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Décisions

CA Toulouse, 2e ch., 11 juillet 2018, n° 18/01978

TOULOUSE

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Ministère Public

Défendeur :

Président du Tribunal de Commerce de Montauban, LCH (EURL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Delmotte

Conseillers :

M. Sonneville, Mme Truche

Avocats :

Me Egea, Me Touge

T. com. Montauban, prés., du 9 avr. 2018

9 avril 2018

Faits, procédure, moyens et prétentions des parties

La Sarl LCH est une société holding qui a pour gérante et associée unique Mme X et qui pour activité la prise de participation dans ses filiales. Elle a pour filiales :

1°) la Sarl Durran-Lisa, qui exerce une activité de transport en ambulance, véhicule sanitaire léger et de pompes funèbres et qui a pour gérante Mme X

2°) la Sarl DL, qui exerce une activité de transport en ambulance, véhicule sanitaire léger et de pompes funèbres et qui a pour gérante Mme X associée unique

La société holding vit essentiellement au moyen des dividendes réglés par les sociétés filiales, ces mêmes dividendes servant à honorer des échéances d'emprunts destinés à financer l'achat de parts sociales.

Par requête du 26 mars 2018, reçue au greffe le 27 mars 2018, la société LCH a saisi le président du tribunal de commerce de Montauban à l'effet de voir ouvrir une procédure de conciliation.

Le même jour, la dirigeante des sociétés Durran-Lisa et DL a saisi le président du tribunal de commerce de Montauban d'une demande similaire.

Le 27 mars 2018, le greffe du tribunal de commerce a transmis pour avis au ministère public la proposition de rémunération établie par le conciliateur.

Le 5 avril 2018, le vice-procureur près le tribunal de grande instance de Montauban a émis l'avis suivant pour les trois sociétés précitées : « dettes Urssaf et passif exigible élevé. Demander tous documents utiles de nature à vérifier qu’elle (la société LCH) n'est pas en état de cessation des paiements depuis plus de quarante-cinq jours ».

Par ordonnance du 9 avril 2018, le président du tribunal de commerce a désigné M. Manterola en qualité de conciliateur en fixant la durée de sa mission jusqu'au 9 août 2018.

Par lettre recommandée avec accusé de réception du 26 avril 2018, le ministère public a relevé appel de cette décision qui lui a été notifiée le 24 avril 2018.

La société LCH et son conseil, le conciliateur et le président du tribunal de commerce de Montauban ont été convoqués à l'audience du 11 juin 2018, à 9h30.

La société LCH a sollicité le renvoi de l'affaire ce qui a été refusé par la cour en raison de l'urgence inhérente à la procédure de conciliation ; la cour a en revanche autorisé le conseil de la société LCH à déposer son dossier et ses pièces en cours de délibéré.

Par conclusions du 29 mai 2018, transmises le 30 mai 2018 par la voie du RPVA au conseil de la société LCH, le ministère public a sollicité l'infirmation de l'ordonnance aux motifs qu'en l'absence de communication des pièces qui étaient demandées en première instance, il était impossible pour le procureur du tribunal de grande instance de Montauban de se forger un avis et de vérifier que les conditions d'ouverture de la conciliation étaient réunies ; qu'en l'absence de transmission de ces documents, le président de la juridiction consulaire n'a pas pu vérifier que les conditions fixées à l'article L. 611-4 du code de commerce étaient remplies de sorte que l'ordonnance a été rendue sur la base d'un dossier incomplet et lacunaire.

Le conciliateur et le président du tribunal de commerce de Montauban n'ont pas comparu.

Motifs

Attendu qu'il convient de constater que c'est à tort que le président du tribunal de commerce de Montauban a été mentionné comme intimé alors que le juge qui a prononcé la décision, objet d'un appel, ne peut en aucun cas avoir la qualité de partie dans l'instance d'appel.

Attendu par ailleurs que la cour n'a pas autorisé la production d'une note en délibéré mais s'est bornée à autoriser la société intimée à déposer ses pièces ; que la note en délibéré datée du 11 juin 2018 et parvenue par la voie du RPVA le 11 juin 2018, à 16h16 doit être déclarée irrecevable ; que la cour prendra toutefois en considération la lettre du 8 juin 2018 transmise au Procureur Général, accompagnée de deux pièces, qui fournit des explications complémentaires et qui a été produite régulièrement aux débats.

