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Décisions

CA Paris, 1re ch. sect. concurrence, 7 février 1995, n° 94/18910

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Littoral et Patrimoine (SA)

Défendeur :

Ministre de l'Economie, des Finances et du Budget

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Guérin

Conseillers :

Mme Mandel, M. Cailliau

Cons. conc, du 6 juill. 1994

6 juillet 1994

Vu les mémoires, pièces et documents déposés au greffe à l’appui du recours ;

Par lettre du 9 mai 1994, enregistrée le 17 mai suivant sous les numéros F 680 et M 127, la société Littoral et Patrimoine a saisi le Conseil de la concurrence de certaines pratiques de la société Balineau, de la commune de Lège-Cap-Ferret, de la société Sogreah et du district Sud-Bassin à Arcachon, constitutives selon elles d’actions concertées visant à limiter l’accès aux marchés d’un dispositif nouveau de protection du littoral par sédimentation, dont elle détient le brevet, ainsi que d’une méthode de « fluidisation » de chenal qu’elle exploite sous licence.

Elle demandait en outre au conseil de prendre des mesures conservatoires sur le fondement des dispositions de l’article 12 de l’ordonnance du 1er décembre 1986, en enjoignant aux sociétés Balineau et Sogreah qu’elles prennent toutes mesures, notamment au plan financier, permettant d’expérimenter en vraie grandeur des procédés techniques qu’elle souhaite voir mettre en œuvre.

Après avoir relevé :

- que l’auteur de cette saisine n’apportait aucun élément susceptible d’établi que les comportements dénoncés procéderaient d’une entente entre la société Balinéau, la commune de Lège-Cap-Ferret, la société Sogreah et le district Sud-Bassin à Arcachon ;

- qu’à supposer même que la société Sogreah détienne, comme cela était allégué, une position dominante sur le marché de l’ingénierie littorale, la partie saisissante n’apportait aucun élément probant de nature à établir l’existence de pratiques susceptibles de constituer une exploitation abusive de cette position dominante ;

- que le litige opposant la société Littoral et Patrimoine à la société Balinéau relevait de la compétence du juge du contrat ;

- que les litiges relatifs aux décisions d’attribution de marchés publics passés par l’Etat, les collectivités territoriales, les syndicats de commune et les districts relevaient de la seule compétence des juridictions administratives,

Le Conseil de la concurrence a, par décision n°94-D-43 du 6 juillet 1994, déclaré irrecevable sa saisine enregistrée sous le numéro F 680 et, par voie de conséquence, rejeté la demande de mesures conservatoires enregistrée sous le numéro M 127.

Cette décision lui ayant été notifiée par lettre recommandée du 19 juillet 1994, reçue le 4 août suivant, la société Littoral et Patrimoine a, par déclaration déposée au greffe de la cour le 5 septembre 1994 par l’intermédiaire de son avocat, Me Arnaud Lizop, formé un recours « en annulation et réformation », en se référant aux dispositions de l’article 15 de l’ordonnance du 1er décembre 1986.

Dans un premier mémoire déposé par on conseil le 26 septembre 1994, cette société a demandé à être relevée de forclusion de son recours contre la partie de la décision rejetant les mesures conservatoires, en faisant valoir que la lettre de notification ne faisait pas état du délai de dix jours prescrit par l’article 12 de l’ordonnance susvisée.

Le 29 septembre 1994, le Conseil de la concurrence a fait observer qu’il n’avait pas à recourir aux formules de notification réservées aux décisions en matière de mesures conservatoires, dès lors que la décision rendue était une décision au fond.

