CA Douai, 2e ch. sect. 2, 27 mars 2007, n° 06/01099
DOUAI
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
M. Le comptable des impots de Tourcoing Nord
Défendeur :
Ziegler France (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Fossier
Avocats :
SCP Cocheme-Kraut-Labadie, SCP Carlier-Regnier
Situation de fait : Le groupe Ziegler connaît des difficultés depuis 2003. Les 17 sociétés qui le composent ont été admises successivement au bénéfice d'un mandat ad hoc, d'un règlement amiable et, selon ordonnance présidentielle du 18.1.2006, de la conciliation nouvellement régie par la loi du 26 juillet 2005.
Par ordonnance (lire : jugement) contradictoire en date du 9 février 2006, le président du Tribunal de commerce de Roubaix-et-Tourcoing, statuant en la forme des référés au visa exprès des articles L 611-7 alinéa 5 du Code de commerce, 28 du décret du 28.12.2005 et 1244-1 du Code civil a constaté la dette de l'intimée aux présentes à l'égard de l'appelant et a autorisé la débitrice à se libérer à tempérament.
Par acte de son avoué en date du 21 février 2006, le Comptable des impôts a interjeté appel de cette décision.
Première ordonnance du conseiller de la mise en état : A l'attention du second degré de juridiction, la partie appelante avait déposé des conclusions conformes aux articles 915 et 954 du Nouveau Code de Procédure Civile, dans lesquelles il est demandé à la Cour de constater que la débitrice n'a pas fait l'objet de poursuites, que le conciliateur n'a pas tenté de conciliation, que la débitrice a détourné la procédure, qui ne lui était pas appropriée, uniquement pour gagner du temps et qu'enfin, ses dires au premier juge sur sa situation financière sont inexacts, en sorte que l'ordonnance rendue en première instance est nulle ou doit en tout cas être réformée.
La débitrice intimée, et Maître Bondroit par conclusions propres s'associant à celles de l'intimée, n'avaient pas conclu au fond mais ont saisi le conseiller de la mise en état. Ils lui ont demandé de constater l'irrecevabilité de l'appel pour des motifs de fond, le Comptable âes impôts qui en est l'auteur n'ayant pas délégation du directeur général des impôts ; et pour des motifs de forme, le Comptable des impôts n'ayant pas la personnalité juridique, et l'acte d'appel n'édictant par surcroît aucun objet du recours.
En réponse sur l'incident, l'appelant avait fait valoir que l'appel est interjeté par l'Etat, peu important la désignation de l'entité administrative qui gère le dossier, ainsi qu'il résulte de l'article L 252 du L.pric.fisc. ; que de même, le comptable du Trésor qui a droit de recouvrement n'a pas à justifier de sa forme juridique, dès lors que l 'Etat occupe à la procédure. Quant à l'objet de l'appel, l'appelant estimait qu'il s'agit simplement et naturellement d'annuler ou réformer la décision de première instance.
Sur ce, le conseiller de la mise en état a rendu une première ordonnance, en date du 23 novembre 2006, dans laquelle il affirme sa compétence, la décision de première instance étant unjugement et non une ordonnance de référé; et dans laquelle il demande aux parties de pouvoir soulever l'irrecevabilité de l'appel; et dans laquelle il expose que les créanciers n'ont peut-être plus, dans l'architecture nouvelle du Livre VI du Code de commerce, de droit d'appel contre les jugements accordant des délais dans le cadre de la procédure de conciliation ; qu'il leur appartient, sous toutes réserves des explications données par les parties, d'exercer une tierce-opposition contre le principe même de la conciliation.
Reprise des débats : Au vu de cette ordonnance, les parties ont repris des écritures. La débitrice et ses représentants légaux adoptent la suggestion du conseiller de la mise en état. Le créancier affirme au contraire que si le conseiller de la mise en état pouvait soulever l'irrecevabilité de l'appel, son analyse n'est pas la bonne, d'une part parce que l'appel est permis contre les décisions qui octroient des délais dans le cadre de la procédure de conciliation (Décr. 28.12.2005, art. 336) ; d'autre part parce qu'à défaut, l'appel nullité deviendrait recevable et serait en l'occurrence bien fondé ; enfui parce que, sur annulation, la cour ne pourrait manquer de faire droit à l'argumentation développée avant l'ordonnance du 23 novembre 2006.
Selon ce qu'autorise l'article 455 du Nouveau Code de Procédure Civile, il est renvoyé aux écritures des parties pour l'exposé de leurs moyens.
