniture de moyens techniques permettant la mise à la disposition du public des œuvres en cause. En l’absence de connaissance de l’existence de telles atteintes portées par les utilisateurs de sa plateforme, Cyando ne pourrait pas non plus être considérée comme étant complice de celles-ci. Cyando serait néanmoins tenue, en tant que « perturbatrice », de faire cesser les atteintes aux droits d’auteur sur les trois œuvres citées dans les lettres du 10 janvier 2014 et du 17 janvier 2014. En revanche, en ce qui concerne une autre œuvre, intitulée « Robbins Basic Pathology », également en cause au principal, Cyando n’aurait pas violé ses obligations de contrôle dès lors que cette œuvre n’a fait l’objet d’une nouvelle publication que deux ans et demi après la constatation de la première infraction qui a déclenché ces obligations de contrôle. En outre, en tant que « perturbatrice », Cyando ne serait pas tenue de verser des dommages-intérêts.

52 Dans le cadre de son examen, la juridiction d’appel a notamment constaté que Cyando, par l’aménagement de son système de rémunération, la fourniture de liens de téléchargement permettant l’accès direct aux fichiers téléversés et la possibilité d’une utilisation anonyme de sa plateforme, encourage considérablement l’utilisation de celle-ci à des fins illicites. Les utilisateurs intéressés par le téléchargement de fichiers tendraient davantage à souscrire un abonnement payant, leur ouvrant droit à un compte privilégié, lorsqu’ils peuvent, par l’intermédiaire de cette plateforme, télécharger des œuvres attractives protégées par le droit d’auteur. Cyando inciterait ses utilisateurs à téléverser des fichiers dont il peut être présumé qu’ils seront souvent téléchargés, en les rémunérant pour les téléchargements fréquents des fichiers qu’ils ont téléversés et en les faisant participer aux recettes générées par l’acquisition de nouveaux utilisateurs. Dans la mesure où cette rémunération est fonction du nombre de téléchargements d’un fichier et, partant, de l’attractivité de ce dernier pour le public, les utilisateurs seraient incités à téléverser des contenus protégés par le droit d’auteur, à défaut de quoi ces contenus ne seraient accessibles que contre paiement. En outre, le fait que les liens de téléchargement donnent un accès direct aux fichiers téléversés permettrait aux utilisateurs ayant effectué le téléversement de partager facilement ces fichiers, notamment par des collections de liens, avec les utilisateurs intéressés par le téléchargement. Enfin, l’anonymat dans l’utilisation de la plateforme réduirait le risque pour les utilisateurs de se voir poursuivis en justice pour avoir porté atteinte au droit d’auteur.

53 En revanche, et bien que Elsevier ait allégué en appel que les contenus portant atteinte au droit d’auteur représentent entre 90 et 96 % des fichiers pouvant être consultés sur la plateforme de Cyando, ce qui est contesté par cette dernière, la juridiction d’appel n’a pas constaté la part respective de l’utilisation légale de cette plateforme et de son utilisation à des fins illicites.

54 Par son pourvoi en Revision admis par le Bundesgerichtshof (Cour fédérale de justice) et dont Cyando demande le rejet, Elsevier persiste dans ses demandes.

55 La juridiction de renvoi relève que le bien-fondé du pourvoi dépend, en premier lieu, du point de savoir si le comportement de l’exploitant d’une plateforme d’hébergement et de partage de fichiers, telle que celle de Cyando, constitue une communication au public, au sens de l’article 3, paragraphe 1, de la directive sur le droit d’auteur. Elle estime que Cyando pourrait être regardée comme jouant un rôle incontournable, au sens de la jurisprudence de la Cour, requis aux fins que son comportement puisse être qualifié d’acte de communication. À cet égard, la juridiction de renvoi constate que, certes, Cyando n’a pas connaissance de la mise à disposition illicite de contenus protégés avant que le titulaire des droits ne l’en informe, ces contenus étant téléversés par des tiers. En outre, Cyando porterait à la connaissance de ses utilisateurs, dans les conditions d’utilisation de sa plateforme, qu’il leur est interdit de porter atteinte au droit d’auteur par l’intermédiaire de celle-ci. Cyando aurait néanmoins connaissance du fait que des quantités importantes de contenus protégés sont illégalement communiquées au public par l’intermédiaire de sa plateforme. De plus, Cyando, par son système de rémunération, par la fourniture de liens de téléchargement permettant l’accès direct aux fichiers téléversés et par la possibilité d’utiliser de manière anonyme sa plateforme, accroîtrait sensiblement le risque que sa plateforme soit utilisée à des fins illicites.

56 Dans l’hypothèse où la Cour jugerait que le comportement de l’exploitant d’une plateforme d’hébergement et de partage de fichiers, telle que celle de Cyando, ne constitue pas une communication au public, au sens de l’article 3, paragraphe 1, de la directive sur le droit d’auteur, la juridiction de renvoi pose, en substance, les mêmes questions que les deuxième à sixième questions posées dans l’affaire C‑682/18.

57 Dans ces conditions, le Bundesgerichtshof (Cour fédérale de justice) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1) a) L’exploitant d’[une plateforme d’hébergement et de partage de fichiers] grâce à laquelle les utilisateurs peuvent mettre à la disposition du public, sans autorisation des titulaires de droits, des données comportant des contenus protégés par le droit d’auteur procède-t-il à un acte de communication, au sens de l’article 3, paragraphe 1, de la directive [sur le droit d’auteur], si,

– le téléversement s’effectue automatiquement et sans visualisation ou contrôle préalable par l’exploitant,

– l’exploitant signale dans les conditions d’utilisation que les contenus portant atteinte au droit d’auteur ne sauraient être placés sur la plateforme,

– il tire des recettes de l’exploitation du service,

– [la plateforme] est utilisée pour des applications légales, mais l’exploitant a également conscience de la disponibilité d’un nombre considérable de contenus portant atteinte au droit d’auteur (plus de 9 500 œuvres),

– l’exploitant n’offre aucun répertoire et aucune fonction de recherche, mais les liens de téléchargement sans restrictions qu’il met à disposition sont placés par des tiers sur Internet dans des collections de liens contenant des informations sur le contenu des fichiers et permettent la recherche de certains contenus,

– il crée en aménageant la rémunération versée pour les téléchargements en fonction de la demande une incitation à téléverser des contenus protégés par des droits d’auteur qui sinon ne pourraient être obtenus par les utilisateurs que contre paiement,

et

– en offrant la possibilité de téléverser des fichiers anonymement, il accroît la probabilité que les utilisateurs ne seront pas traduits en justice pour des atteintes au droit d’auteur ?

b) L’appréciation portée est-elle différente si la mise à disposition d’offres portant atteinte au droit d’auteur représente 90 à 96 % de l’utilisation globale de [la plateforme d’hébergement et de partage de fichiers] ?

2) En cas de réponse négative à la première question :

L’activité de l’exploitant d’[une plateforme d’hébergement et de partage de fichiers] relève-t-elle, dans les circonstances décrites dans la première question, du champ d’application de l’article 14, paragraphe 1, de la directive [sur le commerce électronique] ?

3) En cas de réponse affirmative à la deuxième question :

La connaissance effective de l’activité ou de l’information illicites et la conscience des faits ou des circonstances selon lesquels l’activité ou l’information illicite est apparente doivent-elles, en vertu de l’article 14, paragraphe 1, de la directive [sur le commerce électronique], concerner des activités ou des informations illicites concrètes ?

4) Toujours dans l’hypothèse d’une réponse affirmative à la deuxième question :

Est-il conforme à l’article 8, paragraphe 3, de la directive [sur le droit d’auteur] que le titulaire des droits ne peut obtenir une ordonnance sur requête contre un prestataire de services, dont le service consistant à stocker des informations fournies par un utilisateur a été utilisé par un utilisateur pour porter atteinte à un droit d’auteur ou à un droit voisin, que lorsque, après qu’une atteinte claire au droit a été signalée, une telle atteinte se reproduit ?

5) Dans l’hypothèse où il serait répondu par la négative aux première et deuxième questions :

L’exploitant d’[une plateforme d’hébergement et de partage de fichiers] doit-il, dans les circonstances décrites dans la première question, être considéré comme un contrevenant, au sens de l’article 11, première phrase, et de l’article 13 de la directive [relative au respect des droits] ?

