CJUE, 5e ch., 22 avril 2021, n° C-537/19
COUR DE JUSTICE DE L’UNION EUROPEENNE
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Commission européenne
Défendeur :
République d’Autriche
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président de chambre :
M. E. Regan
Juges :
M. M. Ilešič, M. E. Juhász, M. C. Lycourgos, M. I. Jarukaitis
Avocat général :
M. Campos Sánchez-Bordona
1 Par sa requête, la Commission européenne demande à la Cour de constater que, en ce que Stadt Wien-Wiener Wohnen (ci-après « Wiener Wohnen ») a attribué directement le marché du 25 mai 2012 relatif à l’immeuble de bureaux sis Guglgasse 2-4, à Vienne (Autriche), sans réaliser une procédure de mise en concurrence et sans communiquer l’avis y afférent, la République d’Autriche a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 2 et 28 ainsi que de l’article 35, paragraphe 2, de la directive 2004/18/CE du Parlement européen et du Conseil, du 31 mars 2004, relative à la coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux, de fournitures et de services (JO 2004, L 134, p. 114).
Le cadre juridique
Le droit de l’Union
2 Les considérants 2 et 24 de la directive 2004/18 énonçaient :
« (2) La passation de marchés conclus dans les États membres pour le compte de l’État, des collectivités territoriales et d’autres organismes de droit public doit respecter les principes du traité, notamment les principes de la libre circulation des marchandises, de la liberté d’établissement et de la libre prestation de services, ainsi que les principes qui en découlent, comme l’égalité de traitement, la non-discrimination, la reconnaissance mutuelle, la proportionnalité et la transparence. Toutefois, en ce qui concerne les marchés publics dépassant un certain montant, il est recommandé d’élaborer des dispositions en matière de coordination communautaire des procédures nationales de passation de ces marchés qui soient fondées sur ces principes de manière à garantir leurs effets ainsi qu’une mise en concurrence effective des marchés publics. Par conséquent, ces dispositions de coordination devraient être interprétées conformément aux règles et principes précités ainsi qu’aux autres règles du traité.
[...]
(24) Dans le cadre des services, les marchés relatifs à l’acquisition ou à la location de biens immeubles ou à des droits sur ces biens présentent des caractéristiques particulières qui rendent inadéquate l’application de règles de passation des marchés publics. »
3 L’article 1er de cette directive, intitulé « Définitions », disposait, à son paragraphe 2, sous b) :
« Les “marchés publics de travaux” sont des marchés publics ayant pour objet soit l’exécution, soit conjointement la conception et l’exécution de travaux relatifs à une des activités mentionnées à l’annexe I ou d’un ouvrage, soit la réalisation, par quelque moyen que ce soit, d’un ouvrage répondant aux besoins précisés par le pouvoir adjudicateur. Un “ouvrage” est le résultat d’un ensemble de travaux de bâtiment ou de génie civil destiné à remplir par lui-même une fonction économique ou technique. »
4 L’article 2 de ladite directive, intitulé « Principes de passation des marchés », prévoyait :
« Les pouvoirs adjudicateurs traitent les opérateurs économiques sur un pied d’égalité, de manière non discriminatoire et agissent avec transparence. »
5 L’article 16 de la directive 2004/18, intitulé « Exclusions spécifiques », disposait :
« La présente directive ne s’applique pas aux marchés publics de services :
a) ayant pour objet l’acquisition ou la location, quelles qu’en soient les modalités financières, de terrains, de bâtiments existants ou d’autres biens immeubles ou qui concernent des droits sur ces biens ; toutefois, les contrats de services financiers conclus parallèlement, préalablement ou consécutivement au contrat d’acquisition ou de location, sous quelque forme que ce soit, sont soumis à la présente directive ;
[...] »
6 L’article 28 de cette directive, intitulé « Utilisation des procédures ouvertes, restreintes et négociées et du dialogue compétitif », énonçait :
« Pour passer leurs marchés publics, les pouvoirs adjudicateurs appliquent les procédures nationales, adaptées aux fins de la présente directive.
Ils passent ces marchés publics en recourant à la procédure ouverte ou à la procédure restreinte. Dans les circonstances particulières expressément prévues à l’article 29, les pouvoirs adjudicateurs peuvent attribuer leurs marchés publics au moyen du dialogue compétitif. Dans les cas et circonstances spécifiques expressément prévus aux articles 30 et 31, ils peuvent recourir à une procédure négociée, avec ou sans publication d’un avis de marché. »
7 L’article 35, paragraphe 2, de ladite directive, intitulé « Avis », prévoyait :
« Les pouvoirs adjudicateurs désireux de passer un marché public ou un accord-cadre en recourant à une procédure ouverte, restreinte ou, dans les conditions prévues à l’article 30, à une procédure négociée avec publication d’un avis de marché ou encore, dans les conditions fixées à l’article 29, à un dialogue compétitif, font connaître leur intention au moyen d’un avis de marché. »
8 La directive 2004/18 a été remplacée par la directive 2014/24/UE du Parlement européen et du Conseil, du 26 février 2014, sur la passation des marchés publics et abrogeant la directive 2004/18 (JO 2014, L 94, p. 65), avec effet au 18 avril 2016.
Le droit autrichien
9 À la date de la conclusion du contrat de location en cause, le 25 mai 2012, les dispositions nationales applicables figuraient dans le Bundesgesetz über die Vergabe von Aufträgen 2006 (loi fédérale de 2006 sur la passation des marchés publics), dans sa version applicable à cette date.
La procédure précontentieuse
10 À la suite d’une plainte reçue au cours de l’année 2015 et de contacts informels avec les autorités autrichiennes, la Commission a, le 25 juillet 2016, adressé à la République d’Autriche une lettre de mise en demeure (procédure d’infraction no 2016/4074), dans laquelle elle a invoqué une infraction aux articles 2, 28 et 35 de la directive 2004/18, en raison de l’attribution directe, sans procédure de mise en concurrence ni avis de marché conforme à cette directive, par Wiener Wohnen, le 25 mai 2012, d’un contrat de location à durée indéterminée portant sur l’immeuble de bureaux dénommé Gate 2 (ci-après l’« immeuble Gate 2 »), y compris un garage souterrain, sur la parcelle sise Guglgasse 2-4, à Vienne.
11 Selon les termes de ce contrat, le bailleur, Vectigal Immobilien GmbH & Co KG, propriétaire de cette parcelle au moment de la conclusion dudit contrat, avait l’intention de construire sur ce terrain l’immeuble Gate 2.
12 Le bien loué était constitué de deux ailes (A et B), du rez-de-chaussée au cinquième étage. Des ponts entre ces deux ailes, aux premier à cinquième étages, étaient prévus en tant que variante. En outre, Wiener Wohnen disposait, en tant qu’option (« Call-Option »), du droit unilatéral de prendre en location, en plus des cinq premiers étages qui constituaient le bien loué dès le départ, les sixième à huitième étages dans l’aile B dudit immeuble. Un avenant au contrat de location daté du 25 octobre 2012 a confirmé que Wiener Wohnen a fait usage de cette option.
