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Décisions

CA Paris, 1re ch. sect. concurrence, 31 octobre 1990, n° 90/011686

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Laboratoires de prothèses oculaires (Sté)

Défendeur :

Ministre chargé de l'Economie, des Finances et du Budget

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Vengeon

Conseillers :

Mme Hannoun, M. Canivet, M. Guérin, Mme Simon

Avocat :

Me Cauly

Cons. conc., du 03 avr. 1990

3 avril 1990

Vu les mémoires, pièces et documents déposés au greffe à l’appui du recours.

Considérant que par lettre enregistrée le 23 mars 1988, la société Laboratoire de prothèses oculaires (LPO) a saisi le Conseil de la concurrence de pratiques mises en œuvre par divers syndicats d’opticiens sur le marché de la distribution des lentilles de contact, que par décision numéro 90-D-13, le Conseil de la concurrence a estimé que les faits dénoncés ne peuvent faire l’objet de qualification ni sur la base des dispositions de l’article 50 de l’ordonnance du 30 juin 1945 ni sur celle des articles 7 et 8 de l’ordonnance du 1a décembre 1986 ;

Considérant que la société LPO a formé un recours contre cette décision au soutien duquel :

Elle reproche au rapporteur de s’être abstenu de procéder à des investigations qui auraient permis d’établir la réalité des faits dénoncés, d’avoir fait une analyse erronée de l’enquête et du rapport de l’administration enfin, d’avoir admis, a priori, que la distribution des lentilles de contact relevait du monopole des opticiens, alors que ce monopole, récemment admis par les juridictions à l’occasion des actions intentées par les syndicats en cause précisément aux fins de l’éliminer du marché, est en contradiction avec l’analyse économique et l’ordre juridique communautaire ;

Elle soutient que contrairement à ce qu’a estimé la décision déférée, l’Union nationale des syndicats de France (UNSOF), coordonnant l’action des autres syndicats et groupements professionnels, s’est livré à des actions judiciaires ou précontentieuses, des dénonciations auprès des administrations, des dénigrements auprès des médecins ophtalmologistes, des campagnes de presse et des refus d’insertion d’encarts publicitaires dans les revues professionnelles, toutes pratiques ayant pour objet de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence sur le marché de l’optique médicale, en limitant l’accès à la profession d’opticien, en écartant l’intervention sur ce marché d’opérateurs autres que des opticiens, enfin en restreignant les prescriptions de lentilles de contact au profit de celles, plus rémunératrices, des verres correcteurs ;

Elle prétend qu’il est ainsi établi un ensemble d’agissements contraires aux dispositions des articles 7 et 8 de l’ordonnance du 1er décembre 1986 à l’encontre de l’Union nationale des syndicats d’opticiens de France (UNSOF) du Syndicat national des adaptateurs d’optique de contact (SNADOC), du Syndicat des opticiens français indépendants (SOFI) et du Groupement d’opticiens détaillants GIE Gold, et demande que l’examen de ces faits soit renvoyé au Conseil de la concurrence pour notification des griefs ;

Considérant que le ministre de l’économie, des finances et du budget dans ses observations et le ministère public dans son intervention orale à l’audience concluent au rejet du recours ;

Sur quoi la cour :

Considérant que c’est par une exacte analyse que la décision du Conseil de la concurrence a examiné les pratiques dénoncées sur le marché spécifique de la distribution des lentilles de contact dont, notamment pour des raisons médicales, l’usage n’est pas substituable aux verres correcteurs; qu’il s’ensuit que tous les moyens tirés explicitement ou implicitement d’un abus de position dominante des opticiens sur le marché conjoint de ces deux produits doivent être rejetés ;

Considérant qu’en l’état des dispositions du code de la santé publique (articles 505 à 510) et de l’interprétation qui est faite par la jurisprudence, notamment des chambres commerciale et criminelle de la Cour de cassation, les lentilles de contact ne peuvent être délivrées que par des opticiens diplômés, leur prescription et leur adaptation étant réservées aux médecins ophtalmologistes ;

Considérant que la société LPO est spécialisée dans la vente en l’état des lentilles cornéennes sur prescription médicale, qu’elle a installé des points de vente exploités sous forme d’agences ou par l’intermédiaire de distributeurs franchisés, sans que les responsables de ces magasins soient titulaires du diplôme d’opticien lunetier ;