6) En cas de réponse affirmative à la cinquième question :

L’obligation d’un tel contrevenant de verser des dommages-intérêts au titre de l’article 13, paragraphe 1, de la directive [relative au respect des droits] peut-elle être soumise à la condition que celui ait agi intentionnellement en ce qui concerne tant sa propre activité illicite que celle d’un tiers et qu’il savait ou aurait raisonnablement dû savoir que les utilisateurs utilisent la plateforme pour commettre des infractions concrètes ? »

58 Par décision du président de la Cour du 18 décembre 2018, les affaires C‑682/18 et C‑683/18 ont été jointes aux fins de la procédure écrite et orale ainsi que de l’arrêt.

Sur les questions préjudicielles

59 À titre liminaire, il importe de préciser que les questions posées dans les présentes affaires portent sur la directive sur le droit d’auteur, sur la directive sur le commerce électronique ainsi que sur la directive relative au respect des droits, applicables à l’époque des faits au principal. Les interprétations fournies par la Cour en réponse à ces questions ne concernent pas le régime, entré en application postérieurement à cette époque, qui a été institué par l’article 17 de la directive (UE) 2019/790 du Parlement européen et du Conseil, du 17 avril 2019, sur le droit d’auteur et les droits voisins dans le marché unique numérique et modifiant les directives 96/9/CE et 2001/29 (JO 2019, L 130, p. 92).

Sur la première question posée dans les affaires C682/18 et C683/18

60 Par sa première question posée dans chacune des deux affaires, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 3, paragraphe 1, de la directive sur le droit d’auteur doit être interprété en ce sens que l’exploitant d’une plateforme de partage de vidéos ou d’une plateforme d’hébergement et de partage de fichiers, sur laquelle des utilisateurs peuvent mettre illégalement à la disposition du public des contenus protégés, effectue lui-même, dans des conditions telles que celles en cause dans les affaires au principal, une « communication au public » de ces contenus, au sens de cette disposition.

61 Aux termes de l’article 3, paragraphe 1, de la directive sur le droit d’auteur, les États membres prévoient pour les auteurs le droit exclusif d’autoriser ou d’interdire toute communication au public de leurs œuvres, par fil ou sans fil, y compris la mise à la disposition du public de leurs œuvres de manière à ce que chacun puisse y avoir accès de l’endroit et au moment qu’il choisit individuellement.

62 En vertu de cette disposition, les auteurs disposent ainsi d’un droit de nature préventive leur permettant de s’interposer entre d’éventuels utilisateurs de leur œuvre et la communication au public que ces utilisateurs pourraient envisager d’effectuer, et ce afin d’interdire celle–ci (arrêt du 9 mars 2021, VG Bild–Kunst, C‑392/19, EU:C:2021:181, point 21 et jurisprudence citée).

63 Ainsi que la Cour l’a déjà jugé, la notion de « communication au public », au sens de l’article 3, paragraphe 1, de la directive sur le droit d’auteur, doit, comme le souligne le considérant 23 de cette directive, s’entendre au sens large, comme couvrant toute communication au public non présent au lieu d’origine de la communication et, ainsi, toute transmission ou retransmission, de cette nature, d’une œuvre au public, par fil ou sans fil, y compris la radiodiffusion. En effet, il résulte des considérants 4, 9 et 10 de ladite directive que celle-ci a pour objectif principal d’instaurer un niveau élevé de protection en faveur des auteurs, permettant à ceux-ci d’obtenir une rémunération appropriée pour l’utilisation de leurs œuvres, notamment à l’occasion d’une communication au public (arrêt du 9 mars 2021, VG Bild-Kunst, C‑392/19, EU:C:2021:181, points 26 et 27).

64 En même temps, il découle des considérants 3 et 31 de la directive sur le droit d’auteur que l’harmonisation effectuée par celle-ci vise à maintenir, et ce notamment dans l’environnement électronique, un juste équilibre entre, d’une part, l’intérêt des titulaires des droits d’auteur et des droits voisins à la protection de leur droit de propriété intellectuelle, garantie par l’article 17, paragraphe 2, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »), et, d’autre part, la protection des intérêts et des droits fondamentaux des utilisateurs d’objets protégés, en particulier de leur liberté d’expression et d’information, garantie par l’article 11 de la Charte, ainsi que de l’intérêt général (arrêts du 8 septembre 2016, GS Media, C‑160/15, EU:C:2016:644, point 31, ainsi que du 29 juillet 2019, Pelham e.a., C‑476/17, EU:C:2019:624, point 32 et jurisprudence citée).

65 Il en résulte que, aux fins de l’interprétation et de l’application de la directive sur le droit d’auteur, et notamment de son article 3, paragraphe 1, ce juste équilibre doit être recherché, en tenant compte également de l’importance particulière d’Internet pour la liberté d’expression et d’information, garantie par l’article 11 de la Charte (voir, en ce sens, arrêt du 8 septembre 2016, GS Media, C‑160/15, EU:C:2016:644, point 45).

66 Ainsi que la Cour l’a itérativement jugé, la notion de « communication au public », au sens de cet article 3, paragraphe 1, associe deux éléments cumulatifs, à savoir un acte de communication d’une œuvre et la communication de cette dernière à un public, et implique une appréciation individualisée (arrêt du 9 mars 2021, VG Bild–Kunst, C‑392/19, EU:C:2021:181, points 29 et 33 ainsi que jurisprudence citée).

67 Aux fins d’une telle appréciation, il importe de tenir compte de plusieurs critères complémentaires, de nature non autonome et interdépendants les uns par rapport aux autres. Ces critères pouvant, dans différentes situations concrètes, être présents avec une intensité très variable, il y a lieu de les appliquer tant individuellement que dans leur interaction les uns avec les autres (arrêt du 9 mars 2021, VG Bild–Kunst, C‑392/19, EU:C:2021:181, point 34 et jurisprudence citée).

68 Parmi ces critères, la Cour a, d’une part, souligné le rôle incontournable joué par l’exploitant de la plateforme et le caractère délibéré de son intervention. En effet, celui-ci réalise un « acte de communication » lorsqu’il intervient, en pleine connaissance des conséquences de son comportement, pour donner à ses clients accès à une œuvre protégée, et ce notamment lorsque, en l’absence de cette intervention, ces clients ne pourraient, en principe, jouir de l’œuvre diffusée (voir, en ce sens, arrêt du 14 juin 2017, Stichting Brein, C‑610/15, EU:C:2017:456, point 26 et jurisprudence citée).

69 D’autre part, la Cour a précisé que la notion de « public » vise un nombre indéterminé de destinataires potentiels et implique, par ailleurs, un nombre de personnes assez important [arrêt du 28 octobre 2020, BY (Preuve photographique), C‑637/19, EU:C:2020:863, point 26 et jurisprudence citée].

70 La Cour a également rappelé que, selon une jurisprudence constante, pour être qualifiée de « communication au public », une œuvre protégée doit être communiquée selon un mode technique spécifique, différent de ceux jusqu’alors utilisés ou, à défaut, auprès d’un « public nouveau », c’est-à-dire un public n’ayant pas été déjà pris en compte par le titulaire du droit lorsqu’il a autorisé la communication initiale de son œuvre au public (arrêt du 19 décembre 2019, Nederlands Uitgeversverbond et Groep Algemene Uitgevers, C‑263/18, EU:C:2019:1111, point 70 ainsi que jurisprudence citée).

71 En l’occurrence, il convient de relever d’emblée que les contenus potentiellement illicites sont téléversés sur la plateforme concernée non pas par l’exploitant, mais par les utilisateurs, qui agissent de manière autonome et sous leur propre responsabilité.

72 En outre, ce sont les utilisateurs de la plateforme qui déterminent si les contenus qu’ils ont téléversés sont, par l’intermédiaire de cette plateforme, mis à la disposition d’autres internautes, afin que ceux-ci puissent y avoir accès, de l’endroit et au moment qu’ils choisissent individuellement.

73 En effet, s’agissant de la plateforme d’hébergement et de partage Uploaded, il est constant que le lien de téléchargement permettant d’accéder à un contenu téléversé est communiqué exclusivement à l’utilisateur ayant effectué le téléversement et que cette plateforme ne fournit pas elle-même la possibilité de partager ce lien et, partant, le contenu téléversé avec d’autres internautes. Ainsi, afin de partager ce contenu, l’utilisateur doit soit communiquer le lien de téléchargement directement aux personnes auxquelles il souhaite donner accès audit contenu, soit publier ce lien sur Internet, notamment dans des blogs, des forums ou des « collections de liens ».