13 Le contrat de location en cause a été conclu pour une durée indéterminée. Il prévoyait initialement que Wiener Wohnen pouvait résilier de manière ordinaire le contrat seulement quinze ans après le début de la location, et, ensuite, tous les dix ans. Outre cette résiliation ordinaire, une résiliation extraordinaire était possible si le bailleur violait le contrat de location de manière grave ou persistante, ou si l’immeuble Gate 2 était inutilisable pour l’usage convenu pendant plus de six mois.
14 Le deuxième avenant audit contrat de location, daté des 16 et 17 septembre 2013, a reporté le délai de la première possibilité de résiliation ordinaire. Selon le point 2.4 de cet avenant, la clause correspondante était désormais rédigée comme suit : « Le locataire peut résilier normalement le présent contrat de location, mais seulement à l’échéance des 25 ans, 35 ans et 45 ans (etc.) à partir du début de la location (en tenant compte du délai de préavis visé au point 2.2.) (délai de préavis de douze mois à la fin d’un trimestre du calendrier civil) ».
15 Après avoir occupé l’immeuble Gate 2, Wiener Wohnen a sous-loué à Wiener Wohnen Haus & Außenbetreuung GmbH des surfaces de bureaux. En outre, le Gewerkschaft der Gemeindebediensteten (syndicat des employés communaux) a également installé un centre d’information dans cet immeuble.
16 La République d’Autriche a répondu à la lettre de mise en demeure de la Commission par une lettre en date du 26 septembre 2016, dans laquelle elle a admis que l’attribution directe du contrat de location en cause relevait du champ d’application de la directive 2004/18 et que, par conséquent, une mise en concurrence conforme à cette directive aurait dû être réalisée. Cet État membre a dit regretter l’erreur commise et a souligné que Wiener Wohnen mettrait tout en œuvre pour assurer à l’avenir une application correcte du droit de l’Union en matière de marchés publics.
17 Il ressort également du dossier soumis à la Cour que la République d’Autriche a exposé dans des observations complémentaires du 27 février 2017, ainsi que dans d’autres observations complémentaires des 5 mai, 13 septembre et 25 octobre 2017, de quelle manière le respect du droit de l’Union en matière de marchés publics serait dorénavant garanti, notamment au moyen d’un registre des contrats.
18 Eu égard à la persistance de l’infraction reprochée, la Commission a, par une lettre du 18 mai 2018, adressé à la République d’Autriche un avis motivé, invitant cet État membre à prendre les mesures nécessaires pour se conformer à celui-ci dans un délai de deux mois à compter de sa réception.
19 La République d’Autriche a répondu audit avis motivé par une lettre du 18 juillet 2018. S’agissant des possibilités de remédier à l’infraction reprochée, cet État membre a fait valoir que, compte tenu du fait que Wiener Wohnen occupait l’immeuble Gate 2, une élimination immédiate de ladite infraction était impossible. Eu égard au fait que le contrat de location en cause pouvait faire l’objet d’une résiliation ordinaire au plus tôt le 1er octobre 2040 pour l’aile A de cet immeuble et le 1er avril 2041 pour l’aile B de celui-ci, Wiener Wohnen serait toutefois prête à entamer avec le bailleur des négociations portant sur une résiliation anticipée de ce contrat de location. Par ailleurs, la République d’Autriche a souligné que, à l’époque de la conclusion dudit contrat, selon l’opinion juridique dominante en Autriche, l’exclusion prévue à l’article 16, sous a), de la directive 2004/18 visait également la location d’un immeuble de bureaux non encore construit, mais déjà planifié et prêt à être réalisé. Or, Wiener Wohnen ayant voulu louer précisément un tel bâtiment, cette entité aurait agi de bonne foi.
20 N’étant pas satisfaite de la réponse de la République d’Autriche, la Commission a introduit le présent recours.
Sur le recours
Argumentation des parties
21 La Commission soutient que la conclusion, par Wiener Wohnen, une entité publique rattachée à la ville de Vienne, avec une entreprise privée, d’un contrat de location de longue durée relatif à l’immeuble Gate 2, avant que celui-ci ne soit construit, constitue la passation directe d’un marché de travaux en vue de la construction et de la location d’un immeuble de bureaux, en raison du fait que Wiener Wohnen a exercé une influence sur la planification des travaux relative audit immeuble, qui allait bien au-delà des exigences habituelles du locataire d’un nouvel immeuble.
22 La Commission rappelle, en se référant à l’arrêt du 10 juillet 2014, Impresa Pizzarotti (C‑213/13, EU:C:2014:2067, points 40 à 42), que la question de savoir si une opération constitue un marché public de travaux relève du droit de l’Union et que, si un ouvrage est proposé à la location avant que ne soit entamée sa réalisation, son objet principal résiderait dans cette réalisation. Elle souligne à cet égard que, à la date de la conclusion du contrat de location en cause, l’immeuble Gate 2 ne faisait pas l’objet d’un permis de construire exécutoire.
23 La Commission ajoute, en se référant au point 43 du même arrêt de la Cour, que ce contrat ne relève pas de l’exclusion prévue à l’article 16, sous a), de la directive 2004/18. En effet, cette exclusion ne s’appliquerait pas si la réalisation d’un ouvrage projeté répond aux besoins précisés par le pouvoir adjudicateur. Il ressortirait du point 58 de l’arrêt du 29 octobre 2009, Commission/Allemagne (C‑536/07, EU:C:2009:664), que cela serait notamment le cas lorsque les spécifications fixées dans le contrat se rapportent à un descriptif précis du bâtiment à construire, de sa qualité et de son équipement et vont ainsi bien au–delà des exigences habituelles d’un locataire à l’égard d’un nouvel immeuble d’une certaine importance.
24 En ce qui concerne la structure de l’immeuble Gate 2, la Commission considère que deux interventions de Wiener Wohnen ont exercé une influence sur la conception de ce bâtiment. Il s’agit de la construction des ponts reliant les étages des ailes A et B de celui-ci et la construction des sixième à huitième étages de l’aile B.