 Dans un second mémoire déposé le 5 octobre 1994 sans l’assistance de son conseil, la société Littoral et Patrimoine a demandé :

- d’annuler la décision d’irrecevabilité du Conseil de la concurrence ;

- de constater que les pratiques dénoncées dans sa plainte du 9 mai 1994 ont bien pour objet et/ou pour effet de porter gravement et immédiatement atteinte au marché du génie civil littoral et à celui de l’industrie des biens d’équipement dunaires et portuaires ;

- de constater que ces pratiques lui causent un grief grave et immédiat justifiant les mesures conservatoires sollicitées ;

- de condamner la société Sogreah à financer l’essai réel sur site du dispositif de brevet français n° 9014008 et à lui payer la somme de 3.222.169 F ;

- de condamner solidairement « la liquidation Balineau, la Société des chantiers modernes, division Balineau, le cabinet Martin» à lui payer la somme de 250.000 F pour financer l’essai réel d’un chantier de fluidisation de chenal ;

- de dire que les collectivités publiques de Lège-Cap-Ferret et du district Sud-Bassin violent la liberté de la concurrence dans le ressort de leur circonscription administrative en tant que fournisseurs exclusifs d’un marché concurrentiel qu’ils maintiennent captif ;

- de lui allouer une indemnité de 50.000 F au titre de ses frais irrépétibles.

Enfin, le ministre de l’économie ayant conclu à l’irrecevabilité de son recours pour avoir été formé plus d’un mois après la réception, le 20 juillet 1994, de la notification de la décision critiquée, la société Littoral et Patrimoine a, dans un troisième mémoire daté du 7 octobre 1994, fait observer qu’il ressort des mentions de l’accusé de réception que si ce pli a été présenté le 20 juillet, il ne lui a été remis que le 4 août.

A l’audience fixée pour l’examen de son recours, la société Littoral et Patrimoine n’a pas fait présenter d’observations orales.

Le représentant du ministre de l’économie a présenté des observations orales tendant à la confirmation de la décision entreprise.

Faisant observer que la société Littoral et Patrimoine n’avait exposé les moyens par elle invoqués au soutien de son recours que le 5 octobre 1994, soit plus de deux mois après la notification de la décision critiquée, le représentant du ministère public a demandé de déclarer ce recours irrecevable en application de l’article 2 du décret du 19 octobre 1987.

En cours de délibéré, la société requérante a déposé, le 14 octobre 1994, une « itérative déclaration d’appel » contre la même décision, en faisant valoir que le Conseil de la concurrence ayant exposé dans ses observations écrites du 29 septembre que, par suite d’une omission matérielle, la liste des destinataires de la décision critiquée n’avait pas été annexée à sa notification initiale et qu’elle était transmise ce jour aux parties intéressées, le point de départ des délais de recours ne pouvait partir qu’à compter de cet envoi complémentaire.

Joignant les deux recours successivement formés par la société Littoral et Patrimoine, la cour a, par arrêt du 9 novembre 1994, ordonné la réouverture des débats pour examen contradictoire de la recevabilité du second.

Le Conseil de la concurrence et le ministre de l’économie ont conclu à son irrecevabilité.

Après avoir, dans un mémoire écrit du 2 décembre 1994, déclaré main tenir les moyens par elle déposés lors de son premier recours, la société Littoral et Patrimoine a, en la personne de son président-directeur général, Mine Kathryne Larcher, présenté des observations orales en demandant d’expérimenter son dispositif.

Le ministère public a conclu à l’irrecevabilité du second recours.

Considérant que, dans son premier mémoire du 26 septembre 1994, la société Littoral et Patrimoine a demandé à être relevée de la forclusion susceptible d’être opposée à son recours contre la décision rendue par le Conseil de la concurrence le 6 juillet 1994, en faisant valoir que la lettre de notification de cette décision ne faisait pas état du délai de dix jours prescrit par l’article 12 de l’ordonnance du 1” décembre 1986 pour les recours formés contre les décisions rejetant des demandes de mesures conservatoires;

Mais considérant que ce texte ne saurait recevoir application en l’espèce, dès lors que la décision déférée déclarait la saisine du conseil irrecevable sur le fondement de l’article 19 de l’ordonnance susvisée et que ce n’est que « par voie de conséquence» qu’elle rejetait la demande de mesures conservatoires;

Qu’il s’ensuit que la demande de relevé de forclusion, présentée par la requérante dans son premier mémoire, est dépourvue d’objet ;

