Cass. 3e civ., 19 janvier 2000, n° 98-13.194
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Beauvois
Sur le moyen unique :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Versailles, 11 décembre 1997), statuant sur renvoi après cassation, que Mme X... a, par acte sous seing privé du 23 novembre 1987, donné à bail pour neuf ans à la société Gestion de location de bureaux et d'entrepôts, à laquelle s'est substituée la Caisse des dépôts et consignations, des locaux d'habitation, déjà utilisés antérieurement à ce bail par le précédent locataire en " bureaux commerciaux " ; que, le 26 décembre 1988, la Préfecture de Paris a informé la locataire de ce que l'utilisation de cet appartement à usage de bureaux constituait une infraction aux dispositions de l'article L. 631-7 du Code de la construction et de l'habitation et lui a octroyé un délai pour régulariser la situation en procédant à une compensation avec d'autres locaux ; qu'après une nouvelle mise en demeure, la locataire a racheté les droits de commercialité attachés à des locaux commerciaux situés dans un autre arrondissement de Paris pour les transférer sur l'appartement appartenant à Mme X... ; qu'ayant obtenu ainsi, le 21 décembre 1989, l'autorisation définitive d'utiliser cet appartement à usage commercial, la Caisse des dépôts et consignations a assigné la bailleresse en paiement de dommages-intérêts au motif qu'elle avait manqué à son obligation de délivrer des locaux conformes à la destination contractuelle et à celle de lui assurer la jouissance paisible des lieux ;
Attendu que Mme X... fait grief à l'arrêt d'accueillir la demande alors, selon le moyen : "
1) que l'arrêt a dénaturé les termes clairs et précis de la lettre de la Préfecture de Paris du 20 juillet 1972 annonçant avoir accordé, par décision n° 1371 en date du 20 juillet 1972, l'autorisation sollicitée, sous réserve du droit des tiers, par dérogation aux dispositions de l'article 340 du Code de l'urbanisme et de l'habitation, en vue d'affecter à usage de bureaux commerciaux, pour les besoins de la CGO, l'appartement litigieux puisque " en compensation, vous avez financé la reconversion après remise en état de parfaite habitabilité pour 313 mètres carrés de cinq locaux commerciaux, ..., ... " ; qu'en effet, aux yeux de la propriétaire de l'appartement à laquelle seul ce document décisif avait été communiqué pour être visé dans le premier contrat de bail commercial de 1973, il ne pouvait y avoir matière qu'à autorisation définitive et réelle affectant les locaux donnés en location, ce qui la dispensait de toute vérification ultérieure au moment de la conclusion des deux autres baux commerciaux ; que l'arrêt a donc violé l'article 1134 du Code civil ;
2) que les carences de l'administration à prévenir la propriétaire d'une soi-disant caducité de l'autorisation n° 1371, tant à l'occasion des mises en demeure du premier locataire d'avoir à exécuter les travaux de la rue Hérold entre 1975 et 1977, que pendant la durée de 9 ans du second bail commercial conclu en 1978 où l'administration ne s'est pas manifestée, pour attendre plusieurs mois après la demande du syndic formulée après l'expiration de ce bail en septembre 1987 pour avoir confirmation écrite qu'il ne pouvait y avoir perte de commercialité eu égard au statut particulier de la Caisse des dépôts et consignations, avant de reformuler tardivement, en février 1988, l'allégation d'une caducité de l'autorisation datant de 1972, traduisaient à l'évidence un fait du prince équivalent à la force majeure exénoratoire des obligations de délivrance et de jouissance paisible du bailleur envers le preneur ; que l'arrêt a donc violé les articles 1148 et 1719 du Code civil ;
3) qu'en tout état de cause, l'arrêt ne pouvait valablement opposer à la propriétaire la transaction conclue à son insu en décembre 1989 entre la Préfecture de Paris et la Caisse des dépôts et consignations, d'une part, parce que cette transaction, déjà en soi irrégulière (du fait de l'interdiction de subordonner l'autorisation prévue à l'article L. 631-7 du Code de la construction au versement d'une compensation financière), avait paralysé tout recours administratif pour contester la caducité de l'autorisation en question, d'autre part, parce que, en tout état de cause, la Caisse des dépôts et consignations était allée au-delà de la prétention de l'administration en rachetant à prix fort 73 mètres carrés de locaux commerciaux au lieu des 54 mètres carrés réclamés par la Préfecture de Paris ; que l'arrêt a donc violé les articles 1719 et 2044 et suivants du Code civil " ;
Mais attendu qu'ayant, par une interprétation souveraine, exclusive de dénaturation, des lettres des 2 février, 26 juin et 20 juillet 1972 que leur rapprochement rendait nécessaire, retenu que l'autorisation préfectorale donnée le 20 juillet 1972 ne l'avait été qu'à la locataire de l'époque, la société CGO, et sous la condition de compensation par la conversion d'une certaine superficie de locaux à usage commercial en locaux d'habitation, la cour d'appel, qui a pu relever que, la position de l'administration étant demeurée inchangée, la remise en cause de l'autorisation opérée antérieurement à la conclusion du bail ne pouvait être qualifiée d'événement imprévisible, a souverainement apprécié le montant du préjudice causé à la Caisse des dépôts et consignations par la carence de la bailleresse à s'assurer, avant la conclusion du bail du 23 novembre 1987, que la destination commerciale des locaux loués était toujours autorisée ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi.