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Décisions

Cass. com., 6 juin 2000, n° 98-11.819

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Dumas

Rapporteur :

Mme Lardennois

Avocat général :

Mme Piniot

Avocats :

SCP Delaporte et Briard, SCP Boré, Xavier et Boré

Rouen, 2e ch. civ., du 4 déc. 1997

4 décembre 1997

Sur le premier moyen, pris en ses deux branches :

Attendu que M. Y..., la société Agence de presse multimédia (la société APM) et la société civile Groupe JPO font grief à l'arrêt confirmatif attaqué d'avoir étendu aux sociétés APM et Groupe JPO la procédure de liquidation judiciaire prononcée le 12 septembre 1995 après ouverture de son redressement judiciaire le 25 avril 1994, à l'égard de la société SCS JPO communication (la société SCS), alors, selon le pourvoi, d'une part, que l'article 182 de la loi du 25 janvier 1985 ne prévoit l'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire qu'à l'encontre du dirigeant d'une personne morale en état de redressement ou liquidation judiciaire, à l'exclusion de toute autre personne morale ou physique ; qu'en faisant application, en l'espèce, des dispositions de cet article à l'encontre des sociétés APM et Groupe JPO, à propos desquelles il n'a jamais été soutenu ni constaté qu'elles étaient les dirigeants de la société SCS, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;

alors, d'autre part, que la possibilité envisagée par l'article 7 de la loi du 25 janvier 1985 d'étendre à d'autres débiteurs la procédure collective ouverte à l'encontre d'un débiteur est subordonnée à la condition que soit constatée entre eux une confusion de patrimoines ou une fictivité des sociétés mises en cause ; que spécialement la confusion de patrimoines entre les sociétés suppose que soient constatés des flux financiers anormaux, de sorte qu'il devient impossible de dissocier l'activité et le patrimoine de chacun ; qu'en se bornant à relever, pour retenir en l'espèce l'existence d'une confusion de patrimoines entre la société SCS d'une part, et la société APM et la société Groupe JPO d'autre part, quelques paiements ponctuels de l'une ou l'autre de ces sociétés au profit de la première, outre des liens étroits entre elles, sans constater l'existence de véritables flux financiers anormaux entre elles, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard du texte susvisé ;

Mais attendu que l'arrêt retient, par motifs propres et adoptés, que la société SCS a réglé des cotisations URSSAF et diverses factures dues par la société APM, que des fonds destinés à la société SCS ont été perçus par la société APM, que des salariés supposés employés par la société APM sont en fait restés chez leur employeur initial, la société SCS ; qu'après avoir relevé que le papier à en-tête des deux sociétés était pratiquement similaire et portait des dénominations tronquées, celui de la société SCS ne comportant que l'indication "Groupe JPO", l'arrêt retient encore que des activités et des créances de la société SCS ont été détournées au profit de la société Groupe JPO, que la cession à la société Groupe JPO du bail commercial dont était titulaire la société SCS n'a jamais été régularisée et a contribué à entretenir une situation floue quant au paiement des loyers au bailleur ;

qu'en l'état de ces constatations et appréciations, retenant la confusion des patrimoines de la société SCS et de chacune des deux autres sociétés en raison de l'existence de flux financiers anormaux, la cour d'appel, qui n'a pas ouvert une nouvelle procédure collective, peu important la référence erronée à l'article 182 de la loi du 25 janvier 1985, a légalement justifié sa décision ; que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;

Et sur le second moyen, pris en sa seconde branche, qui est préalable :

Attendu que M. Y... fait encore grief à l'arrêt de lui avoir étendu la procédure de liquidation judiciaire ouverte à l'égard de la société SCS et d'avoir prononcé à son encontre une mesure "de faillite personnelle", alors, selon le pourvoi, qu'en vertu de l'article 182 de la loi du 25 janvier 1985, le juge qui entend faire application de ce texte à un dirigeant social doit constater que les faits répréhensibles commis par lui ont été effectués dans un intérêt personnel, ont un caractère frauduleux ou encore que la comptabilité est manifestement irrégulière ou incomplète au regard des dispositions légales ; qu'en l'espèce, il ressort des énonciations de l'arrêt que les faits reprochés à M. Y... ont été effectués, selon la cour d'appel elle-même, par et au profit de la société APM ou de la société Groupe JPO, et non dans l'intérêt personnel de celui-ci, que leur caractère frauduleux n'est pas constaté et que la comptabilité tenue par M. Y... n'est pas manifestement incomplète ou irrégulière au regard des dispositions légales ; qu'en affirmant néanmoins que ces faits entraient dans le champ d'application de l'article 182 de la loi du 25 janvier 1985, sans constater qu'ils remplissaient bien les exigences posées par ce texte, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard du texte susvisé ;

Mais attendu qu'après avoir relevé que M. Y..., dirigeant de la société SCS, était aussi dirigeant de la société Groupe JPO et que sa mère assurait la gérance de la société APM, l'arrêt retient, par motifs propres et adoptés, qu'il a fait régler par la société SCS diverses factures dues par la société APM, qu'il a détourné au profit de la société Groupe JPO des activités et créances de la société SCS, qu'il a affecté le personnel d'une société à l'autre selon leurs besoins, sans contrepartie réelle et sérieuse, et qu'il a effectué des paiements en espèces et par carte bancaire sans justificatif, ni trace comptable ; qu'en l'état de ces constatations et appréciations, faisant ressortir que M. Y... avait fait des biens de la société SCS un usage contraire à l'intérêt de celle-ci pour favoriser une autre personne morale dans laquelle il était intéressé directement ou indirectement et qu'il avait disposé des biens de cette société comme des siens propres, la cour d'appel n'a fait qu'user des pouvoirs qu'elle tient de l'article 182 de la loi du 25 janvier 1985 en statuant comme elle a fait ; que le moyen n'est pas fondé ;

Mais sur le second moyen, pris en sa première branche :

Sur la fin de non-recevoir opposée par la défense :

Attendu que le liquidateur soutient que ce moyen est irrecevable pour être proposé pour la première fois devant la Cour de cassation ;

Mais attendu que le moyen tiré de la violation de l'article 182 de la loi du 25 janvier 1985 est de pur droit, le pourvoi ne se prévalant d'aucun fait qui n'ait été connu des juges du fond, soumis à leur appréciation et constaté dans la décision attaquée ; que la fin de non-recevoir n'est donc pas fondée ;

Et sur le moyen :

Vu l'article 182 de la loi du 25 janvier 1985, dans sa rédaction applicable en la cause ;

Attendu que l'arrêt prononce d'emblée l'extension de la procédure de liquidation judiciaire de la société SCS à son dirigeant, M. Y..., sur le fondement de l'article 182 de la loi du 25 janvier 1985 ;

Attendu qu'en statuant ainsi, sans ouvrir au préalable à l'encontre de M. Y... une procédure de redressement judiciaire, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a confirmé le jugement qui a prononcé l'extension de la liquidation judiciaire de la société SCS JPO communication à M. Y..., l'arrêt rendu le 4 décembre 1997, entre les parties, par la cour d'appel de Rouen ; remet, en conséquence, quant à ce, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel d'Amiens.