25 En ce qui concerne d’autres interventions de Wiener Wohnen, la Commission fait valoir que, dans les documents intitulés « Descriptif du bâtiment et de ses équipements », du 16 mai 2012, et « Complément au descriptif du bâtiment et de ses équipements », du 22 mai 2012, tous deux annexés au contrat de location en cause, se trouvent de nombreux exemples montrant que les spécifications convenues entre les parties à ce contrat allaient bien au-delà de ce qui est habituellement convenu avec un locataire et que Wiener Wohnen a choisi dans une large mesure les solutions techniques retenues dans le cadre de la conception définitive de l’immeuble Gate 2. Même si certaines de ces spécifications renvoyaient aux normes « ÖNORM », ces dernières ne seraient que des recommandations qui ne deviendraient contraignantes que si le contrat le prévoyait. Normalement, un locataire ne s’intéresserait qu’au bon fonctionnement des canalisations, mais pas au type de pose choisi ni à la question de savoir si « pour les installations encastrées, les tuyaux d’évacuation sont en PE ou en ABS ».
26 En particulier, il ressortirait de la page de couverture du second de ces documents que celui-ci a été rédigé par Wiener Wohnen et il serait indiqué, dans les mentions légales figurant à la page suivante, ce qui suit : « Complément [au descriptif du bâtiment et de ses équipements], fondé sur le cahier des charges des bâtiments administratifs établi par le service MA 34 ; il établit les besoins d’utilisation spécifiques du locataire, complète, détaille et, par dérogations ponctuelles, remplace [le descriptif du bâtiment et de ses équipements] du bailleur ». La Commission précise qu’il ressort du site Internet de la ville de Vienne qu’il s’agit d’un « ensemble de règles relatives à l’équipement des bâtiments administratifs de cette ville [et que c]es spécifications servent de base aux travaux de planification et aux appels d’offres ». Selon la Commission, il n’est pas surprenant, dans ces circonstances, qu’un article paru dans la presse autrichienne au cours de l’année 2016 et portant sur le contournement possible, par Wiener Wohnen, de la réglementation relative aux marchés publics à l’occasion de la construction de l’immeuble Gate 2, ait été intitulé « Eine Zentrale nach Maß » (« Un siège central sur mesure »).
27 La Commission soutient que Wiener Wohnen a contrôlé la réalisation de la construction de l’immeuble Gate 2 au même titre qu’un maître d’ouvrage. Cette entreprise aurait mandaté SET Bauprojektierung GmbH, société spécialisée dans l’élaboration de projets de construction, afin d’exercer un contrôle d’accompagnement du processus pour l’exécution spécifique du projet de construction. La Commission indique, dans ce contexte, qu’il a été convenu entre les parties que ce contrôle d’accompagnement s’étendrait également au respect des caractéristiques du bien, telles que définies dans le contrat de location en cause. Elle se réfère à cet égard à l’annexe A.1, première partie, de l’annexe 1.3 de ce contrat, qui stipule : « Fonction de contrôle : pour l’exécution du projet de construction, Wiener Wohnen met en œuvre une fonction de contrôle d’accompagnement de la procédure en ce qui concerne l’exécution du projet de construction ainsi qu’un contrôle d’accompagnement par une société externe ».
28 La Commission fait en outre observer que, sans la conclusion dudit contrat, l’immeuble Gate 2 n’aurait pas été réalisé. En effet, après que le bailleur a acheté le terrain à la ville de Vienne, des articles de presse parus au cours de l’année 2002 ainsi qu’un communiqué de presse de la ville de Vienne publié pendant l’année 2005 auraient annoncé la construction de cet immeuble sur ce terrain. Or, au cours de l’année 2008, les médias auraient rapporté que le projet « [était] en sommeil depuis des années », l’offre de surfaces de bureaux de plus grandes tailles étant supérieure à la demande. La République d’Autriche aurait, par ailleurs, admis que la réalisation de l’immeuble Gate 2 serait restée incertaine si Wiener Wohnen n’avait pas conclu le contrat de location en cause.
29 La Commission insiste sur le fait que l’immeuble Gate 2 ne doit aucunement être qualifié d’immeuble standard, que Wiener Wohnen se proposait de louer en l’état, tel que projeté par le propriétaire. Elle rappelle que Wiener Wohnen a mandaté un prestataire de services, pendant l’année 2012, pour effectuer une analyse de site du marché viennois des surfaces de bureaux. Selon cette analyse, parmi dix biens susceptibles d’être loués, dont six satisfaisaient aux exigences minimales définies par Wiener Wohnen, l’immeuble Gate 2 était apparu comme étant le bien le plus adéquat. La Commission attire tout particulièrement l’attention sur le fait que, dans le « management summary » de cette analyse, il est affirmé, pour justifier le placement en première position de cet immeuble, que « [l]e locataire a encore la possibilité d’influer sur la planification du projet en fonction d’exigences spécifiques, et [que] le souhait de séparer les entrées de la zone de bureaux et du centre de services à la clientèle peut être satisfait de manière optimale ».
30 La Commission ajoute que l’immeuble Gate 2 est presque exclusivement utilisé par Wiener Wohnen. La présence de deux autres locataires, à savoir Wiener Wohnen Haus- & Außenbetreuung ainsi que le Gewerkschaft der Gemeindebediensteten – Kunst, Medien, Sport, freie Berufe (syndicat des employés communaux – art, médias, sport, professions libérales), ne saurait justifier l’application de l’article 16, sous a), de la directive 2004/18, eu égard au droit étendu dont disposait Wiener Wohnen de laisser l’objet de la location à des services de la ville de Vienne ou à des personnes morales dans lesquelles cette dernière dispose de participations majoritaires. Par ailleurs, il semblerait que la surface sous-louée au syndicat des employés communaux aux fins de servir de centre d’information soit très modeste.
31 La République d’Autriche fait observer que Wiener Wohnen est le plus grand gestionnaire de logements communaux d’Europe et, à ce titre, assume d’importantes responsabilités à l’égard de plus de 500 000 personnes logées dans environ 200 000 logements communaux. Dans le cadre d’une réorientation stratégique de cette entreprise, il a été décidé de concentrer sur un seul site l’intégralité des implantations auparavant réparties sur la totalité du territoire de la ville de Vienne. Selon cet État membre, le nouveau siège devait être disponible lors de l’entrée en vigueur de la nouvelle organisation, à la fin de l’année 2014 ou au début de l’année 2015, et il devait pouvoir accueillir au moins 750 collaborateurs, voire, après la réalisation d’une extension planifiée, 1 000 collaborateurs.
32 En l’absence de possibilité d’achat ou de construction d’un immeuble correspondant à ses besoins, la seule solution envisageable pour Wiener Wohnen aurait été la location d’un immeuble de bureaux existant ou dont la planification était déjà achevée. Par ailleurs, en tant qu’institution chargée de la construction de logements sociaux, Wiener Wohnen aurait été tenue d’investir en principe ses moyens financiers dans l’entretien et l’amélioration des immeubles d’habitation qu’elle gère. En outre, compte tenu de l’objectif de cette entreprise, les surfaces à louer auraient dû absolument être des surfaces de bureaux standard.