74 Quant à la plateforme de partage de vidéos YouTube, il apparaît que, si la fonction principale de cette plateforme consiste dans le partage public de vidéos avec l’ensemble des internautes, celle-ci permet également à ses utilisateurs d’y téléverser des contenus de façon « privée » et ainsi de choisir si, et le cas échéant avec qui, ils souhaitent partager ces contenus.

75 Dès lors, il y a lieu de considérer, d’une part, que les utilisateurs des plateformes en cause dans les affaires au principal réalisent un « acte de communication », au sens de la jurisprudence rappelée au point 68 du présent arrêt, lorsque, sans l’accord des titulaires des droits, ils donnent à d’autres internautes, par l’intermédiaire de ces plateformes, accès à des œuvres protégées dont ces autres internautes n’auraient pas pu jouir en l’absence de l’intervention de ces utilisateurs. D’autre part, ce n’est que dans l’hypothèse où lesdits utilisateurs mettent les contenus téléversés à la disposition du « public », au sens de la jurisprudence rappelée au point 69 du présent arrêt, en partageant ces contenus avec tout internaute sur la plateforme YouTube ou en publiant sur Internet les liens de téléchargement donnant accès auxdits contenus sur la plateforme Uploaded, que ces utilisateurs et, par voie de conséquence, l’exploitant de la plateforme servant d’intermédiaire pour cette mise à disposition sont susceptibles d’effectuer une « communication au public », au sens de l’article 3, paragraphe 1, de la directive sur le droit d’auteur.

76 Par sa première question posée dans chacune des deux affaires, la juridiction de renvoi cherche à savoir si l’exploitant d’une plateforme de partage de vidéos ou d’une plateforme d’hébergement et de partage de fichiers effectue lui-même un « acte de communication » qui s’ajoute à celui effectué, le cas échéant, par l’utilisateur de celle-ci.

77 À cet égard, il convient de relever que l’exploitant d’une telle plateforme joue un rôle incontournable dans la mise à disposition de contenus potentiellement illicites, effectuée par ses utilisateurs. En effet, en l’absence de fourniture et de gestion d’une telle plateforme, le libre partage sur Internet de ces contenus s’avérerait impossible ou, à tout le moins, plus complexe (voir, par analogie, arrêt du 14 juin 2017, Stichting Brein, C‑610/15, EU:C:2017:456, points 36 et 37).

78 Cependant, ainsi qu’il résulte de la jurisprudence citée aux points 67 et 68 du présent arrêt, le caractère incontournable du rôle joué par l’exploitant d’une plateforme de partage de vidéos ou d’une plateforme d’hébergement et de partage de fichiers n’est pas le seul critère dont il convient de tenir compte dans le cadre de l’appréciation individualisée qu’il y a lieu d’effectuer, mais doit, au contraire, être appliqué dans son interaction avec d’autres critères, notamment celui du caractère délibéré de l’intervention d’un tel exploitant.

79 En effet, si la seule circonstance que l’utilisation d’une plateforme est nécessaire pour que le public puisse effectivement jouir de l’œuvre, voire qu’elle facilite seulement cette jouissance, conduisait de manière automatique à qualifier l’intervention de l’exploitant de cette plateforme d’« acte de communication », toute « fourniture d’installations destinées à permettre ou à réaliser une communication » constituerait un tel acte, ce que le considérant 27 de la directive sur le droit d’auteur, qui reprend, en substance, la déclaration commune concernant l’article 8 du TDA, exclut pourtant expressément.

80 Partant, c’est tant au regard de l’importance du rôle qu’une telle intervention de l’exploitant d’une plateforme joue dans la communication effectuée par l’utilisateur de celle-ci que du caractère délibéré de cette intervention qu’il convient d’apprécier si, compte tenu du contexte spécifique, ladite intervention doit être qualifiée d’acte de communication.

81 À cet égard, il résulte de la jurisprudence citée au point 68 du présent arrêt que c’est notamment le fait d’intervenir en pleine connaissance des conséquences de son comportement dans le but de donner au public accès à des œuvres protégées qui est susceptible de conduire à qualifier cette intervention d’« acte de communication ».

82 En application de cette jurisprudence, la Cour a jugé que la mise à disposition et la gestion, sur Internet, de la plateforme de partage The Pirate Bay qui, par l’indexation de métadonnées relatives à des œuvres protégées et la fourniture d’un moteur de recherche, permettait aux utilisateurs de cette plateforme de localiser ces œuvres et de les partager dans le cadre d’un réseau de pair à pair (peer-to-peer), constituaient une communication au public. À cet égard, la Cour a notamment souligné que les administrateurs de The Pirate Bay étaient intervenus en pleine connaissance des conséquences de leur comportement, pour donner accès aux œuvres protégées, qu’ils avaient manifesté expressément, sur les blogs et les forums disponibles sur ladite plateforme, leur objectif de mettre des œuvres protégées à la disposition des utilisateurs et qu’ils avaient incité ces derniers à réaliser des copies de telles œuvres (voir, en ce sens, arrêt du 14 juin 2017, Stichting Brein, C‑610/15, EU:C:2017:456, points 36, 45 et 48).

83 Afin de déterminer si l’exploitant d’une plateforme de partage de vidéos ou d’une plateforme d’hébergement et de partage de fichiers intervient dans la communication illicite de contenus protégés, effectuée par des utilisateurs de sa plateforme, en pleine connaissance des conséquences de son comportement pour donner aux autres internautes accès à de tels contenus, il importe de tenir compte de l’ensemble des éléments caractérisant la situation en cause et permettant de tirer, directement ou indirectement, des conclusions sur le caractère délibéré ou non de son intervention dans la communication illicite desdits contenus.

84 Constituent à cet égard des éléments pertinents, notamment, le fait qu’un tel exploitant, alors même qu’il sait ou devrait savoir que, d’une manière générale, des contenus protégés sont illégalement mis à la disposition du public par l’intermédiaire de sa plateforme par des utilisateurs de celle-ci, s’abstient de mettre en œuvre les mesures techniques appropriées qu’il est permis d’attendre d’un opérateur normalement diligent dans sa situation pour contrer de manière crédible et efficace des violations du droit d’auteur sur cette plateforme, et le fait que cet exploitant participe à la sélection de contenus protégés communiqués illégalement au public, qu’il fournit sur sa plateforme des outils destinés spécifiquement au partage illicite de tels contenus ou qu’il promeut sciemment de tels partages, ce dont est susceptible de témoigner la circonstance que ledit exploitant a adopté un modèle économique incitant les utilisateurs de sa plateforme à procéder illégalement à la communication au public de contenus protégés sur celle-ci.

85 En revanche, la seule circonstance que l’exploitant connaît, d’une manière générale, la disponibilité illicite de contenus protégés sur sa plateforme ne suffit pas pour considérer qu’il intervient dans le but de donner aux internautes accès à ceux-ci. Il en va toutefois autrement si cet exploitant, alors qu’il a été averti par le titulaire des droits du fait qu’un contenu protégé est illégalement communiqué au public par l’intermédiaire de sa plateforme, s’abstient de prendre promptement les mesures nécessaires pour rendre ce contenu inaccessible.

86 En outre, si le caractère lucratif de l’intervention en cause n’est pas dénué de pertinence (voir, en ce sens, arrêt du 14 juin 2017, Stichting Brein, C‑610/15, EU:C:2017:456, point 29 et jurisprudence citée), le seul fait que l’exploitant d’une plateforme de partage de vidéos ou d’une plateforme d’hébergement et de partage de fichiers poursuit un but lucratif ne permet ni de constater le caractère délibéré de son intervention dans la communication illicite de contenus protégés, effectuée par certains de ses utilisateurs, ni de présumer un tel caractère. En effet, le fait de fournir des services de la société de l’information dans un but lucratif ne signifie nullement que le fournisseur de tels services consent à ce que ceux-ci soient utilisés par des tiers pour porter atteinte au droit d’auteur. À cet égard, il résulte notamment de l’économie de l’article 8 de la directive sur le droit d’auteur, notamment du paragraphe 3 de ce dernier, lu en combinaison avec le considérant 27 de cette directive, que de simples fournisseurs d’installations destinées à permettre ou à réaliser une communication et d’autres intermédiaires dont les services sont utilisés par un tiers pour porter atteinte au droit d’auteur ne sauraient être présumés effectuer par eux-mêmes un acte de communication au public, bien qu’ils agissent, en règle générale, dans un but lucratif.

