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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 8, 1 mars 2011, n° 10/19932

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Cabinet Kelman

Défendeur :

Compagnie Géofinancière (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Maestracci

Conseillers :

Mme Moracchini, Mme Delbes

Avocats :

SCP Bolling Durand Lallement, SCP Fisselier-Chiloux-Boulay

T. com. Bobigny, du 30 sept. 2010

30 septembre 2010

Le 4 juillet 2006, la SAS Compagnie Geofinancière a constitué une filiale à 100 %, la SA Geoenergie, dont le siège était [...]. Celle-ci avait pour activité toutes études, prestations de service, expertises et tous suivis de travaux, de tous projets de géothermie et de valorisation énergétique des eaux et des sous-sols. La SA Geopetrol est également une filiale de la société Compagnie Geofinancière.

Selon convention du 9 juin 2006, la société Cabinet Kelman a cédé à la société Geoenergie la clientèle attachée à son activité d'ingénieur conseil ainsi que le bénéfice des contrats conclus ou en cours de négociations avec ladite clientèle. Le prix de cession, fixé à 250 000 euros, était payable en trois versements, 90 000 euros lors de la signature de l'acte, 80 000 euros le 9 juin 2007 et 80 000 euros le 9 juin 2008. La société Cabinet Kelman a été dissoute le 30 juin 2006 et M. Alexandre Kelman a été désigné comme liquidateur amiable.

Par jugement du 21 février 2007 et sur déclaration de cessation des paiements du 6 février 2007, le tribunal de commerce de Bobigny a ouvert une procédure de liquidation judiciaire sous régime simplifié à l'égard de la société Geoenergie, Maître Frédérique Giffard étant désigné comme liquidateur. Par requête du 21 mai 2007, la société Cabinet Kelman a sollicité sa désignation comme contrôleur. Par ordonnance du 5 septembre 2007, le juge-commissaire a fait droit à cette demande.

Par acte du 27 décembre 2007, Maître Giffard, ès qualités, a assigné la société Cabinet Kelman devant le tribunal de grande instance de Paris pour voir prononcer la résolution de la cession du 9 juin 2006, pour dol, et, subsidiairement, pour obtenir le paiement de dommages et intérêts. Par jugement du 2 juillet 2009, le tribunal de grande instance de Paris a condamné M. Kelman en sa qualité de liquidateur amiable de la société Cabinet Kelman à payer à Maître Giffard, ès qualités, la somme de 27 149,29 euros à titre de dommages et intérêts et celle de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Le 11 janvier 2008, la société Cabinet Kelman a saisi le tribunal de commerce de Bobigny d'une demande d'extension de la liquidation judiciaire de la société Geoenergie aux sociétés Compagnie Geofinancière et Geopetrol, pour fictivité.

Par jugement du 30 septembre 2010, le tribunal de commerce de Bobigny n'a pas retenu la fictivité de la société Geoenergie, a dit n'y avoir lieu à prononcer la confusion de patrimoine demandée et a condamné la société Cabinet Kelman à payer à chacun des défendeurs la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile. Par déclaration du 12 octobre 2010, la société Cabinet Kelman a interjeté appel de cette décision.

Dans ses écritures signifiées le 18 novembre 2010, elle demande à la cour d'infirmer le jugement entrepris, statuant à nouveau, de constater la fictivité de la société Geoenergie, d'étendre la procédure de liquidation judiciaire ouverte à l'égard de ladite société aux sociétés Compagnies Geofinancière et Geopetrol, de condamner ces dernières et Maître Giffard, ès qualités, à lui payer la somme de 15 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Dans leurs conclusions signifiées le 14 décembre 2010, les sociétés Geofinancière et Geopetrol demandent à la cour de confirmer le jugement dont appel et, y ajoutant, de condamner M. Kelman, ès qualités de liquidateur amiable de la société Cabinet Kelman, à payer une amende civile de 3 000 euros, à verser à la société Geopetrol la somme de 50 000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive et à payer à chacune d'elles la somme de 20 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Dans ses écritures signifiées le 8 décembre 2010, Maître Giffard, ès qualités, demande à la cour de lui donner acte de ce qu'elle s'en rapporte à justice sur le mérite de demande d'extension et de condamner l'appelante à lui payer la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