33 Afin de disposer d’une vue générale de tous les immeubles de bureaux adéquats et disponibles sur le marché immobilier et remplissant ses exigences, Wiener Wohnen aurait, au début de l’année 2012, chargé un expert en immobilier indépendant d’une analyse globale du marché et des sites viennois de bureaux. Selon la République d’Autriche, lors de l’élaboration de cette analyse, la planification de l’immeuble Gate 2 était déjà entièrement achevée, la totalité des plans étant disponible, mais le projet n’avait pas encore été réalisé. De ce fait, Wiener Wohnen n’aurait exercé aucune influence sur la conception architecturale ou la planification concrète des ailes A et B de cet immeuble. Outre les exigences en matière de surface et de places de parking, les négociations relatives au contrat de location en cause auraient surtout porté sur le montant du loyer et des frais de fonctionnement. L’un des éléments essentiels des négociations aurait été la remise, aux dates prévues, de ces deux ailes, afin de pouvoir organiser le déménagement d’environ 1 000 collaborateurs. Les seuls aspects de la construction sur lesquels Wiener Wohnen aurait pu intervenir concernaient la subdivision des locaux et l’occupation des bureaux ainsi que les équipements de base des surfaces louées.
34 En ce qui concerne les interventions structurelles alléguées par la Commission, la République d’Autriche fait valoir que les ponts faisaient partie du projet d’immeuble Gate 2 dès le départ. De plus, ils ne feraient pas partie des surfaces louées. Quant à l’option relative à la location des sixième à huitième étages de l’aile B, cet État membre affirme que ces étages devaient, en toute hypothèse, être construits.
35 Le document intitulé « Descriptif du bâtiment et de ses équipements », comme le « complément » à ce document, se serait limité à prévoir des exigences auxquelles doivent se conformer tous les immeubles de bureaux modernes. La Commission n’aurait identifié aucun élément figurant dans ces documents qui s’écarterait des conditions prévues par les dispositions légales ou par les directives et les normes techniques applicables ou qui ne serait pas d’usage dans le secteur d’activité en question.
36 Selon la République d’Autriche, le contrôle par la société externe SET Bauprojektierung aurait uniquement concerné les espaces faisant l’objet du contrat de location, à l’exclusion des autres espaces de l’immeuble Gate 2, tels que, notamment, les centrales techniques de chauffage, la domotique, les installations relatives aux ascenseurs ou les parties communes ou extérieures. La Commission ignorerait le fait qu’il est habituel, dans le cadre de projets de déménagement importants, qu’il y ait non seulement un contrôle d’accompagnement exercé par le maître d’ouvrage, mais également des vérifications effectuées par le locataire.
37 La République d’Autriche souligne aussi que Wiener Wohnen n’était pas le seul locataire de l’immeuble Gate 2. Dans ce contexte, il importerait peu de savoir si les surfaces louées à d’autres locataires étaient plus faibles que celles occupées par Wiener Wohnen. Le seul fait que des locataires autres que Wiener Wohnen ont loué des locaux dans cet immeuble démontrerait que les surfaces de bureaux en cause sont celles d’immeubles de bureaux standard, qui peuvent également être louées par des tiers, aux conditions habituelles du marché.
38 Le « management summary » ne prouverait pas davantage le point de vue de la Commission, étant donné qu’il n’était aucunement indiqué dans ce document que les exigences formulées par Wiener Wohnen allaient au-delà des souhaits habituels d’un locataire. Il serait tout à fait normal qu’un locataire, qui a l’intention de s’engager à utiliser contractuellement sur une longue période un immeuble de bureaux pour plus de 1 000 collaborateurs, souhaite, avant de prendre sa décision, savoir clairement dans quelle mesure le bailleur admet d’éventuelles adaptations qu’il considère nécessaires.
39 En particulier, selon la République d’Autriche, le document intitulé « Complément au descriptif du bâtiment et de ses équipements » est seulement « fondé » sur le « cahier des charges des bâtiments administratifs établi par le service MA 34 ». Ce cahier des charges serait déjà un résumé des exigences en matière légale et normative, conformes à l’état de la technique, applicables à l’intégralité des immeubles de bureaux et dont l’application ne se limiterait pas à la ville de Vienne. Les mesures décrites dans ledit « complément » auraient donc également dû être mises en œuvre si le contrat de location avait été conclu non pas avec Wiener Wohnen, mais avec une entreprise privée. Lorsque la Commission fait valoir que les normes écologiques ne constituent que des « recommandations », elle méconnaîtrait la législation applicable. En effet, ces normes constitueraient, selon la jurisprudence constante de l’Oberster Gerichtshof (Cour suprême, Autriche), l’état de la technique par rapport auquel est déterminée la bonne exécution technique. Par conséquent, l’application de ces normes ne serait pas facultative.
40 Les critiques formulées par la Commission au sujet de la durée de la location prévue au contrat en cause, à savoir 25 ans, méconnaîtraient la réalité du marché de l’immobilier. Ce serait uniquement dans ces conditions que les bailleurs seraient prêts à louer d’importantes surfaces à des prix abordables. Pour Wiener Wohnen, le fait de renoncer à la possibilité de résilier ledit contrat ne poserait pas de difficultés, dès lors qu’un nouveau déménagement de 1 000 collaborateurs serait improbable, pour des raisons de coût et d’absence de sites alternatifs convenables.
Appréciation de la Cour
41 Le recours de la Commission a pour objet la qualification d’attribution directe, sans procédure de mise en concurrence ni avis de marché, d’un contrat portant sur l’immeuble Gate 2 situé à Vienne. La Commission fait valoir que Wiener Wohnen, en sa qualité de pouvoir adjudicateur, a conclu le 25 mai 2012, avec une entreprise privée, un contrat de location de longue durée portant sur cet immeuble, avant même que celui-ci ne soit construit. Wiener Wohnen aurait exercé sur la conception de l’immeuble une influence qui excéderait largement les exigences habituelles du locataire d’un tel immeuble. Ce contrat, qui ne saurait relever de l’exclusion prévue à l’article 16, sous a), de la directive 2004/18, devrait être qualifié de « marché de travaux », au sens de cette directive. La violation de la directive 2004/18 qui en résulterait persisterait tant que subsiste le contrat de location en cause, qui ne peut être résilié, de manière ordinaire, avant l’année 2040.
42 À titre liminaire, il convient de rappeler que la directive 2004/18, tout comme les autres directives en matière de marchés publics, a pour objectif, ainsi qu’il ressort en substance de son considérant 2, d’assurer le respect, lors de la passation des marchés publics, notamment, de la libre circulation des marchandises, de la liberté d’établissement et de la libre prestation des services ainsi que des principes qui en découlent, en particulier l’égalité de traitement, la non-discrimination, la proportionnalité et la transparence, et de garantir que la passation des marchés publics soit ouverte à la concurrence (arrêts du 12 juillet 2001, Ordine degli Architetti e.a., C‑399/98, EU:C:2001:401, points 52 et 75, ainsi que du 27 novembre 2019, Tedeschi et Consorzio Stabile Istant Service, C‑402/18, EU:C:2019:1023, point 33).