87 Une présomption en ce sens ne saurait être tirée de l’arrêt du 8 septembre 2016, GS Media (C‑160/15, EU:C:2016:644).

88 En effet, par l’interprétation de l’article 3, paragraphe 1, de la directive sur le droit d’auteur retenue dans cet arrêt, la Cour a limité la responsabilité des personnes plaçant des liens hypertexte vers des œuvres protégées en raison de l’importance particulière que de tels liens revêtent pour l’échange d’opinions et d’informations sur Internet et des difficultés pour vérifier la légalité de la publication d’une œuvre sur un autre site Internet. Ainsi, la Cour a jugé que la fourniture d’un lien hypertexte constitue un acte de communication au public, au sens de l’article 3, paragraphe 1, de la directive sur le droit d’auteur, lorsque la personne qui a placé le lien savait ou devait savoir que celui-ci donne accès à une œuvre illégalement publiée sur Internet, que ce lien permet de contourner des mesures de restriction prises par le site où se trouve l’œuvre protégée ou que le placement dudit lien est effectué dans un but lucratif, la personne ayant placé le lien devant alors réaliser les vérifications nécessaires pour s’assurer que l’œuvre concernée n’est pas illégalement publiée sur le site auquel mène ledit lien hypertexte (voir, en ce sens, arrêt du 8 septembre 2016, GS Media, C‑160/15, EU:C:2016:644, points 44 à 55).

89 Or, la situation d’une personne plaçant un lien hypertexte qui agit de sa propre initiative et qui, au moment de ce placement, a connaissance du contenu vers lequel ce lien est censé mener n’est pas comparable à celle de l’exploitant d’une plateforme de partage de vidéos ou d’une plateforme d’hébergement et de partage de fichiers lorsque celui-ci n’a pas de connaissance concrète des contenus protégés téléversés par des utilisateurs sur cette plateforme et ne contribue pas, au-delà de la simple mise à disposition de la plateforme, à donner au public accès à de tels contenus en violation du droit d’auteur. Par conséquent, l’interprétation retenue par la Cour dans ledit arrêt ne saurait être transposée à un tel exploitant aux fins d’établir le caractère délibéré de son intervention dans la communication illicite d’œuvres protégées au public, au sens de l’article 3, paragraphe 1, de la directive sur le droit d’auteur.

90 S’agissant des exploitants des deux plateformes en cause dans les affaires au principal, il incombe à la juridiction de renvoi de déterminer, au regard notamment des critères énumérés au point 84 du présent arrêt, si ces exploitants effectuent eux-mêmes des actes de communication au public, au sens de l’article 3, paragraphe 1, de la directive sur le droit d’auteur, des contenus protégés qui sont téléversés sur leur plateforme par les utilisateurs de celle-ci.

91 La Cour peut néanmoins fournir à cette juridiction quelques éclaircissements par rapport notamment aux éléments factuels visés par les questions.

92 Dans l’affaire C‑682/18, il ressort de la décision de renvoi que YouTube n’intervient pas dans la création ou la sélection des contenus téléversés par les utilisateurs de sa plateforme sur celle-ci, et qu’elle ne procède ni au visionnage ni au contrôle de ces contenus avant leur téléversement, lequel s’effectue selon un procédé automatisé.

93 Il en découle également que YouTube informe clairement ses utilisateurs, dans ses conditions générales d’utilisation et lors de chaque téléversement, de l’interdiction de placer des contenus protégés sur cette plateforme en violation du droit d’auteur. Elle appelle, par ailleurs, ses utilisateurs, dans ses « Lignes directrices de la communauté », à respecter le droit d’auteur. En outre, lorsqu’une vidéo est bloquée en raison d’un signalement par le titulaire des droits, l’utilisateur qui l’a téléversée est alerté du fait que son compte sera bloqué en cas de récidive.

94 De plus, YouTube aurait mis en place différents dispositifs techniques afin de prévenir et de faire cesser les violations du droit d’auteur sur sa plateforme, tels que, notamment, un bouton de notification et un procédé spécial d’alerte pour signaler et faire supprimer des contenus illicites ainsi qu’un programme de vérification des contenus et des logiciels de reconnaissance de contenu facilitant l’identification et la désignation de tels contenus. Il apparaît ainsi que cet exploitant a déployé des mesures techniques visant à contrer de manière crédible et efficace les violations du droit d’auteur sur sa plateforme.

95 En outre, selon la juridiction de renvoi, si YouTube, d’une part, procède sur sa plateforme à un traitement des résultats de recherche sous forme de listes de classement et de rubriques de contenus et, d’autre part, présente aux utilisateurs enregistrés un aperçu de vidéos recommandées en fonction des vidéos déjà visualisées par ces utilisateurs, ces listes de classement, ces rubriques de contenus et ces aperçus de vidéos recommandées ne visent pas à faciliter le partage illicite de contenus protégés ni à promouvoir de tels partages.

96 Par ailleurs, si YouTube tire des recettes publicitaires de sa plateforme et permet aux utilisateurs ayant téléversé des contenus ainsi qu’aux titulaires de contenus protégés par le droit d’auteur de participer à ces recettes, il n’apparaît pas que le modèle économique de cette plateforme repose sur la présence de contenus illicites sur celle-ci ou que ce modèle vise à inciter les utilisateurs à téléverser de tels contenus, ni que le but ou l’usage principal de YouTube consiste dans le partage illicite de contenus protégés.

97 Dans l’affaire C‑683/18, il ressort de la décision de renvoi que Cyando, l’exploitant de la plateforme d’hébergement et de partage de fichiers Uploaded, ne procède pas non plus à la création, à la sélection, au visionnage et au contrôle des contenus téléversés sur sa plateforme. Par ailleurs, elle informe ses utilisateurs, dans les conditions d’utilisation de sa plateforme, qu’il leur est interdit de porter atteinte au droit d’auteur par l’intermédiaire de celle-ci.

98 En outre, ainsi qu’il a été relevé au point 73 du présent arrêt, le téléversement de contenus protégés par des utilisateurs sur la plateforme Uploaded ne permet pas à ceux-ci de mettre ces contenus directement à la disposition du public, dès lors qu’il n’est possible d’accéder au contenu téléversé que par un lien de téléchargement qui n’est communiqué qu’à l’utilisateur ayant effectué le téléversement. Il est également constant que cette plateforme ne permet pas elle-même de partager ce lien et, donc, le contenu téléversé avec d’autres internautes. Ainsi, non seulement Cyando ne fournit pas d’outils destinés spécifiquement à faciliter le partage illicite, sur sa plateforme, de contenus protégés ou à promouvoir de tels partages, mais, de manière plus générale, celle-ci ne comporte aucun outil permettant aux autres internautes de connaître les contenus qui y sont stockés et d’y accéder. De plus, Cyando ne participe pas à l’éventuel placement des liens de téléchargement sur des sources tierces, telles que des blogs, des forums ou des « collections de liens ». Par ailleurs, une plateforme d’hébergement et de partage de fichiers telle que Uploaded offre à ses utilisateurs différentes possibilités d’usage licites.

99 Elsevier fait toutefois valoir que les fichiers comportant des contenus illicites représentent entre 90 à 96 % des fichiers qui peuvent être consultés sur Uploaded, ce qui est contesté par Cyando qui soutient que seul 1,1 % de l’ensemble des fichiers effectivement consultés concernent des contenus protégés par le droit d’auteur, ce qui correspondrait à 0,3 % du volume total des données stockées.

100 À cet égard, il importe de rappeler, d’une part, que, ainsi qu’il a été relevé au point 75 du présent arrêt, c’est uniquement lorsque l’utilisateur de la plateforme décide de mettre le contenu téléversé à la disposition du « public » que cet utilisateur et, par voie de conséquence, l’exploitant de la plateforme servant d’intermédiaire sont susceptibles d’effectuer une « communication au public », au sens de l’article 3, paragraphe 1, de la directive sur le droit d’auteur. D’autre part, il convient de souligner que, s’il devait s’avérer que l’utilisation principale ou prépondérante de la plateforme exploitée par Cyando consiste dans la mise à la disposition du public, de manière illicite, de contenus protégés, cette circonstance figurerait au nombre des éléments pertinents aux fins de déterminer le caractère délibéré de l’intervention de cet exploitant. La pertinence d’une telle circonstance serait d’autant plus importante que ledit exploitant s’abstiendrait de mettre en œuvre les mesures techniques appropriées qu’il est permis d’attendre d’un opérateur normalement diligent dans sa situation pour contrer de manière crédible et efficace des violations du droit d’auteur sur sa plateforme.