SUR CE

Considérant que l'article L 621-2 alinéa 2 du code de commerce, que l'article L 641-1-I rend applicable à la liquidation judiciaire, dispose que : 'A la demande de l'administrateur, du mandataire judiciaire, du ministère public ou d'office, la procédure peut être étendue à une ou plusieurs autres personnes en cas de confusion de leur patrimoine avec celui de débiteur ou de fictivité de la personne morale' ;

Considérant qu'aux termes du premier alinéa de l'article L 622-20 du code précité, en cas de carence du mandataire judiciaire, tout créancier nommé contrôleur peut agir dans l'intérêt collectif des créanciers ; que l'article R 622-18 prévoit qu'en application du premier alinéa de l'article L 622-20, l'action d'un créancier nommé contrôleur, dans l'intérêt collectif des créanciers, n'est recevable qu'après une mise en demeure adressée au mandataire judiciaire par lettre recommandée avec demande d'avis de réception restée infructueuse pendant deux mois à compter de la réception de celle-ci ;

Considérant que la société Cabinet Kelman, nommée contrôleur à la procédure collective de la société Geoenergie le 5 septembre 2007, a, par lettre recommandée du 17 septembre 2007, reçue le 21 septembre, vainement mis Maître Giffard en demeure d'engager une action en extension de ladite procédure aux sociétés intimées ; qu'au vu des dispositions des articles L 622-20 et R 622-18 du code de commerce, son action aux fins d'extension engagée le 11 janvier 2008 est recevable ;

Considérant que la société Cabinet Kelman argue de la fictivité de la société Geoenergie en se prévalant de l'absence d'autonomie de celle-ci par rapport à sa société mère, la société Compagnie Geofinancière et, plus généralement du groupe Geofinancière, de l'unité de structure, de fonctionnement et de personnel entre les mêmes et du contrôle anormal de la société mère sur sa filiale ; qu'il voit dans le dépôt de bilan de la société Geoenergie, qui n'était nullement en état de cessation des paiements, une mascarade destinée à permettre à une société tierce, G²H Conseils, constituée, le 25 septembre 2007, entre Messieurs Boissavy et Griere, anciens dirigeants de la société Geoenergie, de poursuivre l'activité de celle-ci sans payer le prix de la clientèle de la société Cabinet Kelman ; qu'il estime que la société Geoenergie n'a été qu'une société écran, constituée pour être débitrice du prix de cession de cette clientèle et sciemment liquidée pour permettre à une autre entité de poursuivre son activité sans assumer son passif ;

Considérant que le fait qu'aux termes d'un courriel du 14 juin 2006, M. Roudot, secrétaire général de la société Compagnie Geofinancière, ait demandé que les factures fournisseurs de la société Geoenergie soient adressées au siège de la société Compagnie Geofinancière, et que la comptabilité de la filiale, la facturation de ses clients, le paiement de ses factures et ses affaires sociales soient assurés par des services de la société mère, ne saurait caractériser la fictivité alléguée ; que ces circonstances ne suffisent pas à établir que la société Geoenergie ait été dépourvue de toute autonomie décisionnelle ; qu'elles ne traduisent que la mise en commun de moyens, qui ne dépasse pas le degré d'organisation inhérent à un tel ensemble de sociétés et alors que les intimées produisent une convention d'assistance logistique et technique, signée le 3 juillet 2006, entre les sociétés Geoenergie et Compagnie Geofinancière, dont l'appelante ne démontre pas qu'elle aurait été forgée pour les besoins de la présente procédure ; qu'il n'est pas établi qu'il n'aurait pas été procédé à la tenue des comptes sociaux de la société Geoenergie ni que celle-ci n'aurait connu aucune vie sociale ; que le fait que M. Griere et M. Boissavy, engagés respectivement en qualité de directeur général et de président de la société Geoenergie, aient exercé aussi des fonctions au sein d'autres sociétés du groupe et depuis le siège, au Blanc Mesnil, de la société Compagnie Geofinancière n'est pas, non plus, un indice de subordination décisionnelle, étant observé que la société Geoenergie a aussi son siège au Blanc Mesnil, où les locaux occupés par les trois sociétés du groupe occupent une emprise importante sur plusieurs rues, de sorte que l'intervention de personnes situées sur ce lieu ne présente aucun caractère anormal ; que la liquidation judiciaire de la société Geoenergie a été prononcée par la juridiction compétente, laquelle s'est livrée à l'appréciation de la situation économique et financière de la débitrice pour en déduire l'état de cessation de ses paiements et l'inexistence de perspectives de redressement, et ce, aux termes d'une décision qui n'a fait l'objet d'aucun recours ;