SUR QUOI
Le magistrat de la mise en état,
Attendu que le droit d'appel du créancier en procédure de conciliation n'est pas reconnu par la loi ;
Attendu en effet que jusqu'à la loi du 26 juillet 2005, la procédure de conciliation faisait, dans le Code de commerce, l'objet d'un titre et d'un chapitre autonomes (précisément, art. L 611-3 à L 611-5) ; que de même, l'octroi de délais était procéduralement régi par des dispositions (notamment art. 38 et 39-1) du décret spécial du 1° mars 1985, évidemment distinct du décret général du 27 décembre 1985 ;
Attendu qu'au contraire, le législateur contemporain a inclus délibérément la procédure de conciliation dans l'ensemble du Livre VI nouveau du Code de commerce; que cette procédure est donc soumise aux dispositions générales qu'édicte, en un titre sixième, ladite loi ; que de même, la procédure de la conciliation a rejoint le cadre du nouveau décret applicable à toutes les procédures de règlement des difficultés de l'entreprise, en date du 28 décembre 2005 ;
Que parmi ces dispositions générales figurent (notamment, art. L 661-1 suiv. C.corn.) le régime dél'appel ;
Attendu qu'il s'évince de cette évolution significative que le droit d'appel contre les décisions du président du tribunal de commerce accordant des délais dans le cadre d'une procédure de conciliation, est désormais régi par le droit commun de la procédure collective
Que ce droit commun restreint considérablement la prérogative de l'appel, au point d'en faire une exception, ou en tout cas un droit réservé, auquel les créanciers ont rarement accès, dans des cas limitativement énumérés ; que précisément, l'article L 6611 nouveau ne vise pas les décisions prises sur le fondement de l'article L 611-7 alinéa 5 du Code de commerce ;
Attendu qu'il n'est fait exception à ce principe que dans des dispositions très spécifiques et très claires de la loi et du règlement (ainsi, en matière de vérification des créances, art. L 624-3 C.com., et 108 du décret ; ou en cas de refus d'ouvrir la conciliation, art. 19 du décret ; ou de rejet de l'homologation de la conciliation, art. 35 du décret) ;
Qu'une telle exception n'a pas été prévue par les textes nouveaux en ce qui concerne l'octroi de délais dans le cadre de la procédure de conciliation (Déc., art. 28) ;
Attendu que du tout, il résulte que la créancière n'avait pas droit d'appel et n'avait, sous réserve que les conditions en soient réunies, pas d'autres choix que provoquer le redressement ou la liquidation, ou, à défaut de cessation des paiements, frapper de fierce opposition au visa de l'article L 661-2 l'ordonnance du 18.1.2006 admettant qu'il soit recouru à la conciliation ;
Attendu que cette voie de la tierce opposition contre l'ouverture-même de la conciliation, apparaît comme celle que le législateur a entendu mettre à la disposition des créanciers, de sorte qu'ils ne souffrent pas d'une inéquité dans le procès, au sens de l'article 6-1 de la Convention ESDH ;
Que cette option législative est d'autant plus claire qu'elle permet aux créanciers qui, par postulat, n'ont pas été appelés à s'exprimer sur l'opportunité d'une conciliation, de faire valoir leurs arguments principaux contre cette conciliation, avant que d'avancer des arguments seconds relatifs aux délais accordés ;
Attendu qu'en revanche, il n'est pas possible de tirer de l'article 336 du décret du 28 décembre 2005, que l'appel serait possible au titre du droit commun de la procédure civile, dès lors que l'article L 661-1 du Code de commerce ne vise pas expressément la procédure de conciliation ;
Qu'en effet, l'existence de voies de recours n'est pas traitée par le texte réglementaire en matière de procédures collectives de droit commercial ; que comme il a été dit, la loi restreint considérablement et exceptionnellement la prérogative de l'appel, au point d'en faire une exception, ou en tout cas un droit réservé, auquel les créanciers ont rarement accès, dans des cas limitativement énumérés ; que le législateur n'a pas permis que le pouvoir réglementaire enfreigne sa volonté par le biais d'un renvoi trop général au Code de procédure civile ;
Qu'ainsi, le décret du 28 décembre 2005, en ce qu'il renvoie au du Nouveau Code de Procédure Civile, n'a pour objet que de rappeler l'existence des principes directeurs de la procédure civile, d'adopter les règles de formulation des demandes et défenses, la forme des actes et les règles de fonctionnement de chaque juridiction ainsi que les règles d'administration de la preuve ;
Attendu enfin que l'appel nullité, invoqué par l'appelant pour le cas où le conseiller de la mise en état opterait pour l'irrecevabilité de l'appel réformation, n'est pas permis puisqu'une voie de recours existe, à savoir la tierce opposition contre la décision principale d'ouverture de la conciliation, ainsi qu'il a été dit précédemment ;
Attendu qu'en somme, tant l'appel réformation que l'appel nullité sont irrecevables, comme le soutenait d'emblée l'intimée et Me Bondroit ;
Attendu que la difficulté et la nouveauté de l'argumentation nécessitaient que les parties s'opposassent devant la cour, de sorte qu'il ne sera pas fait application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ;
PAR CES MOTIFS
LE MAGISTRAT DE LA MISE EN ETAT, statuant par ordonnance contradictoire mise à disposition au greffe,
Déclare irrecevable l'appel du Comptable des Impôts et le condamne aux dépens.
Dit n'y avoir lieu d'appliquer l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.
Dit qu'il sera fait application de Particle 699 du Nouveau Code de Procédure Civile au profit des avoués constitués.