101 Enfin, indépendamment du bien-fondé de l’allégation d’Elsevier quant à la part élevée de contenus protégés, communiqués illégalement au public par l’intermédiaire d’Uploaded, le caractère délibéré de l’intervention de l’exploitant de cette plateforme pourrait découler du fait, qu’il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier, que le modèle économique adopté par cet exploitant repose sur la disponibilité de contenus illicites sur sa plateforme et vise à inciter ses utilisateurs à partager de tels contenus par l’intermédiaire de celle-ci.

102 Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient de répondre à la première question posée dans chacune des deux affaires que l’article 3, paragraphe 1, de la directive sur le droit d’auteur doit être interprété en ce sens que l’exploitant d’une plateforme de partage de vidéos ou d’une plateforme d’hébergement et de partage de fichiers, sur laquelle des utilisateurs peuvent mettre illégalement à la disposition du public des contenus protégés, n’effectue pas une « communication au public » de ceux-ci, au sens de cette disposition, à moins qu’il ne contribue, au-delà de la simple mise à disposition de la plateforme, à donner au public accès à de tels contenus en violation du droit d’auteur. Tel est notamment le cas lorsque cet exploitant a concrètement connaissance de la mise à disposition illicite d’un contenu protégé sur sa plateforme et s’abstient de l’effacer ou d’en bloquer l’accès promptement, ou lorsque ledit exploitant, alors même qu’il sait ou devrait savoir que, d’une manière générale, des contenus protégés sont illégalement mis à la disposition du public par l’intermédiaire de sa plateforme par des utilisateurs de celle-ci, s’abstient de mettre en œuvre les mesures techniques appropriées qu’il est permis d’attendre d’un opérateur normalement diligent dans sa situation pour contrer de manière crédible et efficace des violations du droit d’auteur sur cette plateforme, ou encore lorsqu’il participe à la sélection de contenus protégés communiqués illégalement au public, fournit sur sa plateforme des outils destinés spécifiquement au partage illicite de tels contenus ou promeut sciemment de tels partages, ce dont est susceptible de témoigner la circonstance que l’exploitant a adopté un modèle économique incitant les utilisateurs de sa plateforme à procéder illégalement à la communication au public de contenus protégés sur celle-ci.

Sur les deuxième et troisième questions posées dans les affaires C682/18 et C683/18

103 Par ses deuxième et troisième questions posées dans chacune des deux affaires, qu’il convient de traiter ensemble, la juridiction de renvoi demande si l’article 14, paragraphe 1, de la directive sur le commerce électronique doit être interprété en ce sens que relève du champ d’application de cette disposition l’activité de l’exploitant d’une plateforme de partage de vidéos ou d’une plateforme d’hébergement et de partage de fichiers, dans la mesure où cette activité concerne les contenus téléversés sur sa plateforme par des utilisateurs de celle-ci. Dans l’affirmative, cette juridiction souhaite savoir, en substance, si l’article 14, paragraphe 1, sous a), de cette directive doit être interprété en ce sens que, pour être exclu, en vertu de cette disposition, du bénéfice de l’exonération de responsabilité prévue à cet article 14, paragraphe 1, cet exploitant doit avoir connaissance des actes illicites concrets de ses utilisateurs afférents à des contenus protégés qui ont été téléversés sur sa plateforme.

104 Aux termes de l’article 14, paragraphe 1, de la directive sur le commerce électronique, les États membres veillent à ce que, en cas de fourniture d’un service de la société de l’information consistant à stocker des informations fournies par un destinataire du service, le prestataire ne soit pas responsable des informations stockées à la demande d’un destinataire du service, à condition que le prestataire n’ait pas effectivement connaissance de l’activité ou de l’information illicites et, en ce qui concerne une demande en dommages et intérêts, n’ait pas connaissance de faits ou de circonstances selon lesquels l’activité ou l’information illicite est apparente, ou bien que le prestataire, dès le moment où il a de telles connaissances, agisse promptement pour retirer les informations ou rendre l’accès à celles-ci impossible.

105 Selon une jurisprudence constante, cette disposition doit être interprétée non seulement au regard de ses termes, mais également en tenant compte de son contexte et des objectifs poursuivis par la réglementation dont elle fait partie (arrêt du 26 janvier 2021, Szpital Kliniczny im. dra J. Babińskiego Samodzielny Publiczny Zakład Opieki Zdrowotnej w Krakowie, C‑16/19, EU:C:2021:64, point 26 et jurisprudence citée). Pour que le prestataire d’un service sur Internet puisse relever de son champ d’application, il est essentiel qu’il soit un « prestataire intermédiaire » au sens voulu par le législateur dans le cadre de la section 4 du chapitre II de la directive sur le commerce électronique. Il découle, à cet égard, du considérant 42 de cette directive que les dérogations en matière de responsabilité prévues par celle-ci ne couvrent que les cas où l’activité du prestataire de services dans le cadre de la société de l’information revêt un caractère purement technique, automatique et passif, impliquant que ledit prestataire n’a pas la connaissance ni le contrôle des informations transmises ou stockées (voir, en ce sens, arrêt du 23 mars 2010, Google France et Google, C‑236/08 à C‑238/08, EU:C:2010:159, points 112 et 113).

106 Dès lors, afin de rechercher si l’exploitant d’une plateforme de partage de vidéos ou d’une plateforme d’hébergement et de partage de fichiers peut être exonéré, au titre de l’article 14, paragraphe 1, de la directive sur le commerce électronique, de sa responsabilité pour les contenus protégés que des utilisateurs communiquent illégalement au public par l’intermédiaire de sa plateforme, il convient d’examiner si le rôle exercé par cet exploitant est neutre, c’est-à-dire si son comportement est purement technique, automatique et passif, impliquant l’absence de connaissance ou de contrôle des contenus qu’il stocke, ou si, au contraire, ledit exploitant joue un rôle actif de nature à lui conférer une connaissance ou un contrôle de ces contenus (voir, par analogie, arrêt du 12 juillet 2011, L’Oréal e.a., C‑324/09, EU:C:2011:474, point 113 et jurisprudence citée).

107 À cet égard, il y a lieu de relever que, dans l’hypothèse où la juridiction de renvoi devrait constater, dans le cadre de son examen de l’article 3, paragraphe 1, de la directive sur le droit d’auteur, que YouTube ou Cyando contribue, au-delà de la simple mise à disposition de sa plateforme, à donner au public accès à des contenus protégés en violation du droit d’auteur, l’exploitant concerné ne pourrait pas se prévaloir de l’exonération de responsabilité, prévue à l’article 14, paragraphe 1, de la directive sur le commerce électronique.

108 Certes, comme l’a relevé M. l’avocat général aux points 138 à 140 de ses conclusions, le point de savoir si un tel exploitant effectue une « communication au public », au sens de l’article 3, paragraphe 1, de la directive sur le droit d’auteur n’est pas, en soi, déterminant aux fins d’apprécier si l’article 14, paragraphe 1, de la directive sur le commerce électronique s’applique. Il n’en reste pas moins qu’un tel exploitant qui contribue, au-delà de la simple mise à disposition de la plateforme, à donner au public accès à de tels contenus en violation du droit d’auteur, ne saurait être considéré comme remplissant les conditions d’application posées par cette dernière disposition, rappelées aux points 105 et 106 du présent arrêt.

109 Pour le cas où la juridiction de renvoi parvient à un constat inverse à celui visé au point 107 du présent arrêt, il y a lieu de relever, au-delà de la circonstance, mentionnée aux points 92 et 97 du présent arrêt, selon laquelle les exploitants des plateformes en cause au principal ne procèdent pas à la création, à la sélection, au visionnage et au contrôle des contenus téléversés sur leur plateforme, que le fait, évoqué par cette juridiction, que l’exploitant d’une plateforme de partage de vidéos, tel que YouTube, met en œuvre des mesures techniques visant à détecter, parmi les vidéos communiquées au public par l’intermédiaire de sa plateforme, des contenus susceptibles de porter atteinte au droit d’auteur, n’implique pas que, ce faisant, cet exploitant joue un rôle actif lui conférant la connaissance ou le contrôle du contenu de ces vidéos et ce, sous peine d’exclure du régime d’exonération de responsabilité prévu à l’article 14, paragraphe 1, de la directive sur le commerce électronique les prestataires de services de la société de l’information qui adoptent des mesures visant précisément à lutter contre de telles atteintes.

110 Encore convient-il que l’exploitant en cause respecte les conditions auxquelles cette disposition subordonne l’exonération de sa responsabilité.