43 À cet égard, il ressort de la jurisprudence, d’une part, que la question de savoir si une opération constitue, ou non, un marché public de travaux, au sens de la réglementation de l’Union, relève du droit de l’Union. La qualification du contrat envisagé de « contrat de location » par les parties n’est pas déterminante à cet égard (arrêt du 10 juillet 2014, Impresa Pizzarotti, C‑213/13, EU:C:2014:2067, point 40 et jurisprudence citée).
44 En effet, dans le cadre d’un marché public de travaux, le pouvoir adjudicateur reçoit une prestation consistant dans la réalisation des travaux qu’il vise à obtenir et qui comporte un intérêt économique direct pour lui. Or, un tel intérêt économique peut être constaté non seulement lorsqu’il est prévu que le pouvoir adjudicateur deviendra propriétaire des travaux ou de l’ouvrage faisant l’objet du marché, mais également s’il est prévu qu’il disposera d’un titre juridique qui lui assurera la disponibilité de ces ouvrages, en vue de leur affectation publique (voir, en ce sens, arrêt du 25 mars 2010, Helmut Müller, C‑451/08, EU:C:2010:168, points 48 à 51).
45 De même, n’est pas pertinent aux fins de la qualification du marché en cause le fait que le contrat principal ne prévoit pas, éventuellement, une option ou une obligation de rachat, dans le chef de la ville de Vienne ou de Wiener Wohnen, portant sur les bâtiments construits (voir, en ce sens, arrêt du 29 octobre 2009, Commission/Allemagne, C‑536/07, EU:C:2009:664, point 62).
46 D’autre part, lorsqu’un contrat comporte à la fois des éléments ayant trait à un marché public de travaux et des éléments ayant trait à un autre type de marché, il convient de se référer à son objet principal pour déterminer sa qualification juridique et les règles de l’Union applicables (arrêt du 10 juillet 2014, Impresa Pizzarotti, C‑213/13, EU:C:2014:2067, point 41 et jurisprudence citée).
47 En ce qui concerne l’objet de l’opération concernée, il convient de relever que le contrat en cause est dénommé « contrat de location » et qu’il contient effectivement des éléments relevant d’un contrat de location. Toutefois, force est de constater que, à la date de la conclusion de ce contrat, la réalisation de l’ouvrage concerné par ledit contrat n’avait pas encore été entamée. Par conséquent, ce contrat ne pouvait avoir comme objectif immédiat la location d’immeubles. L’objectif de ce contrat était la construction dudit ouvrage, qui devait, par la suite, être mis à la disposition de Wiener Wohnen au moyen d’un « contrat de location » (voir, en ce sens, arrêt du 29 octobre 2009, Commission/Allemagne, C‑536/07, EU:C:2009:664, point 56).
48 À cet égard, il y a lieu de faire observer que, ainsi que le considérant 24 de la directive 2004/18 l’énonce, l’article 16, sous a), de cette directive prévoit une exclusion du champ d’application matériel de celle-ci et que l’interprétation selon laquelle cette exclusion, ainsi que l’a relevé M. l’avocat général au point 30 de ses conclusions, peut s’étendre aux locations de bâtiments non existants, c’est-à-dire non encore construits, a été retenue par la jurisprudence de la Cour.
49 Toutefois, ainsi qu’il ressort de la jurisprudence de la Cour, le pouvoir adjudicateur ne saurait se prévaloir de l’exclusion prévue à cette disposition lorsque la réalisation de l’ouvrage projeté constitue un « marché public de travaux », au sens de l’article 1er, paragraphe 2, sous b), de la directive 2004/18, dès lors que cette réalisation répond aux besoins précisés par ce pouvoir adjudicateur (voir, par analogie, arrêts du 29 octobre 2009, Commission/Allemagne, C‑536/07, EU:C:2009:664, point 55, ainsi que du 10 juillet 2014, Impresa Pizzarotti, C‑213/13, EU:C:2014:2067, point 43 et jurisprudence citée).
50 Il en va ainsi lorsque ce dernier a pris des mesures afin de définir les caractéristiques de l’ouvrage ou à tout le moins d’exercer une influence déterminante sur la conception de celui-ci (arrêt du 10 juillet 2014, Impresa Pizzarotti, C‑213/13, EU:C:2014:2067, point 44 et jurisprudence citée).
51 Tel est, notamment, le cas lorsque les spécifications demandées par le pouvoir adjudicateur vont au-delà des exigences habituelles d’un locataire à l’égard d’un immeuble tel que l’ouvrage concerné (voir, en ce sens, arrêt du 29 octobre 2009, Commission/Allemagne, C‑536/07, EU:C:2009:664, point 58).
52 Enfin, bien que le montant de la rémunération de l’entrepreneur ou les modalités de règlement de celle-ci ne soient pas les éléments déterminants aux fins de la qualification du contrat concerné, elles ne sont pas dénuées de pertinence (voir, en ce sens, arrêts du 29 octobre 2009, Commission/Allemagne, C‑536/07, EU:C:2009:664, points 60 et 61, ainsi que du 10 juillet 2014, Impresa Pizzarotti, C‑213/13, EU:C:2014:2067, points 49 à 51).
53 En ce qui concerne le bâtiment envisagé, une influence déterminante sur sa conception peut être identifiée s’il peut être démontré que cette influence est exercée sur la structure architecturale de ce bâtiment, telle que sa dimension, ses murs extérieurs et ses murs porteurs. Les demandes concernant les aménagements intérieurs ne peuvent être considérées comme démontrant une influence déterminante que si elles se distinguent du fait de leur spécificité ou de leur ampleur.
54 C’est sur la base de la jurisprudence précitée qu’il convient d’apprécier le recours de la Commission.
55 À cet égard, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante relative à la charge de la preuve dans le cadre d’une procédure en manquement au titre de l’article 258 TFUE, il incombe à la Commission d’établir l’existence du manquement allégué. C’est elle qui doit apporter à la Cour les éléments nécessaires à la vérification par celle-ci de l’existence de ce manquement, sans pouvoir se fonder sur une présomption quelconque [arrêt du 14 janvier 2021, Commission/Italie (Contribution à l’achat de carburants), C‑63/19, EU:C:2021:18, point 74 et jurisprudence citée].