Attendu que l'appel contre la décision ouvrant la procédure de conciliation est ouvert au ministère public en application de l'article L. 611-6 du code de commerce ; qu'en l'espèce, l'appel qui a été formé dans les dix jours de la réception de la notification de l'ordonnance critiquée est recevable.

Attendu, au fond, qu'aux termes de l'article L. 611-4 du code de commerce, il est institué, devant le tribunal de commerce, une procédure de conciliation dont peuvent bénéficier les débiteurs exerçant une activité commerciale ou artisanale qui éprouvent une difficulté juridique, économique ou financière, avérée ou prévisible, et ne se trouvent pas en cessation des paiements depuis plus de quarante-cinq jours.

Attendu que si l'ouverture même de la procédure de conciliation n'est pas subordonnée à l'avis favorable du ministère public, il entre dans l'office de celui-ci, gardien de l'ordre public économique dans le cadre de la loi de sauvegarde des entreprises et des dispositions relatives à la prévention des difficultés des entreprises, d'attirer l'attention du président de la juridiction saisie sur l'obligation de contrôler les conditions d'ouverture de la procédure de conciliation, lorsqu'il doit donner son avis, conformément à l'article R. 611-47, I du code de commerce, sur les conditions de rémunération du conciliateur avant l'ouverture de la procédure.

Attendu qu'en l'espèce, le vice-procureur a spécialement attiré l'attention du président de la juridiction consulaire sur la nécessité de vérifier si la société DL ne se trouvait pas en cessation des paiements depuis plus de 45 jours.

Attendu que l'ordonnance déférée est dénuée de toute motivation de sorte qu'il est impossible de déterminer, d'une part, si le premier juge a effectué effectivement ce contrôle, d'autre part, si la société LCH n'était pas en cessation des paiements depuis plus de quarante-cinq jours à la date d'ouverture de la procédure de conciliation ; qu'il en résulte que la cour est mise dans l'impossibilité de déterminer si cette condition essentielle, dont dépend l'ouverture de la conciliation, existait ; que la preuve d'un état de cessation des paiements n'excédant pas 45 jours est d'autant plus primordiale que le législateur a voulu combattre des abus et empêcher que sous couvert d'une procédure de conciliation, le débiteur dissimule une état de cessation des paiements chronique ou se poursuivant depuis plusieurs mois.

Attendu que dans sa requête initiale, la société LCH précisait qu'elle ne dégageait pas de chiffre d'affaires que son passif exigible s'élevait à 57 795€, pour un résultat net déficitaire au 31 décembre 2017 de 8 151€ ; qu'elle sollicitait l'ouverture d'une conciliation pour obtenir la suspension des échéances d'un prêt pendant un an afin de permettre aux deux filiales de régler leurs dettes ; qu'elle mentionnait l'existence de deux comptes bancaires présentant des soldes créditeurs respectifs de 191€ et 824€ ; qu'aucune explication complémentaire n'est fournie dans son courrier adressé au ministère public.

Attendu que ces éléments révèlent la fragilité de la société LCH dont la viabilité dépend exclusivement de l'activité économique de ses deux filiales qui souffrent de difficultés financières récurrentes depuis le 9 avril 2018 ; que toutefois, aucune des pièces produites par la société LCH n'établit qu'elle n'était pas en état de cessation de paiement depuis plus de quarante-cinq jours à la date de l'ouverture de la conciliation.

Attendu qu'il y a lieu en conséquence d'infirmer l'ordonnance déférée dans toutes ses dispositions et de dire n'y a avoir lieu à l'ouverture d'une procédure de conciliation en faveur de la société LCH.

PAR CES MOTIFS

La Cour,

Constate que le président du tribunal de commerce de Montauban n'est pas parti à l'instance ;

Déclare irrecevable la note en délibéré transmise par la société LCH ;

Déclare recevable l'appel du ministère public ;

Infirme l'ordonnance déférée dans toutes ses dispositions ;

Dit n'y avoir lieu à l'ouverture d'une procédure de conciliation en faveur de la société LCH ;

Laisse les entiers dépens de première instance et d'appel à la charge de la société LCH.