111 S’agissant de la condition visée à l’article 14, paragraphe 1, sous a), de la directive sur le commerce électronique, celle-ci ne saurait être réputée non satisfaite au seul motif que cet exploitant est conscient, d’une manière générale, du fait que sa plateforme est également utilisée pour partager des contenus susceptibles de porter atteinte à des droits de propriété intellectuelle et qu’il a donc une connaissance abstraite de la mise à disposition illicite de contenus protégés sur sa plateforme.

112 En effet, ainsi que l’a exposé M. l’avocat général aux points 172 à 190 et 196 de ses conclusions, il ressort du libellé, de l’objectif et de l’économie de l’article 14, paragraphe 1, de la directive sur le commerce électronique ainsi que du contexte général dans lequel celui-ci s’inscrit que les hypothèses visées à cet article 14, paragraphe 1, sous a), à savoir celle dans laquelle le prestataire des services concerné a « effectivement connaissance de l’activité ou de l’information illicites » et celle dans laquelle un tel prestataire a « connaissance de faits ou de circonstances selon lesquels l’activité ou l’information illicite est apparente », se réfèrent à des activités et des informations illicites concrètes.

113 À cet égard, outre le fait que, en vertu du libellé de l’article 14, paragraphe 1, sous a), de la directive sur le commerce électronique, le caractère illicite de l’activité ou de l’information doit résulter d’une connaissance effective ou être apparent, c’est-à-dire qu’il doit être concrètement établi ou aisément identifiable, il importe de relever que cet article 14, paragraphe 1, constitue, ainsi que cela ressort des considérants 41 et 46 de cette directive, l’expression de l’équilibre que cette dernière vise à instaurer entre les différents intérêts en jeu, parmi lesquels figure le respect de la liberté d’expression, garanti par l’article 11 de la Charte. Ainsi, d’une part, les prestataires des services concernés ne sauraient, conformément à l’article 15, paragraphe 1, de ladite directive, se voir imposer une obligation générale de surveiller les informations qu’ils transmettent ou stockent ou une obligation générale de rechercher activement des faits ou des circonstances révélant des activités illicites. D’autre part, en application de l’article 14, paragraphe 1, sous b), de la directive sur le commerce électronique, ces prestataires doivent, dès qu’ils prennent effectivement connaissance d’une information illicite, agir promptement pour retirer cette information ou rendre l’accès à celle-ci impossible, et ce dans le respect du principe de la liberté d’expression. Or, ainsi que l’a également souligné la juridiction de renvoi, ce n’est qu’à l’égard de contenus concrets qu’un tel prestataire peut s’acquitter de cette obligation.

114 À cet égard, la circonstance que l’exploitant d’une plateforme de partage de contenus en ligne procède à une indexation automatisée des contenus téléversés sur cette plateforme, que ladite plateforme comporte une fonction de recherche et qu’elle recommande des vidéos en fonction du profil ou des préférences des utilisateurs ne saurait suffire pour considérer que cet exploitant a une connaissance « concrète » des activités illicites réalisées sur cette même plateforme ou des informations illicites qui y sont stockées.

115 En ce qui concerne, plus particulièrement, la seconde des hypothèses prévues à l’article 14, paragraphe 1, sous a), de la directive sur le commerce électronique, à savoir celle visant la « connaissance de faits ou de circonstances selon lesquels l’activité ou l’information illicite est apparente », la Cour a constaté qu’il suffit que le prestataire de services concerné ait pris connaissance, d’une façon ou d’une autre, de faits ou de circonstances sur la base desquels un opérateur économique diligent aurait dû constater l’illicéité en cause et agir conformément à cet article 14, paragraphe 1, sous b). Sont ainsi visées, notamment, la situation dans laquelle un tel prestataire découvre l’existence d’une activité ou d’une information illicite à la suite d’un examen effectué de sa propre initiative ainsi que celle dans laquelle l’existence d’une telle activité ou d’une telle information lui est notifiée. Dans ce second cas, si une notification ne saurait, certes, automatiquement écarter le bénéfice de l’exonération de responsabilité prévue audit article 14, étant donné que des notifications d’activités ou d’informations prétendument illicites peuvent se révéler insuffisamment précises et étayées, il n’en reste pas moins qu’elle constitue, en règle générale, un élément dont le juge national doit tenir compte pour apprécier, eu égard aux informations ainsi transmises à ce prestataire, la réalité de la connaissance par celui–ci de faits ou de circonstances sur la base desquels un opérateur économique diligent aurait dû constater l’illicéité (arrêt du 12 juillet 2011, L’Oréal e.a., C‑324/09, EU:C:2011:474, point 122).

116 Dans ce contexte, il y a lieu de relever que la notification d’un contenu protégé qui a été illégalement communiqué au public par l’intermédiaire d’une plateforme de partage de vidéos ou d’une plateforme d’hébergement et de partage de fichiers doit contenir suffisamment d’éléments pour permettre à l’exploitant de cette plateforme de s’assurer, sans examen juridique approfondi, du caractère illicite de cette communication et de la compatibilité d’un éventuel retrait de ce contenu avec la liberté d’expression.

117 Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient de répondre aux deuxième et troisième questions posées dans chacune des deux affaires que l’article 14, paragraphe 1, de la directive sur le commerce électronique doit être interprété en ce sens que l’activité de l’exploitant d’une plateforme de partage de vidéos ou d’une plateforme d’hébergement et de partage de fichiers relève du champ d’application de cette disposition, pourvu que cet exploitant ne joue pas un rôle actif de nature à lui conférer une connaissance ou un contrôle des contenus téléversés sur sa plateforme.

118 L’article 14, paragraphe 1, sous a), de la directive sur le commerce électronique doit être interprété en ce sens que, pour être exclu, en vertu de cette disposition, du bénéfice de l’exonération de responsabilité prévue à cet article 14, paragraphe 1, un tel exploitant doit avoir connaissance des actes illicites concrets de ses utilisateurs afférents à des contenus protégés qui ont été téléversés sur sa plateforme.

Sur la quatrième question posée dans les affaires C682/18 et C683/18

119 Par sa quatrième question posée dans chacune des deux affaires, la juridiction de renvoi demande si l’article 8, paragraphe 3, de la directive sur le droit d’auteur doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à ce que le titulaire des droits ne puisse obtenir une ordonnance sur requête contre un intermédiaire dont les services sont utilisés par un tiers pour porter atteinte à ce droit qu’après qu’une telle atteinte a été signalée à cet intermédiaire et se reproduit.

120 Il ressort des décisions de renvoi que, par cette question, la juridiction de renvoi s’interroge sur la compatibilité avec l’article 8, paragraphe 3, de la directive sur le droit d’auteur de l’application, à des situations telles que celles en cause dans les affaires au principal, du régime de « responsabilité du perturbateur » (Störerhaftung), prévu en droit allemand, dans l’hypothèse où il devrait être constaté que YouTube et Cyando n’effectuent pas, eux-mêmes, une communication au public des contenus illicites téléversés par les utilisateurs de leurs plateformes respectives et qu’ils relèvent du champ d’application du régime d’exonération de responsabilité prévu à l’article 14, paragraphe 1, de la directive sur le commerce électronique.

121 La juridiction de renvoi expose, à cet égard, que, selon sa jurisprudence, les intermédiaires dont les services sont utilisés par un tiers pour porter atteinte à un droit de propriété intellectuelle peuvent être poursuivis en cessation en tant que « perturbateurs ». Ainsi, dans le cas d’une telle atteinte, peut être poursuivi en tant que « perturbateur » celui qui, sans être auteur ou complice de cette atteinte, y contribue délibérément d’une manière quelconque et avec un lien de causalité adéquat, alors qu’il avait eu juridiquement et matériellement la possibilité de prévenir ladite atteinte. L’engagement de la « responsabilité du perturbateur » présuppose ainsi la violation d’obligations de comportement dont l’étendue dépend du point de savoir si et dans quelle mesure il peut raisonnablement être exigé du « perturbateur » qu’il contrôle ou surveille les tiers afin d’empêcher que des atteintes soient portées aux droits de propriété intellectuelle.

122 La juridiction de renvoi précise que, dans l’hypothèse où le « perturbateur » est un prestataire dont le service consiste à stocker des informations fournies par un utilisateur, il peut, en principe, faire l’objet d’une injonction en cessation uniquement si, après la notification d’une atteinte claire à un droit de propriété intellectuelle, ce droit est de nouveau violé ou continue de l’être, du fait que ce prestataire n’est pas intervenu promptement après cette notification pour retirer le contenu en question ou en bloquer l’accès et pour veiller à ce que de telles atteintes ne se reproduisent pas.