56 Toutefois, les États membres sont tenus, conformément à l’article 4, paragraphe 3, TUE, de faciliter à la Commission l’accomplissement de sa mission, consistant notamment, selon l’article 17, paragraphe 1, TUE, à veiller à l’application des dispositions du traité FUE ainsi que des dispositions prises par les institutions de l’Union en vertu de celui-ci. À cet égard, il convient de tenir compte du fait que, s’agissant de vérifier l’application correcte en pratique des dispositions nationales destinées à assurer la mise en œuvre effective d’une directive, la Commission, qui ne dispose pas de pouvoirs propres d’investigation en la matière, est largement tributaire des éléments fournis par d’éventuels plaignants ainsi que par l’État membre concerné [arrêt du 18 novembre 2020, Commission/Allemagne (Remboursement de TVA – Factures), C‑371/19, non publié, EU:C:2020:936, points 66 et 67 ainsi que jurisprudence citée]. Il s’ensuit notamment que, lorsque la Commission a fourni suffisamment d’éléments faisant apparaître que les dispositions nationales transposant une directive ne sont pas correctement appliquées en pratique sur le territoire de l’État membre défendeur, il incombe à celui-ci de contester de manière substantielle et détaillée les éléments ainsi présentés et les conséquences qui en découlent [arrêt du 28 mars 2019, Commission/Irlande (Système de collecte et de traitement des eaux usées), C‑427/17, non publié, EU:C:2019:269, point 39 et jurisprudence citée].
57 En l’espèce, il convient de relever que la Commission n’a pas fait valoir que Wiener Wohnen aurait cherché à exercer une influence sur les plans du propriétaire du terrain, à savoir Vectigal Immobilien, avant la réception, le 28 février 2012, de l’analyse des sites (Standortanalyse) qui avait été réalisée par l’expert immobilier qu’elle avait mandaté.
58 Ledit expert a identifié dix objets libres à la location et, après avoir constaté que six projets d’immeubles satisfaisaient aux exigences minimales de Wiener Wohnen, il est parvenu à la conclusion que le projet de réalisation de l’immeuble Gate 2 était le plus adéquat.
59 Ainsi qu’il ressort de l’analyse des sites du 28 février 2012 et du document intitulé « Étude de faisabilité » (« Bebauungsstudie ») du 23 janvier 2012, les caractéristiques de l’immeuble Gate 2 étaient déjà déterminées à ces dates.
60 Il convient de constater que la structure de l’immeuble Gate 2, décrite dans cette étude de faisabilité du 23 janvier 2012, et la structure figurant dans celle du 4 mai 2012 qui fait partie du contrat de location en cause sont en substance identiques, le document le plus récent contenant également des précisions supplémentaires, notamment en ce qui concerne l’utilisation de certaines surfaces, ces deux documents ayant été préparés par le même bureau d’architectes.
61 Dès lors, ces éléments sont de nature à accréditer la thèse selon laquelle, ainsi que la République d’Autriche le fait valoir, « au moment des négociations en vue de la conclusion du contrat de location, la planification de l’immeuble [Gate 2] était déjà totalement achevée [et que] Wiener Wohnen [...] n’avait dès le départ aucune influence sur la conception architecturale ou la planification concrète des ailes A et B de l’immeuble [Gate 2] ».
62 Toutefois, la Commission identifie deux circonstances desquelles il est possible, selon elle, de déduire que Wiener Wohnen a exercé une influence sur la conception même de la structure de cet immeuble.
63 La Commission vise la construction des sixième à huitième étages de l’aile B et les ponts reliant les ailes A et B dudit immeuble.
64 En ce qui concerne la construction desdits étages de cette aile B, il convient de relever que le contrat de location en cause a prévu une option non pas pour la construction, mais pour la location d’espaces supplémentaires.
65 En effet, l’article 1.9 du contrat de location mentionne que Wiener Wohnen disposait, en tant qu’option (« call-option »), du droit unilatéral de prendre en location, en plus des cinq premiers étages qui constituaient le bien loué initialement, les sixième à huitième étages de l’aile B de l’immeuble Gate 2. Il est également prévu à cette disposition que, si Wiener Wohnen n’exerce pas cette option ou ne l’exerce que partiellement, le bailleur est libre soit de ne pas construire les étages non souhaités, soit de les construire et de les louer à des tiers. À cet égard, il est également précisé à ladite disposition que, dans ce cas, les tiers disposent du droit d’utiliser certaines parties générales du bâtiment, telles que l’entrée ou les ascenseurs, et que, en contrepartie, Wiener Wohnen devrait bénéficier d’une réduction de loyer.
66 Il convient de relever que cette construction était déjà prévue dans l’étude de faisabilité du 23 janvier 2012, qui contient un croquis de l’aile B de l’immeuble Gate 2 comprenant huit étages. L’analyse des sites du 28 février 2012 relative à cette aile B mentionne neuf niveaux (un rez-de-chaussée et huit étages) et, enfin, le contrat de location en cause contient également, dans l’étude de faisabilité du 4 mai 2012 qui lui est annexée, un croquis de cette aile B comprenant huit étages.
67 Par conséquent, il ressort des informations dont dispose la Cour que la conception des sixième à huitième étages de ladite aile B n’a pas été prévue afin de répondre à un besoin précisé par Wiener Wohnen.
68 Les mêmes circonstances peuvent être relevées en ce qui concerne les ponts reliant les ailes A et B de l’immeuble Gate 2.
69 L’étude de faisabilité du 23 janvier 2012 contient déjà la mention « Option Brücke » (« option pont ») entre ces ailes A et B. L’analyse des sites contient un membre de phrase aux termes duquel lesdites ailes A et B, « par la construction d’un pont, peuvent être reliées ». Dans le contrat de location en cause figure la même mention « Option Brücke » (« option pont ») entre les ailes A et B de l’immeuble Gate 2.
70 Par conséquent, la conception du pont reliant ces ailes A et B n’a pas non plus été prévue afin de répondre à un besoin précisé par Wiener Wohnen.
71 Dès lors, en l’espèce, le seul fait que Wiener Wohnen a utilisé les options offertes, c’est-à-dire qu’elle a fait usage des possibilités déjà prévues, ne saurait suffire à démontrer que cette entité a exercé une influence déterminante sur la conception de l’ouvrage concerné.
72 En outre, la Commission évoque plusieurs autres éléments factuels dont il est possible, selon elle, de déduire que le contrat de location en cause doit être requalifié en marché de travaux. Elle fait valoir l’absence de permis de construire, un contrat de location de longue durée, le contrôle ordonné par Wiener Wohnen de l’exécution des travaux et la spécificité trop poussée de l’ouvrage.