Considérant que la cour observe encore que la société Geoenergie a été créée pour reprendre la clientèle de la société Cabinet Kelman dont l'activité n'était pas compatible avec l'objet social des autres sociétés du groupe ; que cette création s'est donc inscrite dans un vrai projet d'entreprise et de développement d'une activité nouvelle pour le groupe ; que l'intéressée avait donc une réelle personnalité morale et une personnalité distincte de celle de sa société mère ;

Considérant que le fait que la société G²H Conseils, constituée postérieurement à l'ouverture de la procédure collective de la société Geoenergie, soit la copie quasi conforme de celle-ci et ait été créée par des personnes ayant assumé des fonctions au sein des sociétés Geoenergie, Compagnie Geofinancière et Geopetrol, mais sans avoir de lien de capital avec celles-ci, ne saurait faire supposer la fictivité de la première de ces trois entités ;

Considérant que la société Cabinet Kelman ne verse enfin aux débats aucune pièce de nature à établir une confusion des comptes des sociétés Geoenergie, Compagnie Geofinancière et Geopetrol, ou l'existence de relations financières anormales entre les intéressées, tel le support par l'une des charges des autres ou l'encaissement par l'une de factures appartenant à une autre, ou encore la remise de sommes sans contrepartie ;

Considérant que la société Cabinet Kelman ne caractérise donc ni la fictivité de la société Geoenergie dont elle excipe ni la confusion du patrimoine de l'intéressée avec celui des intimées ; que sa demande d'extension n'est pas fondée ;

Considérant que le jugement entrepris sera donc confirmé ;

Considérant que les sociétés Compagnie Geofinancière et Geopetrol ne démontrent pas que la société Cabinet Kelman a fait de son droit d'agir en justice un usage abusif qui leur aurait causé un préjudice ; qu'elles doivent être déboutées de leur demande de dommages et intérêts formée à ce titre ;

Considérant que l'équité commande, en revanche, de condamner la société Cabinet Kelman à payer à chacune d'elles, et à Maître Giffard, ès qualités, la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, pour la procédure d'appel ; que la demande formée sur le fondement du même texte par l'appelante, qui succombe et supportera les dépens, n'est pas justifiée et doit être rejetée ;

Considérant que les sociétés Compagnie Geofinancière et Geopetrol ne sont pas fondées à solliciter le prononcé d'une amende civile qui relève exclusivement de l'appréciation souveraine de la juridiction saisie en vertu de l'article 32-1 du code de procédure civile ;

PAR CES MOTIFS

Confirme le jugement déféré,

Condamne la société Cabinet Kelman à payer à la société Compagnie Geofinancière, à la société Geopetrol et à Maître Giffard, ès qualités, chacun, la somme de 2 000 euros au titre de l'article en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, pour la procédure d'appel ;

Rejette toute autre demande ;

Condamne la société Cabinet Kelman aux dépens d'appel qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.