123 Il ressort, par ailleurs, des décisions de renvoi que ce régime a vocation à s’appliquer uniquement lorsque le prestataire de services n’avait, jusqu’à la date de la notification d’une telle atteinte, pas « connaissance » de celle-ci, au sens de l’article 14, paragraphe 1, sous a), de la directive sur le commerce électronique.

124 Il en résulte que, par sa quatrième question posée dans chacune des deux affaires, la juridiction de renvoi cherche, en substance, à savoir si l’article 8, paragraphe 3, de la directive sur le droit d’auteur doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à ce que, en vertu du droit national, le titulaire des droits ne puisse obtenir une ordonnance sur requête contre l’intermédiaire, dont le service a été utilisé par un tiers pour porter atteinte à son droit sans que cet intermédiaire en ait eu connaissance, au sens de l’article 14, paragraphe 1, sous a), de la directive sur le commerce électronique, que si, avant l’ouverture de la procédure judiciaire, cette atteinte a été préalablement notifiée audit intermédiaire et celui-ci n’est pas intervenu promptement pour retirer le contenu en question ou en bloquer l’accès et pour veiller à ce que de telles atteintes ne se reproduisent pas.

125 Aux termes de l’article 8, paragraphe 3, de la directive sur le droit d’auteur, « [l]es États membres veillent à ce que les titulaires des droits puissent demander qu’une ordonnance sur requête soit rendue à l’encontre des intermédiaires dont les services sont utilisés par un tiers pour porter atteinte à un droit d’auteur ou à un droit voisin ».

126 Selon une jurisprudence constante de la Cour, la compétence attribuée aux juridictions nationales, conformément à cette disposition, doit permettre à celles-ci d’enjoindre à de tels intermédiaires de prendre des mesures qui visent non seulement à mettre fin aux atteintes déjà portées aux droits d’auteur ou aux droits voisins au moyen de leurs services de la société de l’information, mais aussi à prévenir de nouvelles atteintes (voir, en ce sens, arrêt du 16 février 2012, SABAM, C‑360/10, EU:C:2012:85, point 29 et jurisprudence citée).

127 Ainsi qu’il ressort du considérant 59 de la directive sur le droit d’auteur, les modalités des ordonnances sur requête que doivent prévoir les États membres en vertu de l’article 8, paragraphe 3, de cette directive, telles que celles relatives aux conditions à remplir et à la procédure à suivre, relèvent du droit national (voir, en ce sens, arrêt du 16 février 2012, SABAM, C‑360/10, EU:C:2012:85, point 30 et jurisprudence citée).

128 Les règles instaurées par les États membres, de même que leur application par les juridictions nationales, doivent toutefois respecter les objectifs de la directive sur le droit d’auteur (voir, par analogie, arrêt du 7 juillet 2016, Tommy Hilfiger Licensing e.a., C‑494/15, EU:C:2016:528, point 33 ainsi que jurisprudence citée) et les limitations découlant de celle-ci ainsi que des sources de droit auxquelles cette directive fait référence. Ainsi, conformément au considérant 16 de ladite directive, ces règles ne sauraient affecter les dispositions de la directive sur le commerce électronique relatives à la responsabilité et, plus précisément, les articles 12 à 15 de celle-ci (voir, en ce sens, arrêt du 16 février 2012, SABAM, C‑360/10, EU:C:2012:85, points 31 et 32 ainsi que jurisprudence citée).

129 La juridiction de renvoi relève, à cet égard, que la condition posée par le droit allemand, selon laquelle le titulaire des droits, qui estime qu’une atteinte a été portée à son droit d’auteur ou à son droit voisin par la communication au public de son œuvre sur un espace de stockage d’un prestataire de services, doit d’abord en informer ce prestataire afin de lui donner la possibilité de mettre promptement fin à cette atteinte et d’en prévenir la réitération, sans être exposé notamment à des frais de justice, vise précisément à tenir compte de la logique inhérente à l’article 14, paragraphe 1, de la directive sur le commerce électronique ainsi que de l’interdiction prévue à l’article 15, paragraphe 1, de cette directive d’imposer à un tel prestataire une obligation générale de surveiller les informations qu’il stocke ou de rechercher activement des faits ou des circonstances révélant des activités illicites.

130 À cet égard, il importe de constater, tout d’abord, que l’article 14 de la directive sur le commerce électronique n’exige pas des États membres de prévoir une telle condition.

131 En effet, il ressort de l’article 14, paragraphe 3, de la directive sur le commerce électronique, lu à la lumière du considérant 45 de celle-ci, que l’exonération de responsabilité prévue à cet article 14, paragraphe 1, est sans préjudice de la possibilité pour les juridictions ou les autorités administratives nationales d’exiger du prestataire concerné qu’il mette un terme à une violation ou qu’il prévienne une violation, y compris en supprimant les informations illicites ou en rendant l’accès à ces dernières impossible. Il s’ensuit qu’un prestataire peut être le destinataire d’injonctions adoptées sur le fondement du droit national d’un État membre, même s’il remplit l’une des conditions alternatives énoncées audit article 14, paragraphe 1, c’est-à-dire même dans l’hypothèse où il n’est pas considéré comme responsable (arrêt du 3 octobre 2019, Glawischnig-Piesczek, C‑18/18, EU:C:2019:821, points 24 et 25).

132 Cela étant, il importe de souligner que l’article 14, paragraphe 3, de la directive sur le commerce électronique consacre également la possibilité, pour les États membres, de prévoir des procédures régissant le retrait d’informations illicites ou les actions pour en rendre l’accès impossible. Ainsi, tout en étant tenus, en vertu de l’article 8, paragraphe 3, de la directive sur le droit d’auteur, de garantir aux titulaires des droits visés par cette directive un droit de recours contre les prestataires dont les services sont utilisés par des tiers pour porter atteinte à ces droits, les États membres peuvent cependant prévoir une procédure préalable à l’exercice de ce droit de recours, qui tienne compte du fait que le prestataire concerné n’est pas responsable de l’atteinte en cause, en vertu de l’article 14, paragraphe 1, de la directive sur le commerce électronique.

133 Dans le cadre d’une telle procédure préalable, un État membre peut prévoir une condition telle que celle visée au point 129 du présent arrêt. En effet, une telle condition, tout en permettant le retrait ou le blocage des informations illicites, vise à obliger le titulaire des droits, dans un premier temps, à donner au prestataire de services la possibilité de mettre fin promptement à l’atteinte concernée et d’en prévenir la réitération, sans que ce prestataire, qui n’est pas responsable de l’atteinte au sens de l’article 14, paragraphe 1, de la directive sur le commerce électronique, soit exposé indûment à des frais de justice et sans que le titulaire des droits soit privé, dans un deuxième temps, de la faculté de demander, dans le cas où ledit prestataire ne satisferait pas aux obligations qui lui incombent, le prononcé d’une ordonnance sur requête contre ce même prestataire sur le fondement de l’article 8, paragraphe 3, de la directive sur le droit d’auteur.

134 En ce qui concerne, ensuite, l’article 15, paragraphe 1, de la directive sur le commerce électronique, celui-ci interdit aux États membres d’imposer à un prestataire de services une obligation générale de surveiller les informations qu’il stocke ou de rechercher activement des faits ou des circonstances révélant des activités illicites.

135 La Cour a jugé à plusieurs reprises que des mesures consistant à enjoindre à un prestataire de mettre en place, aux frais exclusifs de celui-ci, des systèmes de filtrage impliquant une surveillance générale et permanente afin de prévenir toute atteinte future à des droits de propriété intellectuelle étaient incompatibles avec l’article 15, paragraphe 1, de la directive sur le commerce électronique (voir, en ce sens, arrêts du 24 novembre 2011, Scarlet Extended, C‑70/10, EU:C:2011:771, points 36 à 40, ainsi que du 16 février 2012, SABAM, C‑360/10, EU:C:2012:85, points 34 à 38).

136 Or, une condition telle que celle posée par le droit allemand à l’adoption d’ordonnances sur requête a précisément pour effet d’éviter qu’un prestataire tel que l’exploitant d’une plateforme de partage de contenus en ligne soit exposé à de telles ordonnances et aux frais de justice y afférents alors même que, avant l’ouverture de la procédure judiciaire, il n’avait pas été informé d’une atteinte portée par un utilisateur de cette plateforme à un droit de propriété intellectuelle et n’avait donc pas eu la possibilité de remédier à une telle atteinte et de prendre les mesures nécessaires pour en prévenir de nouvelles. En l’absence d’une telle condition, un tel exploitant serait contraint, afin de prévenir des atteintes de ce type et d’éviter d’être exposé, en raison de celles-ci, à ces ordonnances et à ces frais, de surveiller activement l’ensemble des contenus téléversés par les utilisateurs de ladite plateforme.