73 Il convient d’examiner ces différents éléments.
74 S’agissant de l’absence de permis de construire lors de la conclusion du contrat de location, il convient de relever que, selon une pratique commerciale courante, les projets architecturaux de grande ampleur sont mis en location bien avant la finalisation des plans de construction détaillés, de telle sorte que le propriétaire du site ou le maître d’ouvrage n’entame la procédure formelle d’obtention d’un permis de construire que lorsqu’il dispose d’engagements de la part de locataires futurs pour une partie importante des surfaces du bâtiment projeté. Dans ces conditions, le fait que, comme en l’espèce, le permis de construire n’a été demandé et délivré qu’après la date de la conclusion du contrat de location en cause ne s’oppose pas à ce qu’il soit considéré que l’immeuble Gate 2 était, à cette date, déjà planifié et prêt à être réalisé. Conformément aux pratiques et aux habitudes du marché, un projet architectural complet n’est pas un préalable à l’engagement des locataires potentiels. Par ailleurs, l’exercice d’une influence déterminante sur la conception de l’ouvrage concerné ne saurait résulter de l’absence d’un tel projet architectural complet.
75 À cet égard, il y a lieu de faire observer que, même si le « management summary » de l’analyse de site du marché viennois des surfaces de bureaux indiquait que l’immeuble Gate 2 offrait au locataire la possibilité d’influer sur la planification du projet en fonction d’exigences spécifiques, la constatation de l’existence d’un « marché public de travaux », au sens de l’article 1er, paragraphe 2, sous b), de la directive 2004/18, exige, à tout le moins, que la réalisation effective d’une telle possibilité soit établie.
76 En ce qui concerne la durée du contrat de location, il suffit de relever que, en tout état de cause, cet aspect ne saurait affecter le fait que, afin de considérer que la réalisation de l’ouvrage projeté constitue un « marché public de travaux », ce sont les conditions dégagées par la jurisprudence figurant aux points 49 à 51 du présent arrêt qui doivent être remplies. Il convient d’ajouter que le fait qu’un contrat de location est conclu pour une longue période, indépendamment des circonstances de l’espèce, n’est pas en soi inhabituelle.
77 De plus, peut être retenu, en l’occurrence, l’argument de la République d’Autriche selon lequel, d’une part, l’obligation de ne pas résilier le contrat de location pendant une longue période a une influence sur le montant du loyer et, d’autre part, Wiener Wohnen elle-même souhaitait éviter un nouveau déménagement qui serait coûteux et perturberait sérieusement son fonctionnement.
78 En ce qui concerne l’argument de la Commission selon lequel Wiener Wohnen a mandaté la société SET Bauprojektierung, spécialisée dans l’élaboration de projets de construction, aux fins d’exercer un contrôle d’accompagnement du processus pour l’exécution spécifique du projet de construction et que Wiener Wohnen a ainsi fait contrôler le suivi de la réalisation de l’ouvrage comme l’aurait fait un maître d’ouvrage, il convient de relever qu’il n’est aucunement inhabituel qu’un locataire prenne des mesures afin de s’assurer que l’emménagement dans les locaux puisse avoir lieu à la date prévue, notamment lorsqu’il s’agit, comme en l’espèce, d’un emménagement de grande ampleur. En effet, le fait de recourir aux services d’un tiers spécialisé en la matière permet un suivi efficace des délais prévus pour la mise à disposition de l’immeuble, d’assurer un contrôle en vue de détecter suffisamment à l’avance d’éventuels retards ou défauts et de prendre les dispositions nécessaires, comme, par exemple, une prolongation de certains contrats de location dans certains immeubles encore occupés.
79 Par un tel contrôle d’accompagnement, Wiener Wohnen n’a pas non plus exercé une influence déterminante sur la conception de l’immeuble Gate 2.
80 S’agissant des spécifications que Wiener Wohnen a formulées, il ressort des éléments du dossier dont dispose la Cour que cet immeuble a été conçu comme un immeuble de bureaux classique, sans que soient visés des groupes déterminés de locataires ni des besoins spécifiques. Les ailes A et B dudit immeuble suivent un système de grille, habituel pour les immeubles de bureaux de la taille de celui-ci, garantissant que la disposition intérieure reste aussi flexible que possible et adaptée à de futurs locataires.
81 À cet égard, il est usuel qu’une entreprise, qu’elle soit privée ou publique, qui cherche à louer un immeuble de bureaux, fasse préciser certains souhaits quant aux caractéristiques que ce site devrait, dans la mesure du possible, réunir, qu’il s’agisse d’un bâtiment encore à construire ou d’un changement de locataire à l’occasion duquel des travaux de remise à niveau sont effectués. De telles démarches ne permettent pas de requalifier un contrat de location en marché de travaux.
82 Dans ces conditions, il convient de déterminer si les spécifications formulées par Wiener Wohnen visaient à satisfaire des demandes qui ont dépassé ce que le locataire d’un immeuble tel que l’immeuble Gate 2 peut habituellement exiger et conduisent à ce que Wiener Wohnen soit considérée comme ayant exercé une influence déterminante sur la conception de celui-ci.
83 Comme l’a fait observer la République d’Autriche, pour autant que Wiener Wohnen cherchait à assurer que les spécifications figurant dans des normes techniques applicables en vertu de dispositions légales soient respectées ou que les caractéristiques de l’immeuble soient conformes à « l’état de la technique » usuel sur le marché concerné, au regard duquel la bonne exécution technique de la construction est évaluée, ces exigences ne sauraient être considérées comme étant des mesures prises par Wiener Wohnen pour exercer une influence sur la conception de l’immeuble Gate 2 ou comme dépassant ce qu’un locataire peut habituellement exiger.
84 En particulier, dans la mesure où les demandes formulées par Wiener Wohnen portaient sur l’application de standards, quand bien même ceux-ci ne seraient pas contraignants, qui visaient à atteindre des objectifs tenant à l’amélioration de la performance énergétique du futur siège central de cette entité et, de manière plus générale, à réduire l’empreinte écologique de cet immeuble, ces demandes n’excédaient pas non plus ce que le locataire d’un tel immeuble peut habituellement demander.
85 Étant donné que les standards législatifs ou réglementaires dans les matières susmentionnées ont considérablement évolué au cours des dernières décennies, en étant toujours plus exigeants, et qu’ils continuent d’évoluer en ce sens, ne saurait être considérée comme constituant une exigence exorbitante de la part d’une entité publique telle que Wiener Wohnen, qui cherche à louer pour une longue période un bâtiment destiné à abriter son administration centrale, la volonté de disposer d’un bâtiment dont les caractéristiques ne se limitent pas au respect des standards en vigueur lors de la conclusion du contrat de location en cause, mais qui présente également une certaine pérennité quant au respect des standards applicables dans le temps.
86 Si le nombre de ces demandes et le degré de détails de celles-ci sont élevés, il demeure que le critère déterminant dans ce contexte est néanmoins celui de savoir si ces demandes vont au-delà des exigences habituelles d’un locataire en ce qui concerne un immeuble tel que l’immeuble Gate 2.