Considérant que cette société fait essentiellement grief aux syndicats et groupements en cause d’avoir rappelé et attiré l’attention sur l’état de la réglementation relative à la distribution des lentilles de contact, par des articles publiés dans la presse professionnelle, des circulaires et diffusions internes, des lettres et démarches diverses auprès des administrations, caisses de sécurité sociale et médecins concernés; qu’il leur est également imputé à faute d’avoir introduit des actions en justice pour faire sanctionner la violation de ces prescriptions, notamment dans ses succursales;

Considérant que, sans qu’il y ait lieu dans le cadre de la saisine du Conseil de la concurrence de remettre en cause l’interprétation susexposée des textes applicables aux lentilles oculaires ni de rechercher si la situation de monopole conférée aux opticiens pour leur distribution est économiquement justifiée et conforme aux dispositions du droit communautaire, il ne peut être reproché à ces organismes professionnels d’avoir, selon les modalités employées, rappelé les conditions dans lesquelles devait, selon les règlements en vigueur et leur interprétation, licitement se faire la distribution de l’optique de contact ;

Qu’il est en effet incontestable que de telles actions entrent dans le cadre de la défense des intérêts professionnels dont les syndicats en cause sont chargés ;

Qu’il n’est pas établi que ces organisations ont de façon discriminatoire visé la société requérante, dès lors que celle-ci n’est généralement pas nommée dans les publications incriminées ; que les instances judiciaires introduites contre certains de ses points de vente ont été engagés, certes avec un soutien syndical, mais par les professionnels personnellement lésés ; qu’il ne peut, en outre, être tiré aucun moyen de ce que lesdits organes professionnels n’ont entrepris aucun contentieux contre les laboratoires de fabrication des lentilles de contact, dès lors qu’il n’est pas établi que les ventes directes auxquelles ceux-ci procèdent habituellement ont lieu dans des conditions illicites ;

Qu’il n’est en outre pas démontré que les démarches critiquées de ces organismes ont été accompagnées d’abus, de dénigrements visant la société LPO, de pressions sur les professionnels concernés ou d’appels au boycottage contre cette entreprise ;

Considérant qu’ainsi que l’a justement estimé le Conseil de la concurrence le refus de publicité opposé à la société LPO le 8 novembre 1983, par la rédaction de la revue « L’Opticien lunetier » éditée par l’UNSOF, est couvert par la prescription par application de l’article 27 de l’ordonnance du 1er décembre 1986 puisque ces faits ont eu lieu plus de trois ans avant la saisine du Conseil de la concurrence ;

 Considérant en conséquence qu’aucune des pratiques anticoncurrentielles alléguées ne peut être retenue à la charge des syndicats en cause à l’encontre desquels aucune concertation n’est établie ;

Qu’en particulier nulle preuve n’est fournie des démarches, pressions ou manœuvres conjointement entreprises par ces organismes professionnels aux fins de limiter le nombre de diplômes d’opticien annuellement décernés par les établissements publics ou privés de formation et qu’en outre, à tenir pour exact le déséquilibre du recrutement dans cette profession, il n’est pas avéré que cette situations soit réellement ou potentiellement anticoncurrentielle ;

Considérant qu’il ne peut non plus être affirmé que lesdits syndicats se sont concertés pour écarter du marché concerné tous opérateurs autres qu’opticiens ou pour restreindre artificiellement la production et l’usage des lentilles de contact ;

Considérant qu’aucun grief de position dominante ne peut être retenu contre les syndicats susnommés dès lors qu’il n’est pas même allégué qu’ils aient, en tant que tels, tenu un rôle économique propre, distinct de celui de leurs membres et qu’en outre aucune des pratiques sus-évoqués n’est constitutive d’abus ;

Considérant que l’instruction a laquelle a procédé le Conseil de la concurrence est complète et qu’il n’apparaît pas que soient fondées les critiques faites sur ce point par la société LPO et justifiées les investigations complémentaires qu’elle préconise ;

Considérant que c’est par un juste examen des éléments de la cause que le Conseil de la concurrence a dit qu’il n’y avoir lieu à poursuivre la procédure ;

Par ces motifs :

Rejette le recours ;

Laisse les dépens à la charge du requérant.