137 Dans ces conditions, il doit être considéré qu’une condition, telle que celle posée par le droit national dans les affaires au principal, est compatible avec l’article 15, paragraphe 1, de la directive sur le commerce électronique.

138 Enfin, quant à la compatibilité d’une condition telle que celle en cause au principal avec les objectifs poursuivis par la directive sur le droit d’auteur, il importe de rappeler qu’il résulte des points 63 et 64 du présent arrêt ainsi que de la jurisprudence de la Cour qu’il incombe aux autorités et aux juridictions nationales, dans le cadre des mesures adoptées pour protéger les titulaires des droits, d’assurer un juste équilibre entre, d’une part, la protection du droit de propriété intellectuelle, dont jouissent ces titulaires en vertu de l’article 17, paragraphe 2, de la Charte, et, d’autre part, celle de la liberté d’entreprise dont bénéficient les prestataires de services en vertu de l’article 16 de la Charte ainsi que celle de la liberté d’expression et d’information, garantie aux internautes par l’article 11 de la Charte (voir, en ce sens, arrêts du 24 novembre 2011, Scarlet Extended, C‑70/10, EU:C:2011:771, points 45 et 46, ainsi que du 16 février 2012, SABAM, C‑360/10, EU:C:2012:85, points 43 et 44).

139 Or, une condition telle que celle posée par le droit allemand à l’adoption d’ordonnances sur requête ne méconnaît pas cet équilibre.

140 En particulier, une telle condition, tout en protégeant le prestataire de services contre les conséquences exposées au point 136 du présent arrêt, ne prive pas le titulaire des droits de la possibilité de faire cesser de manière effective les atteintes portées par des tiers à son droit d’auteur ou à son droit voisin par l’intermédiaire du service en cause et de prévenir de nouvelles atteintes. Ainsi, il suffit au titulaire des droits de notifier l’existence d’une telle atteinte au prestataire de services pour que celui–ci soit tenu de retirer promptement le contenu en cause ou d’en bloquer l’accès et de prendre les mesures adéquates aux fins de prévenir la commission de nouvelles atteintes, à défaut de quoi le titulaire des droits est fondé à demander le prononcé d’une ordonnance sur requête.

141 Il appartient toutefois aux juridictions nationales de s’assurer, dans l’application de cette condition et, notamment, dans l’interprétation de l’adverbe « promptement », que ladite condition n’aboutit pas à ce que la cessation effective d’une atteinte à un droit d’auteur ou à un droit voisin soit retardée de telle sorte qu’elle cause des dommages disproportionnés au titulaire des droits, en tenant compte, à cet effet, de la rapidité et de l’étendue géographique avec lesquelles de tels dommages peuvent, ainsi que le souligne le considérant 52 de la directive sur le commerce électronique, se produire dans le cadre des services de la société de l’information.

142 Dans ce contexte, il importe également de rappeler que, aux termes de l’article 18, paragraphe 1, de la directive sur le commerce électronique, les États membres veillent à ce que les recours juridictionnels disponibles dans le droit national portant sur les activités des services de la société de l’information permettent l’adoption rapide de mesures, y compris par voie de référé, visant à mettre un terme à toute violation alléguée et à prévenir toute nouvelle atteinte aux intérêts concernés.

143 Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient de répondre à la quatrième question posée dans chacune des deux affaires que l’article 8, paragraphe 3, de la directive sur le droit d’auteur doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à ce que, en vertu du droit national, le titulaire d’un droit d’auteur ou d’un droit voisin ne puisse obtenir une ordonnance sur requête contre l’intermédiaire, dont le service a été utilisé par un tiers pour porter atteinte à son droit sans que cet intermédiaire en ait eu connaissance, au sens de l’article 14, paragraphe 1, sous a), de la directive sur le commerce électronique, que si, avant l’ouverture de la procédure judiciaire, cette atteinte a été préalablement notifiée audit intermédiaire et celui-ci n’est pas intervenu promptement pour retirer le contenu en question ou en bloquer l’accès et pour veiller à ce que de telles atteintes ne se reproduisent pas. Il appartient toutefois aux juridictions nationales de s’assurer, dans l’application d’une telle condition, que celle-ci n’aboutit pas à ce que la cessation effective de l’atteinte soit retardée de façon à engendrer des dommages disproportionnés à ce titulaire.

Sur les cinquième et sixième questions posées dans les affaires C682/18 et C683/18

144 Ces questions n’étant posées que dans l’hypothèse où une réponse négative est apportée tant à la première qu’à la deuxième question posée, il n’y a pas lieu d’y répondre.

Sur les dépens

145 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (grande chambre) dit pour droit :

1) L’article 3, paragraphe 1, de la directive 2001/29/CE du Parlement européen et du Conseil, du 22 mai 2001, sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information, doit être interprété en ce sens que l’exploitant d’une plateforme de partage de vidéos ou d’une plateforme d’hébergement et de partage de fichiers, sur laquelle des utilisateurs peuvent mettre illégalement à la disposition du public des contenus protégés, n’effectue pas une « communication au public » de ceux-ci, au sens de cette disposition, à moins qu’il ne contribue, au-delà de la simple mise à disposition de la plateforme, à donner au public accès à de tels contenus en violation du droit d’auteur. Tel est notamment le cas lorsque cet exploitant a concrètement connaissance de la mise à disposition illicite d’un contenu protégé sur sa plateforme et s’abstient de l’effacer ou d’en bloquer l’accès promptement, ou lorsque ledit exploitant, alors même qu’il sait ou devrait savoir que, d’une manière générale, des contenus protégés sont illégalement mis à la disposition du public par l’intermédiaire de sa plateforme par des utilisateurs de celle-ci, s’abstient de mettre en œuvre les mesures techniques appropriées qu’il est permis d’attendre d’un opérateur normalement diligent dans sa situation pour contrer de manière crédible et efficace des violations du droit d’auteur sur cette plateforme, ou encore lorsqu’il participe à la sélection de contenus protégés communiqués illégalement au public, fournit sur sa plateforme des outils destinés spécifiquement au partage illicite de tels contenus ou promeut sciemment de tels partages, ce dont est susceptible de témoigner la circonstance que l’exploitant a adopté un modèle économique incitant les utilisateurs de sa plateforme à procéder illégalement à la communication au public de contenus protégés sur celle-ci.

2) L’article 14, paragraphe 1, de la directive 2000/31/CE du Parlement européen et du Conseil, du 8 juin 2000, relative à certains aspects juridiques des services de la société de l’information, et notamment du commerce électronique, dans le marché intérieur (« directive sur le commerce électronique »), doit être interprété en ce sens que l’activité de l’exploitant d’une plateforme de partage de vidéos ou d’une plateforme d’hébergement et de partage de fichiers relève du champ d’application de cette disposition, pourvu que cet exploitant ne joue pas un rôle actif de nature à lui conférer une connaissance ou un contrôle des contenus téléversés sur sa plateforme.

L’article 14, paragraphe 1, sous a), de la directive 2000/31 doit être interprété en ce sens que, pour être exclu, en vertu de cette disposition, du bénéfice de l’exonération de responsabilité prévue à cet article 14, paragraphe 1, un tel exploitant doit avoir connaissance des actes illicites concrets de ses utilisateurs afférents à des contenus protégés qui ont été téléversés sur sa plateforme.

3) L’article 8, paragraphe 3, de la directive 2001/29 doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à ce que, en vertu du droit national, le titulaire d’un droit d’auteur ou d’un droit voisin ne puisse obtenir une ordonnance sur requête contre l’intermédiaire, dont le service a été utilisé par un tiers pour porter atteinte à son droit sans que cet intermédiaire en ait eu connaissance, au sens de l’article 14, paragraphe 1, sous a), de la directive 2000/31, que si, avant l’ouverture de la procédure judiciaire, cette atteinte a été préalablement notifiée audit intermédiaire et celui-ci n’est pas intervenu promptement pour retirer le contenu en question ou en bloquer l’accès et pour veiller à ce que de telles atteintes ne se reproduisent pas. Il appartient toutefois aux juridictions nationales de s’assurer, dans l’application d’une telle condition, que celle-ci n’aboutit pas à ce que la cessation effective de l’atteinte soit retardée de façon à engendrer des dommages disproportionnés à ce titulaire.