Considérant que, conformément aux dispositions de l’article 15 de l’ordonnance précitée, la société Littoral et Patrimoine disposait du délai d’un mois à compter de la notification de la décision pour former son recours en annulation ou en réformation ;

Considérant que, dans ses observations écrites, le ministre de l’économie a conclu à l’irrecevabilité du recours déposé par la société Littoral et Patrimoine le 5 septembre 1994, au motif qu’elle aurait reçu notification de la décision entreprise le 20 juillet précédent ;

Mais considérant qu’il ressort de l’avis de réception annexé à la lettre de notification du 19 juillet 1994 que, si cette lettre a été en vain présentée le lendemain au domicile de son destinataire, celui-ci ne l’a retirée qu’à son retour de congés, le 4 août ;

Qu’il convient, en conséquence, de retenir cette dernière date de la notification faisant courir le délai d’un mois prévu à l’article 15 précité ;

Considérant que, le 4 septembre 1994, jour d’expiration de ce délai, étant un dimanche, le recours déposé le lendemain 5 septembre a donc été formé en temps utile ;

Considérant en revanche qu’aux termes de l’article 2 du décret du 19 octobre 1987, « à peine d’irrecevabilité ... lorsque la déclaration ne contient pas l’exposé des moyens invoqués, le demandeur doit déposer cet exposé au greffe dans les deux mois qui suivent la notification de la décision» ;

Or considérant que la déclaration déposée le 5 septembre 1994 ne fait mention d’aucun moyen de recours et que le mémoire déposé le 26 septembre suivant ne faisait que solliciter inutilement un relevé de forclusion, sans exposer les moyens que la requérante entendait faire valoir au soutien de son recours en annulation ou en réformation ;

Considérant que la société Littoral et Patrimoine a attendu le mercredi 5 octobre 1994 pour déposer un mémoire à cette fin, alors que le délai de deux mois qui lui était imparti pour ce faire avait expiré le mardi 4 octobre.

Considérant que pour tenter de se soustraire à la déclaration d’irrecevabilité de son recours, la société Littoral et Patrimoine a formé le 14 octobre 1994 une itérative déclaration d’appel, en faisant valoir que la décision critiquée ne lui avait été notifiée régulièrement que le 3 octobre 1994, dans la mesure où la notification reçue le 4 août ne comportait pas la liste de ses destinataires contrairement aux prescriptions de l’article 20 du décret du 19 octobre 1987 ;

Mais considérant que si le Conseil de la concurrence a effectivement reconnu dans ses observations du 29 septembre 1994 que, par suite d’une omission matérielle, la lettre de notification ne comportait pas en annexe « les noms, qualités et adresses des parties auxquelles la décision a été notifiée », la communication ultérieure de ces informations ne saurait avoir pour effet de proroger le point de départ du délai d’appel, dès lors que la lettre de notification indiquait clairement «le délai de recours ainsi que les modalités selon lesquelles celui-ci peut être exercé» et qu’aux termes de l’article 20 susvisé seules ces indications sont prescrites « à peine de nullité » de la notification ;

Considérant que la société Littoral et Patrimoine ayant eu communication des dispositions de l’article 2 du décret du 19 octobre 1987 lui imposant « à peine d’irrecevabilité » de déposer l’exposé des moyens de son recours dans les deux mois de la notifications il lui incombait de veiller au respect de ces prescriptions et que, faute par elle de l’avoir fait, son recours ne peut qu’être déclaré irrecevable ;

Considérant enfin qu’il convient de relever au surplus que les demandes présentées par la société Littoral et Patrimoine dans son mémoire tardif tendaient essentiellement à obtenir la condamnation d’ autres sociétés à lui payer des dommages-intérêts et à financer l’essai de son brevet et que le Conseil de la concurrence ne pouvait donc que se déclarer incompétent pour statuer à leur sujet,

Par ces motifs :

Déclare la société Littoral et Patrimoine irrecevable en ses recours successivement formés les 5 septembre et 14 octobre 1994 contre la décision n° 94-D-43 du Conseil de la concurrence en date du 6 juillet 1994 ;

La condamne aux dépens.