87 Or, si la Commission a établi, sur la base des documents intitulés « Descriptif du bâtiment et de ses équipements », du 16 mai 2012, et « Complément au descriptif du bâtiment et de ses équipements », du 22 mai 2012, tous deux annexés au contrat de location en cause, que les demandes présentées par Wiener Wohnen étaient nombreuses et détaillées, avec des exemples concrets à l’appui, il ne ressort pas, en revanche, de ses écritures que Wiener Wohnen aurait présenté un nombre non négligeable de demandes ayant eu pour effet que, en ce qu’elles visaient à satisfaire des besoins qui lui étaient propres, cette entité aurait exercé une influence déterminante sur la conception de l’immeuble Gate 2.
88 Dans sa requête, la Commission cite, dans ce contexte, certains points du document intitulé « Descriptif du bâtiment et de ses équipements ». Aux termes de ces points, « l’ensemble des ascenseurs vont du sous-sol (garage) à l’étage qui est chaque fois le plus élevé », « l’ouvrage est réalisé conformément aux directives du système de certification ÖGNI – niveau or », « [le] sol [est] surélevé avec une hauteur brute moyenne d’environ 10 cm, et une force portante de 5 kN/m² » et « le refroidissement est assuré principalement par des éléments de plafond thermoactifs avec des surfaces recouvertes ou enduites d’une peinture de dispersion ».
89 Or, la Commission n’explique pas en quoi la demande tendant à ce que tous les ascenseurs relient l’ensemble des niveaux, y compris l’étage le plus élevé, constitue une demande inhabituelle. Étant donné que, comme la République d’Autriche le fait valoir, sans que la Commission le conteste, une telle spécification découle d’une obligation légale, il ne peut être considéré qu’elle reflète l’exercice d’une influence déterminante sur la conception de l’immeuble imputable à Wiener Wohnen.
90 De même, il est de pratique courante de prévoir, dans les bâtiments de bureaux, un sol surélevé, afin de garantir, notamment, la modularité de l’aménagement intérieur. Quant à la hauteur brute moyenne et à la force portante de ce sol, la Commission n’explique pas non plus en quoi les spécifications évoquées sont inhabituelles. Il en va de même de la demande tendant à ce que le refroidissement de l’immeuble Gate 2 soit assuré principalement par des éléments de plafond thermoactifs.
91 S’agissant du « système de certification ÖGNI – niveau or », la Commission relève, dans le cadre de son analyse du document intitulé « Complément au descriptif du bâtiment et de ses équipements », qu’il est énoncé dans l’introduction de ce document que « [l]’objectif déclaré par le bailleur et le locataire d’obtenir le certificat “ÖGNI – GOLD Green Building” est considéré comme convenu et représente une exigence inconditionnelle pour la réalisation dans la planification et la construction ». La Commission allègue par la suite que l’argumentation de la République d’Autriche, selon laquelle cette certification aurait été visée d’emblée par le bailleur et ne constituerait pas une exigence de Wiener Wohnen, est inexacte. À cet égard, il convient de relever que, dans l’analyse des sites du 28 février 2012, préparée par un expert en immobilier, figure déjà la mention selon laquelle la certification « ÖGNI – niveau or » de l’immeuble Gate 2 est prévue.
92 Dès lors, il y a lieu de présumer que la conception de l’immeuble Gate 2 conformément aux exigences découlant de cette certification est le résultat non pas d’une influence déterminante exercée par Wiener Wohnen, mais d’une initiative propre du bailleur, laquelle a été retenue, ainsi qu’il a été rappelé au point 57 du présent arrêt, antérieurement à l’engagement des négociations avec Wiener Wohnen. Par ailleurs, la Commission n’indique pas dans ses écrits les raisons pour lesquelles ce certificat ne serait pas également délivré dans l’intérêt du bailleur. Or, il est évident que l’obtention d’un tel certificat renforce la valeur du bien immobilier concerné.
93 Certains des éléments mentionnés dans les documents intitulés « Descriptif du bâtiment et de ses équipements » et « Complément au descriptif du bâtiment et de ses équipements » doivent être compris eu égard à l’intention de Wiener Wohnen de disposer, pour une longue période, d’un site réunissant l’ensemble de ses services. Ainsi, l’exigence relative à la dimension de la distribution électrique, afin qu’il y ait une réserve de place de 25 % pour toute extension future n’apparaît pas comme étant une exigence allant au-delà des exigences habituelles d’un locataire en ce qui concerne un immeuble tel que l’immeuble Gate 2.
94 En revanche, il ressort du dossier soumis à la Cour que, pour des raisons économiques revêtant un aspect particulièrement important pour elle, Vectigal Immobilien, en tant que propriétaire et maître d’ouvrage de l’immeuble Gate 2, a pris soin de garantir que la construction soit réalisée de telle manière qu’il lui soit possible, en cas de libération totale ou partielle des locaux par Wiener Wohnen, de relouer immédiatement les surfaces concernées à des tiers. C’est ainsi que, selon la République d’Autriche, Vectigal Immobilien a notamment prévu, pour la totalité des surfaces à louer disponibles à un étage donné, plusieurs séparations avec des issues de secours et des accès aux ascenseurs autonomes pour chaque étage, afin de disposer de la possibilité de louer des surfaces individuelles ou de louer les différents étages de manière séparée à l’avenir.
95 En définitive, la Commission n’a pas établi que les demandes formulées par Wiener Wohnen en sa qualité de futur locataire ont remis en cause l’usage de l’immeuble Gate 2 en tant que bâtiment de bureaux que pourraient avoir des locataires qui succéderaient à cette entité. Par conséquent, il doit être conclu que les adaptations résultant de ces demandes n’excèdent pas ce qu’un locataire peut habituellement exiger.
96 Enfin, contrairement à la jurisprudence citée au point 52 du présent arrêt, le recours de la Commission ne contient d’informations ni sur le coût des travaux à la date de leur achèvement, au cours de l’année 2014, ni sur la relation entre ces coûts et la valeur actualisée, à cette date, du montant total des loyers sur une période de 20 ans.
97 Il découle, ainsi, de l’ensemble des considérations qui précèdent que la Commission n’a pas établi, à suffisance de droit, que, en ce que Wiener Wohnen a attribué directement le marché du 25 mai 2012 relatif à l’immeuble de bureaux sis Guglgasse 2-4, à Vienne, sans réaliser une procédure de mise en concurrence et sans communiquer l’avis y afférent, la République d’Autriche a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 2 et 28 ainsi que de l’article 35, paragraphe 2, de la directive 2004/18.
98 Par conséquent, le recours de la Commission doit être rejeté.
Sur les dépens
99 En vertu de l’article 138, paragraphe 1, du règlement de procédure de la Cour, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens s’il est conclu en ce sens. La République d’Autriche ayant conclu à la condamnation de la Commission et celle-ci ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de condamner cette dernière aux dépens.
Par ces motifs, la Cour (cinquième chambre) déclare et arrête :
1) Le recours est rejeté.
2) La Commission européenne est condamnée aux dépens.